L'île approchait. Une bonne demi-heure plus tôt, au cri de « Terre en vue ! », nombre de passagers étaient montés sur le pont. Mais la vigie devait avoir de bons yeux, car Verterre était encore au loin. Même moi, je la voyais à peine.
A présent, je pouvais voir des pics montagneux se détachant au loin, le verdoiement des prairies et des forêts, et le gris de la côte. Le navire s'approche, et aborde l'un des pontons d'amarrage du port. J'observe la manœuvre, rapidement et efficacement effectuée par les marins, manifestement chevronnés. Puis on débarque, enfin.
Je ne sais même pas comment s'appelle l'équipage de Valtien. Sur Silthe, ils étaient nommés « les corbeaux », car apparemment, leur pavillon était doté d'un de ces volatiles (quoique personne n'ait pu me le décrire précisément). Mais ils devaient bien avoir un nom officiel. Ne pas le connaître allait compliquer mes recherches, mais bon, je ferais avec.
Première étape, le QG de la marine local. S'ils sont sympa, ils m'écouteront, et pourront peut-être me renseigner. Si ce sont des connards... Deuxième étape, trouver des gens sympa dans la ville, prêter l'oreille aux rumeurs... Troisième étape, se faire de l'argent. Parce que je n'irais pas loin avec des piécettes. Rien d'insurmontable en somme. Il me faut juste énormément de chance et que tout se goupille parfaitement, et je pourrais suivre les corbeaux...
Un peu démoralisé, je marche vers le QG, surplombant la ville. Il est fermé. Pas de gardes, personne près de l'entrée. Je suis un peu surpris, pour le coup. C'est une base désaffecté, ou ils partent tous pour le déjeuner ? C'est quoi ces guignols...
"Salut. Tu fais quoi là ?"
Un marine m'interpelle du haut des remparts. Ah baa, pas trop tôt.
"Je viens d'arriver sur cette île. Je cherche des renseignements sur un équipage pirate qui a attaqué mon royaume."
"T'es pas au bon endroit mon gars. Ici c'est la caserne, où on loge et on s'entraîne, mais pour faciliter le contact avec les civils, on a une attache en ville. C'est là qu'on fait tout l'administratif. C'est eux qu'il faut que t'aille voir."
Génial... Le marine m'indique le nom de la rue, et je redescends en ville. Un aller-retour pour rien. Je me dirige à l'endroit mentionné, et vois en effet un panneau stipulant que l'endroit appartient à la marine.
"Maman, le monsieur il n'a qu'un œil !"
"Chut Timothée !"
"Mais c'est moche !"
La mère se dépêche d'emmener son rejeton. Sale gosse... Je les regarde partir d'un air mauvais, puis entre dans le bureau. L'endroit est agréable. Un comptoir en noyer, manifestement bien ciré, occupe la majeure partie de la pièce. L'endroit sent le bois et le café. Un employé boit dans une tasse en lisant le journal, ne m'ayant manifestement pas vu entrer. Son uniforme blanc et bleu le désigne comme un marine, mais il a une barrette sur chaque épaulette. Un sous-officier sans doute.
"Bonjour."
"Bonjour. En quoi puis-je vous aider ?"
Le ton de la voix est neutre, mais engageant. Quelqu'un qui pousse les gens à parler. C'était sans doute un bon choix de le caler à l'administratif. Un petit badge sur son uniforme annonce le caporal Young.
"Je cherche des informations."
"Quel genre d'informations ?"
"Je viens du royaume de Silthe. J'ai été envoyé par le maître marchand Peltar, qui a été dévalisé. Des pirates ont attaqués son navire alors qu'il allait prendre la mer, pillant sa cargaison."
"Je n'étais pas au courant d'un tel événement. Et qu'est-ce qui vous amène sur Verterre ?"
"Les pirates se sont enfuis, et maître Peltar souhaiterait savoir s'ils ont été arrêtés, pour que sa cargaison lui soit restitué. Il m'a donc envoyé sur leurs traces pour découvrir ce qu'ils étaient devenus."
"Je vous souhaite bien du courage alors. Les biens confisqués aux pirates retrouvent rarement leurs propriétaires d'origines. Vous avez intérêt à avoir plein de papiers certifiant la propriété des objets volés, mais même avec, ça prendra du temps."
"Ne m'en parlez pas... Je crois que je ne rentrerais pas de chez moi de sitôt..."
"A supposer que les pirates soient arrêtés. Vous avez leur nom d'équipage, la description du pavillon, un moyen d'identification ?"
"J'ignore comment ils se nomment eux-mêmes, mais nous les appelons les corbeaux. D'après les témoins visuel, leur pavillon arbore un corbeau sur des os."
"Ça ne me dit rien. Je vais aller chercher le livre qui recense les équipages pirates. Prenez du café en attendant, si vous voulez."
Le marine ouvre une porte derrière le comptoir, et me voilà seul. Bon. Je prends une tasse et me sert du café. Celle du sous-officier est toujours là. Tiens, c'est l'occasion de tester le mélange de restes de plantes que j'ai fait en partant de Silthe. Je vérifie qu'il n'y a personne aux alentours pouvant me voir, puis sort une fiole en verre d'une des poches de ma veste, et en vide quelques gouttes dans la tasse oubliée.
Je sirote tranquillement mon café lorsque le caporal revient, un lourd volume dans les bras.
"Bon, regardons ça."
"Votre café n'est pas fabuleux."
"Ah ? Désolé qu'il ne vous plaise pas."
C'est surtout ma remarque qui ne lui a pas plu, et comme pour me contredire, il avale une gorgée de sa tasse, et fait une grimace, avant de lui jeter un drôle de regard. Puis il revient près du comptoir.
"Bon. Alors, les corbeaux... Rien. Mais si ce n'est pas leur nom, c'est normal. Dans les pavillons, en revanche, on n'a rien avec un corbeau non plus. Ni même un quelconque oiseau."
"Donc ils ne sont pas recensés."
"Non. Ça veut dire que nous n'avons aucune information sur eux pour l'instant. C'est peut-être un équipage récent. Si ça se trouve, vous aurez des nouvelles d'eux dans les mois qui viennent. Mais pour l'instant, je ne peux pas vous aider. Il faut dire que nous sommes une petite base un peu isolée, qui n'a pas les dernières nouvelles. Si vous allez sur Inu Town ou Manshon, vous en saurez peut-être plus. Luvneel est aussi un grand royaume. Le plus grand de North Blue. Mais là-bas, il n'y a pas de marine, il faudra se renseigner autrement."
"D'accord. Merci de votre aide caporal."
