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[1622] Le troisième tableau. (Quête)


Le troisième tableau. (Quête)


Deuxième partie.

Voila deux jours que le manoir Barrel a disparu dans les flammes, emportant avec lui meubles, tapisseries et peintures. Deux jours que les Bazartistes, un équipage d'une vingtaine d'hommes qui avait tenté de raider notre île, avaient étés repoussés. Enfin, "repoussés", si l'on peut dire... C'est une sorte d'euphémisme car "balayés" serait plutôt le terme qui convient. Balayés par une horde de villageois en colère, revanchards, et bien décidés à se venger de l'affront qu'ils avaient commis. Plus d'une quinzaine d'entre eux avaient péri sous les coups des faucilles et des serpes, ne laissant aux quelques survivants que le choix de la reddition. Quatre pirates furent épargnés, sur les six qui capitulèrent. Parmi les deux qui furent achevés, il y avait Mazaret Picasso, le colosse à qui j'avais explosé le dos et le genou avec son propre marteau. Le pauvre bougre, incapable de faire le moindre mouvement, était resté allongé toute une journée au sol, immobile. Le voyant ainsi gisant dans son propre sang et ses propres larmes, se lamentant sous un soleil des plomb, mon père avait demandé qu'on l'achève. Qu'on termine le travail.
Au final, il a fini tout comme son capitaine, Marcus Delacroix, qui a succombé dans l'incendie du manoir. Ils sont morts. Tous les deux.

Mis à part les ruines encore fumantes de mon ancienne demeure, la seule trace du passage de ces pirates est le bateau qu'ils ont abandonné dans une crique de l'île. D'ailleurs, ce bateau, j'ai très envie de le visiter. De l'explorer. Non, il faut que je l'explore. Je dois trouver plus de renseignements à propos de la peinture. Des indices qui pourraient me mener à ce fameux trésor dont m'avait parlé Mazaret. Le problème, c'est que le navire en question risque d'être très prochainement la cible de fouilles de la part de mon père, ou même des villageois. Heureusement, là où j'ai un avantage, c'est qu'avec la mort de Marcus Delacroix, seuls Willy et moi sommes au courant pour le tableau. En plus, j'ai eu le bon réflexe de cacher la peinture juste après l'incendie. Ainsi, le trésor sera très surement bientôt à moi. En même temps... Qui d'autre mérite ce trésor mieux que moi ? Personne. Je veux dire... En plus d'être parfait et d'une grandeur inégalable, j'ai aussi sauvé cette île de la destruction. Bref, je sais que les villageois veulent inspecter le bateau dans l'après-midi. Il me faut donc y aller là maintenant, dans la matinée.

"Willy, va "le" chercher. Viens ensuite me rejoindre à la route de la plage."
"Certainement, monsieur Lloyd."

Je me dirige ensuite vers la crique où se trouve l'ancien navire des Bazartistes. Mon majordome me rejoint quelques minutes plus tard, le fameux tableau sous le bras, enroulé dans un linge blanc. Exactement comme quand j'étais descendu dans la cave pour bluffer Marcus Delacroix, avant de mettre le feu à ma demeure. Quelque part, je suis responsable de la perte de mes biens, et également surtout de la mort d'un homme. Je ne l'ai pas vraiment tué, mais il est tout de même mort par ma faute. Est-ce que ça fait de moi un tueur, un meurtrier ? Non, non, car je suis le grand Lloyd Barrel ! Cette vie qui a été prise à cause de moi a permis d'en sauver des centaines d'autres. Elle a permis de sauver mon île de ces pirates. C'est ça, c'est exactement ça. Dans ma grandeur, ma splendeur, ma magnificence j'ai accompli ce qui aurait été un exploit impossible pour un homme normal : j'ai vaincu seul les Bazartistes. Je suis vraiment le meilleur, et voila la preuve pour ceux qui en doutent encore.

Nous arrivons enfin devant le navire. Il s'agit d'un très beau cotre à huniers. Il fait environ trente mètres de long, et présente quatre bouches de canons de part et d'autre de la coque. Sur trois de ses grandes voiles, l'emblème des Bazartistes est finement brode : un crâne croisé de deux pinceaux. Très ringard. Marcus Delacroix baisse grandement dans mon estime, pour avoir choisi un pavillon aussi naze. La figure de proue, un chevalier en armure pointant avec force sa lance vers l'horizon, est tout simplement splendide. Voila une figure de proue qui serait digne de moi, si je créais un équipage pirate. Digne de ma grandeur.
Nous montons à bord par une petite passerelle reliant le bateau à la digue. Tout le bois du plancher du pont est lustré et impeccable. Les "artistes" de l'équipage faisaient du bon boulot et ça se voyait qu'ils aimaient prendre soin de leur navire. Mais cela ne me fait ni chaud ni froid de leur avoir enlevé tout ça. Ils ont essayé de m'enlever à mon île, à mes biens, après tout. La totalité de l'équipage à eu le sort qu'ils méritaient, voila tout. Pas la peine de tergiverser plus longtemps.

"La porte est verrouillée, monsieur Lloyd.", me dit Willy en essayant d'ouvrir la porte qui menait aux appartements de l'équipage et à la cale.
"Écarte-toi, je vais l'enfoncer.", dis-je, avant d'envoyer un coup de pied phénoménal dans la poignée. Un petit bruit fracassant est suivi de l'ouverture de la porte.
"Bravo, monsieur Lloyd."
"Facile pour quelqu'un d'aussi grand que moi."
"Evidemment, monsieur Lloyd."

Dans un grincement particulièrement agaçant et sinistre, un couloir sombre se découvre à moi. Je pénètre le sas, et descend les escaliers jusqu'à une porte encore plus grande et belle que les autres. Très surement la cabine personnelle de Marcus Delacroix. Fermée elle aussi. Du même coup de pied que précédemment, j'explose le verrou de la porte. Je suis enfin à l'endroit où je pense pouvoir obtenir des informations sur le trésor caché dans mon tableau. Je m'enfonce dans la pénombre de la pièce, puis allume la lumière. Un grand bureau apparaît devant moi. Sur celui-ci se trouvent tous les outils standard de navigation : compas, boussole, cartes, sextant, longue vue... Tout y est. Rien d'anormal à signaler.

