Psychologie
« S'il y a une chose dont je suis sûr à propos de maître Brice, c'est qu'il a été profondément marqué par la disparition de feu maître Thomas. Il faut dire que le voir mourir sous ses yeux, assassiné par une banane, a réveillé en lui de nombreux traumatismes. J'ai peur que ce ne soit cet évènement qui ait éveillé en lui sa profonde sensibilité quant à la souffrance et à l'injustice. Je ne saurais l'expliquer mais... Je sens en lui une grande, une très grande volonté de faire le bien, les moyens mis en place pour cela important peu.
Sa timidité d'enfant et sa grande tristesse, il les a perdues lors de son voyage, c'est certain. En revenant, il était devenu beaucoup plus ouvert, et beaucoup plus enjoué.
Mais j'ai parfois peur que cela ne soit qu'un masque, ou plutôt, que son dégoût du mal ne se soit que métamorphosé en quelque chose de plus grand encore.
J'ai l'impression qu'il dissimule ses souffrances, mais je ne saurais bien dire. Ses sourires, ses envies d'aventure, ses poussées d'adrénaline - comme la fois où, seigneur, il s'est mis à escalader le toit du manoir sans la moindre corde ! - j'ai peur que tout cela ne le pousse à sa perte.
J'ai l'impression qu'il ne craint rien, strictement rien. Il s'est engagé dans une voie sans retour. Et vu comme il est entêté, je ne sais pas s'il saura s'en détourner.»
Alfred Centworth - Majordome de la famille Veine
« Mouetteman ? Evidemment que j'le connais... Krinhinhin ! C'est cette tante qui saute de cinq étages pour choper le matou d'une mémé, dans son costume moulant bleu. Ouais.
Y a quelques trucs que j'peux vous dire sur lui. Genre qu'il a tendance à jamais s'arrêter, comme la fois où il m'a coursé en pédalo pendant trois heures alors que j'étais en voilier, pour ensuite me foutre une grosse branlée. Krinhinhinhin !
Sinon là, y a son habitude à toujours vouloir la justice, et toutes ces conneries. Ch'ais pas qui c'est qui lui a mis c'te idée en tête, mais c'est un con, hein, parce que les affaires ont jamais été aussi pourries que depuis qu'il est là.
Après, j'peux vous dire qu'il a pas froid aux yeux, ouais. Ch'ais pas trop pourquoi il gesticule tellement quand il s'bagarre, mais il tatane bien fort, en tous cas, et dans l'spectaculaire en plus. Du genre "vas-y, j'saute du toit, j'atterris en roulade et j'te nique ta gueule parce que ch'uis trop un boss." Mais il fait pas qu'ça, non. L'pire c'est que, quand il débarque, il gueule "MOUETTEMAN" et t'éclate. C'est chiant parce que c'est quand t'entends ça qu't'as compris que ton plan tombe à l'eau, avec lui et ses foutus gadgets.
Pour finir, y a sa vieille règle, là, sa règle de tarlouze n°1 de Gotham Island en fait. "Pas d'arme, pas de mort". Ce con se bat même pas pour tuer alors que tout l'monde cherche à lui faire bouffer ses couilles par l'cul. Quoi ? Comment ça c'pas possible ? 'Ttention mon pote, faut faire gaffe à c'que vous m'racontez, hein ? »
Piékipu - Pirate
Biographie
– Papa... Pourquoi le monsieur il est tout sale ?– Hein... Comment ? Où ça ? Ah... Tenez monsieur, pour vous habiller correctement ! Cinquante mille Berrys. Ha ha ! Parce que je suis riche !– Papa... Pourquoi le monsieur là-bas il mange son pull ?– Encore ? Où ? Ah oui, ha ha ! Allez vous acheter quelque chose à manger mon brave. Voilà... cinquante mille Berrys ! Parce que je suis riche !– Mais Papa... Tu n'as pas répondu à ma question. Pourquoi les gens ne sont pas riches comme nous ?– Ha ha ! Tiens mon grand, cent mille Berrys, va t'acheter une glace avec. Parce que je suis riche ! Ha ha !– Mais...A cette époque-là, je n'avais pas compris que la réponse à mes questions, mon père, Thomas Veine, me l'avait bel et bien donnée. Si l'île de Gotham Island regorgeait à ce point de criminels et de clochards, c'était en majeure partie parce que, lui, était d'une richesse insoutenable. En effet, en tant que président de la société Veine Entreprises, il détenait à lui seul presque trois-quart de l'argent disponible.