"De rien."
Rien ici. Ce sont des pirates inconnus. C'est le pire scénario possible. Ecouter les rumeurs ne sert à rien non plus, personne ne sera au courant de plus que ce que savent ces gens, ou que ce que j'ai appris sur Silthe. Inu, Manshon ou Luvneel donc... Mais pour aller là-bas, il me faut de l'argent. Je suis très mal barré...
J'entends alors un râle puis des crachats. Je me retourne, et voit le sous-officier qui commence à vomir. Tiens, intéressant ça.
"Ça va ?"
Je me rapproche. L'homme est en sueur, se tient au comptoir et recommence à vomir. Je vois son ventre tressaillir. Des spasmes stomacaux ? Je m'approche, le prend par le bras, et l'aide à se redresser.
"Venez, on va s’asseoir là-bas, rester debout est une mauvaise idée quand on n'est pas bien."
"Merci... Je crois que vous aviez raison. Pas bon le café."
"Il n'avait pas très bon goût, mais de là à vous faire régurgiter le petit déjeuner... Vous avez mangé quoi récemment ?"
L'homme me fit signe de s'éloigner, eut quelques spasmes et se remit à vomir. Oui, définitivement une réaction déclenchée par l'estomac. Et rapide. Cependant il avait déjà l'air d'aller mieux. Potion à utilité peu évidente, donc, mais qui valait le coup d'être notée quelque part.
Cinq minutes plus tard, le caporal se sent mieux, mon départ ne sera pas suspect, et j'ai mentalement noté les différents stades qu'il a vécu, je repars donc.
Manshon, Inu town et Luvneel. Mes meilleurs chances d'en apprendre un peu plus sur l’équipage de Valtien... Et bien j'irais les visiter, toutes les trois s'il le faut, et j'apprendrais où ils sont. Je ne lâcherais pas l'affaire.
A supposer que ce Valtien soit bien ton frère...
"Ça doit être lui. Ça ne peut que être lui. Il faut que ce soit lui..."
Oui, je me doute que c'est important pour toi, mais évite de parler tout seul en pleine rue, les gens te regardent bizarrement.
Je lève la tête, et effectivement, on me regarde bizarrement. Il faut dire qu'entre mon bandeau qui recouvre mon œil gauche, mon manteau sale, et mes paroles destinées à moi-même, me and myself, je dois paraître curieux.
Je ne suis pas le seul à attirer les regards, pour autant. Un esclandre semble avoir lieu plus loin. Un grand type, presque ma taille parle fort là-bas. Son manteau à lui est impeccable, neuf ou presque et sans tâche. Couleur vert et or. En dessous habillé en blanc. Pas vraiment discret. Mais le plus étrange est sa coiffure. Déjà, il est blond, ce qui n'est pas courant dans cette ville, d'après ce que j'ai pu voir, mais surtout, il a trois nattes. Depuis quand les hommes se font des nattes ? C'est un travelo ?
"Incroyable. C'est du vin d'ici que vous me servez ? Apprenez que le grand Lloyd Barrel ne boit que du vin des îles !"
"Personne ne va livrer du vin des îles dans une petite ville comme la nôtre, mais notre production locale est excellente. Sinon, nous avons de la bière qui est aussi..."
"De la bière ! Vous voulez m'empoisonner ou quoi ? Je ne bois pas des choses aussi vulgaire."
Un snob. Sans doute un nobliau en villégiature.
Mes pas m'emmène à présent vers le port. Logique, il faut que je reprenne la mer. Mais avec quel argent ? Me voilà près des navires, et je marche, encore, sans but, sans réflexion, errant pour passer le temps. Se vider la tête de temps en temps, ça fait un bien fou. Me voilà dans une zone non construire. Je suis sorti de la ville. Plus rien ici, que l'herbe, les rochers, le sable et la mer. C'est apaisant.
Je saute dans le sable, et ôte mes chaussures. Mes pieds accueillent avec plaisir le sable doux et chaud. Le soleil à fait son œuvre, la température est agréable. Je m'enfonce un peu, et les grains me chatouillent les orteils. J'approche du bord, le sable devient plus dur et humide. J'avance encore, le voilà à présent meuble, alors que les vagues viennent me lécher les pieds.
Les pieds dans le sable, le bruit des vagues, du soleil. La perfection. Je m'allonge un moment, pour décompresser. C'est la première fois que je quitte Silthe après tout.
Je me réveille en sursaut. Le soleil a bien avancé, et ne va pas tarder à se coucher. Bon aller, la récréation est finie, il faut que je trouve du boulot. Je rentre en ville, et constate avec déception que les échoppes ferment. La recherche d'un emploi commencera demain. A moins que je ne vole ce dont j'ai besoin, ce serait sans doute bien plus rapide... En attendant, je me dirige vers un bar et m'y installe. Des marines y sont déjà, et semblent fêter quelque chose.
"À Poing d'acier, qui nous a encore fait rêver !"
"À la générosité de Thomson, qui nous invite tous ce soir !"
"Hé ! J'ai jamais dit que je vous invitait !"
Je m'installe aussi, commande une bière (encore des berries en moins, ouille...), mais avant même que je n'en ai bu une gorgée, l'un des marines, ayant manifestement déjà trop consommé, trébuche et s’étale sur ma table. Celle-ci se renverse. Pas ma choppe. Non, elle est projetée en l'air, décrit une trajectoire élégante se finissant droit sur mon nez. J'arrive de justesse à l'esquiver, évitant d'avoir les cartilages nasaux brisés, mais le contenu m'asperge abondamment au passage, et me voilà à présent sale ET puant le houblon...
"C'est une blague ou quoi..."
"Tu pouvais pas faire gaffe. Bordel."
Et en plus ce couillon de marine m'insulte !
Sans même réfléchir un instant aux conséquences, mon épée sort de son fourreau, et je me retrouve épée en main. Le marine s'est relevé, et me voyant arme en main, dégaine aussi. Un de ces compères vient l'aider. Les autres semblent plutôt vouloir calmer le jeu.
"Holà, du calme. Tetsuo, c'est de ta faute, alors rengaine."
"Nan nan nan, personne ne me fais de croche-pied sans le payer."
Crétin... Il s'approche de moi, confiant. Je prends mon épée à deux mains, et la lève, en garde du faucon. Il est droitier. Son copain aussi. Bon.
