L’repas d’famille.
Kiril ceci, Kiril cela. Kirisque de s’barrer tout le monde s’en fout, hein Papa. J’étais assis sur la siante à mépriser tout ce que j’avais accomplis, les efforts que j’avais fait pour ne pas en arriver là, justement. Assis sur cette chaise en bois qui grinçait à chaque fois que j’me réajustais. Regardez avec qui je partageais le repas, mes parents. Le repas ? De la soupe froide, aussi froide que leurs deux visages cherchant à comprendre ce que leur fils supposé Lieutenant foutait encore chez eux. Ça faisait bien longtemps que je n’étais plus Lieutenant le vioc… M’appelle plus comme ça…
Mon père est le père dont personne ne rêve mais que tout le monde a, au fond. Regardez-le, il devait avoir une soixantaine d’année aujourd’hui mais ni son visage ni ses cheveux n’avaient changé. Il avait toujours ce regard féroce, ferme presque dur et cette barbe dont il ne se lassait jamais, je crois. Il se délectait de la soupe de ma mère lentement, il l’avait toujours adoré. Il aimait le silence aussi. C’est vrai que j’en parle souvent en mal mais sa grande spiritualité, je l’admirerais jusqu’à la fin de sa vie… ou de la mienne.
Apparemment il avait réussi à se hisser en haut de l’administration du village et le connaissant je savais qu’à la moindre erreur de ma part, le moindre faux pas, la moindre agression dans sa ville, il ferait tout pour me foutre dehors. Alors bien entendu j’avais fait des erreurs, fait des faux pas et avais commis des agressions. Mais rien à faire, il avait surement sentit que je cherchais à le provoquer. J’aimais mon père. Du moins je crois que je ne le détestais pas.
Ma mère, je ne savais jamais quand elle était présente. Peut-être que tout simplement, elle ne l’était jamais. C’était le genre de femme absente qui acquiesçait tout ce que son mari disait, qui savait pertinemment qu'il était bien loin d'être le meilleur des hommes mais qui ne disait rien. Elle avait perdu la parole, la pauvre. Où pensez-vous que j’avais appris à foutre des mandales ? Qui pourrait être mon modèle ? C’était lui. Papa, à défaut de n’avoir jamais bu une goutte d’alcool, il frappait nerveusement : maman, moi, maman, maman. Souvent maman, en fait. Il lui avait volé les traits de son caractère, il lui avait volé les sentiments qu'on ressentait quand on était humain. Oui, j'avais l'impression qu'elle l'était plus. Elle avait perdu la parole. Je me demandais même si elle l’aimait. Pas lui en tout cas. S’il savait faire des pâtes, y a bien longtemps qu’il se serait barré.
Mais elle persistait, elle restait à ses côtés bien que ce soit la personne qui lui avait fait tout perdre, elle se disait qu’il pourrait un jour lui rendre. Je pense qu’elle n’était devenue qu’une folle ridée et oui, bonne qu’à faire de la soupe froide et des pâtes. Il ne mangeait rien d’autres. Il ne consommait pas d’alcool, n’avalait aucune viande, rien. Pourtant son corps était mieux que le mien et ça, malgré les années qu’il collectionnait.
Kiril ceci, Kiril cela. Kirils’marre, t’avais pas changé l’ancien et père, tu l’étais devenu trop tard. J’avais fini ma soupe, l’assiette était sale mais je ne la lavais pas. La vieille allait pas se plaindre, elle allait le faire. Et le vieillot ne me prêtait aucune attention, comme d’hab. Son indifférence et ses gestes coordonnées qu’il répétait chaque jour m’foutaient la gerbe. J’voulais m’barrer mais j’avais pas un radis. Que dalle. Pas de thune que j’dis hein… Mais j’allais quand même au rade du quartier pour mêler mes larmes à un verre de cognac. J’déconne, c’est pour l’émotion, hein. J’chialais pas, j’étais pas tocard.
