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[FB - 1624] Iron Island


Il est une île sur North Blue sans nul autre pareil nommée Iron Island. Pourtant cette île n'en n'est pas une. Ôla non. C'est davantage un disque. Un disque reposant en équilibre sur un immense bloc de terre semblable à une montagne. Les habitants se sont, par soucis de logistique comme de survie, efforcés de se répartir aussi équitablement qu'ils le purent sur les deux versants de l'île, afin d'en préserver l'équilibre. Vous pourriez croire que la vie était impossible là-bas. Les voisins devant se concerter à distance avant de prendre la décision de construire une maison identique de chaque coté du disque. Mais les Ironis ont toujours été des gars solides, souvent à leurs dépends, et à défaut d'en avoir connu d'autres ils aimaient éperdument la leur, d'île. Ce qu'ils aimaient moins en revanche, c'était leurs voisins. Pas les autres Ironis, non, bien que ce peuple fort et fier avait une prédisposition pour le pugilat et la picole -dangereuse combinaison- ; ils étaient tous de la même veine et miséricordieux. Ceux qu'ils pouvaient difficilement encadrer, c'étaient les nobles ayant établis leurs manoirs au centre de leur île. Rien de bien folichon, la plupart n'étaient pas des nobles de premier ordres ou même racés, mais des cousins de Sir Jétapah D. Stinay ou des filleuls de Lord Blackwood III. Mais tout de même, c'était emmerdant. Le blizzard, ça passait encore. La faune peu accueillante, on s'en accommodait. Mais ces têtes de cons pas foutus de vous assommer un jeune ratel des neiges à mains nues, on en voulait pas par ici. Et pourtant les longues soirées de beuveries intenses comme pour pallier aux non moins longues journées de dur labeur finissaient d'asseoir la bonté naturelle, voire niaise, d'une population certes belliqueuse mais pas farouche dans le fond.


Il est une île dans North Blue qui repose sur un équilibre précaire. Que ce soit dans sa géographie, ou dans les relations inter-espèces qui ne vont pas en s'arrangeant. Rien qu'un coup d’œil distrait du premier paltoquet venu permettrait de voir qu'elle est sur le point d'exploser à tout moment. Ce n'est qu'une question de temps. Ou de répartition des masses.



Mais voilà, y'a un hic voyez-vous.
Et le hic, il s'appelle Ging "BAM" Dong.


____________________________

Ging n'était pas le premier paltoquet venu. Il faisait parti de cette catégorie de personne bien précise qui, lorsqu'ils voient une île nécessitant d'escalader une montage à mains nues pour gagner un sol menaçant de se péter la gueule à tout instant, se demande ce qu'il va manger ce soir-là. Probablement un ragoût se dit-il tandis que la prise saillante à laquelle il était accroché se détachait du versant. Pendant un bref instant il se crut libre. Commença ensuite la chute. La paroi rocheuse défila devant lui, paysage blanc parsemé de tâches brunes et entrecoupé de rochers plus glissants qu'une anguille et plus affutés que des poignards. Ging n'avait ni le temps ni l'envie d'être effrayé, les vents violents lui fouettant le visage et faisant claquer sa crinière. Alors qu'il culbutait sur lui même dans les airs, il eut un bref aperçu du sol qui lui suffit pour savoir d'instinct que la chute serait mortelle. Se lovant puis se redressant violemment, Ging parvint à rapprocher suffisamment sa carcasse pour rattraper la roche. Sa dégringolade se stoppa net, avec une intensité qui lui secoua le cerveau et lui fit regretter de s'être repris. Ging se recolla contre le versant montagneux, tenta tant bien que mal que de calmer sa respiration haletante et remarqua le filet de sang perlant de sa main. C'était pas beau à voir. Le mur lui avait salement entaillé la paluche, mais il s'estimait s'en être bien sorti pour avoir dégringolé de trente bons mètres. Il jeta un coup d'oeil en bas, la terre sûre et ferme devant se trouver à une centaine de mètre, puis vers le haut. Une autre bonne centaine de mètres, à une vache près, le séparait d'un devers vertigineux et difficilement mesurable. Le lion souffla d'un air las. Puis il se remit à grimper.


____________________________


"Monsieur, il y a quelqu'un à la porte.
-Qui est-ce ?
-Il m'a bien dit son nom, mais j'ai oublié.
-Et bien comment est-il alors ?
-King Majong !
-Vous êtes sûr ?
-Je n'arrive pas à me rappeler. Voulez-vous que je lui chante une chanson ?
-Pourquoi diable voudrais-je cela ?
-Bon écoutez moi bien monsieur-j'insinue-que-ma-boniche-est-autiste, moi je suis une Ironie de naissance, et de la plus basse extraction je vous ferais dire ! Toute mon enfance j'ai dû partager ma chambre avec une bande de dorades dont mon père s'était pris d'affection ! Alors croyez-bien que je ne suis pas entrée à votre service pour répondre à la moindre de vos questions et accomplir vos sept volontés ! Chez moi les chansons, ça se mérite !"


Et la servante partit comme une furie avec le plat, laissant Karma sur le carreau et accessoirement sans son repas. Il était sur le cul, au propre comme au figuré, présidant l'immense table de la non-moins immense salle à manger. Seul. Comme toujours. Fourchette dans la main droite, couteau dans la gauche, et serviette pliée dans son col ; il n'avait pas bougé d'un iota, comme s'il espérait encore. Son estomac venant de comprendre, lui, qu'il ne dinerait pas ce soir se mit à gargouiller. Un peu comme s'il n'avait pas non plus eu sa ration ce midi. Si son ventre criait famine ses yeux imploraient le sommeil. Cernés sur tout le pourtour, on aurait pu le confondre avec un raton-laveur s'ils n'avaient été d'un bleu à faire jalouser les abysses. Ses cheveux ébènes semblaient quant à eux mettre un point d'honneur à partir chacun de leur coté, tandis que sa barbe rasée uniquement sur le coté droit de son visage finissait de peindre le tableau décrépit d'une ivrogne, voire d'un pirate, mais certainement pas d'un noble. Et pourtant c'était bien du sang bleu qui coulait dans les veines de Karma Von Blanquette, et peut être d'un azur plus pur que celui de tous les autres nobles de l'île. L'aristocrate d'une trentaine d'année se mit à marmonner quelque chose comme quoi ses domestiques lui devaient pourtant le respect. Il n'avait pas fini qu'on entendit le bruit de la vaisselle qu'on casse. Cela lui fit grincer les dents et il quitta la table comme une tornade, dans le sens opposé à celui d'où provenait le bruit ; ce qui, par un merveilleux concours de circonstances l'éloignait de sa cuisinière quelque peu soupe au lait, mais par un fâcheux coup du sort le rapprochait de la porte d'entrée.



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Ging, l'air hagard avait non seulement frappé courtoisement à la porte -une première- mais avait aussi attendu sagement lorsqu'on le lui avait demandé. Il n'avait été très bien braillé, se baladant la plupart du temps avec un ersatz de pantalon pour tout attirail, mais il était pour l'heure en guenilles. Et encore pas de celles qui donnent l'impression que passé toute cette crasse se cache peut être un chic type qui n'a simplement pas eu de bol. Parce que s'il était évident que Ging n'était pas un homme à bol, il fallait avoir une foi inébranlable non seulement en l'espèce humaine mais aussi chez les semi-géants pour penser avoir affaire à un chic type. Tout son corps était emperlé d'ecchymoses indigo et de sa main s'écouler de grosses gerbes de sang par intermittence qu'on pouvait suivre jusqu'à l'horizon sur le paysage enneigé. C'était manifestement pas la joie. Le colosse avait le regard vide et semblait tourner de l’œil. Il risquait de s'effondrer à tout moment et ne se réveillerait probablement pas. Il commença à partir en avant et tomb...
La porte s'entrouvrit subitement dans un grincement sinistre, ramenant Ging à lui.

"Puis-je vous aider ?"

Ging devait se concentrer pour distinguer quoi que ce soit dans la pénombre régnant derrière cette porte. Néanmoins il crut apercevoir un adolescent en smoking qui avait les cheveux gris et une fausse moustache collée sous le nez. Le capitaine était un homme qui acceptait très rarement de ne pas se faire confiance, mais dans l'état où il était, il se dit que l'erreur n'était peut être finalement pas qu'humaine. Il sourit à ses propres pensées, puis se rendit compte qu'il n'avait toujours pas répondu à la question de son interlocuteur. Il balbutia

"COMME SI J'AVAIS BESOIN DE TON AIDE. JE SUIS GING BAM DONG GAMIN !"

Et il s'affaissa.