De nombreuses personnes avaient perdu leur emploi ou vu leurs revenus chuter radicalement quand mon grand-père, Wilson Veine, avait racheté la plupart des commerces pour les transformer en usines à chaussettes. Après ça, les gens ont essayé de se nourrir comme ils ont pu : certains se résignant à salir leur honneur pour sombrer dans la criminalité et la piraterie, tandis que d'autres tentaient tant bien que mal de joindre les deux bouts. Les années avaient passé, certes, et les entreprises Veine ne se limitaient plus à la simple confection de chaussettes portant le logo V, mais le résultat était le même. Les enfants des criminels de l'époque de mon grand-père avaient pour la plupart choisi la voie de la facilité, et emprunté le même sombre chemin que leurs prédécesseurs, alors que la pauvreté des autres risquait de prendre plusieurs générations avant d'être effacée.
Alors oui, il est normal qu'à ce moment, j'ai été incapable de saisir la vérité dans les paroles de mon père. Comprendre que sa richesse – notre richesse –, héritage légitime, était la cause de la situation déplorablement inégalitaire de l'île était bien compliqué pour l'enfant de huit ans que j'étais.
Voilà pourquoi j'ai été plus qu'incrédule quand trois hommes sont sortis de la ruelle sombre près de laquelle on marchait. Voilà pourquoi je n'ai pas percuté quand ils ont parlé « d'argent volé, d'honneur rendu à leurs parents, et de dentifrices à la menthe (une histoire plus qu'intéressante, que je me ferai un plaisir de vous raconter plus tard) ». Voilà pourquoi je n'ai pas jugé bon de réagir quand ils ont sorti des couteaux en forme de banane.
– Écoutez mes braves, voilà, 200 000 Berrys pour vous, chacun. Parce que je suis riche, ha ha ! Mais laissez partir mon fils ! Parce que je suis riche ha... Aaaaaaah !Le rire enjoué de mon père n'a pas pu s'échapper convenablement ce jour-là, étouffé par son propre cri, sa voix semblant se déchirer dans sa gorge tandis que les hommes transperçaient sa peau de leurs lames. Ils se sont ensuite jetés sur le corps ensanglanté et inerte et ont commencé à fouiller, récoltant suffisamment de billets pour faire vivre plus que convenablement dix familles moyennes de Gotham Island. Le sang a coulé, ruisselant sur le sol, se répandant sur mes chaussures, s'incrustant dans les interstices de la pierre pavée. Et je suis resté là, tétanisé, muet, et pétrifié.
J'ai attendu, personne n'est venu. Ils sont partis, papa n'a pas ri.
Il ne rirait plus, en fait.
A la mort de mon père, j'ai commencé à prendre conscience de la réalité dans laquelle je vivais. Non, avoir autant d'argent n'était pas à proprement parler une normalité. Oui, notre ville, notre île toute entière même, était envahie par la criminalité et l'insalubrité. Comment aurais-je pu savoir, avant que le monde ne s'écroule, que la vie au manoir Veine, sur cette colline éloignée de la saleté dévorante n'était pas partagée ?
J'avais regardé sans voir. J'avais su sans comprendre.
Chaque jour un peu plus, j'ai cerné les défauts qui parsemaient notre île. Cette île que de simples chaussettes avaient condamnée. Gotham Island était pourrie, depuis les hauteurs de ses toits jusque dans les tréfonds de ses égouts. La plus grande preuve était d'ailleurs la rapidité avec laquelle les « amis » de papa avaient sauté sur l'occasion pour prendre le contrôle de l'entreprise Veine. Jusqu'à nouvel ordre, ma mère en restait propriétaire, mais tout le monde savait qu'elle avait autant d'emprise sur la boite qu'un gorille en rut sur ses pulsions.
Chaque jour un peu plus, j'ai senti les défauts de l'île la toucher, ma mère. On avait encore de l'argent, on avait encore de tout. Il manquait simplement papa. Il manquait tout ce que son absence avait fait disparaître.
Chaque jour un peu plus, ma propre conscience se trouvait rongée par le remords. Ne pas avoir su sauver papa, d'abord. Mais surtout, le sentiment que nous étions les seuls responsables de la situation de Gotham. Je l'ai dit, ce sont les usines de chaussettes de mon grand-père qui ont déclenché la descente infernale des uns au profit de l'ascension paradisiaque des autres. Maman, elle, était bien trop occupée dans son interminable dépression et sa plongée dans la consommation de champignons hallucinogènes pour remarquer que je n'allais pas bien. J'aurais pu faire comme elle, passer mes journées à renifler des substances douteuses, mais je ne voulais pas. Je ne pouvais pas.