Il fonce et me donne un coup de taille aux côtes. Amateur. J'abats violemment mon épée sur mon flanc gauche, les deux lames se heurtent dans un bruit métallique. Le poids de mon coup, bien plus fort que le sien vu ma position dominante, déséquilibre sa prise. Ma main droite lâche la garde de mon arme. La gauche pivote, et ma lame vient bloquer la sienne, pointe vers le sol, afin qu'il ne puisse la remonter. Dans le même mouvement, j'avance la jambe droite, me retrouvant à quelques centimètres de lui, et le frappe violemment à la tête du poing droit. Le soudard retrouve le sol.
Son ami approche, mais je relève mon épée, et l'attrape à deux mains pour parer le coup. D'un grand mouvement circulaire, je nous désengage. Il n'est pas très rapide. Je met met en garde du serpent, cette fois-ci, mes poignets sur ma hanche gauche, la lame tenue à deux mains, pointe au sol derrière moi. L'homme se rapproche, mais cette fois-ci, c'est moi qui lui fonce dessus. La vitesse de charge et le coup porté à deux mains balaye sa faible défense, et le voilà lui aussi au sol pendant que son épée valdingue dans les airs.
Ils étaient cinq il me semble, les trois autres ont du dégainer maintenant. Je me tourne légèrement vers la droite. Tiens, non. Ils applaudissent...
"Impressionnant."
"Jolie technique à l'épée. La longueur de la lame est inhabituelle cependant. D'où venez-vous ?"
Attendez... Attendez... Il se passe quoi là ?
Ah, le soudard se relève.
"Putain... Les gars, aidez-moi."
"Bon, tu arrêtes tes conneries maintenant Tetsuo. C'était de ta faute et tu t'es fait étalé. N'en rajoutes pas."
"T'es vraiment nase Tetsuo. Je parierais jamais sur toi."
Les deux marines se relèvent, rouges sous les railleries de leurs camarades, mais leurs envies belliqueuses semblent passées.
"Cette épée, elle est faite pour se battre à la fois à deux mains ou d'une seule, c'est ça ?"
"Oui. C'est une épée à une main-et-demie."
"Première fois que je vois ça. C'est pratique, mais ça doit fatiguer plus vite que les sabres normaux. Dans une bataille qui dure, ça peut se retourner contre son utilisateur..."
Lui, il est pas bête. Si on se bat, il sera plus costaud que les deux d'avant...
"On s'en fout de l'épée. Dis moi mon gars, tu aimes te battre ?"
"Pas tant que ça..."
"Et l'argent ?"
Décidement, ce type est dangereux...
"Tout le monde a besoin d'argent à un moment ou à un autre..."
"Ouais. Et aussi de distraction. Il n'y a pas grand chose à faire ici. Alors on s'organise des combats régulièrement. Un tournoi à élimination directe."
"Et vous faites des paris sur les vainqueurs, c'est ça ?"
"Exactement. Les demi-finalistes gagnent 20 000 berries. Le finaliste 30 000, et le gagnant 50 000. Ça casse pas trois pattes à un canard, mais c'est le maximum qu'on peut donner aux gagnants sans que ceux qui organisent les paris ne perdent de l'argent."
"Et on cherche toujours de nouvelles têtes pour épicer un peu les combats et les paris. Voir toujours les mêmes combats et les mêmes gagnants, c'est morne."
"Et c'est légal ça ?"
"On a oublié de demander au commandant ce qu'il en pensait. Tant qu'il ne donne pas son avis, ce n'est pas illégal, et personne n'est a blâmé si c'est découvert un jour."
"Ce qui est pratique..."
"Ouais. Alors, interessé ?"
Et voilà comment on se retrouve quelques dizaines de minutes plus tard dans le sous-sol aménagé en arène d'une grande maison. Il y avait là une petite centaine de spectateurs. Et apparemment, une bonne quinzaine de participants.
"Seize combattants enregistrés. C'est parfait. Si tu gagne ton huitième et ton quart, tu es sur de repartir avec de l'argent, sympa non ? Seulement deux combats."
"Mouais. Quelles sont les règles ?"
"Combat libre. Armes de mêlée autorisées, mais pas les armes à feu. Il est interdit de tuer ou de blesser sérieusement l'adversaire."
"Pas de temps limite. Le vainqueur est déterminé lorsque son adversaire abandonne, ou s'il est mis KO. Encore une fois, attention de ne pas tuer."
"Les combattants sont tirés au sort au départ, ensuite, on suit le tableau ainsi fait, on ne re-tire pas au sort parmi les gagnants. On peut donc voir dès le tout début qui on peut affronter et si on les rencontrera en finale, en demi, en quart..."
"Ce qui permet de faire des paris pour savoir jusqu'où iront les favoris. Je vois le principe."
"Dernier point, les combattants utilisent des pseudonymes. Cela nous permet de discuter des combats, sans que les noms des impliqués circulent. Si l'arène est un jour interdite, personnes ne sera trahi comme participant par son nom."
"D'accord."
"Je t'ai inscrit comme Dead-eye. Bien, on va commencer le tirage au sort ?"
"QUOI ?"
Il se fout de moi ou il a voulu faire de l'humour à deux balles ? Dead-eye ? Mais sans se préoccuper de mon regard noir, il va au centre de l'arène, et fait un petit discours, puis tire des papiers avec des noms.
"Tu n'as pas l'air inquiet."
"A quoi ça sert de s'inquiéter ? C'est juste de la fatigue nerveuse."
"A quoi ça SERT ? Normalement, on ne choisit pas d'être inquiet."
"Ce n'est pas mon avis."
"Combattant numéro trois: un nouveau venu, Dead-eye."
"Ah, il vient de t'annoncer. On va savoir contre qui tu te bats."
"Combattant numéro quatre: Poing d'acier."
Des acclamations retentissent. Il a l'air d'être populaire.
"Ouch."
"Je peux en savoir un peu plus sur ce Poing d'acier que « ouch » ?"
"C'est l'un des deux favoris. Il a gagné le dernier tournoi, même si l'autre favori n'était pas là la dernière fois, il ne l'a pas volé. Il se bat à mains nues, c'est un boxeur. Il a un uppercut dévastateur."
"Un boxeur. Et j'ai droit à mon épée donc ?"
"Oui."
Bon. On, verra bien. Le tirage se poursuit.
"Combattant numéro sept: un autre nouveau venu, le Sérénissime Empereur de l'Univers !"
Le marine organisateur se marre en annonçant cela. Drôle de nom. Je me demande qui oserait s'appeler comme ça.