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"Vous voyez ! Je vous l'avais bien dit que ça servait à rien de le laisser se reposer ! Il a suffit qu'il sente l'odeur de la viande et il est revenu à lui.
-Monsieur, je continue à croire que ce n'est pas une bonne idée de le garder ici. On ne sait même pas qui c'est !
-Calmez-vous Terry. J'ai coutume de dire qu'un homme dont le tour de bras équivaut aux cous de deux taureaux ne peut pas être un mauvais bougre.
-Quand est-ce que vous avez dit ça ?
-Je vous répète de m'appeler Alfred.
-Bhe c'était pas mardi ?
-Ca me dit rien.
-Haha vous savez Ariette, j'ai parfois l'impression que votre mémoire n'est plus ce qu'elle était.
-Pourquoi vous dites ça ?
-Euh... Pour rien. Et vous Terry, ça ne vous dit rien ?
-Alfred. M'enfin monsieur, vous savez bien que mardi j'étais à mon stage de perfectionnement comme majordome.
-Vous savez Alfry, je pense toujours que ces stages ne sont qu'une combine de certains habitants pour vous extorquer de l'argent.
-Mais enfin arrêtez de bouger, je n'arrive pas à faire le bandage !
-FAUFCH CHBIEN FCHQUJE CHMANFE !
-Ca me parait peu probable monsieur, sinon je ne vois pas comment j'aurai pu réussir en quatre leçons à peine à créer ma propre moustache.
-Oui bah mangez avec l'autre main !
-C'est vrai qu'elle est bien votre moustache. "


Une heure et un tas d'assiettes vides plus tard, il ne restait plus à table qu'un Ging rassasié et un Karma souriant.

"Et donc le jeune garçon avec la perruque grise et la fausse moustache c'est Terry, le fils de mon regretté majordome. Il a promis à son père de prendre la relève et fait ça très sérieusement. Un peu trop peut être. Il veut qu'on l'appelle Alfred parce que selon lui ça fait plus "majordome". Et la petite mignonne qui s’énerve facilement c'est Ariette. Elle n'a pas une très bonne mémoire, refuse une fois sur deux de me servir mes repas ; mais elle a d'autres qualités..."

Il regarda le vide d'un air pensif un instant, puis fronça les sourcils avec l'air de celui qui réalise ce que tout le monde sait déjà.

"...En fait non. Mais c'est la seule qui pense à me souhaiter mon anniversaire." Nouvel instant de réflexion. Nouveau froncement de sourcils. "C'est curieux d'ailleurs..."

Les choses s'étaient en fait déroulées avec un naturel quasi-suspect, le lion se rassasiant tout son saoul, son hôte en profitant lui-aussi avec un intérêt non feint, et avant même d'arriver au dessert le forban avait en plus été soigné. Bandage rudimentaire avec désinfection mais c'était mieux que de dégueulasser tous les environs jusqu'à finalement tomber raide. Pour tout dire, notre bonhomme s'était pris d'affection pour ce curieux personnage à moitié rasé. Il pensait même réellement à lui proposer le poste de second de son équipage, jusqu'à ce que finalement...

-Dis moi Ging, comment es-tu arrivé sur cette île ? Karma s'était lentement penché en avant comme pour renforcer ses paroles et son regard avait quelque chose de différent.
-C’ÉTAIT SUR MON CHEMIN.
Le noble se pencha un peu plus en avant.
-Non, tu ne m'as pas compris. Je te demande comment es-tu arrivé ici ?
Karma se mit à sourire de toutes ses dents.
-Tu n'as quand même pas escaladé la montagne ?
-POURQUOI ?! Y'AVAIT UN AUTRE MOYEN DE FAIRE ?! BWAHAHAHA.
-Yahahaha. Je m'en doutais ! Karma rigola de bon cœur en se redressant sur sa chaise.
-Dis moi Ging, est-ce que ça te dérangerait de me rendre un service ?
-SEULEMENT SI TU M'EN RENDS UN AUSSI !
-Ca me parait équitable. En quoi puis-je t'aider ?
-JE VEUX QUE TU M'APPRENNES A ETRE UN BON CAPITAINE !

Troisième froncement de sourcils.


Dernière édition par Ging "BAM" Dong le Lun 25 Fév 2013 - 21:27, édité 1 fois


    —Ging, bordel, combien de fois vais-je devoir te le dire ?! La fourchette à salade c'est la troisième en partant de la gauche. La TROI-SI-EME ! Tu comprends n'est-ce pas ? Un. Deux. Trois. Ca fait deux semaines et t'es toujours pas foutu de manger correctement ! Puisque c'est ça, tu seras privé de dessert ce soir !

    On n'eut pas le temps de voir la veine apparaitre sur le front de Ging que sa jambe envoyait valser l'imposante table de la salle à manger dans les airs. S'élevant à quelques mètres au dessus du sol en vrillant plusieurs fois, elle cracha toute la batterie de plats qui avait été aussi minutieusement concoctés que présentés. Le service en argent n'y survécu pas. On aperçu une fourchette en argent décochée comme une balle se planter dans un tableau, ou encore une assiette valant plus que tout ce que Ging avait jamais possédé s'éclater contre un bibelot. La scène avait été d'une violence inouïe et bien qu'elle n'avait duré qu'une fraction de seconde ; du point de vue de Karma Von Blanquette, elle semblait s'être déroulé au ralenti. Toujours dans le coaltar, le noble ne vit le pirate qu'une fois que son poing disproportionné lui attrapa le col pour le soulever à sa hauteur. Ging était contrarié, sa tête à quelques centimètres de celle de Karma lui montrait ses deux belles rangées de crocs. Haletant, et suant à grosses gouttes, Von Blanquette n'en menait pas large. Mais si on on pouvait critiquer son courage, on ne pouvait lui reprocher son bon sens. Il n'y avait qu'une catégorie de personnes assez couillue pour provoquer ouvertement trois quintaux taillés dans le marbre. Les suicidaires. Et Karma ne semblait pas pressé de sauter le pas. Pas plus qu'Ariette semblait encline à laisser son maître à un mètre au dessus du sol. D'un geste félin et parfaitement muet elle empoigna un couteau et, camouflée dans le dos de Ging, fit un pas vers lui. Mais Karma, les dents crispés et la tête branlante, la vit et lui fit signe de rester à sa place. Cela n'eut pas l'air de lui plaire. Mais elle se résigna.

    —C'était une table extrêmement rare qui appartenait à notre lignée depuis plusieurs générations. Une valeur patrimoniale inestimable.
    —ÉCOUTE MOI BIEN GRINGALET, JE PARTICIPE A TES CONNERIES SIMPLEMENT PARCE QUE TU M'AIDES EN RETOUR. MAIS GARDES A L'ESPRIT QUE JE POURRAIS TE BRISER D'UNE MAIN AVANT LE DÉJEUNER.
    —... Le visage de Karma se rembrunit. Il rentra quelque peu la tête et ses yeux quittèrent la lumière de la pièce pour se dissimuler dans l'ombre. -Parce que tu crois que ça me plait de faire équipe avec toi...? Tu t'es pas demandé une seconde ce que des nobles foutaient sur cette île à la con hein ?


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    On ne savait plus exactement comment ça avait commencé. Et a vrai dire on s'en moquait. Ce qui comptait en cet instant était d'être plus rapide que le voisin et plus robuste que le mobilier. C'était au tour de la taverne "aux joyeuses luronnes" ce soir. Ça aurait pu en être une autre. De toute façon ce n'était qu'une question de temps avant que les vingt-deux échoppes voisines ne soient elles-aussi en proie à la destruction la plus radicale. Rapport au voisinage. Un Ironi était, par définition, un gros gaillard souvent aux tendances belliqueuses mais toujours porté sur la picole et dont le seul passe-temps était de détruire les débits de boisson des environs. A Iron Island vous deviez avoir un travail physique si vous ne vouliez pas être un paria. A Iron Island vous deviez aller chanter plus fort que la table d'à coté chaque soir, et si par malheur vous n'y parveniez pas ; alors commencerait le pugilat. Il existait ainsi tout un tas de principes plus tordus les uns que les autres sur lesquels reposait la fière et farouche civilisation des Ironis. Mais attention, n'allez pas croire que c'était un peuple de barbares avides de sang. Les natifs de l'île plate avaient juste la présence d'esprit de faire ce pour quoi ils étaient bon. Et personne n'était meilleur qu'eux quand s'agissait de se mettre sur la gueule...


    Ou alors peut être une personne...

