Indiana Tem. Terre sauvage et pauvre en hautes verdures, une vaste plaine d’herbes grasses et de rivières serpentines où coule la plus claire des eaux douces. La nature y est paisible à moins qu’on ne la dérange, mais les seuls habitants ne chassent que pour l’honneur et la faim. Les esprits sont traités avec respect et chacun des hommes de cette patrie sait faire preuve de force et d’intelligence. Aucunes femmes, juste des hommes, vieux et jeunes adultes fiers et en communion avec la nature de leur île.
Un long, un très long camp recouvert d’habitations en toiles, des peaux de bêtes séchées se suspendaient à des tiges de bois et de la fumée s’échappait d’un feu encore alimenté malgré le soleil assommant. Des hommes aux muscles saillants et au corps recouvert de peintures multicolores frappaient le bois d’un arbre rouge pour en découper d’imposantes planches, des carcasses d’un bétail cornu se faisaient soigneusement découpées par les mains agiles de quelques guerriers herculéens. Une terre de force, une terre d’esprit, une terre d’hommes.
Non loin d’une rivière riche en saumon, un imposant tipi, car c’est comme cela que les habitations se nommaient, abritait le plus laid des hommes. Scab Tournebroche semblait encore lutter contre les démons de son passé, il remuait ses babines à chaque inspiration et toussait lorsqu’il expirait enfin. Auprès de lui, un vieil homme au chef recouvert de plumes ronflait alors que ses yeux restaient grands ouverts. Soudain, la main du pirate agrippa la peau de bête qui le recouvrait.
Bon dieu, mon esprit me fait chavirer à chacun de mes souffles. Je n’arrive pas à distinguer mes rêves de ma réalité, je ne sais si je vis ou si je me meurs. Je me suis fait piquer par une mouche, je me suis évanoui comme une chèvre et je respire plus fort qu’un porc. Un zoo vit en moi. Je l’entends, mon souffle, il raisonne dans ma caboche comme si elle était une voile qui se gonflait à mesure que le vent hurlait. J’ai le souvenir d’avoir eu la sensation de crever, j’ai cette odeur de mort dans la bouche, la même que quand je me suis fait couper la guibolle. Un arrière-gout de sang amer mélangé à la chaleur désagréable de la pisse, je ne souhaite même pas à mon pire ennemi d’avoir cette aura mortelle qui baigne dans sa bouche. Je ne le souhaite même pas à l’un de ses grands du gouvernement cachés derrière un bureau ou un escargophone.
Bordel, voilà que je n’arrive pas à ouvrir les paupières. Il y a bien une odeur, une odeur de tabac. J’ai jamais beaucoup fumé, une chique de temps en temps pour calmer la sensation de tournis lorsqu’on revient sur le plancher des vaches après plusieurs semaines de navigation. Là, c’était un tabac que mon sens olfactif ne reconnaissait pas, pas une merde de North Blue, plutôt une bonne herbe bien locale qu’on te refile sous le manteau dans les tavernes de connaisseurs.
Tiens ! Je sens qu’on m’ouvre la bouche et qu’on m’y care un truc dedans. Machinalement, je mords dedans, je n’ai pas trop la possibilité de faire autre chose de toutes manières, mon corps refuse de bouger ou alors c’est mon esprit qui refuse de reprendre son rôle de pilote. Comme si mes pensées n’avaient plus mon crâne pour trône, mais qu’elles se mouvaient jusque dans ma patte de bois. Tu parles d’un monde, le gars qui pense avec sa guibolle.
La vache, c’est mauvais, ca crépite sur ma langue et un liquide coule abondamment dans ma glotte à chaque coup de chicots. Je vais gerber. Je vais tout rendre d’une minute à l’autre. Comment on peut faire un truc aussi…
BWEEEERG
« Bouerg… Palsambleu que c’est mauvais… hum ? »
Voilà qu’en une fraction de seconde, mon esprit vient reposer son cul là où il faut. Je me retrouve sur le flanc gauche et la gueule bien ouverte, un filet de bave me reliant directement avec une quiche verdâtre sur le sol. Tout en passant ma main au coin des lèvres, je lance un regard sévère à un vieux bonhomme recouvert d’un chapeau de plumes impressionnant qui tapote une longue pipe sur son genou. Il sourit en malaxant une substance verte dans le creux d’un bol en bois.