Au bar y avait une vitrine avec le nom de tous les grands buveurs qui y étaient passé. On reconnaissait bien la ville de bouseux rien qu’à voir comment le piollier s’occupait d’ailleurs… C’est là que je l’avais vu. « Rosita », la topette d’un longé. Vous allez me dire, une topette c’est une topette ! Mais celle là, d’après l’écrito, elle était en cristal.
Rosita était le prénom de la radasse qu’il avait rencontré s’étant saoulé pour la première fois avec le whisky qu’y avait dans le récipient. Il m’la fallait absolument. J’regardais le piollier, il m’regardait, j’regardais la topette, il m’disait « non » d’la tête. Comment ça non ? J’avais encore rien dit, mec ! Bon. Disons que c’était pas important, je me replongeais dans mon verre de sky. J’le buvais d’une traite en repensant à la gueule de mon vieux puis j’en demandais un autre.
Le mec se retourna et en une fraction de seconde je lui foutu un coup avec le côté plat de la main dans le cou. Déséquilibré, il s’appuya au comptoir et j’en profitai pour lui donner une gifle puis prendre son menton avec deux doigts pour que son regard soit face au mien. C’était un tocard aux cheveux presque blancs et la peau desséché, j’pensais pouvoir affirmer qu’il était plus vieux que mon paternel alors je le laissai. L’intérêt de faire ça Kiril ?
J’étais en train de devenir un putain de dingue sans couilles comme l’était mon père… Puis j’me rendais compte que j’faisais référence à lui presque tout le temps… C’était ma comparaison. Mon idéal peut-être. J’avais honte. J’finirais dans les bureaux à faire des avions avec du papier tous les jours tu penses ? Ou j’subirais que’que chose puis j’perdrais mon expression d’connard et deviendrais un fantôme comme ma mère ? Bizarrement, ces deux personnes là, quand je pensais à elles, j’avais pas envie de me dire que j’ai pu les aimer un jour. J’avais pas envie de les remercier d’m’avoir donné la vie. Pas parce qu’elle pue la merde, non, mais parce que j’avais trop de fierté pour m’abaisser à ce genre de choses. J’avais envie de me dire que si j’en étais là c’était grâce à moi et par ma faute en même temps.
Le bar se vidait, j’tenais toujours le col du patron. Quand j’m’en rendis compte j’le lâchais. J’réfléchissais puis finalement j’me disais « Non, un connard doit rester un connard » et je lui ai foutu une droite. J’sautai le comptoir, observa la vitrine qui me plaisait et la cassa avec un coup de coude. J’dérobais le flasque en cristal qui devait valoir facilement des millions de berrys*. C’est vrai qu’elle était belle cette connasse. Rosita. Elle devait en envoyer autant la radasse.
Le vieux patron du bar respirait étrangement tiens, l’avait d’l’asthme ? J’me penchais pour voir c’qu’il lui arrivait, son visage était tout rouge … Et il avait un flingue à la main ! BAM ! Il avait tiré sans hésiter. J’avais évité de peu grâce au fait que j’avais remarqué une lumière pas net dans sa manche. Le vieux se relevait, apparemment énervé et m’tendait sa main. ‘voulait le flasque.
J’m’approchais doucement la main gauche côté paume avec le pouce et l’index tenant la topette. Ma main droite derrière moi essayant de discrètement attraper Lana, mon poing américain customisé. L’vieux s’doutait carrément d’que’que chose, mais tant pis. J’m’accroupissais pour mieux resauter en enfonçant une des lames du poing dans l’épaule gauche du piollier. L’coup partit. Pas sur moi heureusement, j’étais trop jeune pour mourir j’pense, mais sur le patron. L’arme était pointé sur mon menton et sans le vouloir j’avais pressionné le flingot contre lui et il avait changé de cible. Les quelques buveurs restant sortirent tous, sûrement pour aller chercher les autorités… Mon père.
* C'est Toji qui m'la dit.
Dernière édition par Kiril Jeliev le Ven 19 Avr 2013 - 19:23, édité 3 fois