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    —ATCHAAAAAAAA
    —A tes souhaits Ging. Tu sais, tu ferais bien de te couvrir. Tu ne survivrais pas deux minutes dehors habillé comme tu l'es.
    —C'EST POURTANT COMME CA QUE JE SUIS ARRIVE. ET J'AI MIS UN PEU PLUS DE DEUX MINUTES BWAHAHAHA !!
    —Tu marques un point... Mais ça serait ennuyeux que tu attrapes froid ! Bon vas prendre ton cahier et ton stylo géants, c'est l'heure du cours de grammaire.
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    Si l'on avait à cœur beaucoup de règles tortueuses comme de ne jamais, ô grand jamais, se servir dans le potager de son voisin ; la constitution Ironienne reposait sur une règle fondamentale bien que simple. Ne pas attaquer un homme à terre. Il en allait de l'honneur du citoyen. Ainsi de la croissance démographique du pays. Par contre l'esprit du croquant moyen était construit autour d'un principe de base, lui aussi, simpliste. Ne jamais se coucher, ne jamais se rendre. C'était là la cause de tous les maux des taverniers qui avaient dû se trouver des talents de charpentier ; puisque celui qui reconstruisait le plus vite sa boutique faisait le plus gros chiffre d'affaire. Lesdits barmans n'en tenaient pas rigueur aux habitants et les accueillaient chaque fois avec la même intensité dans le sourire et des prix doublés ; mais ils n'étaient pas vraiment en position de se plaindre. Après tout, eux-mêmes étaient des Ironis jusqu'au bout des doigts, aussi n'était-il pas rare mais systématique qu'ils se joignent à la bataille, un grand sourire marqué sur leurs tronches patibulaires. Et s'il devait s'avérer qu'ils soient le dernier debout cette fois, il est probable qu'ils finiraient d'abattre la taverne quand même. Question de respect Ironien. Mais la rixe de ce soir avait eu raison de notre propriétaire, comme de la vingtaine d'Ironis rétamés sur le sol avec l'air satisfait de ceux qui font de jolis rêves. Elle avait été particulièrement longue, harassante, et disputée mais on voyait la fin. A présent il n'en restait plus que trois.

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    —BWAHAHAHA. C'EST PAS COMME CA QUE TU RISQUES DE ME BLESSER !
    —Mais je ne vois pas comment je pourrais. Tu pèses trois fois mon poids !
    —ET TU CROIS QUE C'EST POUR CA QUE JE SUIS MEILLEUR QUE TOI ?
    —Ça et parce que ton allonge fait presque le double de la mienne.
    —CONNERIES ! CE QUI COMPTE, QUAND TU COLLES UNE MANDALE, C'EST CA !
    —Attends, ton doigt est trop gros ; j'arrive pas à savoir ce que tu pointes.
    —BWAHAHAHA ! C'EST REPARTI !
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    Le trio gagnant n'était pas surprenant. Les compères étaient des solides habitués du podium bien qu'il changeait tous les soirs, circonstances obligent. Tandis que la bise s'infiltrait par les pans de murs manquants, la triplette s'observait. Ils ne l'auraient jamais reconnu mais chacun était profondément heureux de se retrouver dans cette situation. C'était comme s'il ne restait plus que les vieux potes à une fête bien alcoolisée où la fatigue aurait eu raison du reste des convives. On connaissait l'autre par cœur. Ces cheveux hirsutes brossés par le vent. Ces mains anthracites capables de vous étrangler un cheval. Et ce sourire. Ce sourire édenté qui faisait froid dans le dos en même temps qu'il vous brûlait les entrailles. Ils restaient là, sans bouger, dans les décombres. Profitant. Leurs épaisses fourrures réduites à l'état de guenilles, ils enduraient leur nez cassé ou leur épaule démise. Bientôt tout serait fini. Bientôt ils pourraient se reposer. Mais pas avant d'avoir étalé ses deux compères. Le vent se leva soulevant des monceaux de neige du paysage blanc. Les flocons se mirent aux alentours, virevoltant dans les airs comme s'ils dansaient. Un des gaillards cilla et ce fut le signal de départ. Ils bondirent à l'unisson sur le plus proche, armèrent leur poing et s'arrêtèrent net.

    Un nouveau participant avait fait son entrée. Et pas un tendre. Deux points rouges se détachant dans la nuit et des crocs étincelants. Il n'y avait pas franchement de doute à avoir. Un pelage touffu couleur poivre et sel, une longue queue s'agitant avec rage. C'est quand le gigantesque animal se mit à grogner sinistrement que les trois Ironis se redressèrent, désarmant leur poing toujours prêt à faire feu sur le voisin. Ils s'alignèrent en face du bestiau et sourirent de toutes les dents qu'il leur restait.

    N'allez pas croire que les ratels des neiges sont à prendre à la légère. Ils comptent parmi les plus dangereuses créatures même au sein de Grand Line. Seulement, cette fois, celui-là est mal tombé.


    ________________________________________________________


    Jour J. Heure H. M - quelques instants. On avait fait ça à l'ancienne, dans la pure tradition Irionienne. Un simple lopin de terre battue ovale, encerclé par une centaines de personnes. Parmi eux ressortaient trois catégories de gens. Primo y'avait les Ironis, des mastodontes faisant tous plus de deux mètres et dont les muscles saillants semblaient frémir d'excitation. Ils étaient reconnaissables à leurs tronches savatées et leurs sourires niais. Et il y avait les nobles. Cinq types pas bien grand mais très bien sapés dont la seule caractéristique semblait d'avoir l'air hautain et d'être entourés chacun de deux gorilles en costard. Puis y'avait la bande à Karma. Ging engoncé lui aussi dans un costume noir ne cessait de tirer sur son col et remuait ses épaules comme si elles ne lui avaient jamais appartenu. A coté de lui et plus bas, se tenait Karma en survêtements ; un bandeau enroulé autour de son front. Il faisait des étirements de son cru consciencieusement. Derrière lui, Ariette regardait les alentours d'une moue partagée entre l'inquiétude et l'ire. Et encore plus loin se trouvait Terry alias Alfred, le majordome de quinze ans qui luttait pour garder la tête hors de son costume deux fois trop grand. Une troupe d'élite donc. Et ils en auraient bien besoin. Après avoir étiré ses lombaires fessiers, Karma se tourna vers Ging. C'est à dire qu'il releva la tête pour regarder le ciel.


    —Tu te souviens des règles Ging ?
    —BIEN SUR ! TU CROIS QUE JE SUIS UN DEMEURE OU QUOI ?! BWAHAHAHA !
    —Hu...Je vais quand même les rappeler. Au cas ou. Comme les Ironis du Sud ne pouvaient pas se déplacer sans que l'équilibre de l'île soit menacée, ceux du Nord ont été forcés de faire le voyage également jusqu'ici au centre de l'île. Du coup c'est un combat par équipe de deux. Mais les Ironis sont très fiers et individualistes. Ce qui fait qu'au final c'est un combat singulier en alternance. Voyant le visage totalement vide de Ging, Karma poursuivit un peu plus doucement.
    —Ce qui veut dire que chacun des membres de l'équipe en affronte un de l'équipe adverse dans des rounds de cinq minutes. Les règles sont simples, si un participant déclare forfait ou qu'il est dans l'incapacité de se relever, c'est toute l'équipe qui perd. Et souviens toi qu'on ne peut pas intervenir dans le combat de l'autre.
    —COMPRIS !


    Un homme à l'allure des plus étranges s'était subrepticement glissé au centre de l'arène. Il avait un style vestimentaire des plus singuliers. Un demi-haut de forme siégeait sur la moitié gauche de son crane, juste au dessus de son monocle et sa moitié de moustache coiffée en une noble spirale. Il avait un demi sourire placide de ce coté-ci du visage, et le reste se composé d'un costume noir, sobre mais classe. Enfin, cela ne représentait que son profil gauche. Le droit était radicalement différent. Les cheveux en bataille, un rictus aussi édenté que malsain, il revêtait des loques en guise d'habits. Le plus étonnant restait la faculté qu'avait cet homme à partager son visage en deux expressions bien différentes. On aurait dit qu'un homme avait découpé une moitié de noble pour la coller à une moitié d'Ironi. Le but souhaité était bien sûr de contenter tout le monde, mais pour le coup ça ne plaisait à personne. A part peut être à Ging. Dur de se prononcer sur sa gueule d'ahuri à l'air béat perpétuel. M'enfin, en tout cas, ça ne l'offusquait pas. Toujours est-il que l'homme aux deux visages prit la parole.

    —Bien. Messieurs, mesdames, comme il a été conclu lors des négociations, vous vous affrontez ici aujourd'hui pour décider du sort de l'île. Les nobles affronteront les Ironis, et s'ils parviennent à tous les battre ; alors Iron Island sera déclarée propriété du gouvernement mondial. Mais s'il s'avère que toutes les équipes des nobles perdent, alors vous devrez quitter l'endroit dans les plus brefs délais, pour ne jamais y remettre les pieds. Pas d'objections ?

    On vit Ging sur le point d'objecter, et Ariette jugeant que cela avait bien trop de chances d'être non seulement inutile mais en plus dégradant pour l'équipe à Karma, lui assena un léger coup de coude. De ceux qui vous demandent de la fermer. De ceux qu'on n’assène pas à Ging. Sa réplique fut immédiate. Tendance soupe-au-lait ou réflexe aiguisé, peu importait de savoir la raison de cet énorme mandale vous arrivant dans la mouille. Heureusement, Ariette parvint à esquiver in extremis, laissant le plaisir à un gorille en costard d'un noble de tâter du lion. Cela eut pour conséquence de propulser l'homme dans le décor, disqualifier une équipe de noble, et lever les yeux de ce qui ici s’apparentait à l'arbitre. La plupart des gens étaient surpris, la majorité des nobles estomaquée, un était furieux, mais il n'y en avait qu'un d'hilare.

