Kaameblues.

J'ai mon brelan. Et j'attends qu'on me paye, peinard. Soirée peinard, d'ailleurs. Bonne bouteille, petite taverne sans envergure. Rien d'autre à fiche que de ratisser les ploucs du coin. Posé quoi. Les adversaires défilent. Personne ne mise gros de toute façon, et jouer face à une vedette du Poker, ça se refuse pas. Alors on joue gentiment, avec un mini public autour de la table. Peut-être vingt peones dans le rade. Un record pour le coin. Sans doute qu'en fin de soirée, j'filerai vers un établissement plus cossu pour y trouver deux ou trois joueurs un peu plus sérieux et rejoindre leur tablée, mais pour l'heure, je côtoie les purs amateurs, ceux qui sentent la paysannerie et le labeur manuel. Et c'est pas si désagréable. En ce moment, je suis face à deux foudres de guerre. Des comme on en voit pas tous les jours. Caraval' et Perce d'Oc je crois. Des pointures. L'un des deux me mire, me lance :

A vous de parler.
Il le sait.
Comment vous savez ?
Ah, non, moi je savais pas que c'était à lui. J'ai juste dit, que lui, il sait.
Non, mais comment vous savez qu'il savait, alors ?
Mais, moi je sais pas. C'est lui qui sait.
Hein ?
C'est dur à suivre.
Mais il a pas encore misé.
Non, je veux dire, il faut pas se perdre.
Pour aller où ?
Heu, nulle part.
Ben alors pourquoi on se perdrait ?
Mais non, c'est vous qui alliez vous perdre.
Mais puisque je reste ici.

Un raclement de gorge, j'interromps leur petit ménage.

Je relance.
Il monte.
Mais, y'a pas d'étage ici
Non, il dit qu'il va miser plus haut.
Oh, je vois. Donc il monte.
C'est un ... quiproquo ?
Ses jetons ?
Un pléonasme ?
Non, pléonasme c'est ce qui pousse à la campagne.
Agricole.
Pardon ?
Ce qui pousse à la campagne, est agricole.
Mais comment on dit alors ?
Comment on dit quoi ?
L'expression. Monter en haut
Un pléonasme.
Ah, oui, voilà.
Ah non; il pourrait très bien monter vers le bas. S'il se place sur un référentiel très bas, et va vers le bas, il pourrait très bien monter en bas. Ou descendre en haut. Donc ce n'est pas un ... pléonasme
Oulah, c'est fort ça. Donc sur un référentiel moyen à très très haut, de moyen à haut, je checke, de haut à très haut ...

Ça fait à peu près vingt minutes que ça dure. J'attrape une liasse, la lance sur la table.

500 Berrys, les gars. Vous suivez ?
Bien sûr qu'on suit, on est pas bêtes non plus.
Mais, vous vous êtes couché.
Non, mais là, il voulait savoir si on suivait. Si on comprenait.
Oh, ok. Moi je comprends. Et je suis.
C'est la même chose.
Mais non. Vous, vous vous couchez, même si vous suivez. Moi, je suis et je paye.
Vous payez pour comprendre ?
Non, je paye pour suivre.
Mais puisque je suis gratuitement, moi.
La conversation, pas notre homme, là.
Ah parce qu'il s'en va ?
Mais non. Je vais le suivre pour voir.
Mais vous partez voir quoi ?
Ah, difficile à dire, je vois pas clair dans son jeu.
Normal, il fait nuit.
C'est une image.
Non, ça, c'est une carte.
Vous êtes sûr ?
Oui, tenez, c'est facile. Sur vos cartes, là, on a une image. L'image d'un Roi, là. Et une dame, là. Vous comprenez ?
Ouh. Donc. On se repère aux images pour les cartes.
Ah non. C'est avec les cartes qu'on se repère. Pour savoir retrouver son chemin. D'ailleurs vous devriez en prendre une si vous savez pas où il vous emmène.
Non, mais ça, c'est le jeu.
Le jeu ?
Oui, la partie. Je suis sa mise.
Aaah, d'accord. Alors, vous suivez ?
Je suis.
Il suit !

Des pointures, j'vous dis. Je montre mon brelan. Double paire en face.

Le brelan bat la double paire, navré messieurs.
Mince, on a perdu.
Ouais, pour le coup, on aurait bien fait de prendre une carte.
Ne vous en faites pas, un brelan d'As, ça ne laisse que 19 716 combinaisons pour s'imposer. Soit moins de 1% de chance. Alors, imaginez si on vous enlève une carte.

Wow. Il a l'air con comme un manche, mais si c'est vrai, c'est prodigieux. Faudrait vérifier. Deux jeunes hommes, d'allure plus présentable que les paysans arrivent à la table. Je me lève, les invite à s'assœir.

Bonsoir messieurs. Rik Achilia, alias The Gambler. Finaliste du dernier Blues Poker Tour.
Sylvain, chevalier au Pion.
Gauffrain.
Drôle de nom.
Oui, quelqu'un était pas inspiré, sur le coup.
Vous connaissez les règles ?
Oui, ne vous inquiétez pas. Nous avons coutume de faire une petite partie de temps à autre chez nous. Le Cavalier se déplace en L ...
... en faisant des tours à 720 degrés pour couvrir tous les angles morts.
On ne va pas se laisser damer, foi de chevalier au Pion.
Hm. Je vois. Place au jeu, dans ce cas.