Le tirage se fini, j'y prête peu attention. Le premier combat commence, je l'observe. Après tout, si je gagne contre Poing d'acier, je me battrais contre le vainqueur de celui-ci. Mais les deux combattants sont d'un niveau guère plus élevé que le soudard du bar, et je me lasse vite du spectacle. Et puis le vainqueur est désigné, et me voilà appelé en piste. Je laisse derrière moi mon pistolet, et me dirige vers le centre de la salle. L'arène elle-même est circulaire, du sable a été étalé au sol pour éviter qu'on ne glisse sur un sol trop lisse. Tout autour, des gens qui crient des encouragements, hurlent des mises, annoncent le montant des paris pour chaque combattant... Et un nom encore et encore : Poing d'acier.
"Sacrément populaire."
"J'ai déjà gagné quatre tournois. Je suis classé deuxième au nombre de victoires finales. Encore trois victoires, et je serais premier."
"Ta vie est passionnante."
L'homme se met en garde, poings devant le visage. Puisqu'il prend une garde haute, autant que j'en prenne une basse. Je prends la posture du serpent, à ma droite.
"Commencez le combat !"
Mon adversaire s'approche à petit pas. Il est un peu plus petit que moi, mais bien plus épais et costaud. Je le laisse s'approcher. Un avantage des épées bâtardes, c'est leur portée. Je le laisse donc entrer dans la zone que je peux atteindre, et s'approcher encore un peu...
J'attaque d'un seul coup, fauchant au niveau des hanches. Interdiction de tuer ou non, si le coup avait porté, son intestin se viderait sur le sable. Mais Poing d'acier sauta en arrière, puis ressauta aussitôt en avant sur ma droite, alors que l'élan de mon coup emmenait mon arme à ma gauche.
Rapide ! Il utilise le haut de son corps comme balancier pour freiner ou accélérer, et des petits bonds pour se rapprocher ou s’éloigner tout en conservant une grande capacité de réaction. C'est sans aucun doute un boxeur confirmé. Je bondi immédiatement en arrière, tout en levant les bras. Ce qui me déséquilibre à cause du poids de l'épée, toujours en mouvement, mais je parviens à parer du coude le coup qui visait mon menton.
En équilibre précaire, il va me falloir au moins une seconde pour ramener mon épée. Je vais me faire défoncer. Je me laisse alors tomber à terre, repli aussitôt ma jambe droite, tentant de coincer la sienne, et roule sur le côté. Nous voilà tout deux par terre, et je me relève, épée en main, lui en garde, l'air furieux.
"Le problème des boxeurs, c'est qu'il ne savent pas se battre contre un ennemi au sol, non ?"
"Ça a marché une fois. La prochaine, je te casse les rotules tricheur !"
"Tricheur ? Ce n'est pas une compétition sportive. Depuis quand un combat s'embête de règles ?"
Sans répondre, il me fonce dessus. Je pare un coup avec mon épée, un deuxième est évité de justesse et mon oreille siffle et chauffe désagréablement. Son jeu de jambes est chiant. Il se précipite à l'intérieur de la portée maximale de mon épée, m'empêchant de bien utiliser son amplitude. Je saute en arrière, encore. Pas le choix... Je me met en garde du faucon, épée tenue au dessus de ma tête. Il s'approche doucement, méfiant. Le combat n'est sans doute pas aussi simple qu'il l'espérait.
Si je frappe fort dans cette position, il ne peut qu'éviter. Il ne va pas essayer de parer mon épée avec ses poings. Si je frappe au milieu, je suis mal. Mais si je frappe légèrement sur un côté, il esquivera de l'autre. Je n'aurais plus qu'à incurver la trajectoire dans le même mouvement, et je devrais avoir son flanc ou sa jambe. Et s'il tente le coup de folie d'esquiver du côté ou j'attaque, je n'aurais qu'à forcer et... Bon il mourra et je serais dans la merde. Mon dieu, faite qu'il essaye d'esquiver normalement.
Lentement, il approche, puis se rue sur moi. J'abaisse violemment mon arme sur sa droite, et il se projette sur sa gauche. Parfait. Je me tord violemment le torse vers ma droite. Je vois ses yeux s’éclairer de rage, il comprend qu'il ne peut éviter. Il tente tout de même, mais là, il ne sera pas assez rapide. Je tourne légèrement mes mains pour que le plat de la lame frappe, et non un des côtés tranchants, et je sens un choc plaisant dans mes bras. Sa jambe en prend un sacré coup.
Un deuxième choc beaucoup moins plaisant m'arrive dans la pommette. Et nous revoilà de nouveau tout deux par terre. Décidément, ce type est réellement costaud. Il a réussi à contre-attaquer dans cette situation, et m'a mis un bon pain dans la figure. J'ai la tête qui tourne, et je sens du sang dans ma bouche. Je me suis apparemment mordu l'intérieur d'une joue lors du coup. Je me remet à quatre pattes, puis me relève, difficilement. Vertiges... Nausées. Je me passe la main sur la figure. Ça va à peu près.
Poing d'acier se relève aussi. Mon coup lui a balayé la jambe droite, qui est venu percuter la gauche et l'a envoyé manger la poussière. Il semble avoir du mal à tenir debout. En fait, il tient debout sur une seule jambe.
"On arrête là, ta jambe est cassé."
"Je n'ai pas abandonné !"
"Rien à faire, c'est fini."
Je ne tiens pas à me faire écharper par sa centaine de potes qui nous regardent... Déjà que l'immense majorité semblent fous furieux. Ils avaient dus parier sur le favori, pas le petit nouveau.
"J'ai dit que je n'ai pas abandonné !"
"Ok... "
J'avance vers le marine courageux et borné. Bon combattant ceci dit. Et je lui abat mon épée sur le crâne. Sans cérémonie. Ce n'est pas comme s'il pouvait esquiver sur une jambe, de toute façon, et le fait qu'il ait mis les mains pour se protéger n'y change rien. Le voilà à terre, cette fois-ci pour de bon. Je quitte l'arène, fatigué. J'ai quand même pris une sale coup dans la figure, et je sens que celle-ci enfle. Sans compter que j'ai encore la tête qui tourne un peu...
"Incroyable, notre nouveau combattant, Dead-eye, sort Poing d'acier dès le premier tour et avance en quart de finale ! Et maintenant, le match suivant, entre..."
"Beau combat."
"Pas parler. Maintenant. "
J'ai envie de vomir. L'effet du coup à la tête. Le contre-coup en fait. Mal de crâne... Je n'observe pas le troisième match, dont on annonce vite le vainqueur.
"Le quatrième combat opposera le Sérénissime Empereur de l'Univers à..."
Mais c'est le type que j'ai vu en ville plus tôt ! Le snob qui avait l'air d'être un nobliau en vacances, avec ses nattes et son manteau brodé. Il sait se battre ?