    —Kakakakaka ! Bien joué Ging ! Une équipe de moins !
    —BWAHAHAHA ! AU TEMPS POUR MOI ! J'AVOUE AVOIR DÉCONNÉ SUR CELLE-LA !

    Le noble a qui appartenait l'ex-gorille avait la veine frontale sur le point d'exploser, et la gueule écumant de rage. Elle s'ouvrit subitement pour aboyer et...

    —Vous êtes disqualifié.



    Dernière édition par Ging "BAM" Dong le Jeu 4 Avr 2013 - 20:26, édité 1 fois


      L'arbitre avait statué promptement et avec justesse. Mais la justice n'a toujours été qu'une question de point de vue. Et de celui des disqualifiés, on se foutait de la gueule de monde. Le visage de Karma avait changé de couleur à l'annonce. Il était passé de rose palot feintant la gène quant au comportement de son coéquipier à celui du mec décédé depuis deux semaines. Ging, lui, mettait toujours un petit moment avant de donner de l'importance à ce que le gus d'en face pouvait bien dire, qu'il s'agisse d'une menace de mort, d'une invitation à diner ou des avances bien farouches. C'est pourquoi il avait toujours son sourire béat quand il baissa les yeux sur Karma. Cela lui coupa tout envie de rire. Sans trop savoir pourquoi il éprouvait une telle empathie, voir le visage émacié de Von Blanquette le mit dans une rage indicible. Bien sûr on aurait pu spéculer sur la raison, théorisant sur l’émotion visuelle et la propension de Ging à l'allocentrisme, mais ça aurait été une connerie. Ou a défaut, un manque d'onirisme. Quelque chose avait empoigné le lion par les tripes, l'avait secoué dans tous les sens, collé deux trois torgnoles et balancé dans une mer de chiasse. Une rage indicible. De celle qui vous embrume l'esprit. De celle qui vous met très très en colère.


      Cela avait quelque chose d'inquiétant de voir Ging marchait dans votre direction, même de bon poil. Mais lorsqu'il montrait les crocs sans une once d'hilarité. Lorsqu'il avait les narines frétillantes et du mal à penser. C'était signe que ça allait chier. L'arbitre qui n'était encore séparé que deux quelques mètres du colosse, soit d'un demi-pas, avait beau avoir deux expressions ; elles convergeaient. Il était en passe de chier dans son froc. Et on pouvait franchement pas le lui reprocher.

      —E...E..Écoutez ! Mon dev...devoir est d'appliquer une impartialité pour t..t..tt..tout le monde. Me...messire Brownwood a...été... a été...lésé. Si..si..Si ça ne te..tenait qu'à moiii... y'aurait pas de pro...problèmes !

      L'homme bégayant ne sut pas si le colosse souhaitait le becqueter ou simplement lui sourire. De grosses gouttes de sueurs perlèrent de son front lorsque l'imposante mimine de son interlocuteur, qui à vu d’œil n'avait pas d'atomes crochus avec la subtilité ou même la réflexion, se dirigea vers lui. Il ferma les yeux, serra les dents et pria pour ne pas trop souffrir. Il ne souffrit pas. Enfin pas autant qu'il le prévoyait. La claque que lui avait asséné Ging dans le dos coupa certes la circulation de son sang un bref instant, mais ça aurait pu être pire. Elle aurait très bien ne pas relever de la franche camaraderie virile mais de l'imposition d'idées par un pirate. Et ça ne sent jamais bon lorsque des forbans tentent de "partager" leurs idées. Pas pour rien que la polémique n'existe pas dans le milieu.

      —ALORS C'EST RÉGLÉ ! ON ATTAQUE LES PREMIERS ! statua le colosse avec assez d'aplomb pour que le péquenot moyen ne voit de raisons de s'y opposer.

      Malheureusement et paradoxalement, les péquenots moyens n'étaient pas monnaie courante chez les nobles. Rapport au conditionnement ou à l'éducation peut être, toujours-est-il qu'un noble avait au moins autant de fierté qu'un Ironi ; bien qu'elles ne fussent dans le même registre.

      —Comment osez-vous petite chiure de comanche ? Vous pensez peut être pouvoir parvenir à vos fins en impressionnant l'arbitre mais moi je n'ai pas peur d'une vulgaire racaille dans votre genre ! Moi, Morne Brownwood, fils de l'illustre Gregoire Voldeta, ais le cran de dire que vous...



      Une imposition d'idée plus tard.


      —Monsieur, si il y a bien quelque chose que j'ai appris dans mes stages c'est que, en général, si votre maitre va se faire latter la tronche, c'est que vous êtes pas brillant comme majordome. C'était d'ailleurs la deuxième leçon. Juste après le rangement des chaussettes.
      —Vous savez Terry, j'ai parfois l'impression que vous gâchez votre jeunesse à suivre tous ces stages. Sans parler de votre argent !
      —A vrai dire, c'est vous qui les payez.
      —Vraiment ? Kaka ! C'est tout moi ça ! Le cœur sur la main ! Et l'autre main sur ton cul comme disait ce bon vieux Terry Senior ! Kakakaka !
      —Je me souviens pas l'avoir entendu dire ça.
      —Kakaka. C'est que je dois confondre alors ! En tout cas, souhaitez moi bonne chance, j'ai encore du pain sur la tronche comme on dit !

      Karma avait souri de toutes ses dents. Pourtant Terry aka Alfred, du haut de ses quinze années d'expérience, ressentit un malaise. De la peur. Il était en fait lui-même terrifié à l'idée de voir son maître recevoir des mandales pesant trois fois plus lourd que lui. Il voulait l'arrêter. Il devait l'arrêter. Seulement Terry ne savait pas quoi faire, quoi dire. La plupart des gens n'auraient pas tenu rigueur à un gosse d'une quinzaine d'années de ne pas savoir comment réagir. C'est ce qu'il pensa. Et il se haït pour ça.

      —On peut savoir où vous allez ?
      —Et bien enfin Ariette, vous n'avez tout de même pas oublié quel jour nous-sommes ? Le tournoi ? Tout ça...?
      —JE SAIS TRÈS BIEN QUEL JOUR ON EST ! hurla la servante.

      Elle avait beau hurler tous les jours, cette-fois ci c'était différent. Karma en eut le souffle coupé. Son pouls s'accéléra. Son cœur s'emballa. Il avait fait exprès de ne pas se retourner. Il redoutait de voir ce que son esprit avait pertinemment compris. Il refusait de la voir pleurer. Et même lorsqu'elle s'approchait doucement dans son dos, son pas tremblant butant contre des cailloux, il feintait l'indifférence.

      —Je dois y aller. Les Ironis vont se foutre en boule si je les fais attendre.
      —Laissez moi y aller à votre place... implora Ariette.
      —ET A QUOI EST-CE QUE CELA SERVIRAIT ?! CE DOIT ETRE UN NOBLE ! OU CA N'A PAS DE SENS !

      Karma s'était vivement retourné et avait empoigné Ariette sans ménagement. Il se rendit presque immédiatement compte de la force avec laquelle il la serrait, et du regard qu'il avait. Il la lâcha aussitôt et baissa les yeux pour se soustraire à son regard. Il n'avait néanmoins pas pu s'empêcher de voir ses yeux briller. Sa lèvre trembler. Ce n'était pas dans les habitudes de Karma Von Blanquette d'agir de la sorte. Il ne s'emportait pas. Il ne criait jamais. Mais surtout il se comportait comme aurait dû le faire chaque noble au monde. Il ne savait quoi faire et les longues secondes s'égrenaient dans un silence de plus en plus pesant. Alors Karma Von Blanquette fit la seule qu'il y avait à faire. Il sourit.

      Et partit au charbon.


      Si l'arène n'en était pas une, mais un vulgaire bout de terrain défraichi sur lequel on avait pris soin de déblayer la neige ; l'adversaire, lui, en était bien un. Il faisait deux bonnes têtes de plus que Karma, avait la tronche patibulaire au possible, et un tel écart de poids avec notre noble qu'il aurait été aussi inutile que grossier de le calculer. Il s'était remis à neiger comme bien souvent sur Iron Island, et le spectacle des flocons tombant au gré du vent avait quelque chose de rassurant. D'apaisant. Karma aurait aimé être un de ces flocons. Il aurait aimé un tas de choses à vrai dire à cet instant. Il aurait aimé pouvoir dire que la vue de ces fragiles cristaux de glace dansants dans le crépusculaire paysage blanc lui avait ôté toute crainte. Il aurait aimé clamer que si ses jambes tremblaient, c'était d'excitation. Il aurait aimé affirmer que si son cœur battait si fort qu'il en souffrait, c'était à cause de l'adrénaline. Il aurait aimé ne pas avoir l'intelligence d'imaginer ce qui allait se passer dans peu de temps. Il aurait même aimé mourir instantanément foudroyé par un dieu quelconque. Et tandis qu'il dressait la liste de toutes les choses qu'il aurait aimé, son esprit imposant à ses rétines un défilement d'images frénétiques, il eut un haut-le-cœur.