Mon enfance, je l'avais vécue à travers un prisme déformant. Hors de question que je ne cause moi-même ma cécité. J'étais lucide, certes dans un monde désolé, mais lucide. Et c'est sans doute ce qui a causé ma peine, ce qui a ravisé mes remords, ce qui a eu pour conséquence de déterminer ma vie future.
Papa disparu, j'avais trouvé un semblant de lien paternel avec Alfred Centworth, majordome de son état. Il avait été fidèle à ma famille depuis bien des années, tout comme son père avant lui. La souffrance de Gotham Island ne l'atteignait pas, non. Ce qui causait la lourdeur de ses rides, ce qui accroissait le poids de ses cernes, c'était ce que moi, je ressentais. Je ne l'avais pas remarqué jusqu'alors, mais j'ai fini par le comprendre. La loyauté. L'amour.
Il me regardait comme son fils, m'accordant aussi bien la douceur que la sévérité nécessaires. Il a vu ce que maman me faisait. Il a vu ce que Gotham me faisait. Alors, comme un père, il a agi...
– Soyez prudent, maître Brice.– Je ne vous garantis rien, Alfred, mais je peux essayer.Il m'a accompagné jusqu'au port, scellant nos adieux par une simple poignée de main. J'avais dix-sept ans, mais je ne pouvais pas passer plus de temps ici. Pas d'effusion affective, mais, lui comme moi, on savait ce que ça signifiait. Beaucoup, assurément.
Alfred m'avait organisé ma « fuite ». Le bateau transportant les chaussettes de la société Veine devait naviguer en direction de Hinu Town, une île éloignée de Gotham, de sa corruption, de ses maux. A vrai dire, il n'y avait presque rien à voir entre elles, d'ailleurs. A part leur statut d'île, ouais.
Quitter les bâtiments gris et froids de Gotham Island pour débarquer sur une île aussi chaude et colorée que ce grand désert avait quelque chose d'assez perturbant, et amusant. Alfred voulait que je me change les idées, que je voie autre chose, que je me ressource autre part. C'est ce que je comptais faire.
Pourtant, même dans mes rêves les plus fous, je n'aurais sans doute pas imaginé me ressourcer « à ce point ». Non, vraiment...
– Qu'est-ce qu'on a là ? Héhéhé, tu t'es perdu mon p'tit, avec tes vêtements tous beaux tous propres ?– Je sais pas ce que vous avez l'intention de faire de moi, mais je vous assure que c'est une très mauvaise idée !– Arrête donc de gigoter, enfin.– Détachez-moi ! J'ai rien à faire ici !– Oh, c'est qu'il serait presque violent...– Alexia... Comporte-toi bien avec notre invité, enfin...La caravane à destination de la Ville du Sable n'a pas avancé pendant très longtemps... En fait, on avait à peine perdu de vue le port principal d'Hinu Town que les cavaliers, et même le guide touristique qui m'avaient été impartis se sont retournés, m'ont menacé, puis ligoté.
Ledit guide s'est avancé vers moi. A en juger par la certaine raideur des autres quand il m'a parlé, il s'agissait là de leur chef.
– Pardonne les manières un peu brusques de cette chère Alexia, mon ami, mais sache que l'été vient.– Ami ? Depuis quand les amis s'agressent, se ligotent, et, je pense, se kidnappent entre eux ? Ou alors, c'est une coutume endémique à votre île, et dans ce cas, j'avoue avoir du mal à la comprendre. Et que l'été vienne change quoi, hein ?– Joli discours... Je n'en attendais pas moins de ta part, Veine.– Comment vous me connaissez ?– Vraiment ? Mais tu crois qu'on est là pour quoi, mon ami ? Tu t'imaginais que nous ne serions pas au courant que l'héritier de Veine s'amenait sur notre île, prêt à balancer toute sa pourriture chez nous ? Hors de question que tu souilles notre terre par tes jolies bottes cirées, tes cheveux bien coiffés, et ton petit costume de pingouin. On n'en veut pas, de ta merde de Gotham. Et en plus, l'été vient.Et la discussion a continué. Le type avec qui je parlais s'appelait Jimmy Gordick. Sous ses épais sourcils broussailleux, je voyais deux yeux qui flambaient, aussi bien de malice que de détermination. Il dirigeait un petit groupe du nom de « Ligue du Soleil », entreprise autoproclamée dans la défense des intérêts du peuple de Hinu Town.