Cependant, ce qui attire mon regard, ce ne sont pas tous ces objets. C'est plutôt la grande étagère vitrée qui se trouve dans la cabine. Une grande très grande vitrine, fermée par trois cadenas, au dedans de laquelle se trouvent deux tableaux. L'un d'eux représente une sorte de trinité mêlant du rouge, du bleu et du jaune, le tout parsemé de symboles de la marine. Dans l'autre, on distingue sept silhouettes dans l'ombre, chacune tenant un parchemin à la main. Ces deux oeuvres sont très étranges, mais elles dégagent une sorte d'aura très particulière. Une sorte de charisme que je retrouve dans la peinture que j'avais chez moi. Toujours est-il que ces deux toiles doivent avoir une très grande valeur, pour qu'elles aient été autant protégées par Marcus Delacroix. Willy me tend mon tableau, et je vais le poser sur le bureau. J'aperçois alors une sorte de carnet posé à coté des cartes maritimes, et m'en saisis. C'est... Le journal de bord du capitaine ? Intéressant. Je commence à feuilleter ce livre. S'il y a des choses à apprendre sur le tableau qu'il convoitait tant, elles sont surement écrites ici.
Tiens... Qu'est-ce que c'est que ça ?

L'Equilibre des Trois Pouvoirs est sans aucun doute possible l'oeuvre la plus grandiose du génialissime peintre Silvio Cortez.
Trois pouvoirs, trois tableaux.
Et en plus d'avoir étés peints avec une technique de jeu d'ombres et lumières incroyable, un secret les unit.
Un véritable trésor, qu'il soit matériel ou intellectuel.
Dans tous les cas, c'est un secret qui m'apportera la consécration et la reconnaissance.
Toujours est-il que ce secret ne m'apparaîtra que si les trois toiles sont réunies, et que depuis leur peinture, elle ne l'ont jamais été.
Ce serait un exploit de les rassembler toutes les trois.

Je commence à comprendre. Les trois tableaux doivent fonctionner comme trois morceaux d'une seule et unique carte. C'est la seule explication possible. Je continue à feuilleter le livret. En fait, c'est plus une sorte de "journal intime" consacré uniquement à cette mission que je tiens entre les mains.

Ça y est. La première toile est entre mes mains.
Les Trois Amiraux, de Silvio Cortez. Un magnifique mitsu tomoe composé des trois couleurs des plus hauts gradés de la marine : le bleu, le jaune et le rouge, recouvrant le symbole de la marine.
Une oeuvre qui montre que la justice est un tourbillon. Le faible est dévoré par le fort, qui est toujours le faible de quelqu'un d'autre. Mais il est sur que son secret est bien plus complexe.
Je vais commencer à l'analyser.
Quand je pense que ce tableau, d'une valeur inestimable, prenait la poussière dans le grenier d'un vieil homme.
On l'a ensuite tué. Il le fallait. Il en savait trop. Beaucoup trop.

Ces Bazartistes étaient vraiment des monstres. Mais je me dis que s'ils voulaient à tout prix garder secret ces informations, c'est bien que le trésor que renferme cette collection est incroyable. Voila qui est intéressant. Et digne de ma grandeur, pour une fois. Je tourne la tête vers la vitrine en verre. Je reconnais la peinture décrite dans le texte. Les Trois Amiraux, c'est ça ? Et dans ce cas, j'imagine que l'autre... Je continue à feuilleter le carnet.

Et de deux.
Cette fois, la tâche fut plus ardue. Être obligés de pénétrer par effraction dans une galerie d'art pour y dérober la peinture fut plus difficile que prévu.
Mais on a réussi.
La toile intitulée Les Sept Capitaines Corsaires est enfin à moi. Sept ombres. Sept hommes et femmes dont le coeur appartient à la nuit, et tenant une lettre qui les revendique au jour. Sept traîtres détestés des deux côtés de la balance.
Après l'expression de la trinité, celle de la dualité.
En encore des questions qui se soulèvent. Il faut que j'étudie de bien plus près ce tableau.
Plus qu'un à trouver.

Le deuxième tableau est bien celui affiché près du premier. Je ne comprends rien à son charabia symboliste, et ça, ça risque de me compliquer la tâche pour le futur. Non, non. Je suis le grand Lloyd Barrel. Pour quelqu'un d'aussi fabuleux que moi, tout est facile. Je parcours toujours les pages du livre. Je pense connaître la suite.

Deux ans. Ça m'aura coûté deux ans de ma vie pour localiser le dernier tableau.
Le dernier acheteur en date serait un richissime entrepreneur du nom de Théodore Barrel l'aurait obtenu à une vente aux enchères en 1569, pour dix millions de Berry.
C'est une sacrée somme. Il devait sans doute être au courant de la valeur du tableau.
Cet homme habite une île-exploitation de North Blue qui lui appartient : Barrel Island.
Dès que mes expérimentations sur Mazaret seront terminées, nous mettrons les voiles vers la dernière peinture.
Rien ne doit perturber le déroulement de la mission.
Le secret de Silvio Cortez sera bientôt à moi.

Je referme le journal de bord du... Tiens, comment s'appelle t-il déjà ce bateau ? Je me rends compte que je ne connais pas son nom. Enfin, peu importe. Ça ne me concerne pas, donc ce n'est pas important. Logique élémentaire. J'enfouis le carnet dans une des poches de mon manteau, puis déplie le linge qui entoure mon bien. Les Quatre Empereurs. Le troisième tableau. Pour découvrir le secret des trois oeuvres, je ne peux plus me fier qu'à moi même et à Willy, mon majordome. Mais je ne me fais aucun souci, je suis sur de savoir découvrir le secret que dissimulé derrière tout ça. Ne suis-je pas Lloyd Barrel après tout ? Il n'y a pas un défi que je ne puisse relever. Ce trésor sera très bientôt entre mes mains. Ce n'est plus qu'une question de temps.

"Monsieur Lloyd ? Avez vous appris des choses intéressantes grâce à ce carnet ?"
"Ça se pourrait. Il faut étudier avec soin les trois tableaux en même temps pour percer leur secret. Viens m'aider à les sortir de cette vitrine.", commencé-je. J'enveloppe ma main droite avec le linge qui recouvrait ma peinture, puis explose le verre de la vitre qui protège les tableaux de Marcus Delacroix. Je reprends : "Il va falloir déplacer tout ça avant que les villageois n'arrivent pour inspecter le navire."
"Certainement, monsieur Lloyd. Devons nous aller à votre chambre provisoire à l'auberge ?"
"Non. J'ai une meilleure idée, ce qui est normal puisqu'elle est de moi. On va aller à la chambre provisoire que j'ai à l'auberge."
"Brillante idée, monsieur Lloyd. Je n'y aurais moi-même pas pensé."
"Ce n'est pas grave, la perfection n'est pas un cadeau donné à tout le monde. Arrache les rideaux qui sont là, et mets les toiles dedans. Je les examinerai de plus près lorsqu'on y sera."
"Certainement, monsieur Lloyd."