      Il gerba tout son repas, devant les regards, intrigués pour les plus sympas, de tous les spectateurs. Ses oreilles bourdonnaient, son ventre le faisait souffrir. Mais rien n'était comparable à la honte. Elle s'était insinuée par tous les pores de sa peau et avait accaparé ses pensées en un instant. Avait-il toujours été un lâche ? Ou était-ce juste récent ? Qu'allait-on penser de lui ? Que lui restait-il à penser de lui -même ? Le bruit sourd s'était amplifié au fil des secondes, la nausée l'avait repris et une migraine à l'arrière de son crâne sourdait violemment. Tout son corps frissonnait ce n'était qu'une question de secondes avant qu'il ne tombe dans les pommes.


      Mon dieu qu'il aurait aimé crever.


      Puis la part d’héroïsme de cette histoire reprit ses droits. Et d'une bien belle façon.


      On vit dans la foule des gens s'écarter en hâte pour dévoiler un singulier spectacle et pas des plus ragoutants. Ging était en train de vomir ses tripes, non sans son éternel rire bien gras ; ce qui du coup compliquait la chose et rendait la scène encore plus loufoque qu'elle ne l'était. Mais pas désagréable. Après avoir marqué la neige d'une empreinte difficile à louper, le lion se redressa subitement, s'essuyant un filet de bave poissant du revers de la main.


      —BWAHAHAHA !! ALORS C’ÉTAIT BIEN LES CHAMPIGNONS ! JME DISAIS AUSSI QU'ILS AVAIENT UNE DRÔLE DE COULEUR !

      Les Ironis semblèrent trouver ça drôle, et rirent de bon cœur à grande démonstration d'hilarité comme des frappes dans le dos ou des roulés-boulés par terre. Pas du gout des nobles en revanche. Enfin, pas de la plupart.

      —Ahem ! Bien, maintenant que cet incident est terminé ; nous allons pouvoir procéder au premier duel. Je rappelle que vous avez cinq minutes pour mettre K.O l'adversaire ou le forcer à se rendre. Si au bout de ces cinq minutes, personne n'a abandonné, ce sera au tour de vos coéquipiers d'entrer en scène.

      Karma se releva et s'essuya, comme Ging l'avait fait quelques minutes avant. Il le fixa quelques secondes et comme la foule s'était regroupée par équipes, il en profita pour adresser un regard à chacun des membres de la sienne. Bizarrement, il avait le sentiment de ne les avoir jamais vus. Du moins pas de cette façon. Il détourna la tête, mais ne put retenir un léger rictus. Qui semblait grandir au coin de sa lèvre. Centimètre après centimètre. Son adversaire s'avançait déjà, confiant qu'il était. Karma n'eut alors pas le temps de penser à ce qu'il aurait aimé être ou dire. Il ne put penser qu'à ce qu'il aimait déjà.


      Ging ne sut pas si c'était le rayon de soleil couchant qui caressait le visage de Karma, ou bien son sourire particulier ; mais il se dit, l'espace d'une seconde, d'un instant, que ce noble lui ressemblait drôlement.




      —COMMENCEZ !



      Le premier coup lui brisa le nez. Le second le rendit sourd. Et au dixième, Karma, étalé sur le sol, avait la gueule en sang et du mal à avaler autre chose. Il avait arrêté de compter les secondes lorsque sa première dent vola. Et de sourire aussi. Mais jamais de se relever. Ni même de frapper. Certes, à sa grande surprise, aucun de ses coups n'avait porté, son adversaire était d'une vélocité prodigieuse pour sa masse. Mais ce n'était pas une raison pour ne plus se mettre en garde. Déjà la quatrième fois qu'il se redressait, son adversaire attendant à chaque fois patiemment qu'il soit bien debout et prêt à recevoir le prochain coup. La situation ne plaisait à personne, et un silence religieux régné, comme pour témoigner le respect qui était clairement dû à cet homme. Les Ironis étaient fiers. Ils étaient gras. Vindicatif. Mais ils avaient des mœurs et de la politesse. Il était rare que quelqu'un gagne leur estime parmi eux, et jamais arrivé parmi les étrangers. Alors ils ne savaient pas trop quoi penser de ce noble. Il était venu pour les soumettre. C'était leur ennemi. Un des hommes à abattre. Et c'est ce qu'ils faisaient. Merveilleusement bien d'ailleurs. Les coups de l'Ironi n'avaient jamais diminué d'intensité. C'aurait été un manque de respect. Tant pis s'il claquait. Tant mieux, puisque si ça continuait comme ça, il allait claquer.


      Pas un bruit ne parasitait le son de la chaire martelée. On entendait la respiration haletante du noble, ses râles d'agonie seulement à moitié lâchés, et lire sa détermination. Dans la foule, on ne bougeait d'un iota ni n'osait respirer. La situation tendue mettait tout le monde à cran. Et plus particulièrement encore certains spectateurs. Ariette se mordait la lèvre jusqu'au sang. Le regard de Terry n'était pas celui d'un jeune de quinze ans et de son poing serré coulait un filin de sang. Et il y avait Ging. Il n'avait pas détourné le regard une seconde, ni même cligner des yeux. Pas un seul de ses muscles n'avait bougé, frémi ou donné l'impression d'être encore vivant. Le doute persistait quant au fait que son cœur battait. Que son sang, circulait. Que son esprit, raisonnait.


      En silence, tout le monde priait pour que Karma s'évanouisse. Il était clair dans le plus simple des esprits qu'il n'abandonnerait pas. Les gens pensaient redouter le prochain coup plus encore que Karma lui même. Et pour certains, c'était vrai.


      Les phalanges impitoyables de l'Ironi cueillir à nouveau le visage boursouflé du noble et le renvoya au sol. Une fois de plus. Une fois de trop.


      Ce fut Ariette qui céda la première.


      Elle allait tuer l'Ironi. Tout bonnement. Elle avait trop longuement réfléchi aux conséquences et les assumerait. Au moins cela la délivrerait. Alors, elle bond...



      —STOP !


      Ging lui attrapa le poignet. Même si son regard n'avait pas quitté Karma un instant. Il ne vit pas alors celui de Ariette fulminant de rage lorsqu'elle se retourna vers lui. Elle ne réfléchit pas une seconde. Son poing fusa dans le menton du colosse. De toutes ses forces. Pas le temps de se modérer. Karma pouvait ne pas encaisser le prochain choc. Elle se précipit...
      Le pirate ne l'avait pas relâchée. Un coup de cette ampleur aurait pourtant fait décoller la tête de n'importe lequel des Ironis. La sienne s'était à peine levée. Un filet de sang perlait de sa bouche, et son regard n'avait toujours pas bougé. La servante, folle de rage, se déchaina sur Ging. Faisant pleuvoir une séries de coups de plus en plus meurtriers.


      Entre-temps Karma s'était remis debout. Sa tête était méconnaissable. Son nez cassé en plusieurs endroits zigzaguait grossièrement, des dents manquaient à son sourire et il n'arrivait plus qu'à ouvrir, et encore qu'à moitié, un seul œil. Le reste de son visage n'était qu'un amas de chaire meurtrie. S'il s'en sortait, il en aurait de très graves séquelles. Pourtant, il était en garde. Prêt à recevoir une autre attaque sous les regards médusé de tous. Groggy, il parvint à voir Ging retenant Ariette dans les balais dansant des formes floutées qui se dessinait sur sa rétine. Il voulut le remercier, mais lorsqu'il ouvrit la bouche ce fut pour laisser couler tout le sang qu'elle contenait. Et même après, pas moyen de sortir un son. Sa vision se brouillait de plus en plus. Ses sens l'abandonnaient. Mais avant de s'évanouir il vit s'agiter une silhouette parmi la foule. C'était Ariette. Il n'aurait su dire si c'était la colère ou la tristesse qui déformait ses traits, mais que ce fut l'un ou l'autre, elle n'était pas belle à voir. Pas comme d'habitude. De plus elle s'agitait dans tous les sens pour tenter de s'échapper. Étonnamment l'esprit du noble sembla faire un tri pour ne garder que la chevelure d'Ariette à l'esprit. Son étrange tignasse rose. De là son esprit bifurqua sur toutes les fois où il lui avait demandé le comment de cette couleur. Toutes ces fois où elle l'avait renvoyé chier. Il sourit. Et sans qu'il comprenne vraiment, l'odeur de sa servante vint lui caresser les narines. Et aucun pif pété au monde n'aurait pu lui enlever ça.


      Et le poing arriva.

      Cette fois, il resta à terre.