Je ne saurais pas expliquer ce qui s'est passé, mais le fait est qu'au bout d'un moment, Jimmy a fini par comprendre que je n'avais pas l'intention de « répandre l'égoïsme et la pourriture de Gotham sur le sol pur et immaculé du désert, d'autant plus parce que l'été vient ». L'été vient... Vous vous demandez ce que ça veut dire, hein ? Qui sait ? Je suis resté quatre ans avec eux, et ce n'est qu'au bout de ces centaines de jours que j'ai enfin compris ce que ça pouvait dire. Peut-être y arriverez-vous, sans que je ne doive vous en confier le sens ?
Ils m'ont expliqué leurs buts, m'ont exposé leurs objectifs, m'ont montré leurs exploits... J'étais encore jeune. Vingt ans, c'était bien trop peu pour réellement savoir dans quoi je m'engageais...
– Qu'est-ce que je dois faire ?J'ai regardé Jimmy. On était au sommet de la plus haute tour de la Ville du Sable, suspendus à une corde. Juste au-dessous de moi se trouvait une large fenêtre qui, je le savais, donnait sur une pièce imposante. Évidemment, je connaissais le plan, mais le réécouter m'a paru être une bonne solution d'encouragement.
– La Ligue du Soleil ne défend qu'un seul but, mon ami. La justice. Hinu Town se fait corrompre, et c'est à nous d'éradiquer ce mal. Que ce soit la Marine, que ce soient les pirates, tous n'aspirent qu'à une chose, planter la graine de la souffrance. Pour éviter cela, il faut que tu attrapes ce représentant du vil Gouvernement, venu sur notre île pour profiter de ses femmes, en abusant de son statut. Nous allons lui montrer, comme à tous semblables, que nul, pas même lui, ne peut faire ce qu'il veut.– Très bien...– Et n'oublie pas : l'été vient.Alors j'ai agi. J'ai sauté à travers la fenêtre, brisé les verres, et surpris ce gros porc en train de mettre ses mains dans les cheveux d'une fille qui ne devait pas avoir plus de quinze ans. J'avais suivi les entrainements de la Ligue à la lettre, je n'en étais pas à ma première mission. Les solaires agissaient en souplesse, en agilité, en rapidité. Et j'en étais devenu un parfait représentant.
Il y avait des codes à respecter, évidemment. Quand certains tentaient de marquer les esprits par leur noirceur, tels des félins dans l'ombre, les « soldats » de Jimmy, eux, favorisaient les attaques spectaculaires et éblouissantes. C'est comme ça que je me suis débarrassé des deux grands gaillards chargés de la surveillance, en sautant contre le mur, vêtu de ma tenue blanche et de ma capuche, pour leur faire une petite prise de ninja, agissant soigneusement de façon à ce que le contrejour m'avantage. Parce qu'on est comme ça chez nous.
J'ai attrapé le gros lard par le col, et lui ai fait comprendre que s'il ne coopérait pas, il lui arriverait des choses bien plus horribles que les mandales envoyées aux autres. Il a saisi la finesse de ma phrase et m'a donc suivi. A la fenêtre, Jimmy a envoyé une corde que j'ai attrapée et avec laquelle j'ai ligoté le porc. Sous sa sueur d'obèse aux cheveux gominés, j'ai lu qu'il avait peur. Compréhensible.
Jimmy a tiré la corde, nous projetant dehors, le gros et moi. J'avais suivi les entrainements, j'avais travaillé mon agilité en courant au-dessus des toits de Hinu Town, j'avais favorisé ma rapidité en échappant aux tempêtes du désert, j'avais amélioré ma volonté en passant plusieurs nuits avec la seule lune et des scorpions comme compagnie. L'enfant gâté de Gotham Island n'était plus. La Ligue m'avait formé pendant ces quatre dernières années, et, pour la première fois, j'avais le droit de participer à une véritable mission en solo.
Le vent fouettait nos visages à mesure qu'on plongeait. Le représentant du Gouvernement mondial, lui, ne cessait de hurler à la mort. En même temps, chuter de plusieurs dizaines de mètres avec pour seule assurance une corde dont on ne connaissait pas l'origine avait, en soi, quelque chose d'assez effrayant, je le reconnais. Au bout de quelques secondes, on est arrivé à destination, le toit d'une petite cabane, située en contrebas. Les membres de la Ligue étaient tous là, vêtus de la capuche blanche et jaune, et de l'uniforme immaculé réglementaire.
Jimmy s'est avancé. Il ne portait pas de capuche, simplement des lunettes de soleil, pour montrer à quel point il se fichait des éventuelles répercussions.