A présent, je pouvais voir des pics montagneux se détachant au loin, le verdoiement des prairies et des forêts, et le gris de la côte. Le navire s'approche, et aborde l'un des pontons d'amarrage du port. J'observe la manœuvre, rapidement et efficacement effectuée par les marins, manifestement chevronnés. Puis on débarque, enfin.
Je ne sais même pas comment s'appelle l'équipage de Valtien. Sur Silthe, ils étaient nommés « les corbeaux », car apparemment, leur pavillon était doté d'un de ces volatiles (quoique personne n'ait pu me le décrire précisément). Mais ils devaient bien avoir un nom officiel. Ne pas le connaître allait compliquer mes recherches, mais bon, je ferais avec.
Première étape, le QG de la marine local. S'ils sont sympa, ils m'écouteront, et pourront peut-être me renseigner. Si ce sont des connards... Deuxième étape, trouver des gens sympa dans la ville, prêter l'oreille aux rumeurs... Troisième étape, se faire de l'argent. Parce que je n'irais pas loin avec des piécettes. Rien d'insurmontable en somme. Il me faut juste énormément de chance et que tout se goupille parfaitement, et je pourrais suivre les corbeaux...
Un peu démoralisé, je marche vers le QG, surplombant la ville. Il est fermé. Pas de gardes, personne près de l'entrée. Je suis un peu surpris, pour le coup. C'est une base désaffecté, ou ils partent tous pour le déjeuner ? C'est quoi ces guignols...
"Salut. Tu fais quoi là ?"
Un marine m'interpelle du haut des remparts. Ah baa, pas trop tôt.
"Je viens d'arriver sur cette île. Je cherche des renseignements sur un équipage pirate qui a attaqué mon royaume."
"T'es pas au bon endroit mon gars. Ici c'est la caserne, où on loge et on s'entraîne, mais pour faciliter le contact avec les civils, on a une attache en ville. C'est là qu'on fait tout l'administratif. C'est eux qu'il faut que t'aille voir."
Génial... Le marine m'indique le nom de la rue, et je redescends en ville. Un aller-retour pour rien. Je me dirige à l'endroit mentionné, et vois en effet un panneau stipulant que l'endroit appartient à la marine.
"Maman, le monsieur il n'a qu'un œil !"
"Chut Timothée !"
"Mais c'est moche !"
La mère se dépêche d'emmener son rejeton. Sale gosse... Je les regarde partir d'un air mauvais, puis entre dans le bureau. L'endroit est agréable. Un comptoir en noyer, manifestement bien ciré, occupe la majeure partie de la pièce. L'endroit sent le bois et le café. Un employé boit dans une tasse en lisant le journal, ne m'ayant manifestement pas vu entrer. Son uniforme blanc et bleu le désigne comme un marine, mais il a une barrette sur chaque épaulette. Un sous-officier sans doute.
"Bonjour."
"Bonjour. En quoi puis-je vous aider ?"
Le ton de la voix est neutre, mais engageant. Quelqu'un qui pousse les gens à parler. C'était sans doute un bon choix de le caler à l'administratif. Un petit badge sur son uniforme annonce le caporal Young.
"Je cherche des informations."
"Quel genre d'informations ?"
"Je viens du royaume de Silthe. J'ai été envoyé par le maître marchand Peltar, qui a été dévalisé. Des pirates ont attaqués son navire alors qu'il allait prendre la mer, pillant sa cargaison."
"Je n'étais pas au courant d'un tel événement. Et qu'est-ce qui vous amène sur Verterre ?"
"Les pirates se sont enfuis, et maître Peltar souhaiterait savoir s'ils ont été arrêtés, pour que sa cargaison lui soit restitué. Il m'a donc envoyé sur leurs traces pour découvrir ce qu'ils étaient devenus."
"Je vous souhaite bien du courage alors. Les biens confisqués aux pirates retrouvent rarement leurs propriétaires d'origines. Vous avez intérêt à avoir plein de papiers certifiant la propriété des objets volés, mais même avec, ça prendra du temps."
"Ne m'en parlez pas... Je crois que je ne rentrerais pas de chez moi de sitôt..."
"A supposer que les pirates soient arrêtés. Vous avez leur nom d'équipage, la description du pavillon, un moyen d'identification ?"
"J'ignore comment ils se nomment eux-mêmes, mais nous les appelons les corbeaux. D'après les témoins visuel, leur pavillon arbore un corbeau sur des os."
"Ça ne me dit rien. Je vais aller chercher le livre qui recense les équipages pirates. Prenez du café en attendant, si vous voulez."
Le marine ouvre une porte derrière le comptoir, et me voilà seul. Bon. Je prends une tasse et me sert du café. Celle du sous-officier est toujours là. Tiens, c'est l'occasion de tester le mélange de restes de plantes que j'ai fait en partant de Silthe. Je vérifie qu'il n'y a personne aux alentours pouvant me voir, puis sort une fiole en verre d'une des poches de ma veste, et en vide quelques gouttes dans la tasse oubliée.
Je sirote tranquillement mon café lorsque le caporal revient, un lourd volume dans les bras.
"Bon, regardons ça."
"Votre café n'est pas fabuleux."
"Ah ? Désolé qu'il ne vous plaise pas."
C'est surtout ma remarque qui ne lui a pas plu, et comme pour me contredire, il avale une gorgée de sa tasse, et fait une grimace, avant de lui jeter un drôle de regard. Puis il revient près du comptoir.
"Bon. Alors, les corbeaux... Rien. Mais si ce n'est pas leur nom, c'est normal. Dans les pavillons, en revanche, on n'a rien avec un corbeau non plus. Ni même un quelconque oiseau."
"Donc ils ne sont pas recensés."
"Non. Ça veut dire que nous n'avons aucune information sur eux pour l'instant. C'est peut-être un équipage récent. Si ça se trouve, vous aurez des nouvelles d'eux dans les mois qui viennent. Mais pour l'instant, je ne peux pas vous aider. Il faut dire que nous sommes une petite base un peu isolée, qui n'a pas les dernières nouvelles. Si vous allez sur Inu Town ou Manshon, vous en saurez peut-être plus. Luvneel est aussi un grand royaume. Le plus grand de North Blue. Mais là-bas, il n'y a pas de marine, il faudra se renseigner autrement."
"D'accord. Merci de votre aide caporal."
"De rien."