      Il n'était pas dans la tradition d'un Ironi de pleurer. Mais Terry n'était pas de cette île. Et Ariette n'en avait rien à foutre. Celle-ci se secouait. Tourbillonnait. Afin d'échapper à l'emprise de Ging, elle bondissait, s'arc-boutait, virevoltait. Sans s'arrêter de pleurer. Elle maudissait Ging de tous les noms, le frappait, l'implorait, le suppliait de la lâcher. Mais pas une fois il n'avait sourcillé. Pendant les quatre minutes les plus longues de sa vie, Ging "BAM" Dong avait fait une chose pour laquelle il n'était décidément pas doué. Il avait pensé.







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      —Tu sais Ging, je suis qu'à moitié noble en fait. Ma mère était une civile des plus ordinaires. Mais c'est mon père qui m'a élevé. Il ne pouvait laisser un de ses fils, même un "batard" entacher son nom. C'est complétement con. Suffisait que jprenne le nom de ma mère. Mais c'est ce qu'il disait en tout cas. Alors à ma naissance, il m'a recueilli et appris à ne pas lui faire honte. Ça a pas été tous les jours facile ! Kakakaka ! Le pire c'était les autres gosses finalement. Ils aiment pas trop les moitiés de noble. Ils m'ont fait des crasses, t'as même pas idée ! Kakakaka ! Karma s'arrêta subitement avec l'expression de celui qui cherche ce qu'il est en train de raconter. Il se pencha vers Ging et renversa son verre de vin.  
      —Attends... Rappelles-moi pourquoi jte dis ça déjà ?
      —BWAHAHA ! AUCUNE IDÉE, T'AS COMMENCE A ME PARLER DE CE TOURNOI PUIS T'AS DÉRIVÉ ! PAS QUE CA ME DÉRANGE ! J'AIME BIEN QU'ON ME RACONTE DES HISTOIRES QUAND JE BOUFFE !

      Une seconde. Deux secondes. Et ils crièrent à l'unisson.

      —ET TU BOUFFES TOUT LE TEMPS !
      —ET JE BOUFFE TOUT LE TEMPS !

      Ils rirent de bon cœur plusieurs minutes d'affilée.

      L'histoire ne retient pas si l'alcool en était la raison ou s'il s'agissait de quelque chose de plus gros et plus abstrait. L'histoire retient seulement le regard de Karma Von Blanquette lorsqu'il reprit la parole. Tout comme elle retient...



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      —224. 225.

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      —Kakakaka ! Je savais plus quoi faire pour le tournoi. Je pensais me déguiser pour avoir le droit de combattre deux fois, sauf que j'ai pas trouvé de moustache... Et en plus je sais pas me battre ! Kakakaka ! Alors je tournais en rond, je désespérais. J'en dormais plus de la nuit. Puis t'es arrivé. Tombé du ciel comme qui dirait. C'est sans doute grâce à mon Karma ! Kakakaka !


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      Karma Von Blanquette était à terre. Il ne bougeait toujours pas. Personne n'osait déglutir, et l'on pouvait entendre la neige tomber.


      —229. 230.

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      —...Kakaka ! T'as pas tort sur ce point ! Seulement, comment pourrais-je rallier les habitants sans moi-même participer ? Ça ne serait pas digne d'une blanquette voyons ! Kakaka !


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      Un muscle frémit.

      —234. 235.

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      —Alors c'est comme ça que j'ai découvert que mes demi-frères voulaient ma mort. Heureusement que j'étais déguisé en asperge quand l'ours m'a attaqué ! Il a dû me prendre pour un légume géant ! Kakakaka !


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      Il tendit le bras.

      —241. 242.

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      —Kakaka ! Nan, c'est pas lui. Celui-là c'est le colonel de la marine qui m'avait dit pour les circonstances étranges de la mort de ma mère !


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      Karma parvint à se mettre à genoux.

      —248. 449.

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      —Et c'est à cause de ça que mon père m'a envoyé sur cette île. En prétextant que je ne pourrais revenir qu'après avoir fait céder ces Ironis. Il pensait la tache impossible, mais il a jamais eu beaucoup d'imagination. Ou même de confiance en moi. Kakakaka !


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      Karma Von Blanquette se relevait pour la dernière fois. Une bise lui fouettait les joues. Elle ballotait sa tignasse noire parsemée du blanc des flocons de neige.

      Il ne neigeait presque plus.

      —254. 255.

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      —Comment j'ai connu Terry ?  

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      Le poing géant de l'Ironi partit vers Karma, frappant avec l'intention de tuer. Comme les deux derniers. Mais le noble avait l'amer sentiment que celui-ci pouvait bien réussir.

      Pourtant, il fit face.

      —257. 258.

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      —Si j'aime Ariette ?  


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      —259

      Les phalanges de l'Ironi se reflétèrent dans les pupilles de Karma.
      Avant de s'encastrer dans son crâne.

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      Le choc produisit un bruit macabre qui ébranla la terre et déchira les nuages. Le temps sembla se figer dans le désert blanc d'Iron Island. La faune locale agressive et puissante s'était arrêté de respirer pour une seconde. Une interminable seconde pendant laquelle le dernier flocon de neige était tombé. Les cœurs de ceux qui assistaient à la scène avaient cessé de battre. Leur esprit, de penser. C'était certes peut être bien la seconde la plus longue de l'histoire, mais c'est tout ce qu'il suffisait pour que se joue la vie d'un homme. Le temps d'une inspiration. D'un battement de cil. De prendre une bouchée d'un steak. De prononcer les deux premiers Ka d'un rire sympathique. Il ne fallait qu'une seconde pour qu'une larme touche le sol, ou pour dire à quelqu'un qu'on l'aimait.


      Une seconde.

      C'est le temps que mit Terry à hurler.
      C'est le temps qu'il fallut au cœur d'Ariette pour se déchirer.
      C'est le temps que mit Ging à arriver.


      Lorsque le corps de Karma se relâcha et qu'il commença à tomber en arrière, une douce main le retint. Elle était disproportionnée et un peu gauche dans sa tendresse. Mais elle était agréable. Et chaude. Très chaude. Brûlante même !

      Karma ouvrit un œil.
      Le temps se figea de nouveau.  

      La première chose qu'il vit fut la tête débonnaire de Ging sur fond de ciel étoilé. Il dû réunir toutes ses forces pour produire un simple murmure inaudible du commun des mortels. Heureusement, il s'adressait aux oreilles géantes de Ging.

      —Combien de temps j'ai tenu ?  
      —PLUS QUE NÉCESSAIRE.
      —C'est marrant... J'ai bien cru que son dernier coup allait me tuer, mais c'est à peine si je l'ai senti.  
      —CA SE SAURAIT SI L'ON POUVAIT VENIR A BOUT DU GRAND KARMA POUR SI PEU.
      —Kakakaka. Occupes toi du reste veux-tu ? Je vais faire un ptit somme. Juste l'histoire...d'une... seconde...  

      Ging transporta Karma le plus tendrement qu'il le put. Et il le posa aux cotés d'Ariette et Terry avec une délicatesse normalement impossible pour de telles paluches. Puis il fit demi-tour, s'arrêta au centre de l'arène et fixa l'arbitre sombrement. Celui-ci balaya les environs des yeux comme pour prendre la température. Et il prit solennellement la parole.  

      —Bien. Mr Von Blanquette est actuellement dans l'incapacité de combattre. Tout comme son adversaire. Mais Mr Ging ayant agi à l'exacte 300ème seconde, soit à la fin du combat, personne ne sera disqualifié et nous allons procéder au duel suivant. Pas d'objections ?

      Le bruit que produisit Ging lorsqu'il fit craquer son cou pétrifia tout le monde. Il avait fait à peu de choses prés le même son que lorsque son poing s'était abattu sur l'adversaire de Karma une minute avant. Un son qui pouvait stopper toute vie pendant une seconde.


      —AUCUNE.



      Dernière édition par Ging "BAM" Dong le Jeu 3 Oct 2013 - 14:36, édité 4 fois

        Le soleil de fin de matinée dardait ses rayons uniformément sur toute l'île d'Iron, aussi pittoresque fut-ce la disposition géographique. Il ne se préoccupait pas de savoir si la tanière qu'il venait d'illuminer était celle des inoffensives mangoustes à poil long ou si elle appartenait aux impitoyables ratels des neiges. Ce matin il n'avait que faire d'ensoleiller le centre des nobles ou les périphéries appartenant aux Ironis, tout le monde était logé à la même enseigne ; et chacun adoptait la même attitude face à l'astre éblouissant. Cul-terreux comme patriciens restaient au plumard, un fin sourire esquissé sur une gueule burinée. Paltoquet comme aristot' avait à peu de choses près la carte en relief de l'île dessinée sur la tronche. Joue bouffie, cerne violacée, les plus chanceux s'en étaient tirés avec une mâchoire inférieur perpendiculaire à celle du dessus. Et pourtant il régnait une atmosphère doucereuse sur Iron Island, pas de celle qui vous euphorise comme l'aurait fait une nuit d'ivresse, mais de celle, plus timide, moins visible, qui vous fait faire risette sans trop que vous vous en rendiez compte.