– Mes amis, nous sommes réunis aujourd'hui dans le but de juger cet homme, venu répandre ses vices et la souffrance de son Gouvernement, sur notre terre. C'est à nous, soldats du soleil, membres de la Ligue, de protéger cette île que nous chérissons. Notre rôle est de garantir la paix et la pureté d'Hinu Town. Nous ne pouvons tolérer un tel blasphème. Il tente de souiller la beauté de nos familles et de nos amis, à nous de soigner le mal qu'il a déjà causé. Nous sommes les annonciateurs de la paix, nous sommes la Ligue du Soleil !Le discours m'a paru particulièrement kitsch, mais je n'ai pas osé le dire. En même temps, vue la conviction qu'il mettait dans ses paroles, Jimmy avait un air des plus admirables.
– Aujourd'hui, nous avons l'occasion d'accomplir deux bonnes occasions. Rendre à notre mère, la terre, sa beauté d'antan, mais également sceller l'entrée de notre nouveau soldAAAAAAAAAAAAAAAAAH !Et ce jour a vu la mort prématurée de Jimmy, chef de la Ligue du Soleil, qui est passé au travers du toit mal rafistolé sur lequel on se trouvait, pour atterrir dans la marmite de Soupe à l'Oreille – spécialité locale – cuisinée en bas. On a tous été trop lents, beaucoup trop lents. A vrai dire, voir celui qui prétendait être l'homme le plus agile de Hinu Town tomber pitoyablement à travers un toit avait quelque chose de particulièrement comique.
Le gros a profité de notre désarroi pour fuir, risquant de se briser les jambes en sautant du haut du toit, pour alerter ses gardes. On s'est dispersés. Jimmy mort, la Ligue n'avait plus de chef, elle n'était plus rien. Certains membres ont tenté de recréer le groupe, sans succès, finissant même par se faire capturer pour la plupart.
– Bienvenue chez vous, Maître Brice.– Merci, Alfred.Nouvelle poignée de main, mais je sentais dans son regard qu'il était heureux que je sois revenu, et, en même temps, triste.
– Qu'est-ce que j'ai manqué ?Beaucoup de choses, évidemment. La société Veine n'était presque plus rien, tombant aux mains d'hommes souvent peu scrupuleux. Les revenus de ma famille avaient considérablement chuté – même s'ils restaient tout de même relativement importants – et la piraterie ainsi que la criminalité s'étaient largement accrus.
J'avais pensé que revenir à Gotham me referait subir le poids de sa corruption, comme avant mon départ. J'avais cru que ces bons moments passés à Hinu Town, que tout ce que j'y avais appris disparaitrait, rongé par l'atmosphère de cette île. Alors qu'en fait, pas du tout. Pas de cette façon là...
– Que faites-vous, maître Brice ?– L'été vient, Alfred.– Pardon ?– L'été vient. Je suis ici pour préparer Gotham à le recevoir.– Que voulez-vous dire ?– C'est une longue histoire, Alfred. Une très longue histoire, que je me ferai un plaisir de vous raconter plus tard.– Qu'est-ce que c'est que cet accoutrement ridicule ?– Je vous l'ai dit. Je viens préparer Gotham. L'été vient. Un Veine a causé la chute de l'île, et un Veine l'aidera à se reconstruire. La boucle sera bouclée. L'été sera venu.J'ai enfilé le masque bleu ailé, passé la cape, attaché la ceinture, et souri. La Ligue du Soleil n'avait pas disparu, j'avais décidé de poursuivre son but, ici, sur mon île
– C'est censé représenter quoi, au juste ? Un pigeon ?– Une mouette, Alfred.– Une mouette ? Et vous comptez faire quoi ? Vous rendre à un carnaval !? Et qu'est-ce que vous faites avec ce boomerang à tête d'oiseau ?– Je suis un symbole, l'annonciateur du soleil, de la beauté de l'été. Les gens ont besoin de croire que les nuages, que la pluie de Gotham, que la noirceur de ses rues, ne sont pas une finalité. Je ne suis plus le même qu'avant. L'enfant n'est plus.Et c'est ainsi que, vêtu de bleu et de jaune, transperçant de mon symbole les injustices, je suis devenu le garant de cette île, exploitant les enseignements de la Ligue.
Sept années ont été nécessaires avant que Mouetteman, mon alter ego, ne parvienne enfin à accomplir son objectif. Entre temps, j'avais rencontré bon nombre d'ennemis, que ce soit sous l'identité d'annonciateur de l'été que dans mon rôle de Brice Veine, héritier tentant de gérer les biens familiaux. J'avais utilisé une quantité importante de mes ressources dans la confection d'équipements pouvant garantir la suprématie de Mouetteman, mais, à la fin, j'y étais parvenu. Réutiliser l'argent des primes pour renforcer la justice que je prônais avait été la bonne solution. Oui, Gotham était maintenant prête à recevoir l'été.