Rien ici. Ce sont des pirates inconnus. C'est le pire scénario possible. Ecouter les rumeurs ne sert à rien non plus, personne ne sera au courant de plus que ce que savent ces gens, ou que ce que j'ai appris sur Silthe. Inu, Manshon ou Luvneel donc... Mais pour aller là-bas, il me faut de l'argent. Je suis très mal barré...
J'entends alors un râle puis des crachats. Je me retourne, et voit le sous-officier qui commence à vomir. Tiens, intéressant ça.
"Ça va ?"
Je me rapproche. L'homme est en sueur, se tient au comptoir et recommence à vomir. Je vois son ventre tressaillir. Des spasmes stomacaux ? Je m'approche, le prend par le bras, et l'aide à se redresser.
"Venez, on va s’asseoir là-bas, rester debout est une mauvaise idée quand on n'est pas bien."
"Merci... Je crois que vous aviez raison. Pas bon le café."
"Il n'avait pas très bon goût, mais de là à vous faire régurgiter le petit déjeuner... Vous avez mangé quoi récemment ?"
L'homme me fit signe de s'éloigner, eut quelques spasmes et se remit à vomir. Oui, définitivement une réaction déclenchée par l'estomac. Et rapide. Cependant il avait déjà l'air d'aller mieux. Potion à utilité peu évidente, donc, mais qui valait le coup d'être notée quelque part.
Cinq minutes plus tard, le caporal se sent mieux, mon départ ne sera pas suspect, et j'ai mentalement noté les différents stades qu'il a vécu, je repars donc.
Manshon, Inu town et Luvneel. Mes meilleurs chances d'en apprendre un peu plus sur l’équipage de Valtien... Et bien j'irais les visiter, toutes les trois s'il le faut, et j'apprendrais où ils sont. Je ne lâcherais pas l'affaire.
A supposer que ce Valtien soit bien ton frère...
"Ça doit être lui. Ça ne peut que être lui. Il faut que ce soit lui..."
Oui, je me doute que c'est important pour toi, mais évite de parler tout seul en pleine rue, les gens te regardent bizarrement.
Je lève la tête, et effectivement, on me regarde bizarrement. Il faut dire qu'entre mon bandeau qui recouvre mon œil gauche, mon manteau sale, et mes paroles destinées à moi-même, me and myself, je dois paraître curieux.
Je ne suis pas le seul à attirer les regards, pour autant. Un esclandre semble avoir lieu plus loin. Un grand type, presque ma taille parle fort là-bas. Son manteau à lui est impeccable, neuf ou presque et sans tâche. Couleur vert et or. En dessous habillé en blanc. Pas vraiment discret. Mais le plus étrange est sa coiffure. Déjà, il est blond, ce qui n'est pas courant dans cette ville, d'après ce que j'ai pu voir, mais surtout, il a trois nattes. Depuis quand les hommes se font des nattes ? C'est un travelo ?
"Incroyable. C'est du vin d'ici que vous me servez ? Apprenez que le grand Lloyd Barrel ne boit que du vin des îles !"
"Personne ne va livrer du vin des îles dans une petite ville comme la nôtre, mais notre production locale est excellente. Sinon, nous avons de la bière qui est aussi..."
"De la bière ! Vous voulez m'empoisonner ou quoi ? Je ne bois pas des choses aussi vulgaire."
Un snob. Sans doute un nobliau en villégiature.
Mes pas m'emmène à présent vers le port. Logique, il faut que je reprenne la mer. Mais avec quel argent ? Me voilà près des navires, et je marche, encore, sans but, sans réflexion, errant pour passer le temps. Se vider la tête de temps en temps, ça fait un bien fou. Me voilà dans une zone non construire. Je suis sorti de la ville. Plus rien ici, que l'herbe, les rochers, le sable et la mer. C'est apaisant.
Je saute dans le sable, et ôte mes chaussures. Mes pieds accueillent avec plaisir le sable doux et chaud. Le soleil à fait son œuvre, la température est agréable. Je m'enfonce un peu, et les grains me chatouillent les orteils. J'approche du bord, le sable devient plus dur et humide. J'avance encore, le voilà à présent meuble, alors que les vagues viennent me lécher les pieds.
Les pieds dans le sable, le bruit des vagues, du soleil. La perfection. Je m'allonge un moment, pour décompresser. C'est la première fois que je quitte Silthe après tout.
Je me réveille en sursaut. Le soleil a bien avancé, et ne va pas tarder à se coucher. Bon aller, la récréation est finie, il faut que je trouve du boulot. Je rentre en ville, et constate avec déception que les échoppes ferment. La recherche d'un emploi commencera demain. A moins que je ne vole ce dont j'ai besoin, ce serait sans doute bien plus rapide... En attendant, je me dirige vers un bar et m'y installe. Des marines y sont déjà, et semblent fêter quelque chose.
"À Poing d'acier, qui nous a encore fait rêver !"
"À la générosité de Thomson, qui nous invite tous ce soir !"
"Hé ! J'ai jamais dit que je vous invitait !"
Je m'installe aussi, commande une bière (encore des berries en moins, ouille...), mais avant même que je n'en ai bu une gorgée, l'un des marines, ayant manifestement déjà trop consommé, trébuche et s’étale sur ma table. Celle-ci se renverse. Pas ma choppe. Non, elle est projetée en l'air, décrit une trajectoire élégante se finissant droit sur mon nez. J'arrive de justesse à l'esquiver, évitant d'avoir les cartilages nasaux brisés, mais le contenu m'asperge abondamment au passage, et me voilà à présent sale ET puant le houblon...
"C'est une blague ou quoi..."
"Tu pouvais pas faire gaffe. Bordel."
Et en plus ce couillon de marine m'insulte !
Sans même réfléchir un instant aux conséquences, mon épée sort de son fourreau, et je me retrouve épée en main. Le marine s'est relevé, et me voyant arme en main, dégaine aussi. Un de ces compères vient l'aider. Les autres semblent plutôt vouloir calmer le jeu.
"Holà, du calme. Tetsuo, c'est de ta faute, alors rengaine."
"Nan nan nan, personne ne me fais de croche-pied sans le payer."
Crétin... Il s'approche de moi, confiant. Je prends mon épée à deux mains, et la lève, en garde du faucon. Il est droitier. Son copain aussi. Bon.
Il fonce et me donne un coup de taille aux côtes. Amateur. J'abats violemment mon épée sur mon flanc gauche, les deux lames se heurtent dans un bruit métallique. Le poids de mon coup, bien plus fort que le sien vu ma position dominante, déséquilibre sa prise. Ma main droite lâche la garde de mon arme. La gauche pivote, et ma lame vient bloquer la sienne, pointe vers le sol, afin qu'il ne puisse la remonter. Dans le même mouvement, j'avance la jambe droite, me retrouvant à quelques centimètres de lui, et le frappe violemment à la tête du poing droit. Le soudard retrouve le sol.