Avant de quitter la cabine, je prends également deux ou trois livres sur l'art qui traînent ici et là. Je n'ai pas besoin que ma tâche soit facilitée, d'une part car je suis le grand Lloyd Barrel mais aussi d'autre part car il faut garder un peu de challenge. Mais je pourrai gagner du temps grâce à eux. Et au plus vite je mets la main sur ce trésor... Non, au plus vite je récupère ce trésor qui me revient de droit divin, au mieux c'est.
Je sors finalement de la cabine avec Willy, et nous remontons l'escalier jusqu'au pont. Alors que nous allons emprunter la passerelle pour rejoindre la terre ferme, une voix qui m'est familière m'interpelle.

"Tu penses pouvoir partir comme ça... Lloyd Barrel ?", dit quelqu'un que je ne parviens pas à localiser.
"Qui me parle ? Ou es-tu ?", lancé-je sans trop savoir où chercher mon interlocuteur.
"Tu pensais te débarrasser de moi si facilement... ? Et puis venir sur mon navire pour me voler mes tableaux ? Tu veux encore essayer de détruire ma vie ?"
"Ca ne me dis toujours pas qui tu es..."
"Sérieusement ? Tu te fous de ma gueule ?! Samèrelipopette de lama des plages naturistes !! Je vais te buter, Lloyd Barrel !! Te buter pour venger mon équipage, puis aller chercher ce putain de trésor !!"
"Impossible..."
"Et pourtant vrai !! Tu vas mourir !!", dit alors une silhouette qui apparaît devant moi, et qui était alors cachée par le mat du bateau.

Et pourtant vrai. Marcus Delacroix n'est pas mort, et il à vraiment l'air remonté contre moi, le grand Lloyd Barrel.
Je ne comprends vraiment pas pourquoi... Qu'ai-je bien pu lui faire pour m'attirer ses foudres ?
    Je me pince l'avant-bras. Ce n'est ni un rêve, ni un cauchemar. Marcus Delacroix n'est pas une illusion. Il est bien réel, et se tient devant moi. Il à le même débardeur noir, le même sarouel vert, les mêmes bottes en cuir traité, et le même manteau que lorsqu'il était dans la cave du manoir Barrel. Et, plus inquiétant, bien plus inquiétant, il a le même pinceau gigantesque fixé à ton dos, et le même fusil mitrailleur. Son fameux "Paintball", toujours relié à ses bocaux de peinture qui sont fixés à sa ceinture. Si ce n'est pas une illusion et que c'est une imitation, elle est très bien faite. Malheureusement, j'ai bien peur que ce ne soit pas un imposteur, mais bien le capitaine des Bazartistes en chair et en os. Enfin, plutôt l'ex-capitaine, puisque l'équipage à quasiment été anéanti par les paysans de mon île. Marcus Delacroix enlève la capuche qui lui cache le visage. J'affiche un rictus de dégoût. Son visage n'est plus le même, et je n'affirme pas ça simplement à cause de la barbe de trois jours qui lui recouvre le menton et les joues. Une large cicatrice le défigure sur tout le côté gauche de sa face. Elle part du crane et va jusqu'à l'épaule, et n'épargne ni son oeil, ni le coin de sa bouche.
    C'est une cicatrice de brûlure.

    "Tu es en vie... Comment est-ce possible ?", commencé-je. Je ne comprends pas. Après l'incendie, je n'ai vu personne entrer ou surtout sortir du manoir. Comment à t-il pu survivre ?
    "Je suis bien plus coriace que tu ne le pense, Lloyd Barrel. Ce fut un jeu d'enfant pour moi, même après qu'une poutre enflammée se soit effondrée sur moi, de sortir de la maison. Malheureusement, cela ne s'est pas fait sans sacrifice, comme tu le vois...", dit-il en passant sa main sur sa cicatrice. Il reprend : "Tu as anéanti mon équipage, tu m'a défiguré, et tu essayes maintenant de me voler toutes mes recherches, de me voler le trésor que je convoite depuis tant d'années... Je ne pouvais tout de même pas périr dans un vulgaire incendie."
    "Tu es un vaut-rien, Marcus Delacroix. Tu attaques une île et ses habitants tout ça pour... Un trésor ? Tu déshonores le nom de la piraterie..."
    "Garde tes belles phrases pour ta pomme. Tu ne sais pas ce que c'est, la piraterie. Tu n'as aucune idée de ce que c'est. C'est un monde sans-pitié, où la fin justifie tous les moyens."
    "Je ne suis pas d'accord. Je pense que la piraterie c'est un univers de valeurs et de rêves. Un univers fait pour moi. Et si tu ne pense pas comme moi, le grand Lloyd Barrel, alors c'est tu as forcément tort !", m'écrié-je.
    "Ton ego te perdra, Barrel. Tu te crois fort, mais au final tu es quelqu'un de faible. Et je vais te le prouver ici et maintenant, en te prenant la vie ! Ou celle de ton larbin..."

    D'un mouvement du poignet très rapide, il rehausse la mire de son Paintball, et mets en joue Willy, qui se trouve à coté de moi. Merde.

    "Paintball Color Trap ! Le noir de la trahison !"

    C'est sa technique d'hypnose. Comme je ne connais pas sa technique, je n'agis que par pur réflexe, et n'écoute que mon instinct. Je pousse Willy de la main et l'envoie à terre. La bille de peinture le manque in extremis et part s'éclater sur une planche de bois du navire.

    "Pas mal, petit con ! Mais c'est justement pour pallier ces situations que j'ai mon Paintball... Admire !"