– Vous en êtes sûr, maître Brice ?– Oui, Alfred. Ma mission ici est accomplie. Je ne prétends pas avoir fait de Gotham une île parfaite, mais l'été pourra arriver sans que je n'aie à m'en inquiéter.– Pourquoi continuer ? Vous avez mis en cage à vous seul les trois-quart des criminels qui rodaient par ici. Et votre mère ? Vous pensez à votre mère ? Il y a treize ans, j'ai eu peur de ne jamais vous revoir, même si je savais que Gotham vous faisait du mal. Mais vous êtes revenu... Aujourd'hui, grâce à vous, cette île est prospère.– J'ai compris une chose, Alfred.– Qu'est-ce que c'est ?– Je suis l'annonciateur de l'été. La mouette qui, sur son chemin, transmet la paix et la prospérité. L'été vient, et, si Gotham est prête à le recevoir, il n'en va pas de même pour les autres. Je reviendrai, mais pas avant que la corruption et l'injustice ne soient éradiquées sur tous les océans.– Ce n'est pas à vous de faire ça...– Peut-être. Il n'empêche que, jusqu'à présent, je suis le seul qui en soit capable.– Prenez au moins de l'argent, enfin !– Non, tout ce que j'ai, je le dois à Gotham, et à vous. Je sais que vous saurez vous occuper de maman, du manoir, et de ce qui nous reste.Une fois de plus, je lui ai serré la main. La petite crique personnelle des Veine était vide, cette nuit-là. Je me suis dirigé vers la Mouettemobile, pédalo à forme de mouette, que j'avais préparée pour ce voyage.
Laissant Gotham derrière moi, j'ai mis le cap vers le large, prenant la route jusqu'à l'accomplissement de la justice absolue.
And Summer is Coming
Test RP
Ma cape voletait légèrement à mon dos, m'accordant un effet des plus prenants. Debout sur la rambarde, adonné à un exercice d'équilibriste, je fixais un homme, un seul. Vêtu d'un costume marron et d'un masque en forme de bec, mon adversaire me toisait en souriant.
– Et t'es qui, toi ? Dinde-Boy ?– Je suis Mouetteman, l'élu de la justice, et je suis venu ici pour mettre mouettefin à tes méfaits.– Quels méfaits ? Considères-tu que libérer des innocents de l'oppression soit un méfait ?– Je me mouettefiche éperdument de ce que tu penses, pauvre imbécile. L'été vient.– HA ! HA ! L'été, sur Tequila Wolf ? Qu'est-ce que c'est ces conneries, encore ? Super Hibou... Ce type aurait sûrement pu être intéressant si son costume n'était pas aussi pitoyable. Il fallait dire que, par rapport au mien, il ne valait pas grand chose en fait. J'ai levé la main, pointé du doigt le symbole héroïque et lumineux qui trônait sur ma poitrine, et l'ai regardé, en signe d'avertissement. Et lui... Il a ri.
– Ha ! Ha ! Ha ! Tu m'montres quoi, là ? Tes tétons qui pointent ? Ha ! Ha ! Ha !– Tu devrais songer à me montrer du respect, pauvre inconscient. Je suis le mouette-héritier de la Ligue du Soleil ! L'annonciateur de la justice ! L'envoyé de l'été ! L'émissaire de la...– Blablabla. Je suis Super Hibou et JE suis l'annonciateur de la justice. Héroïque est mon deuxième prénom. La nuit, les opprimés hurlent mon nom pour que je vienne les secourir. Les innocents m'acclament, les coupables me fuient. Je suis le seul, l'unique, super héros. Super Hibou. Rrrou ! Rrrou ! Rrrou !– Comment ? Tu oses hululer devant Mouettemoi ?!– J'ose ? Oui, j'ose, et je récidive ! Rrrou ! Rrrou ! Rrrou !– Si tu crois que je vais te laisser me manquer de mouette-respect à ce point-là... MOUETTEMAN !C'en était assez. Oui, j'ai peut-être été bien impulsif sur le coup, mais me faire hululer a été la goutte d'eau en trop. Mes poings se sont contractés, mes dents se sont serrées. Je lui ai envoyé le regard le plus meurtrier que je pouvais, c'est-à-dire en fermant les yeux et en laissant ceux de mon masque le dévisager. J'ai tout de suite senti que ça l'avait perturbé, chose normale après tout. Qui n'avait pas peur d'une mouette ?