Les deux joyeux drilles spécialistes en quiproquo s'en vont eux, à sec. En ce qui les concerne, la suite viendra au prochain épisode. Pour vous aussi.
    Je sais pas si finalement,je regrette pas un peu mes précédents adversaires. Pas qu'ils soient des lumières, m'enfin, à côté de ceux-là, ils passeraient presque pour des Prix Nobel. Et j'sais pas non plus si c'est parce que je côtoie généralement des joueurs avertis, des établissements digne de ce nom avec l'atmosphère que cela suppose, mais alors, face à ces deux tanches-là, ma patience est soumise à rude épreuve. Ça me lance comme un taquet dans le tibia, ces conneries. Limite si je déjoue pas, c'est pour dire.

    C'est à qui le tour ?
    Non, c'est pas le tour à Ki.
    De quoi ?
    Non plus, et on dit à quoi, et non pas de quoi. Faut revoir sa grammaire un peu.
    Forcément, la famille, c'est sacrée.
    Comme pour un tableau noir ?
    Comment ?
    Vous dites qu'il écrit avec.
    Non je dis que s'il relance de sept fois mille avec, il nous détruit.
    On joue aux sept familles ?
    Ah, je ne sais pas. Mince. Il nous a entendus. On s'est fait manger.
    On va le forcer à tout nous rendre.
    Ça risque pas d'être un peu salissant ?
    Hm, vous avez raison, on va plutôt tout lui donner jusqu'à ce qu'il fasse une indigestion.
    Une ... ?
    Oui, je connais pas bien ce mot non plus, mais la dernière fois que j'en ai eu une, c'était pour la tarte aux myrtilles de ma mère, ben c'était super douloureux.
    Mais, vous avez des myrtilles sur vous ?
    Mince, non.
    Ça va pas être du gâteau.
    On est dans de beaux draps.
    Surtout avec ces vêtements.
    Vous êtes sûr ?
    Oui, pour faire une tarte, sachant qu'ils sont pas tissé, c'est un coup dur. Difficile.
    Ficelle. Mais la ficelle en couture, c'est lourd, laid.
    A moins d'avoir une aiguille assez fine. Parce qu'avec ...
    On pique ! Bien vu, il faut jouer une main où les piques seront présents.
    Comme celle-là ?
    Comme celle-là.
    Tapis !!

    C'est l'histoire d'un Sept-Deux de Piques qui se fait manger par un As-Roi dépareillé. Oui, le face à face aura tourné court. Comme ce post, mais that's poker. Y'aura une suite avant deux mois, promis.
      J'avais dit deux mois ? J'pensais deux mois et deux jours, en fait. Mais ici, on aime prendre son temps, et de toute façon, je ne suis attendu nulle part pour la bonne et simple raison que je sais même pas quel jour de quelle année on est. J'ai un nouvel adversaire, et celui-là m'a l'air un tantinet plus balaise que les précédents parce qu'il a une longue barbe de druide. Jamais vu un druide de ma vie, donc suis pas sûr que la comparaison soit totalement juste, mais l'intention y est. Il mise cent.

      Je mise cent.
      Puissant.
      Puis cent quoi ? Vous voulez dire que, vous, vous misez deux cent ?
      Non je veux dire, puissant, sensas, quoi.
      Puis cent, sans as ? Vous relancez sans avoir la paire maître ?
      Maîtresse.
      Laissez mes tresses tranquille, c'est à la dernière mode chez nous autres, les druides.
      Ah, ben donc, vous êtes bien druide ?
      Ben, oui, qui prétend le contraire ?
      Ah, mais personne ...
      Bon beh alors pourquoi je serais pas druide ?
      Non, non, c'est juste rapport avec l'entête.
      Un rat mort avec l'enquête ?
      Mah, laissez tomber... Et donc, pourquoi vos tresses ?
      Tous les collègues gaulois étaient coiffés comme ça pour la réunion du menhir.
      La réunion du menhir ? Ça sonne magique, votre truc. C'était quoi le thème ?
      Les menhirs.
      Oh, je vois. Les menhirs, c'est votre dolmaine ... héhé
      Elle est pas mal celle-là, je la ressortirai.
      Merci. Bon, je mise.
      Ça sent l'arnaque.
      Cinq cent, l'arnaque ?
      Oui, vous avez déjà misé.
      Peut-être mais je ne vous arnaque pas, je ne mise pas cinq cent mais trois cent.
      Croissant ? Appétissant.
      Vous m'donnez faim. Deux cent pour suivre.
      Vous, vous êtes en train de me mijoter un mauvais coup...
      Arrêtez de causer bouffe, j'ai vraiment les crocs. Et puis, qu'est ce qu'on se paye de nos jours avec deux cent balles ?
      Deux sandales ?
      Oui, c'est le tarif, une paire, deux cent balles.
      Deux cent balles pour des sandales ? C'est un scandale.
      C'est bien pour ça que personne ne paye, autant marcher pieds nus. Et sinon, vous marchez sur cette main ?
      Non, plutôt sur les deux d'habitude.
      Hein ? ... Non, mais là, vous suivez ?
      J'hésite, j'hésite ... je passe, deux cent de plus, c'est mon tapis ...
      Pas cher, pas cher.
      Comment ?
      Pardon, vieux réflexe. Donc, vous vous couchez ?
      Oui, mais noon ... si j'paye pas, qu'est ce qu'il se passe ?
      Vous perdez tout l'argent en jeu.
      Non, mais on va les trouver les deux cent pièces d'or... suivi !
      Paire d'As.
      Mince. Comment vous saviez que vous alliez gagner ?
      J'ai vu l'début du flim.

      Fin.