    Il appuie à nouveau sur la gâchette. Instantanément, une nouvelle bille noire est expulsée de son bocal et envoyée dans le chargeur de son fusil. La seconde d'après, le tir part sur Willy et fait mouche, tâchant sa chemise de costume. Ça c'est sur, il a bien moins fière allure mon domestique. Scandaleux. Intolérable. Mais ce n'est pas à ça que je dois prêter attention pour le moment. Marcus Delacroix à lancé une attaque sur Willy. Une attaque d'hypnose générée par sa peinture. "Le noir de trahison", c'est bien ça ? A tous les coups, c'est une attaque à faire retourner mon allié contre moi.
    Je suis interrompu par mon serviteur, qui se rue sur moi, un regard haineux sur le visage. Ah bah oui, une fois de plus mes prévisions s'étaient révélées exactes. J'esquive d'un pas de coté mon majordome, et lui crochète la jambe avec le pied. Il chute lourdement sur le pont du navire, et s'aplatit en grommelant et en lâchant un juron. Voila donc l'étendue du pouvoir de Marcus Delacroix. C'est assez ridicule, certes, mais ça a l'air redoutable. Il ne faut donc pas que je me fasse toucher. Willy se relève aussitôt et tente de m'étrangler. En plus d'en avoir fait mon ennemi, ce mystérieux pouvoir l'a rendu hargneux. Hargneux, et agressif. Cette fois-ci, je décide de calmer mon ex-domestique définitivement. Non, je ne peux me résoudre à blesser celui qui m'a servi loyalement pendant toutes ces années. Je l'attrape donc tout simplement par le col, après avoir esquivé sa prise, et le projette par dessus la rambarde du bateau. Il chute dans l'eau. Voila qui est fait.

    "Eeeeeh ! Mais c'est que tu sais vaguement te défendre, petit con !"
    "J'en sais assez pour te mettre une bonne raclée !", lui réponds-je en me ruant sur lui, le poing droit en avant.
    "Ha ha ha ! Tout ceci est futile, je vais te réduire en charpie !"

    Marcus Delacroix tente de me tirer dessus à bout portant avec son Paintball. Mais une balle tirée d'aussi près est facile à anticiper et donc à esquiver. Je lui assène ainsi un bon coup de poing dans la machoire. Il lâche alors son fusil, qui part pendouiller le long de sa jambe, toujours fixé à sa ceinture par le câble d'alimentation. Mon adversaire essaie d'attraper le pinceau géant qui est accroché dans son dos. Le temps qu'il s'en saisisse, j'ai l'opportunité de lui donner un nouveau coup, dans le ventre. Mais cette fois-ci, l'ex-capitaine des Bazartistes ne se laisse pas malmener, et il contre-attaque aussitôt en se servant de son arme grotesque. Dans un premier temps, il tente de faucher mes appuis. Je saute pour esquiver, et lui donne une mandale pour le calmer. Ensuite, il essaie de me porter une pique au torse. Je décale son arme avec mon bras, et me rapprochant de lui, je lui envoie un coup de genou. Je ne peux esquiver son coup de boule, et recule en chancelant. Cependant, sa propre attaque ne lui a pas été inoffensive, si bien qu'il a l'air d'avoir au moins aussi mal que moi. Je ne sais pas comment, mais il arrive à reprendre ses esprits avant moi. Pfff, surement de la chance. Il entre alors dans une sorte de frénésie, et je reçois des coups de pinceau à ne plus rien comprendre. L'impact de ses coups est lourd sur mes os, et je suis obligé de m'éloigner du contact.

    C'est exactement ce qu'il voulait. Le con. Marcus laisse tomber au sol son arme, et en profite pour reprendre en main son Paintball. Je suis dans une sacrée merde. Je suis trop loin de lui pour me rapprocher, et trop lent pour esquiver s'il m'attaque. Non, non... Ne me dites pas que moi, le grand Lloyd Barrel, vais perdre ce combat... ? J'ai l'impression que tout défile au ralenti. Que le temps se suspend. Mon corps est en plein plongeon, engourdi. Je vois lentement mon adversaire me mettre en joue, sélectionner sa peinture, et appuyer sur la gâchette. C'est comme une torture de l'esprit qui ne finirait jamais. La fin qui approche, inexorablement. La bille qui quitte le canon de l'arme, et qui fuse vers mon bras, sans bruit, sans vitesse. Et elle me touche. Je m'écrase au sol, le temps semblant reprendre son cours, tout redevenant normal. Sauf que j'ai de la peinture jaune sur mon manteau. Et que je ris aux éclats.

    "Paint Ball Color Trap.", commence Marcus Delacroix, un sourire de victoire au lèvres. Il termine lentement : "Le jaune de la rigolade..."

    Je me tords de rire... Ha ha ha !... Au sol, sans comprendre pourquoi, je trouve juste ça trop marrant. Ha ha ha ! Pourtant, j'ai mal. Hé hé hé ! Pourtant, je sais que je suis en fâcheuse posture. C'est drôle non ? Mais je ne peux pas m'empêcher de rigo... Oh ! Un nuage en forme de pénis. Ha ha ha, c'est tellement rigolo ! Ha ha ha ha ! Ha ha... ! Pffff... Marcus... Delacroix... Ha ha ha ! Il a tellement une tête ridicule ! Elle est trop marrante sa cicatrice ! Ha ha ha ! Je me tiens les côtes tellement je rigole. Même la vue de mon bandage à la main gauche me faire rigoler, alors que ça me faisait atrocement mal ! Mais bon, c'est quand même marrant, j'ai l'air idiot avec ça ! Ha ha ha ha haaaaa ! Ha ha ha !!

    "C'est fini Lloyd Barrel. Et l'ironie du sort, c'est que tu vas mourir de main, et que ça te fera rire.", dit-il en ramassant son gros pinceau. Son gros pinceau... Hé hé hé ! Vous avez l'esprit pervers pas vrai ? Ha ha ha, avouez que vous imaginiez autre chose ! Hé hé hé ! Oh oui, Marcus, prend ton gros pinceau et vient me punir ! Hé hé hé hé ! Je suis hilare tellement c'est drole ! Ha ha ha ! N'empêche que... Ha ha ha... Il a raison ! Hé ! Je vais mourir ! Ha ha ! En rigolant ! Ha ha ha ! Moi... Le grand Lloyd ! Ha... Barrel ! Ha ha ha ha ha !

    "Allez, relève toi, que je puisse te défigurer à mon tour, espèce de suceuse d'anacoluthe imberbe des brumes !"