Son ami approche, mais je relève mon épée, et l'attrape à deux mains pour parer le coup. D'un grand mouvement circulaire, je nous désengage. Il n'est pas très rapide. Je met met en garde du serpent, cette fois-ci, mes poignets sur ma hanche gauche, la lame tenue à deux mains, pointe au sol derrière moi. L'homme se rapproche, mais cette fois-ci, c'est moi qui lui fonce dessus. La vitesse de charge et le coup porté à deux mains balaye sa faible défense, et le voilà lui aussi au sol pendant que son épée valdingue dans les airs.
Ils étaient cinq il me semble, les trois autres ont du dégainer maintenant. Je me tourne légèrement vers la droite. Tiens, non. Ils applaudissent...
"Impressionnant."
"Jolie technique à l'épée. La longueur de la lame est inhabituelle cependant. D'où venez-vous ?"
Attendez... Attendez... Il se passe quoi là ?
Ah, le soudard se relève.
"Putain... Les gars, aidez-moi."
"Bon, tu arrêtes tes conneries maintenant Tetsuo. C'était de ta faute et tu t'es fait étalé. N'en rajoutes pas."
"T'es vraiment nase Tetsuo. Je parierais jamais sur toi."
Les deux marines se relèvent, rouges sous les railleries de leurs camarades, mais leurs envies belliqueuses semblent passées.
"Cette épée, elle est faite pour se battre à la fois à deux mains ou d'une seule, c'est ça ?"
"Oui. C'est une épée à une main-et-demie."
"Première fois que je vois ça. C'est pratique, mais ça doit fatiguer plus vite que les sabres normaux. Dans une bataille qui dure, ça peut se retourner contre son utilisateur..."
Lui, il est pas bête. Si on se bat, il sera plus costaud que les deux d'avant...
"On s'en fout de l'épée. Dis moi mon gars, tu aimes te battre ?"
"Pas tant que ça..."
"Et l'argent ?"
Décidement, ce type est dangereux...
"Tout le monde a besoin d'argent à un moment ou à un autre..."
"Ouais. Et aussi de distraction. Il n'y a pas grand chose à faire ici. Alors on s'organise des combats régulièrement. Un tournoi à élimination directe."
"Et vous faites des paris sur les vainqueurs, c'est ça ?"
"Exactement. Les demi-finalistes gagnent 20 000 berries. Le finaliste 30 000, et le gagnant 50 000. Ça casse pas trois pattes à un canard, mais c'est le maximum qu'on peut donner aux gagnants sans que ceux qui organisent les paris ne perdent de l'argent."
"Et on cherche toujours de nouvelles têtes pour épicer un peu les combats et les paris. Voir toujours les mêmes combats et les mêmes gagnants, c'est morne."
"Et c'est légal ça ?"
"On a oublié de demander au commandant ce qu'il en pensait. Tant qu'il ne donne pas son avis, ce n'est pas illégal, et personne n'est a blâmé si c'est découvert un jour."
"Ce qui est pratique..."
"Ouais. Alors, interessé ?"
Et voilà comment on se retrouve quelques dizaines de minutes plus tard dans le sous-sol aménagé en arène d'une grande maison. Il y avait là une petite centaine de spectateurs. Et apparemment, une bonne quinzaine de participants.
"Seize combattants enregistrés. C'est parfait. Si tu gagne ton huitième et ton quart, tu es sur de repartir avec de l'argent, sympa non ? Seulement deux combats."
"Mouais. Quelles sont les règles ?"
"Combat libre. Armes de mêlée autorisées, mais pas les armes à feu. Il est interdit de tuer ou de blesser sérieusement l'adversaire."
"Pas de temps limite. Le vainqueur est déterminé lorsque son adversaire abandonne, ou s'il est mis KO. Encore une fois, attention de ne pas tuer."
"Les combattants sont tirés au sort au départ, ensuite, on suit le tableau ainsi fait, on ne re-tire pas au sort parmi les gagnants. On peut donc voir dès le tout début qui on peut affronter et si on les rencontrera en finale, en demi, en quart..."
"Ce qui permet de faire des paris pour savoir jusqu'où iront les favoris. Je vois le principe."
"Dernier point, les combattants utilisent des pseudonymes. Cela nous permet de discuter des combats, sans que les noms des impliqués circulent. Si l'arène est un jour interdite, personnes ne sera trahi comme participant par son nom."
"D'accord."
"Je t'ai inscrit comme Dead-eye. Bien, on va commencer le tirage au sort ?"
"QUOI ?"
Il se fout de moi ou il a voulu faire de l'humour à deux balles ? Dead-eye ? Mais sans se préoccuper de mon regard noir, il va au centre de l'arène, et fait un petit discours, puis tire des papiers avec des noms.
"Tu n'as pas l'air inquiet."
"A quoi ça sert de s'inquiéter ? C'est juste de la fatigue nerveuse."
"A quoi ça SERT ? Normalement, on ne choisit pas d'être inquiet."
"Ce n'est pas mon avis."
"Combattant numéro trois: un nouveau venu, Dead-eye."
"Ah, il vient de t'annoncer. On va savoir contre qui tu te bats."
"Combattant numéro quatre: Poing d'acier."
Des acclamations retentissent. Il a l'air d'être populaire.
"Ouch."
"Je peux en savoir un peu plus sur ce Poing d'acier que « ouch » ?"
"C'est l'un des deux favoris. Il a gagné le dernier tournoi, même si l'autre favori n'était pas là la dernière fois, il ne l'a pas volé. Il se bat à mains nues, c'est un boxeur. Il a un uppercut dévastateur."
"Un boxeur. Et j'ai droit à mon épée donc ?"
"Oui."
Bon. On, verra bien. Le tirage se poursuit.
"Combattant numéro sept: un autre nouveau venu, le Sérénissime Empereur de l'Univers !"
Le marine organisateur se marre en annonçant cela. Drôle de nom. Je me demande qui oserait s'appeler comme ça.
Le tirage se fini, j'y prête peu attention. Le premier combat commence, je l'observe. Après tout, si je gagne contre Poing d'acier, je me battrais contre le vainqueur de celui-ci. Mais les deux combattants sont d'un niveau guère plus élevé que le soudard du bar, et je me lasse vite du spectacle. Et puis le vainqueur est désigné, et me voilà appelé en piste. Je laisse derrière moi mon pistolet, et me dirige vers le centre de la salle. L'arène elle-même est circulaire, du sable a été étalé au sol pour éviter qu'on ne glisse sur un sol trop lisse. Tout autour, des gens qui crient des encouragements, hurlent des mises, annoncent le montant des paris pour chaque combattant... Et un nom encore et encore : Poing d'acier.