        Iron Island était en paix.


        Et rien ne prouvait que cela corrélait avec le fait que la plupart des habitants, du moins pour les plus belliqueux, dormaient d'un sommeil tirant sur le coma.


        Les rais de lumière incandescents filtraient à travers les immenses fenêtres et coloraient la pièce d'une belle robe dorée. Elle dévoilait la poussière en suspension dans l'air et vous éblouissait gentiment, vous obligeant à fermer une paupière, voire les deux si vous étiez précieux. Mais elle vous réchauffait aussi le cœur, vous couvant de la tête aux pieds dans un doux cocon de chaleur bienvenue.


        Karma hésita un instant entre ouvrir les deux yeux d'un coup ou bien l'un après l'autre, puis ils se souvint que sa joue de hamster adipeux ne lui laissait plus trop le choix. Alors il ouvrit son œil. D'un coup. Il papillonna vivement quelques instants pour s'habituer à la lumière, et quand les formes floutées devinrent plus claires, il eut l'agréable surprise de reconnaitre un visage non seulement familier, mais bienveillant.


        —J'ai dormi longtemps ?
        —A peine une demi-journée. Vous voulez que je vous épluche une pomme ?
        —Et le tournoi ? Je dois y retourner ! dit Karma en commençant à se redresser avant que la main d'Ariette ne vienne le recoucher avec l'autorité de celle qui vous laisse pas le choix, même s'il faut vous la coller dans la gueule pour ça.  
        —Des délicieuses pommes du jardin.
        —Arrêtez, Ariette ! Vous devriez avoir compris l'importance qu'il a pour moi, si jamais on...
        —Et vous devriez savoir l'importance que vous avez pour moi !! le coupa t-elle brusquement en haussant suffisamment le ton pour que Karma se renfonce dans son lit.

        Tandis qu'elle épluchait la pomme, Ariette semblait ne pas vouloir regarder le noble et avait la tête légèrement tournée dans la direction opposée, prétextant de se concentrer sur son épluchage. Karma, l'air hagard, balbutia comme ses yeux s'écarquillaient. Ce fut finalement Ariette qui prit la parole.

        —Le tournoi s'est fini quand vous vous êtes évanoui.

        Karma pâlit subitement autant qu'il était possible de pâlir juste après avoir réchapper à la mort. La domestique n'eut pas besoin de tourner la tête pour savoir qu'il attendait la suite. Alors, elle lui offrit.



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        Les Ironis étaient un peuple fier pour qui il était psychologiquement éprouvant de ressentir de l'admiration ou même une simple déférence. Le respect, c'était comme la bibine, non seulement ça se gagnait à la force des poings, mais s'avisait aussi de le rappeler aux autres dès qu'ils lorgnaient trop sur votre choppe -comprenez, au premier regard de travers. Aussi nous laisserons-vous le souci d'imaginer l'expression qu'arrivaient à retranscrire leurs épais sourcils tandis, que pour la deuxième fois en quelques minutes, le gros de leur troupe restait bouche-bée en même temps que sur le cul. Pas littéralement bien sûr, puisqu'un Ironi sur le cul est un Ironi encore capable de distribuer des taquets. Mais les mandales, taille géante, de Ging avait eu raison d'un bon nombre d'entre eux. Les nobles eux-mêmes ne savaient plus trop quoi penser. Le combat de Karma, si tant est qu'on puisse appeler cela un combat, avait fait plus que sensation. Il avait marqué les esprits. Durablement. Pour tous l'image du noble se relevant une nouvelle fois était encore bien fraiche, et les frissons toujours présents. C'était l'une des explication quant au carnage de Ging. L'autre était un ancien adage. Qui grossièrement donnait quelque chose dans ce genre :


        On ne réveille pas un chat qui dort.
        Mais casse les couilles au plus grand des carnivores.
        Tu verras qu'un canard fait le mort.
        Et tu découvriras...


        L'absence de fin pouvait surprendre, voire même faire passer ce merveilleux proverbe pour les digressions de quelque écumeur de tavernes à la petite semaine, seulement penser de la sorte revenait, à un chili con carné prés, à admettre sa constipation spirituelle. Le premier paltoquet venu aurait pu vous donner la signification du manque de conclusion, pour peu qu'il puisse voir de ses propres yeux ce que quatre nobles, huit gardes du corps et vingt deux Ironis ne pouvaient pas louper. Vingt-un à la réflexion. Ou vingt en fait. Ha dix-neuf maintenant. Ouh et un nobliau de moins également !



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        —Attendez... Une seconde. La façon dont vous le dites, on pourrait croire qu'il a remporté le tournoi à lui seul.
        —Et bien, c'est pas tout à fait vrai. Ce n'était plus vraiment un tournoi à partir du moment où il s'en est pris à l'arbitre...  


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        Ariette accroupie aux cotés de Karma ne put s'empêcher de regarder le spectacle. La nuit s'était décidée à tomber, et les quelques torches allumées ici et là projetaient plus d'ombres qu'elles ne créaient de lumière. Au début elle ne parvenait à voir que les reflets ardents des flammes dans les quinquets de Ging et sa crinière. L'ensemble incandescent se déplaçait par à coup dans la pénombre. Un moment le colosse martelait un Ironi sur la gauche, et l'instant d'après il chargeait les nobles et ses gardes du corps. Il répandait un véritable chaos pour le plus grand plaisir des autochtones. Ils se sentaient comme à la maison en fait, seuls manquaient les murs de la taverne et la promesse d'une bonne gnôle s'ils parvenaient à en venir à bout. Mais c'était mal engagé. Ça les faisait marrer pour beaucoup. Ces gros gaillards taillés dans le marbre se gargarisant du poids de leur frappe se gaussaient de leur voisin qui, s'il était chanceux, arrivait à coller quelques gnons bien sentis. Les meilleurs arrivaient à faire vaciller le géant. Mais la conclusion de chaque duel se terminait à l'identique, avec la réclamation du souverain venant récupérer ce qui lui appartenait de droit. L'honneur d'être le seul homme debout lorsque le soleil se lèverait. Si Ging n'avait pas été aussi déchainé, peut être aurait-il remarqué que les Ironis n'attaquaient pas groupés mais attendaient impatiemment leur tour. Jusqu'à ce qu'il arrive.


        C'était le Lion qui prenait les devants. C'était lui qui ne s'accordait pas une seconde de battement. C'était lui le chef d'orchestre, celui qui menait la danse. Il soutenait un rythme effréné depuis plusieurs minutes déjà et à la vue de ses proies, sa rage ne faisait que s'accroitre. Pourtant Ariette portait un regard différent. Ses yeux s'habituant à l'obscurité, elle avait beau voir Ging frapper tout ce qui s'animait dans son périmètre, elle sut qu'il était calme. Elle lui découvrait une faculté d'analyse et une concentration qu'elle n'avait jamais entraperçu chez lui. De loin on voyait que le capitaine trouvait instantanément la riposte appropriée ou l'attaque qui empêcherait de se relever.  


        En plus elle aurait juré l'avoir vu murmurer quelque chose tout le long.



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        —Kakakaka ! Faudra que je pense à le remercier tout à l'heure ! Mais ça n'explique pas ceci. dit Karma en pointant du droit l'énorme rocher pointu qui se tenait où quelques heures avant encore se trouvait l'aile sud de sa demeure.
        —Ca... Eh bien, c'est un cadeau de la part de Ging.


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        Ging avait le dos bien droit et la tronche bien amochée. Sa paupière gauche gonflée l'empêchait d'ouvrir l’œil et lui donnait un air péquenaud, loin des standards de charismes qu'on pouvait s'attendre d'un capitaine de son envergure. Mais une chose n'avait pas changé, il souriait toujours du même air béat ; comme si le peu de pensées qui l'animaient n'avaient jamais eu la curiosité de lorgner de l'autre coté de la barrière de l'optimisme. Barrière d'ailleurs mitoyenne avec l'aliénation. Car, lorsque Ging "BAM" Dong décidait d'un truc sur un coup de tête, comme par exemple aller border chaque Ironi qu'il venait de violemment tarter, rare étaient les choses qui pouvaient l'en empêcher, et un mot comme topographie n'en faisait pas parti. Ariette était dépitée. Elle dut dans un premier temps convaincre Ging de d'abord ramener Karma à son manoir, histoire de gagner le temps nécessaire pour lui expliquer que la particularité d'une île qui risquait de sa casser la gueule était qu'elle risquait de se casser la gueule, et que ça, c'était pas franchement une bonne chose. Ging resta dubitatif jusqu'à ce qu'on lui fasse un schéma et qu'on lui mime avec deux morceaux de viandes la disposition des lieux. Mais lorsqu'il percuta enfin tous les tenants et aboutissants qui régissaient Iron Island, son œil droit s'illumina. Il demanda à la servante de le guider jusqu'au centre exact de l'île, vit que cela coïncidait avec une partie de l'immense demeure de Karma, ne s'en offusqua pas réellement et commença la besogne.