    HA HA HA ! Je me relève, hé hé hé... Même si j'ai du mal tellement je rigole ! Je ris ! Je ris ! Comme la vache qui rit ? Ha ha ! LA VACHE KIRIL ! Ha ha ! HA HA HA ! Je ris jaune ! Riz. Jaune. Comme les chinois. RED ?! Ha ha ha ha ! HA HA HA ! HA HA HA !! Je me fais trop rire ! Ha ha ! Mes blagues... Le grand Lloyd Barrel... Ha ha ! C'est les meilleures !! Ha ha ha ! Ha... Et je vais mourir. Pffff... Hé hé hé ! C'est trop pourri comme mort !! Ha ha ha ! Oh ? Ha ha. On me pousse à la flotte. Alleeeeez ! Et bim, Lloyd ! Hé hé hé ! Tout mouillé ! Hé hé ! En pleeeeein dans l'eau ! Ha ha... Ha... Ha ? Mais pourquoi je rigole comme un demeuré moi ? Mais qu'est-ce que c'était que ça ? Étais-je sous hypnose ? Sous l'emprise de la technique de Marcus Delacroix ? Mais alors comment ai-je pu... L'eau ? L'eau ! Mais oui, l'eau ! Je lève la tête vers le bateau, et aperçois Willy. Il m'a poussé a l'eau ! Il me le paiera cher ! Mais... Non, attends. C'est grâce à l'eau que je ne suis plus sous hypnose ! L'eau à nettoyé la peinture sur mes vêtements ! Et c'est comme ça que Willy aussi à été libéré de ce sortilège ! Mais alors... Il est tout seul contre Marcus Delacroix là-haut ! Vite, il faut que je me dépêche de remonter à bord ! Je fais rapidement le tour du bateau à la nage, puis sors de l'eau. Je suis trempé, mais je m'en moque. Je cours aussi vite que possible à la passerelle, et monte sur le pont.

    "Ah, Barrel ! Tu arrives juste à temps pour assister à la fin du grand spectacle ! Le rideau tombe ! Les artistes se retirent ! Ton petit enfoiré de cloporte asexué de larbin va recevoir le châtiment qu'il mérite !", me dit l'ex-capitaine des Bazartistes. Il embroche alors un Willy couvert d'ecchymoses et de bleus du bout acéré de son pinceau. Il y a du sang partout. Mes jambes tremblent. J'ai envie de vomir. Non, je suis fort. Je suis le grand Lloyd Barrel. Ce n'est pas grave... Mieux vaut lui que moi... Juste que ça m'embête... Ce sera dur de retrouver un aussi bon majordome... Non, mais non... Willy... Mon plus fidèle serviteur... Il m'a sauvé la vie... Plus d'une fois... Merde.

    Merde !

    MERDE !

    Je laisse ma colère m'envahir, hurle et me jette sur Marcus Delacroix. Je ne retiens aucun de mes coups, et le frappe, le frappe, le frappe sans relâche. Chacun de mes assauts fait mouche. Chacun des siens également. Il se bat à mains nues, ayant lâché toute arme, comme un animal. Comme moi. C'est un combat inhumain, entre deux bêtes, qui veulent chacune faire payer l'autre, se venger. Les impacts des coups sont lourds. Douloureux. Mais je n'en ai plus rien à foutre désormais. Je frappe également avec ma main gauche, pourtant cassée. La douleur, je l'ignore, je la mets de coté. JE VAIS JUSTE TE FAIRE PAYER, MARCUS DELACROIX ! TE FAIRE REGRETTER CE QUE TU AS FAIT, CONNARD ! Je lui explose le nez. Il y a du sang partout. Par terre, à cause de Willy qui s'est complètement vidé, mais aussi sur nos poings à tous les deux. L'os nasal brisé, Marcus Delacroix recule, titubant. J'en profite pour poser mon souffle quelques instants. Quelle erreur. Ni une, ni deux, mon ennemi en profite pour récupérer son Paintball.

    "Tu auras été coriace, Barrel, je l'avoue ! Mais cette fois, c'est terminé ! Je ne te tuerai pas non, je vais faire de toi mon esclave et te torturer ! Adieu ! Paintball Color Trap, le blanc de l'asservissement !"

    Son doigt s'approche de la détente. Je n'ai plus qu'un seul espoir, ma technique la plus puissante, mais que je ne maîtrise pas encore à la perfection... La technique qui fait de moi un être supérieur... Mon destin incarné.

    "HAKI !"

    Marcus Delacroix appuie sur la détente. Et rien ne se passe. Il appuie une fois, deux fois, trois fois. Et toujours rien.

    "Putain de merde de chimarlouze coréenne ! La bille doit être coincée dans le tube ! PUTAIN DE BORDEL DE MERDE, MAIS MAAAAAAAARCHE !", vocifère t-il en frappant son arme, et en appuyant comme un bourrin sur la gâchette. Une dizaine de billes partent dans le tube en même temps. La pression dans le réservoir augmente dangereusement. La cartouchière explose. De la peinture blanche est projetée tout autour de Marcus Delacroix, mais surtout en grande partie dans son dos et sur lui. Voila la toute puissance de mon haki qui se manifeste. Tu as perdu, Marcus Delacroix. Et moi, Lloyd Barrel, j'ai gagné. Le résultat était tout de même prévisible. Je me jette sur lui, et lui donne un phénoménal coup de pied dans la tête. Il ne réagit même pas. Tant mieux. Je compte le tuer de mes propres mains. Lui faire payer ce qu'il a fait à mon village et a Willy. Il se relève, et m'adresse la parole, un air tout triste sur son visage recouvert de blanc et de rouge.

    "Mais pourquoi me frappez-vous, mon maître ?"

    Ah d'accord. Le blanc de l'asservissement, c'est bien ça ? Bon bah je crois avoir trouvé ton remplaçant Willy...
      Alors ça, c'est étonnant. Je suis débout, sur le pont du navire, le visage et les mains couvertes de sang. Mon poing gauche et mon nez me font énormément souffrir, surtout mon poing. J'ai frappé sans me retenir, sans me soucier des dégâts que je pourrais causer à mon adversaire ou à moi-même. J'ai laissé quelque chose sortir de mes entrailles, quelque chose qui je pensais n'existait pas en moi. Une sorte de "force" qui vient des tripes, une sorte de faim dévorante qui me pousse sur la voie de la bête plutôt que sur la voie de l'homme. C'est une avidité que je ne veux plus jamais revoir. Mes bras et mes jambes tremblent. Moi... Le grand Lloyd Barrel... J'ai eu envie de tuer un autre homme ? Moi qui ne suis que splendeur, grâce et magnificence, j'ai suffisamment lâché mes coups pour essayer de prendre la vie d'un autre ? Moi à qui on a toujours appris à se contrôler, moi qui suis si parfait... J'ai échoué à me maîtriser ? Non, c'est impossible, je ne veux pas le croire...
      Pourtant, la douleur, le soleil qui frappe mon crâne, et la vue du cadavre ensanglanté de Willy me le rappellent à chaque instant. Il est mort... Mort... Mort... Mort... Je ne le reverrai plus jamais. Plus jamais il ne me servira, plus jamais il ne fera les corvées qui me sont indignes à ma place. Je chancèle, comme si j'étais ivre. Je ne sais plus vraiment où j'en suis. Une main se pose sur mon épaule. Une voix mielleuse me ramène à la dure réalité.

