Le Commodore est un homme de parole. Vaincu, il a obtempéré. Son ravisseur l'a mené jusqu'à leur embarcation, où on lui a bandé les yeux. Un individu de sa trempe, qui sait l'importance de cultiver son esprit et de savoir lire en eux, saurait également décrypter les étoiles, comprendre leur langage pour savoir se repérer. Et sa destination doit lui rester inconnue. Un des kidnappeurs fait mine de le ligoter, également, par sécurité; la voix grave du capitaine de mission intervient pour signifier que c'est inutile. Ce serait une insulte, non une marque de sagesse. Personne ne remet en cause cette décision. De l'individu taciturne émane une force sombre et tranquille que personne ne veut contester. On ne réveille pas un monstre qui dort. Un mot, un cap, une répartition des quarts, et c'est tout.
Pendant plusieurs heures, silencieuses, le navire suit les courants marins favorables. Parfois, on entend la mélodie du vent, tout autour, qui vient caresser et faire onduler les voiles. Au dessus d'eux, un ciel sans nuages, une lune plus brillante que jamais; son l'éclat d'argent vient se refléter sur la houle. S'il peut deviner la majesté du décor, Hadoc ne voit rien de tout cela. On lui a intimé de s'asseoir, adossé au grand mât, et de ne plus en bouger. Il peut ressentir, tout près de lui, la présence de celui qui l'a défait lors de leur duel. Lui aussi, immobile, muet. Peut-être songe t-il à leur combat.
Puis, l'aurore vient percer, timidement, à travers le tissu noir qui masque la vue de Hadoc. Une pâle chaleur vient caresser sa peau. Quelqu'un vient déposer un verre d'eau à ses pieds. Six heures de navigation se sont écoulées. Le pont reprend vie. Les vas et viens se font plus nombreux, on échange quelques paroles. Et très vite, l'astre flamboyant atteint le zénith. C'est le moment que choisit la vigie pour signaler la présence d'un navire. La nouvelle n'émeut personne, ils avaient rendez-vous.
Préparez-vous à accoster.
Chacun regagne sa place pour la manœuvre, les navires se rangent bord à bord au beau milieu de l'immensité bleue. Il suffit d'une enjambée pour passer d'un pont à l'autre, ce que ne se privent pas de faire plusieurs matelots de chacun des deux bateaux. Parmi les nouveaux arrivants, l'un a la voix perçante, malsaine. C'est celui qui donne les ordres. Ses ricanements tranchent avec l'impassibilité de l'autre capitaine. Les deux hommes échangent quelques bribes de phrases. Hadoc peut discerner un " Fais selon le plan ", lancé plus haut que le reste de l'échange. L'aura désormais familière de celui qui l'a vaincu se fait plus forte. Il est juste devant lui.
Gharr Hadoc. Ce fut un honneur de vous combattre. Je me souviendrai de vous.
Très vite, on a relevé le prisonnier sans ménagement, pour le conduire à niveau d'épaule vers le rebord du navire. On lui a intimé de sauter. Non pas dans le grand vide, mais vers l'autre pont. Un simple changement de transport. Il a atterri sur un autre sol de bois, où on l'a bousculé, puis ligoté au niveau des poignets, sous la menace d'une lame froide pointée sur sa gorge. La corde, elle, est nouée au mât contre lequel on l'a poussé, à hauteur de la nuque du bretteur, de sorte que ses bras soient maintenus derrière sa tête. Une main nerveuse est venue lui arracher le bandeau qui le privait de la lumière du jour. Et la première chose qu'aperçut le Commodore, son regard enfin libéré de toute entrave, ce fut un visage. Agité, malsain. Définitivement malsain. Un homme entouré d'une atmosphère instable et nauséabonde. Un homme qui l'a toisé dans un sourire dérangé.
Gya-yaya, c'est donc toi ! L'homme que je vais conduire à notre Maître. Un conseil, ne tente rien. Ça me chagrinerait d'avoir à te faire du mal. Gya-yayaya .... Allez, vous autres, on rentre au bercail !
Loin dans l'azur, la silhouette du navire de ses précédents captifs disparait. Et le Commodore n'a rien gagné au change.
- Spoiler:
- Voilà mec, c'est lancé. A bord de ce navire se trouve aussi Flaca, que tu peux introduire si tu le souhaites sur ton prochain post.