"Sacrément populaire."
"J'ai déjà gagné quatre tournois. Je suis classé deuxième au nombre de victoires finales. Encore trois victoires, et je serais premier."
"Ta vie est passionnante."
L'homme se met en garde, poings devant le visage. Puisqu'il prend une garde haute, autant que j'en prenne une basse. Je prends la posture du serpent, à ma droite.
"Commencez le combat !"
Mon adversaire s'approche à petit pas. Il est un peu plus petit que moi, mais bien plus épais et costaud. Je le laisse s'approcher. Un avantage des épées bâtardes, c'est leur portée. Je le laisse donc entrer dans la zone que je peux atteindre, et s'approcher encore un peu...
J'attaque d'un seul coup, fauchant au niveau des hanches. Interdiction de tuer ou non, si le coup avait porté, son intestin se viderait sur le sable. Mais Poing d'acier sauta en arrière, puis ressauta aussitôt en avant sur ma droite, alors que l'élan de mon coup emmenait mon arme à ma gauche.
Rapide ! Il utilise le haut de son corps comme balancier pour freiner ou accélérer, et des petits bonds pour se rapprocher ou s’éloigner tout en conservant une grande capacité de réaction. C'est sans aucun doute un boxeur confirmé. Je bondi immédiatement en arrière, tout en levant les bras. Ce qui me déséquilibre à cause du poids de l'épée, toujours en mouvement, mais je parviens à parer du coude le coup qui visait mon menton.
En équilibre précaire, il va me falloir au moins une seconde pour ramener mon épée. Je vais me faire défoncer. Je me laisse alors tomber à terre, repli aussitôt ma jambe droite, tentant de coincer la sienne, et roule sur le côté. Nous voilà tout deux par terre, et je me relève, épée en main, lui en garde, l'air furieux.
"Le problème des boxeurs, c'est qu'il ne savent pas se battre contre un ennemi au sol, non ?"
"Ça a marché une fois. La prochaine, je te casse les rotules tricheur !"
"Tricheur ? Ce n'est pas une compétition sportive. Depuis quand un combat s'embête de règles ?"
Sans répondre, il me fonce dessus. Je pare un coup avec mon épée, un deuxième est évité de justesse et mon oreille siffle et chauffe désagréablement. Son jeu de jambes est chiant. Il se précipite à l'intérieur de la portée maximale de mon épée, m'empêchant de bien utiliser son amplitude. Je saute en arrière, encore. Pas le choix... Je me met en garde du faucon, épée tenue au dessus de ma tête. Il s'approche doucement, méfiant. Le combat n'est sans doute pas aussi simple qu'il l'espérait.
Si je frappe fort dans cette position, il ne peut qu'éviter. Il ne va pas essayer de parer mon épée avec ses poings. Si je frappe au milieu, je suis mal. Mais si je frappe légèrement sur un côté, il esquivera de l'autre. Je n'aurais plus qu'à incurver la trajectoire dans le même mouvement, et je devrais avoir son flanc ou sa jambe. Et s'il tente le coup de folie d'esquiver du côté ou j'attaque, je n'aurais qu'à forcer et... Bon il mourra et je serais dans la merde. Mon dieu, faite qu'il essaye d'esquiver normalement.
Lentement, il approche, puis se rue sur moi. J'abaisse violemment mon arme sur sa droite, et il se projette sur sa gauche. Parfait. Je me tord violemment le torse vers ma droite. Je vois ses yeux s’éclairer de rage, il comprend qu'il ne peut éviter. Il tente tout de même, mais là, il ne sera pas assez rapide. Je tourne légèrement mes mains pour que le plat de la lame frappe, et non un des côtés tranchants, et je sens un choc plaisant dans mes bras. Sa jambe en prend un sacré coup.
Un deuxième choc beaucoup moins plaisant m'arrive dans la pommette. Et nous revoilà de nouveau tout deux par terre. Décidément, ce type est réellement costaud. Il a réussi à contre-attaquer dans cette situation, et m'a mis un bon pain dans la figure. J'ai la tête qui tourne, et je sens du sang dans ma bouche. Je me suis apparemment mordu l'intérieur d'une joue lors du coup. Je me remet à quatre pattes, puis me relève, difficilement. Vertiges... Nausées. Je me passe la main sur la figure. Ça va à peu près.
Poing d'acier se relève aussi. Mon coup lui a balayé la jambe droite, qui est venu percuter la gauche et l'a envoyé manger la poussière. Il semble avoir du mal à tenir debout. En fait, il tient debout sur une seule jambe.
"On arrête là, ta jambe est cassé."
"Je n'ai pas abandonné !"
"Rien à faire, c'est fini."
Je ne tiens pas à me faire écharper par sa centaine de potes qui nous regardent... Déjà que l'immense majorité semblent fous furieux. Ils avaient dus parier sur le favori, pas le petit nouveau.
"J'ai dit que je n'ai pas abandonné !"
"Ok... "
J'avance vers le marine courageux et borné. Bon combattant ceci dit. Et je lui abat mon épée sur le crâne. Sans cérémonie. Ce n'est pas comme s'il pouvait esquiver sur une jambe, de toute façon, et le fait qu'il ait mis les mains pour se protéger n'y change rien. Le voilà à terre, cette fois-ci pour de bon. Je quitte l'arène, fatigué. J'ai quand même pris une sale coup dans la figure, et je sens que celle-ci enfle. Sans compter que j'ai encore la tête qui tourne un peu...
"Incroyable, notre nouveau combattant, Dead-eye, sort Poing d'acier dès le premier tour et avance en quart de finale ! Et maintenant, le match suivant, entre..."
"Beau combat."
"Pas parler. Maintenant. "
J'ai envie de vomir. L'effet du coup à la tête. Le contre-coup en fait. Mal de crâne... Je n'observe pas le troisième match, dont on annonce vite le vainqueur.
"Le quatrième combat opposera le Sérénissime Empereur de l'Univers à..."
Mais c'est le type que j'ai vu en ville plus tôt ! Le snob qui avait l'air d'être un nobliau en vacances, avec ses nattes et son manteau brodé. Il sait se battre ?
Dernière édition par Yskino Haynell le Dim 21 Avr 2013 - 19:13, édité 1 fois