Les deux mains derrière la tête, le regard en direction du ciel, Balay respirait paisiblement et savourait l’air iodé qui emplissait ses narines depuis le début de sa modeste épopée. Projetant son esprit vers ses proches, ses amis et sa famille dans le but de ressentir un peu de réconfort – qui semblait avoir bien plus de valeur que tous les trésors qu’il aurait pu trouver sur les mers – et de chasser la solitude qui gagnait un peu plus de terrain à chaque instant dans l’esprit du jeune garçon, de dernier s’essayait à faire des plans sur la comète. Rempli jusqu’à ras-bord de cet espoir candide qui satisfait tous les jeunes boucaniers en quête d’aventure, il se contorsionnait dans tous les sens, fendant l’air avec son petit sabre émoussé, imaginant perforer l’un après l’autre une armée d’adversaires chimériques tous plus coriaces les uns que les autres dans des passes d’armes spectaculaires. Néophyte dans le maniement des armes, il manqua à plusieurs reprises de se blesser lui-même – dans un moulinet maladroit ou une fente hasardeuse – et se rendit rapidement compte de son niveau ridicule.
Quelques minutes de piètre entraînement plus tard, Konrad rangea son sabre à sa ceinture et se rassit au fond de son embarcation, essoufflé. Ces courtes séances de pratique quotidienne semblaient s’imposer au jeune aventurier comme une activité indispensable à la conservation de sa santé mentale – on se faisait, soyons honnêtes, plutôt chier au milieu des Blues – et physique : crever comme un moucheron à la première étincelle aurait été pitoyable. Ayant grandi dans la paix la plus pure, Balay n’envisageait pas la violence comme un loisir, ni même comme une activité. Diplomate dans l’âme, il préférait percevoir la force comme un des multiples outils qui étaient à sa disposition dans l’optique de se rapprocher un peu plus de son rêve, de ses objectifs. Rêveur à ses heures perdues, il s’imaginait batailles mythiques, affrontements titanesques et discours enflammés sur la surface barbante de l’eau qui s’étalait devant lui à perte de vue. Ainsi, quelle fut sa surprise lorsqu'il releva la tête, arraché à sa rêverie par le bruit d'une coque en bois qui se frotte contre une autre : un navire ! D'un coup d'un seul, comme si on lui avait piqué les fesses avec une aiguille, il se redressa vivement : il avait baissé sa garde, et le jeune homme pesta contre lui-même, une main à la ceinture. Cependant, à peine eut-il le temps de réfléchir – au risque de se faire mal – à un plan d'action qu’une petite tête s’extirpa du bord du navire – d’un gabarit tout autre que le bateau en papier mâché de Konrad – et apostropha le jeune homme d’un air enchanté :
« Bonjour, l’amiii ! Les étoiles te bercent : elles t’ont mis sur notre chemin !
- … Heeeeeein ?
- J’AI DIT, BONJ…
- J’ai compris, trou du cul ! T’es QUI ?!
- Oh oh oh ! Qui suis-je ? Est-ce réellement important ? Après tout, qu’est-ce qui importe réellement dans la vie ? Et puis, entre nous, qu’est-ce que la vie ? Ne sommes-nous pas assez complexes, et confrontés quotidiennement à la déchéance de ce monde ? Tant que j'y pense, que penses-tu de la situation géopolitique actuelle ? Vanille ou chocolat ?
- … Et bien…
- Oh oh, tu es un peu con, mais CE N’EST PAS GRAVE : c’est ton jour de chance, car la personne généreuse que je suis t’offre une séance de divination gratuite – et oui, j’ai bien dit graaaatuite – car tu me sembles être un brave garçon ! Ne me remercie pas, c’est tout naturel, car après tout, ne suis-je pas le grand… Abécédé ?
- Euh… »
Balay était abasourdi : il était juste in-ca-pable d'en placer une, et à peine eut-il le temps de rassembler assez d'arguments pour répondre à une seules des interrogations avec lesquelles son interlocuteur le bombardait qu'il était déjà sur le pont de leur navire, juste en face d'une petite tente bleu nuit aux motifs hypnotiques. Cet enfoiré d'Abécédé parlait tellement que pendant quelques secondes, Balay perdit tout contrôle sur sa raison : il crut pendant un instant se faire enchanter, happer dans un trou noir par l'un de ces légendaires joueurs de flûte d'East Blue qui avaient le pouvoir de faire danser la salsa aux plus grosses brutasses des océans et de déshabiller en un dixième de seconde les plus belles beautés dont il soit possible de rêver. Sur cette pensée, Konrad pensa durant un laps de temps infime à égorger le jeune bouffon avec ses propres dents, tant il l'irritait par son omniprésence vocale. C'était lui la star, pas ce résidu de racaille réduite à lire dans les entrailles de poule pour gagner sa vie. Toutefois, il chassa immédiatement cette idée – franchement drôle mais légèrement barbare – de son esprit : on lui avait offert quelque chose de gratuit, tout de même. GRATUIT.
En bon gros pigeon – accepter un cadeau de parfaits inconnus sur la mer, c’est maaal les enfants –, il s’avança jusqu’à pénétrer dans la tente de tissu, où deux étranges protagonistes semblaient vaquer à d’atypiques occupations : un petit homme au chapeau tribal, immobile, semblait plongé dans une méditation aussi profonde que la connerie de Balay et, au fond de la pièce improvisée, une femme attendait, le nez appuyé contre une boule de cristal qui reflétait gracieusement la faible lumière environnante. Des bougies étaient éparpillées ça et là, de manière à donner un aspect spirituel à l’alcôve aux odeurs d'encens exotiques. Sur le point de faire un premier pas en arrière, Balay fut stoppé net par la voix – presque trop – calme du vieil homme au visage sérieux et torturé. Pendant quelques instants, lui et Konrad se regardèrent en chien de faïence, jusqu’à ce que l’expression du vieillard change radicalement : il tendit sa main vers le jeune garçon et replia tous ses doigts – à l’exception de son index. Avec un visage angélique, il s’adressa à notre héros :
« Tire sur mon doigt !
- Oh oh, j’adore ces blagounettes ! Oh, j’espère que c’est pas celle du pet, la dernière fois qu’on me l’a faite, on a dû évacuer le cabaret, yohoho ! »
Il tira sur le doigt.
« Blaireau. »
Bam.
Trou noir.
Dernière édition par Konrad Balay le Sam 23 Mar 2013 - 17:24, édité 2 fois