      "Maître Lloyd, vous n'avez pas l'air bien. Puis-je faire quelque chose pour vous ?"

      Et maintenant, j'ai ça sur les bras. L'homme que je voulais tuer, et qui désormais m'est dévoué par une sorte d'hypnose très puissante. C'est mon nouveau serviteur. Il serait prêt à subvenir au moindre de mes besoins, à suivre le moindre ordre que je pourrais lui donner. J'ai gagné ce serviteur infaillible. Mais est-ce réellement ce que je voulais ? Non, je ne le voulais pas. Je n'avais rien demandé, lorsque ces pirates ont tenté d'envahir mon île. Même si j'ai réussi à les repousser, je n'ai rien voulu de tout cela, je n'ai jamais voulu que tout cela se produise ! Et je ne le veux toujours pas. Je prends ma tête entre mes mains. Putain, J'ai envie de m'arracher les cheveux. Non, non, quand même, je ne pourrais jamais faire de mal à ma coupe de cheveux si parfaite, voyons.
      Mais qu'est-ce que je raconte ? Je suis en train de devenir fou, pas vrai ? Qu'est-ce qui m'arrive ? Je ne devrais pas agir comme ça... Mes sentiments prennent le dessus. Mes peurs, mes doutes, mes hésitations... Je dois refouler tout ça. Mon destin c'est pas de me laisser submerger par ce qui dévore les hommes faibles. Je ne suis pas faible, moi. Je suis quelqu'un de fort, quelqu'un qui a un destin fabuleux à accomplir. Et mon destin est de devenir le seigneur des pirates, de récupérer le One Piece qui me revient de droit. Sur ma route, je rencontrerai bien pire que ce que je viens de vivre. J'accomplirai mon destin.
      Et je vais commencer par percer le secret de ses putains de tableaux.

      "Oui, tu peux faire quelque chose pour moi. J'ai un trésor à trouver."

      Marcus Delacroix se relève, et tire une sorte de révérence avant de hocher la tête. Cette soumission de sa part, ce pouvoir de domination que j'ai sur lui est impressionnant.

      "Bien sur, mon maître. Je vais vous dire tout ce que je sais sur ces trois tableaux."
      "Excellent. Va enterrer mon domestique, puis va dans la cabine où tu m'attendras sans toucher à rien. Et surtout, je t'interdis d'enlever tes vêtements, de t'essuyer, ou de te mouiller.", dis-je. Je pense que ça devrait être bon.
      "Vos désirs sont des ordres, maître."

      Le trésor sera bientôt à moi. Avec Marcus Delacroix à mes ordres, c'est à dire tant qu'il sera couvert de cette peinture blanche, ce sera facile d'analyser ces tableaux. Trop de sang a déjà coulé, je ne peux plus reculer, ce serait comme jeter la vie de Willy, et surtout tous mes biens qui ont brûlé par la fenêtre. Et ça, je ne peux pas me le permettre.
      Je pars me débarbouiller à la salle de bains du navire, puis rejoins mon nouvel esclave dans la cabine, où il m'attendait. Je suis impeccable : cheveux propres, séchés et peignés, sang nettoyé, blessures pansées, et dents rincées. On ne peut pas en dire autant de Marcus Delacroix, toujours sale et couvert de sang et de peinture, qui ont désormais séché et se sont incrustés sur sa peau et ses vêtements. Je pourrais tout de même l'arranger un peu... Mais non, je préfère éviter tout risque de perdre le contrôle sur lui en le nettoyant. Le seul hic, c'est que je ne sais pas si son pouvoir d'obéissance absolue est limité par la simple présence de la peinture au contact du corps ou s'il y a aussi un ultimatum temporel. Il faut donc faire le plus vite possible. Il faut que Marcus Delacroix me livre tous ses secrets. Et après, m'en débarrasse. Je me demande si c'est un pirate primé.

      "Fais de la place sur le bureau et dépose les trois tableaux."
      "Oui, maître Lloyd.", dit-il en exécutant mon commandement. Les trois toiles sont désormais alignées sur la table en bois. Elles sont désormais réunies. Je m'attends à ce que quelque chose se produise, mais rien ne semble se passer. C'était prévisible. Ce serait trop simple que ça se passe comme ça. Je pointe du doigt la troisième peinture, celle qui était au manoir, et tourne la tête vers mon serviteur.

      "Alors ? Elle t'inspire quoi ?"
      "C'est un magnifique tableau, on y reconnait bien le pinceau de Silvio Cortez. Ces quatre empereurs pirates qui avancent au crépuscule... L'hypothèse la plus vraisemblable est qu'il représentent l'unité, la cohésion des rêves de piraterie. Qu'ils sont alliés pour les rêves, représentés par le soleil couchant."
      "Pourquoi serait-ce la plus vraisemblable ?"
      "Parce que le premier tableau représente la trinité et le deuxième la dualité. Trois, deux et un."
      "Oui, je le savais, bien sur. Je l'avais remarqué."
      "Je n'en doute pas, maître Lloyd."
      "Et du coup, par rapport au trésor ?"
      "Je ne sais pas si ça à vraiment un rapport."
      "Est-ce qu'il pourrait s'agir d'un ordre ? Le premier, le deuxième et le troisième ?"
      "Oui, c'est possible, maître Lloyd."
      "Mais oui... ! Peut-être en les superposant ! Ah, non, il y a le cadre... Le cadre ? Mais la toile est glissée dans le cadre ! Il y a peut-être quelque chose au verso de la toile ! Enlève les cadre !"
      "Je le fais de suite. Brillante idée, maître Lloyd."