– Mouettarang !D'un geste à la rapidité uniquement due à mon expérience de héros, j'ai attrapé trois de mes petits boomerangs aiguisés en forme de mouette et les ai lancés sur mon adversaire. Super Hibou a couru pour les éviter, et il y est arrivé sans le moindre problème, s'accordant même le luxe de rouler au sol pour atterrir dans une pose désinvolte.
– Je suis Super Hibou ! Hiboulet ! Taboulet ! YAAAAAAAAAAAAAAAH !J'ai à peine eu le temps d'esquiver le bol de salade qu'il m'a lancé qu'il explosait déjà. Apparemment, je n'étais pas le seul à avoir un équipement hors du commun. Cette pensée m'a fait sourire. Je venais peut-être de trouver là mon rival absolu, ma Némésis tant attendue ? J'ai sauté, effectué une roulade au sol pour ensuite me relever en secouant ma cape sur les côtés. C'était un signe de respect, et de majesté, évidemment. Après tout, quel autre animal représentait mieux la majesté que la mouette ?
– Tu m'as l'air d'être un combattant valeureux et aguerri, Super Hibou. Pour cette mouette-raison, je vais donner mon maximum contre toi, ce soir, sur ce toit, avec la nuit comme seul public. Il n'y a de la place que pour un seul héros sur cette île, sur cette mer, sur ce monde. Et j'ai bien l'intention de l'être... MOUETTEMAN !Alors j'ai couru, poings en avant, regard acéré en sa direction. On s'est retrouvé à quelques centimètres en l'espace d'à peine quelques secondes. C'était le moment de montrer que mon statut de héros, je ne le devais pas qu'à mes gadgets. J'ai enchainé une volée rapide de coups de poings, suivie d'une balayette efficace qui l'a envoyé au sol. Mais Super Hibou n'était pas un combattant du Dimanche, et il me l'a prouvé sans problème en se relevant prestement pour répliquer d'un coup de boule des plus efficaces. J'ai reculé en titubant, il en a profité, m'a sauté dessus et a essayé d'enfoncer ses phalanges gantées dans mon visage. J'en ai pris une, puis deux, puis trois, avant de réussir enfin à le repousser pour inverser les rôles. C'était puissant, c'était violent, c'était héroïque.
On s'est finalement relevé, chacun de son côté, et on a recommencé. Poings, pieds, genoux, coudes, dents. J'ai même tenté un de mes fameux « coups de bec » qui en avaient surpris plus d'un, sans succès. Au bout d'un moment, je lui ai collé une mouettemandale du droit, tandis il m'a balancé un coup de pied dans l'estomac. Ca nous a valu de nous faire projeter aux deux extrémités du toit en béton sur lequel on se trouvait, le temps de reprendre notre souffle et de jauger l'adversaire. Il n'y avait qu'une conclusion possible : le combat rapproché ne menait à rien.
J'avais vaincu les pires criminels de Gotham Island, arrêté les plus dangereux pirates qui avaient décidé de saccager mon île. Je n'allais pas perdre ce soir, je le savais. J'ai porté une main à ma mouetteceinture et j'en ai sorti deux petites mouettegrenades, des outils bien pratiques pour surprendre l'adversaire. Malheureusement, je n'ai pas eu le temps de m'en servir parce que, déjà, Super Hibou répliquait. Apparemment, il en était venu à la même conclusion que moi.
– Hiboulet ! Taboulet !J'ai été complètement surpris. Cette fois, trop concentré dans l'utilisation de mes mouettegrenades, je n'ai pas vu le gros bol de salade foncer sur moi. Ou plutôt, si, je l'ai vu, au dernier moment, quand la boule piégée s'est écrasée sur mon visage avant de m'exploser dessus. Ca a senti le brûlé, ça a fait mal aux yeux, et ça m'a même griffé la peau. Il faut dire que mon masque n'était pas particulièrement résistant contre les objets aiguisés dans le genre d'un débris de bol de salade.
– Oh ! Oh ! Oh ! Rrrou ! Rrrou ! Super Hibou !– Mon mouettecostume... Tu as abimé mon mouettecostume !Cette fois, c'en était trop. Le coup que je venais de prendre m'a montré une chose : j'avais été bien trop négligent. Je n'allais pas commettre la même erreur. Ma joue me faisait affreusement mal, certainement brûlée par l'explosion, ou lacérée par les débris. Ou les deux, aussi. Je devais sûrement avoir perdu une partie de mon masque, vu les lambeaux de tissu qui étaient tombés par terre, calcinés.
Mes lèvres se sont étirées pour exprimer ma colère. Personne ne touchait à mon mouettecostume cousu à la main sans en subir les conséquences.