« Racine de Ficelle de Lune… Hoho… Une plante qui rendrait la vue à un sourd »
« Où suis-je vieil homme ? »
« Importante qu’est cette question, autant que sa réponse »
« Quoi ? »
« Je vais vous répondre »
« … »
« … »
Bordel.
« Tu es… ZZZzz zzZZ »
« Il se paye ma tronche ? »
Je chope ma quiche que je lui envoie en pleine tronche. Faut pas déconner.
« … Sur Indiana Tem ! Oh… Il pleut ? »
Tout en s’essuyant avec une broderie, il se relève en craquant ses lombaires. Sa parure de plumes descendait jusqu’au sol, son corps était recouvert de peintures multicolores et ses rides semblaient danser dans le creux de son visage. Il me toise en pointant mon bide du regard.
« Un mouche femelle de Rusukana, mortelle si l’on présente des carences alimentaires telles que les vôtres…»
Femelle ? J’aurais du m’en douter. Elles ne me lâcheront pas les garces. Je regarde mon ventre bedonnant qui ne trahissait plus aucune piqure ou infection. Ma bedaine grogne et je la tapote du plat de la main.
« J’ai peu mangé ces temps-ci grand-père»
Puis, il me lance un regard vers le bas du lit.
« Je n ‘ai rien pu faire pour votre jambe… »
La vache ! J’ai perdu l’autre guibolle ? Oh putain, Scab Tournebroche, le pirate avec un tronc sur troncs. Ma réputation n’est pas encore faite, foi de moi, que je me retrouve déjà plus diminué qu’un clébard de Tortuga. D’une main certaine, j’arrache la couverture qui me cachait le bas du corps. Quedal. Enfin, toujours la patte en bois, mais l’autre était toujours là, l’orteil toujours absent. Quedal quoi.
« Pas beau à voir hein ? Mes herbes n’ont rien pu y faire… Ho Ho… »
« Très drôle papy »
« Ho Ho ! Bon… Si vous avez faim, le repas est prêt dehors… Ho Ho… »
Sur ceux, il sort en soulevant une peau de bête. Je me retrouve seul dans une sorte de pièce ronde, les murs sont recouverts de peaux et un petit rond à la pointe du plafond témoigne de la faible clarté extérieure.
Indiana Tem, c’est ce qu’il a dit ? Un foutu ange m’a pris sous son aile ou alors c’est le diable qui a peur de vite se lasser de ma tronche. Sacré Tournebroche, t’es encore tombé sur ce que tu cherchais tout en sombrant dans le monde des vapes. Je ne veux même pas savoir combien de temps j’ai pioncé, je ne m’en remettrais pas. Impotent va.
D’un coup de poigne, j’agrippe mon jean à la hauteur de mon genou droit et je bascule pour me retrouver sur ma jambe. J’ai la dalle. A l’extérieur, l’ambiance semblait être rythmée par des percussions et une bonne odeur de graillon me titillait le pif. J’ai la dalle, assurément. D’un revers de paume, je sors de ma cabane en peaux et déboule au milieu d’une fête au clair de lune et à la lumière d’un grand brasier.
Je viens de mettre un temps mort dans la fougue locale, les bonhommes me fixent avec curiosité et les mains qui frappaient les instruments locaux se stoppèrent en l’air. Ils sont grimés de la tête aux pieds et des corps taillés dans des rocs, des gaillards de compètes aux tronches taciturnes. L’atmosphère est palpable, je vais m’en prendre une encore une fois, je sens que le scénario des Amazones tortionnaires va se répéter avec ces loufoques maquillés. Putain, vaut mieux que je choisisse mes mots.
« Un problème avec ma trogne les primates ? »
Ce n’était pas encore les meilleurs. Je serre le poing et ferme ma gueule, ils vont me saucer les plumés.
YUHUHUHUHUHUUUUUU !
Voilà qu’ils sautent en l’air et les percussions reprennent avec fougue, les faces souriantes et les corps dansant. L’un d’eux marche vers moi et me tend un bol de bouffe fumante, la main amicale m’indiquant un coussin près des percussions.
« Mange ami, tu dois avoir faim comme l’oisillon qui tombe du nid une nuit de printemps glaciale »
…
Parbleu... Remarque, c’est pas faux.