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Cela faisait maintenant plusieurs heures que la bataille avait cessé. Que l'équipage des Shinoryuu Kaizoku, du moins ce qu'il en restait, avait du fuir face à un adversaire bien plus puissant qu'eux, ce colonel d'élite. Qu'après avoir fui dans la forêt, Peter nous avait proposé de s'abriter dans le navire de son équipage. Et surtout, que Cheveux-de-Lait, et son amie Cassandre, nous expliquèrent en premier lieu l'explosion du Blue Moon, la perte de Takashi et d'Azraël, et comme un couteau dans une plaie ouverte, la mort d'Izya de par les Longs Bras. Un bien lourd tribut pour une petite sortie dont l'unique objectif n'était que de sauver l'une des leurs. Moi, je n'étais qu'un vulgaire corbeau de compagnie, sans grande envergure, mais je ne pouvais m'empêcher de ressentir de... la compassion face à la scène qui se déroulait sous mes yeux sombres. Tous calés dans une sorte de salle à manger à l'ambiance tamisée et à la composition très rudimentaire, les derniers membres de l'équipage étaient tous installés soit au sol contre un mur, soit à la table au centre de la pièce. Mizukawa et Lion étaient bien évidemment absents, les marines les ayant tout deux capturés. Passé l'action de la bataille, c'était l'instant des regrets et des larmes qui avait sonné. Certains pleuraient, d'autres se contentaient de regarder dans le vide, l'air assombri et brisé. Qu'est-ce qu'il en était de mon maître dans tout ça, me direz-vous ? Aucune surprise là-dessus. Mao Sticks, assis contre un mur, regardait passivement cette ambiance désastreuse, sans la moindre émotion visible. C'était là, bien sûr, sa façon de broyer du noir, comme le faisait tout le reste de l'équipage. On lui avait fait les premiers secours dès son arrivée, y compris lui remettre une jambe en bois neuve, mais intérieurement, Fear Face souffrait atrocement, je le savais.
Certes, ça faisait à peine quelques jours qu'il côtoyait ces gens, et la tragédie qu'ils vivaient en elle-même ne le touchait que légèrement. Tout au plus, la capture de l'homme qui l'avait accueilli malgré lui devait le perturber, mais l'épouvantail n'était pas du genre à déprimer pour ça. Non, ce qui le torturait, c'était les visages effondrés de toutes ces personnes, qui deux jours plus tôt, l'avait accueilli avec le sourire. Les rires de Cheveux-de-Lait, le jeu qu'il avait fait dans l'amusement avec Prince, Mugen, Shinji et Mitsume... Tout ça avait disparu pour laisser place au désespoir. Et cet état de fait, je le savais pertinemment, lui occasionnait bien plus de douleur que les blessures parsemant encore tout son corps. Sa crainte de toujours, plus même que le feu à l'état pur ou la mort elle-même : La tristesse. Et elle parcourait actuellement toute la salle, semblant inébranlable. Calé sur l'épaule de mon maître, j'observais le silence se prolonger depuis maintenant une bonne heure, personne n'étant apparemment décidé à surmonter ce qui venait de se passer, y compris mon maître. Finalement, je décidai qu'il était temps de faire bouger les choses, et croassai légèrement aux oreilles de Mao, qui tourna un air sombre vers moi. Comme à l'accoutumée, nos regards se plongèrent l'un dans l'autre. Mais ce contact fut bref. Il avait très vite compris où je voulais en venir, et tourna vivement sa tête vers l'avant, semblant culpabiliser. Ce qui s'était dit ? Je lui ai juste rappeler ce qu'il m'avait dit quelques heures plus tôt, ses élans de motivation, qui semblaient infondés, et à voir sa réaction, mon maître semblait très bien comprendre de ce dont je parlais. Celui-ci regarda durant un long instant le sol, et patiemment, j'attendis sa réponse. Il ne m'en donna guère. Cependant, il m'offrit bien plus : Un regard, qui lorsqu'il se releva, était forgé dans la détermination et le rage qu'on peut avoir envers soi-même d'avoir failli. Il ne m'était même pas adressé. Il était juste destiné à lui-même, et avec un sourire, je voyais Fear Face surmonter de nouveau l'adversité. Se levant brutalement, l'épouvantail s'avança vers le centre de la pièce, bien qu'il boitait légèrement avec sa nouvelle jambe, et afficha le plus grand des sourires niaiseux. Avec le plus de jovialité possible que son cœur pouvait offrir, Mao lâcha d'une voix forte et se voulant motivante à toute la troupe :
"Allons, les gens, on ne va pas se mettre dans tous ces états pour si peu ! Il faut se remotiver, voyons, on ne va pas passer le reste de notre vie à pleurer comme ça ! Tiens, que diriez-vous d'un petit numéro pour oublier tout ça ? Regardez, regardez, regardez ! Regardez..."