      Marcus Delacroix sort les toiles de leurs étuis en bois. Je les retourne toutes, en prenant bien garde à ne pas les abîmer. C'était prévisible, mais il n'y a rien. Je dispose les trois toiles dans leur ordre. D'abord Les Quatre Empereurs, puis Les Sept Capitaines Corsaires, et enfin Les Trois Amiraux. Je retourne une fois de plus les toiles. Naïvement la encore, j’espérais qu'il se passerait quelque chose, mais il n'y a rien. Quoique, si, il y a un petit quelque chose sur tout l'arrière de la dernière toile. Comme des sortes de petites nervures. Mais je n'arrive pas bien à voir. Peut-être que si je me mets face à la lumière, je pourrais mieux distinguer ce que c'est. Et là, c'est la révélation. La lumière qui transperce les toiles révèle ce qui était écrit à leur verso. Une carte au trésor apparaît. Dans le coin en bas à gauche, je peux apercevoir la latitude et la longitude d'une île. Je prends les cartes maritimes qui se trouvent sur le bureau et les examine. C'est tout près de Barrel Island. Je souris. Le trésor sera bientôt à moi.
        Nous allons sans perdre de temps à la chambre que j'occupe actuellement à l'auberge. Il est en effet capital que personne ne m'aperçoive en compagnie de Marcus Delacroix, mon nouvel esclave hypnotisé, car je ne suis pas sur que ce serait bon pour mon image, et ce même en expliquant la situation. Quand même, il faut l'imaginer : le grand Lloyd Barrel, traînant en compagnie du capitaine de l'équipage des Bazartistes, qui venait d'attaquer Barrel Island. Tout bonnement impensable que les villageois cautionnent cela, même en prenant en compte le fait qu'il m'est totalement dévoué désormais, et qu'il y a un fabuleux trésor à la clé. Ce trésor justement... Bientôt il sera à moi. La carte au dos de l'empilement des trois toiles indique clairement qu'il se trouve sur une petite île sans histoires, et ce pas très loin de Barrel Island, ainsi que le plan détaillé pour trouver sa cachette, une fois arrivé sur place. Je me demande d'ailleurs ce que peut être ce trésor. De l'argent ? Des joyaux ? Des peintures d'une valeur inestimable ? Dans tous les cas, je suis sur que je pourrai en tirer beaucoup de profit. Mais encore faut-il que je puisse quitter mon île sans me faire remarquer. Prendre le navire de Marcus Delacroix est impossible, car on ne peut le manoeuvrer à deux. Mais alors comment faire ? Je suis interrompu dans mes réflexions par mon serviteur :

        "Maître Lloyd, nous pourrions prendre le canot de sauvetage du navire ? Je serai honoré de ramer n'importe où pour vous.", dit-il. Ce n'est pas bête comme idée. Mais la mienne est cent fois meilleure.
        "Non. Ce qu'on va faire, c'est nous rendre au navire, et prendre le canot. Et bien sur c'est toi qui va ramer pour moi, le grand Lloyd Barrel."
        "Excellente idée, Maître Lloyd. Normal, puisqu'elle vient de vous."
        "Je le sais, je le sais."

        Tout le monde étant occupé à déblayer et préparer la reconstruction du manoir, la visite du navire des Bazartistes à été suspendue, ce qui nous laisse le champ libre pour y retourner. Discrètement, mon esclave et moi nous faufilons jusqu'à la crique de la face ouest de l'île. Nous arrivons finalement au bateau, mettons la petite chaloupe à la mer, et embarquons à son bord. Marcus Delacroix s'empare de lui-même d'une paire de rames, et commence à déplacer le frêle esquif vers la fameuse île ou m'attend le trésor de Silvio Cortez. J'ai naturellement emporté avec moi les classiques instruments qui assurent la navigation, ainsi que les trois toiles remises dans leurs cadres et enveloppées dans les rideaux de la cabine du bateau. Il ne faut en effet absolument pas les abîmer, ce serait dommage de devoir renoncer si près du but. Mais bon, je ne m'inquiète absolument pas pour ça, car j'ai tout prévu. Tout à été planifié dans le moindre détail, tout à été minutieusement calculé, et qui plus est par moi, le grand Lloyd Barrel. Comment est-ce que je pourrais échouer ? Non, je ne le peux pas. Ce trésor sera à moi, il me revient de droit. Tout comme le One Piece n'attend que moi. Après tout, je ne pense pas que ce soit une coïncidence que la troisième peinture se trouvait chez moi. Elle était là pour que je puisse apprendre l'existence de ce trésor et le récupérer. Ça ne fait aucun doute.

        Après quelques bonnes heures de navigation, nous arrivons enfin à la fameuse île. Enfin, île, c'est un peu exagéré, car l'endroit ressemble plus à un îlot qu'autre chose. Une petite motte de terre posée sur la grande étendue bleue qu'est North Blue. L'endroit parfait ou planquer un trésor. Le genre d'endroit sans histoires où personne ne va jamais. Le genre d'endroit où il n'y a typiquement rien à voir, ce qui en fait justement le lieu idéal pour une cachette. Oui, cet îlot respire à plein nez l'aventure. Maintenant que je suis au courant, je me dis avec certitude qu'il y a un trésor dans le coin. Il ne peut en être autrement. Nous accostons sur une plage de sable fin, qui ne présente aucune trace de pas ou autre preuve de présence humaine. L'île a l'air complètement déserte. Je sors les toiles de leurs étuis et fait afficher la carte grâce à la lumière du soleil pendant que Marcus Delacroix se charge de traîner la barque sur la terre ferme. Il s'approche ensuite de moi et regarde la carte au trésor par-dessus mon épaule.

        "Alors, maître Lloyd ? Savez-vous où se trouve le trésor ?"
        "Non, pas vraiment. Les dessins sont plutôt confus. Mais je vais trouver, c'est certain. Je suis la grand Lloyd Barrel après tout. Je ne vais pas bloquer longtemps sur cette énigme."
        "Evidemment, maître Lloyd. Mais regardez, je crois que dessin sur la carte représente le gros rocher pointu là-bas.", dit-il en pointant du doigt une formation rocheuse acérée. Oui, effectivement, ça y ressemble fortement.
        "Hein... Euh... Oui, c'est exactement ce que je me disais depuis un bon bout de temps, voyons. Je voulais juste vérifier que tu suivais."
        "Quelle perspicacité, maître Lloyd !"
        "Je le sais, je le sais... Ce n'est pas donné à tout le monde. La preuve que je suis quelqu'un d'extraordinaire."
        "Assurément, maître Lloyd."