        Lorsque ses phalanges usées percutèrent le sol du château, une onde de choc se répandit sur tout le domaine. Elle se diffusa le long des corridors, renversa des vases, brisa des fenêtres et décrocha des antiques portraits des différents protagonistes de la lignée Von Blanquette. Bizarrement, tandis que les lourds cadres renfermant les tableaux chutaient les uns après les autres, chacune des représentations des différents prédécesseurs de Karma semblaient tirer la gueule, comme s'ils désapprouvaient ce qui était en train de se passer. Mais le seul Von Blanquette encore de ce monde était allongé dans son lit, et de toute façon l'on pouvait apercevoir, sous le drap blanc recouvrant le haut de sa tête, un fin sourire satisfait. Il emmerdait sans aucun doute une bande de peintures rabat-joie.


        Lorsque les phalanges déchirées de Ging mordirent la terre, sa gueule ne put s'empêcher de grimacer davantage même s'il semblait jusque là impossible de le faire. Bientôt le lion se mit à suer à grosses gouttes, de celles qui précèdent au mieux l'évanouissement, mais il continuait à marteler le centre de l'île, s'enfonçant peu à peu dans le cratère qu'il creusait. Très vite il disparut dans la pénombre de la cavité. Alors ne témoignait encore de sa survie que le son régulier de la roche qu'on fracasse. Il se faisait de moins en moins fort mais aussi de plus en plus lent. Cela devint vite un supplice pour Ariette, toujours présente au chevet de Karma, de tendre l'oreille en espérant entendre une nouvelle intonation. Rien qu'au bruit elle arrivait à voir la fatigue du pirate. Elle arrivait à sentir ses mains rêches s'effriter contre les rochers. Parfois elle croyait même parvenir à capter le crissement des mâchoires du Lion se pressant l'une contre l'autre. Et soudain, elle n'entendit plus rien. Elle releva brusquement la tête, la tourna dans tous les sens sans trop savoir quoi regarder, puis sentit subitement son cœur se soulever.



        C'est alors que l'île s'enfonça.



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        —Kakakaka ! Penser qu'il résoudrait tous nos problèmes à la seule force des poings !
        —Ensuite, il est allé ramener chacun des Ironi chez lui.
        —Kakakaka ! Quel sacré personnage ! Mais à quelle heure est-il rentré alors ?
        —Eh bien....En fait...







        Karma remuait son gaspacho avec sa cuiller à soupe chaude d'un air las. Il n'avait pas le cœur à manger ce soir. Bien sûr, comme en attestait ses nombreux bandages le recouvrant presque entièrement, il souffrait le martyr mais ce n'était pas la vraie raison. Ariette avait mis le paquet pour le premier diner d'après tournoi de Karma et pourtant, cela ne l'attirait réellement. Il était perdu dans ses pensées depuis l'après-midi et cela faisait plus d'un quart d'heure qu'il touillait son breuvage. Il avait beau retourner la question dans tous les sens, il ne parvenait toujours pas à comprendre. Il ne pouvait comprendre. Comment pouvait-on partir comme ça ? Sans même un au revoir ? Après tout ce que l'on avait fait pour l'île et ses habitants. Cela n'avait aucun sens.

        Le noble contemplait son gaspacho et les micro vagues qui se formaient dans le sillage qui laissait sa cuiller l'endormaient. Son esprit, comme son corps, fatigué dérivait alors vers de nébuleuses pensées abstraites et il en arrivait finalement à se demander si tout cela n'avait pas été qu'un rêve. Etait-il en train de dormir à la veille du tournoi, rêvant de ce qui allait se passer le lendemain, ou avait-il rêvé jusqu'à sa constitution noble, sa rencontre avec Ariette ? Il commença à piquer du nez. Doucement. Lentement. Et sombra dans son...

        —Monsieur !

        La voix d'Ariette le fit revenir à lui. Et même si ce ne fut que l'espace d'une seconde, il sut que c'était la réalité.


        —Vous ne mangez pas ?  
        —Non, je n'ai pas très faim.
        —C'est à cause du départ de Ging ?
        —Vous êtes sûr qu'il n'est pas dans une taverne quelconque ?
        —J'ai appelé partout, personne ne l'a vu. Personne ne sait même comment il est reparti.
        —Surement comme il est arrivé. En grandes pompes.
        —C'est vrai qu'il avait de grands pieds.


        Karma ne rigola pas. En fait il ne releva même pas la tête. Il se replongea dans son potage et ses pensées. Mais à voix haute.


        —J'aurais juste aimé qu'il dise au revoir...
        —Avec plaisir monsieur.

        Karma releva subitement la tête et Ariette tourna la sienne tout aussi rapidement pour voir l'adolescent à la fausse moustache nageait dans son costume avec un imperceptible sourire aux commissures des lèvres.


        —Vous m'avez surpris mon bon Terry.
        —Alfred.
        —Ou étiez-vous donc ?
        —A mon stage monsieur. Mais je suis arrivé en retard à cause du départ de monsieur Ging. Je ne pouvais décemment pas le laisser partir sans un au revoir.

        Karma relâcha subitement sa cuiller et toute son attention se porta sur son majordome. Il voulut lui poser la question le plus rapidement possible comme s'il risquait d'oublier la réponse, ce qui était possible au sein des domestiques personnels de la famille Von Blanquette. Il ne put alors doser sa voix et se surprit lui-même à crier.

        —ET ALORS ?
        —Et bien j'ai raté le début du cours de poterie, mais heureusement j'avais déjà quelques notions, du coup j'ai pu...
        —NON ! LE DÉPART DE GING ! A T-IL DIT QUELQUE CHOSE ?


        Terry "Alfred" Batifole était un majordome d'une quinzaine d'années certes mais également d'un professionnalisme sans faille. A ce titre, il ne souriait jamais en service. Mais là, il fit une exception.




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        Le soleil amorçait son ascension sur l'île d'Iron Island et les premiers rayons de l'aube, venant de dos, chatoyèrent la crinière de Ging. Au bord de l'île, il avait les orteils dans le vide, et les vents violents de l'aurore ballotaient sa crinière majestueuse comme pour l'inviter à avancer. Comme à son habitude, le lion souriait. Ses crocs étincelant n'avaient rien perdu de leur superbe ni de leur mordant malgré la longue nuit qu'il avait passé. On ne pouvait pas en dire autant du reste de son anatomie. Son corps n'était qu'une suite d'ecchymoses plus ou moins bleutés, qui contrastaient avec le reste de sa peau maculée de sang séché. Le pire à voir était ses mains. Gonflées et violées, il n'était pas sûr qu'il puisse s'en resservir un jour. Et pourtant n'importe qui connaissait un peu le lascars savait qu'il était prêt à distribuer des mandales dans l'instant qui venait si la situation l'exigeait. Ou même si un steak était en jeu. Ging regarda en bas d'un œil critique comme s'il tentait de déterminer le nombre de mètres le séparant du sol ce dont il aurait incapable, quand bien même l'obscurité n'aurait pas régné. Il fit mine d'avancer quand une voix retentit derrière lui.


        —Alors vous partez ?
        —C'EST TOI ALFRED ? demanda t-il sans même se retourner.
        —Pourquoi ne pas rester encore quelque temps ? Au moins jusqu'à ce que monsieur se révei...
        —C'EST INUTILE. ET PUIS, J'AI JAMAIS ÉTÉ TRÈS BON EN ADIEUX.
        —Monsieur sera extrêmement attristé que vous partiez si vite. Sans même un mot.
        —ALORS, DITES LUI CA !  

        La tête de Ging pivota. Les premiers rais de lumières de la journée illuminèrent alors la gueule concaténée du Lion. Et il lui dit alors ces mots. Il lui dit que...



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        Les lèvres du majordome reproduisirent à l'identique les mouvements qu'avaient fait celles de Ging, allant jusqu'à retranscrire son sourire carnassier et afficher cette confiance aveugle qu'il avait en lui. Lorsque Alfred rapporta les derniers mots du Lion, on jura le voir en chair et en os en train de les dire lui même. A mesure que les mots sortaient, le visage de Karma se déformait. Et quand il eut finalement fini....



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        Et Ging s'élança dans le vide. Et tandis qu'il s'enfonçait dans l'obscurité avec la même confiance qui ne l'avait jamais quitté, il se mit à penser à la réaction qu'aurait Karma en entendant sa dernière phrase. Il ne dut pas chercher bien longtemps. Il trouva la réponse.

        Ainsi qu'un goéland géant.



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        Peu de gens savent précisément ce que dit Ging à Karma ce jour là. Mais ce que personne n'ignore, c'est le nom de Karma Von Blanquette, l'un des plus puissants et sympathiques nobles que le monde ait porté. On le reconnait non pas à sa force, sa mise ou même son éloquence ; mais à la réaction la plus courante chez cet homme.



        Il n'a jamais été contre une bonne poilade.

        —Kakakakakakakakakakakakakaka !