– MOUETTEMAN !J'avais toujours les mouettegrenades entre mes doigts, c'était le moment de m'en servir. De mon autre main, j'ai sorti le mouettegrapin d'une poche de ma ceinture, prêt à combiner ces deux équipements pour un résultat héroïque.
– Rrrou ! Rrrou ! T'en veux encore ?! Super Hibou !– MOUETTEMAN !J'ai lancé la première bille explosive en direction de mon adversaire. D'une taille minuscule, le but de cet objet n'était évidemment pas de blesser par la surface calcinée, non. Il s'agissait d'un dispositif de diversion particulièrement efficace. La mouettegrenade a explosé, répandant un nuage de fumée verte, mais Super Hibou lui, l'avait déjà esquivée sans souci. C'était là que prenait place mon plan, la stratégie combattive Mouette Chieuse 1.2.
– C'est ça, tes mouettegrenades ? Ha ! Ha ! Pathétique ! Rrrou !– Mouettegrenade !Super Hibou s'est mis sur ses gardes, se préparant sans doute à recevoir une nouvelle mini bombe pour l'esquiver encore. Sauf que... C'est mon mouettegrapin que j'ai utilisé. Une stratégie vile et maléfique, que j'avais empruntée à l'Excuse, un des pires ennemis que j'avais pu rencontrer sur Gotham Island. J'ai lancé la corde directement sur Super Hibou qui a roulé de justesse au sol pour l'éviter. Néanmoins, il était déjà trop tard pour lui...
– AAAAAAAAAAAAH ! Qu'est-ce que c'est que ce truc ?J'avais déjà prévu le coup, lançant mon autre mouettegrenade à l'emplacement même où a atterri Super Hibou. Il n'a rien pu faire, cette fois.
– AAAAAAH ! On dirait de... De... De la...– De la merde, oui. Les Mouettegrenades sont réalisées à partir de fientes de mouettes de Gotham Island, c'est à dire de la bonne grosse merde acide à souhait, mélangée à de la fumée. Tu dois mouettesentir tes yeux te piquer affreusement, ta peau te gratter, et tu te demandes si tu seras capable de respirer à nouveau un jour un parfum plus doux, j'ai pas raison ?– AAAAAH ! Tu es un monstre ! Tu as menti à Super Hibou !– Oui, je sais. Mais je suis Mouetteman, le garant de la liberté et de la justice. Et tant que des concurrents seront là et me barreront la mouetteroute, je serai incapable d'atteindre le firmament qui m'est destiné, et je ne pourrai pas préparer le monde. Après tout... L'été vient.Super Hibou se roulait au sol, tentant avec difficulté d'ouvrir les yeux, voire même de respirer convenablement. Les mouettegrenades m'avaient sauvé la vie à de nombreuses reprises et, ce soir encore, elles m'avaient permis de l'emporter. J'avais l'habitude de fréquenter les mouettes de Gotham Island, si bien qu'entrer dans le petit rayon d'action de l'odeur ne m'a que légèrement piqué les yeux. J'ai ligoté Super Hibou avec mon mouettegrapin, puis je l'ai emmené jusqu'à la Cinquième Division de la Marine. Je n'aimais pas traiter avec eux, mais alors absolument pas.
Pourtant, je voulais quelque chose, et j'avais bien besoin d'eux pour l'obtenir. Sur Gotham, j'avais eu l'habitude de faire passer les arrestations des criminels primés sur le compte d'Alfred, qui disposait d'une licence de chasseur inutilisée depuis longtemps. Mais, moi-même, je n'en possédais pas.
– Héhéhé, bien joué, Pintademan.– Je suis Mouetteman.– Ouais, ouais, ouais. Beau boulot quand même. Lui attrapé, Tequila Wolf pourra prospérer tranquillement encore un moment.– Mouettedonnez-moi ce que je veux, maintenant.– Attends, attends... T'as l'air bien efficace, s'tu vois ce que je veux dire. Qu'est-ce que tu dirais de faire encore un p'tit boulot pour moi, et la licence est à toi... Hum ?– J'en dis que si tu n'me donnes pas ma licence tout de suite, je te fais mouettesubir le même sort qu'à Super Hibou, voire pire.Je lui ai montré le symbole sur ma poitrine, pour lui prouver que je ne plaisantais pas, et le visage traumatisé de mon précédent adversaire. J'ai même crié un « Mouetteman ! » d'intimidation qui a fait sursauter plusieurs des Marines autour de nous. Au bout d'un moment, l'homme s'est détendu, m'a souri et a conclu.
– Ok, ok, Mouetteman. Voilà pour toi... Félicitations.– Merci. Et n'oubliez pas...– Quoi ?– L'Eté vient.