        Nous nous dirigeons alors vers le roc en question. A chaque pas dans la végétation dense de l'îlot que je fais, je sens que je me rapproche de plus en plus du trésor. C'est étrange comme sensation : le coeur qui bat de plus en plus vite, les mains qui tremblent, et de grosses gouttes de sueur qui commencent à perler le long du visage. C'est ça, l'excitation de l'aventure, ce sentiment extrêmement particulier qui envahit les pirates quand ils partent dans leur quête du One Piece. Être là, sur une île au beau milieu de North Blue, à la recherche d'un trésor perdu depuis plus de cent ans, voila qui ne fait que confirmer que c'est la vie que je veux vivre tous les jours. C'est là que je sais que mon destin est de devenir un pirate et de récupérer le One Piece qui me revient de droit.
        Nous arrivons finalement au pied du grand bloc de pierre. De près, il est bien plus impressionnant. C'est un majestueux pic de roche. Oui, majestueux, c'est le mot. Majestueux comme moi, le grand Lloyd Barrel. Je trépigne d'impatience à l'idée de me rapprocher de plus en plus du trésor ! L'excitation est tellement palpable qu'elle en devient insoutenable. L'impatience manque de dévorer le brin de raison qu'il me reste.

        "Dépêche toi ! Vite, on touche au but !"
        "J'arrive, maître Lloyd, j'arrive...", me répond un Marcus Delacroix tout essoufflé. Je ne m'en étais pas rendu compte, mais visiblement le frisson de l'aventure m'a donné des ailes, puisque c'est avec une vitesse incroyable que j'avais crapahuté jusqu'à la dent rocheuse. C'est incroyable tout ce que l'on peut faire avec la volonté. Quand on sait que le destin nous réserve un avenir fabuleux.
        Je regarde à nouveau à travers les toiles exposées au soleil. Le chemin tracé sur la carte continue à travers la foret. Il continue, en serpentant, jusqu'à un gros "X" noir. Le symbole du trésor. Putain, mais j'y suis presque ! Presque !

        "Viens vite ! On y est presque !", crié-je à mon esclave hypnotisé. Je n'en peux plus d'attendre et pars en courant, zigzaguant à travers les arbres de la foret vierge de l'île. Je sais que je touche au but lorsque j'arrive à une petite clairière, étrangement circulaire. C'est tellement douteux qu'il y a forcément quelque chose de caché ici. Je me dirige vers le plein centre de la zone. S'il y a quelque chose, c'est forcément enterré. Je me retourne vers l'endroit d'où je viens, et attends que Marcus Delacroix me rejoigne. Il arrive, encore plus essoufflé qu'avant.

        "Je... Je suis la... Maître Lloyd...", halète t-il.
        "Il faut creuser.", lui dis-je avec sang froid.
        "Bien... Sur... Maître Lloyd...", répond t-il alors en commençant à creuser avec ses mains et un bâton le sol meuble du centre de la clairière.

        Après une longue heure de travail, une heure qui m'a semblé durer une éternité, nous parvenons à dégager un coffre en bois, magnifiquement ciselé. Marcus Delacroix tombe au sol, épuisé. Quant à moi, je tremble tellement d'excitation que j'ai du mal à en ouvrir la serrure. Mon coeur bat à la chamade, et j'ai littéralement l'impression d'avoir une balle rebondissante dans la poitrine. Le lourd coffre s'ouvre finalement. Mes yeux émerveillés n'attendent que d'admirer son contenu... Un vieux parchemin tout écorné, à qui le temps n'a pas fait de cadeau. Je m'en saisis et en commence la lecture. Peut-être est-ce une nouvelle carte au trésor ? Ou une lettre de marques ayant une valeur inestimable ? Je ne peux pas avoir fait tout ça pour un simple morceau de papier ?

        "Que dit le parchemin, maître Lloyd ?", demande alors mon serviteur.

        Toi qui as réuni mes trois toiles, tu es forcément un fin connaisseur d'Art pour en avoir percé le secret.
        Et si tu es arrivé jusqu'ici, c'est que tu es quelqu'un de très intelligent et perspicace.

        Oui, je sais que je suis intelligent et perspicace. Mais c'est normal, car je suis le grand Lloyd Barrel, digne héritier de la maison Barrel ! Je suis sur et certain désormais que ce message m'est destiné, à moi, et à moi seul. Il reste encore une ligne au parchemin. Une ultime ligne. Je la lis.

        Tu as donc compris que le vrai trésor... C'est l'Art lui-même. Le trésor de l'imagination des Hommes.

        - Silvio Cortez.

        Quoi... ? Tout ça pour rien ? Tout ça pour rien du tout ? Que des phrases ? Tous ces combats, la mort de Willy, l'incendie de mes biens les plus précieux... Tout cela... Pour du vent ? Une phrase à la con à propos de ces peintures inutiles. Cela me met hors de moi. Je refuse de croire que j'ai fait tout cela en vain.

        "Il a raison, maître Lloyd... L'Art avec un grand "A" est un trésor en soi !"

        Je tourne lentement la tête vers lui. Férocement. Toi... Marcus Delacroix... Je me suis fait avoir par tes idées. Je me suis fait rouler. Tout ça, ce n'était que du vent. Du vent. Je te hais Marcus Delacroix. Je te hais profondément. Je retrouve la haine que tu m'avais inspiré quand nous étions sur ton navire.

        "Mon maître, vous n'avez pas l'air bien... ?"

        La goutte d'eau qui fait déborder le vase. Je m'efforce de garder mon calme, du moins en apparence. J'esquisse un sourire maladroit. Un sourire qui cache mon dégoût intérieur pour ce type. Personne n'a le droit de se foutre de la gueule du grand Lloyd Barrel !

        "Tout va bien, Marcus, je t'assure... Je veux que tu fasses quelque chose pour moi...", lui dis-je, toujours avec le même sourire. Tu vas payer...
        "Je vous obéirai, mon maître."
        "Reste ici, et ne bouge pas, jusqu'à ce que je revienne te chercher. D'accord ?"
        "Oui, maître Lloyd, bien sûr."

        Je pars désormais dans par là où je suis arrivé, et rejoins la barque, que je mets à l'eau. Je commence à ramer, à retourner vers Barrel Island. A retourner chez moi, loin de toutes ces conneries.
        Je vais te laisser pourrir jusqu'à ta mort sur cette île déserte. Voila ton châtiment, Marcus Delacroix.

        Je ne veux plus jamais entendre parler de tableaux. Je ne veux plus jamais entendre parler d'Art. Le seul trésor que je trouverai à l'avenir... Ce sera le One Piece que je mérite tant.

        Fin de la quête.