Prenant cinq pommes vertes posées au centre de la table dans un bol en bois, l'épouvantail s'installa sur celle-ci en jonglant avec à une seule main, l'autre dans le dos, répétant frénétiquement "Regardez", d'une voix de plus en plus fragile alors que personne ne semblait sourire à son numéro. Au contraire, certaines personnes semblaient s'enfoncer encore plus dans leur chagrin. Mais Fear Face n'abandonnait pas, faisant la seule chose qu'il savait faire, soit le guignol, alors que sous ses yeux, le tissu semblait mouiller légèrement peu à peu, comme pour des larmes. Sans doute du au fait que personne ne réagissait, et que Mao était incapable malgré tout ce qu'il donnait de redonner la joie à quiconque. Même en balançant des pommes en l'air de façon étonnante et comique. Même en mimant le plus approfondi des rires stupides. Rien ne marchait, et quand finalement Mao termina son numéro dans un grand "Tadaa !", et qu'il vit que personne ne réagissait ou ne prenait la peine de le regarder, mon maître abandonna son enthousiasme, et reposa les pommes dans son bol en descendant de la table, et en se dirigeant vers sa position initiale. Il me vit alors installé à son emplacement, le regardant passivement, et s'arrêta dans sa marche, tremblant et serrant fortement ses mains encore brûlées. Mao resta ainsi un petit moment, et finalement, eut un tic de colère et se remotiva, n'abandonnant pas ce qu'il considérait comme sa mission. Se retournant vers les autres pirates, Fear Face afficha de nouveau le plus grand sourire possible, et lâcha naïvement :
"Bon, d'accord, ce numéro était pas terrible, mais que diriez-vous d'une petite blague ? Ecoutez ! C'est l'histoire d'un homme, qui rentre dans une taverne..."
"Ferme-la !"
Interrompu dans sa future plaisanterie vaseuse, mon maître prit un air intrigué, et l'étant également, je tournai tout comme lui ma tête vers la source de la voix. C'était Cassandra, la navigatrice, et surtout, la fiancée du défunt Takashi, carbonisé par l'un de ces immenses cyborgs, qui venait de parler sur un ton sec et réprobateur. Recroquevillée au sol, entre deux tonneaux, les jambes au niveau du torse, la femme semblait très perturbée par ce qu'il venait d'arriver, et était sans doute celle ayant le plus perdu d'espoir dans cette affaire. D'un air sombre, Cassandra posa ses yeux sur ceux de l'épouvantail, et continua ses dire d'une voix méchante et impitoyable, mais aussi très déstabilisée :
"C'est tout ce que la mort de nos compagnons te fait ? L'envie de jouer avec des fruits et balancer des blagues à tout bout de champ ? Tu n'es vraiment qu'un monstre, je ne vois même pas ce que tu fais dans cet équipage. Mais qu'est-ce que je dis... Notre équipage n'existe plus... Tout est terminé..."
Je devais bien avouer que pour le coup, j'aurais bien picorer les yeux de cette femme pour ses dires infâmes. Mais d'un autre côté, c'était tout de même compréhensible qu'elle réagisse ainsi après un tel traumatisme. En tout cas, ces mots devaient avoir toucher profondément Mao, et au fond, je sentais qu'il allait craquer et tout abandonner lui aussi. A un tel point, ce serait normal, même moi, je ne voyais plus trop quoi y faire. Mais à ma grande surprise, Fear Face n'abandonna pas. Au contraire, il afficha un visage plus déterminé que jamais, mais cette fois, ne sourit pas. Au contraire, il semblait plutôt en colère. D'un ton réprobateur et sérieux, mon maître lâcha fortement à tout l'équipage :
"Alors c'est tout ? Vous abandonnez comme ça ? Vous avez oublié le dernier mot de Mizukawa, avant qu'il ne fasse capturer ? Il voulait qu'on fuit, qu'on survive. Et le sacrifice de Takashi, c'était du vent ça aussi ? Ils se sont tous battus pour nous donner un avenir... Et voilà ce que vous en faîtes ? Vous restez tous à vous apitoyer sur votre sort ? Ils auraient espérer bien plus de vous, je pense !"
Dernière édition par Fear Face le Mar 5 Mar 2013 - 8:28, édité 3 fois