Tiens ta bestiole, tu veux ?
J'eus le con de réflexe de lever le regard vers ces deux marauds aux gueules cassées. Casés ensemble à papoter tranquille. Ils me parlaient pas. Ils parlaient à ce macaque à la gueule plus effrayante que les flammes de l'enfer. Cette teigne ressemblait à un véritable démon. Hé. Ouais, j'ai cru qu'y causaient du Cormoran. Tu parles. Du foin. Ça n'empêche que j'ai choppé ma bestiole par la gorge pour la planquer sous la table. Histoire de. Pas le genre de mec à faire chier. Pas le genre de jour à faire chier. Et j'ai bien fait puisque le truc hideux à quatre mains vint s'écraser sur ma table sans même me demander la permission. Connard. J'lui jetai un regard noir par dessus mes lunettes passque le soleil faisait mal ce jour là. Le macaque s'en fut vers son maître d'origine qui lui envoya une trempe. Mais putain, on maltraite pas les animaux.
Reste dessous toi ! J'veux pas voir ta tronche d'empaffé avant plus tard.
Ils causèrent encore un peu, sur la table d'à côté. Lui aussi frappa son con de singe comme je tatane mon oiseau. Mais je suis encore gentil avec lui et lui trop con pour me détester. Et puis de toute façon, j'vais pas me plaindre, ça me fait un truc à engueuler. Parce que j'ai essayé de m'engueuler seul. Devant un miroir. J'avoue que j'finis par me frapper. Enfin à frapper mon reflet. C'pas cool pour moi tandis qu'à travers les morceaux brisés, j'me prends à me sourire. Mauvais. Sûr que je me hais. Aussi si sûr que le plumeux bleu il m'aime. Comme un con m'aimerait, comme une peau de colle m'aimerait. Mais il m'aime. Putain de vie où la seule personne qui a de l'esitme pour toi est un con de bestiau bleu qui sait pas trouver ses graines seul.
Tout à l'heure t'auras à grailler.
J'sais que j'ai l'esprit qu'a vagabondé pendant une bonne minute après ça. J'étais bon vagabondeur. J'le suis toujours. Mais j'le regrette. J'ai pas vu rouler les deux trucs rouges à nos pieds à eux. Pas vu non plus qu'ils en étaient venus aux mains comme deux types qui s'insulteraient à une partie de poker. Qu'ils étaient debout et qu'ils avaient pas captés non plus que les boules rouges, c'était pas pour Noël. Et que moi, par dessus mes lunettes dont j'ai horreur, les yeux sur les lumières de la fontaine en plein soleil, j'ai réalisé qu'une fois le feu d'artifice lancé.
Et putain j'ai plus compris. Et merde qu'est-ce que je foutais avec les oreilles comme des autoradios mal réglés. Et bordel il était où ce Cormoran ?
J'me suis relevé brinquebalant comme l'encensoir d'Inari. J'ai du virer trois tables et deux chaises pour ça. Et un bras j'crois. Ma chemise quoi. J'avais le regard hagard ? Sourd au monde. Pas aveugle, mais c'était tout comme. Une âme en peine au milieu d'un champ de décombres. Déjà, j'étais debout. Comment, j'en savais fichtre rien. Parce que je crois que j'avais les guibolles tremblantes. Deux demoiselles me passèrent à côté, gueule ensanglantée. Gueules enflammées. Comme ma gorge. Plus sèche que la vieille d'au-dessus de chez moi. Devant moi, les pauvres s'enfuyaient et les flammes dévoraient les planches de ce qui fut un hôtel chic d'un coin sympa. Que j'appréciais, agréable pour déprimer en paix. Où je n'irai plus.
J'étais là, bugué devant ce spectacle, observai le feu gagner le coin et moi je pensais à mon feu. Mon foyer parti en fumée. Réduit en cendres par ma faute. J'voyais trouble, merde. Choc ? Larmes ? Encore ? J'en savais rien, mais je suis resté immobile devant ce brasier alors qu'autour les déguerpissaient, que mes deux gueules cassées de voisins se faisaient la malle. Séparément, même. Comme mon Cormoran. Putain. Mon Cormoran.
J'cillai comme si j'm'éveillais d'un drôle de rêve. Où la réalité était pire que le rêve, parce que soudain, les sons revinrent dans ma face comme un boomerang. Comme le naturel qui revient au galop. Sur ma tronche. Et les sons faisaient mal aux tympans. J'me crispai et tiquai salement en réalisant dans quelle merde j'étais. En réalisant que j'avais mon putain de côté droit paralysé et ensanglanté. Putain de bombe. Avisant la tâche floue sur le sol, je me penchai pour ramasser ma paire de lunette et voir de nouveau clair. Pour réaliser une seconde fois que mon Cormoran s'était taillé à l'anglaise. Comme s'il avait un putain de don pour fuir les incendies. J'rageai donc. Puis je soulageai malgré moi. Hors de Danger. Comme moi. Mais pas comme eux. Ils couraient, ils criaient, ils se sentaient impuissants. Étaient impuissants face à ce bâtiment en morceaux. Et sur le toit, quatre explosions. Deux types s'écrasèrent près de moi, genre Splatch le Grand Plongeon. Et une pluie de sang. Importante pour les badauds apeurés. Mais j'm'en fichais. Face à moi, y'avait la vie de ma femmes et de mes gosses. Rien à foutre de gueules cassées et de pluie rouge. Mais gamines que j'ai pendu. Ma femme que j'ai immolé. Putain ma femme merde ! Je vais pas la laisser cramer une seconde fois ! Et merde si c'est pas la mienne, c'est tout de même ma femme, dans mon esprit de l'instant, borné et un peu à l'ouest, j'pense. J'allais pas la laisser crever une deuxième fois !
Alors vas-y.
...Ouais...
Vas-y !
...Merde...
Bouge Connard !
Putain.
J'm'élançai à travers la porte, pas totalement consumée et, pas entièrement accrochée, mais complètement enfoncée par ma jambe gauche. Je grimaçai. J'savais pas si je m'étais pété un truc, mais j'avais le bras droit tout engourdi et la jambe lourde. Mais j'y voyais clair. Ouais, la fumée, je la voyais clairement. Et c'était tout ce qu'il m'était possible de voir là-dedans. Je ne savais même pas si je venais de m'engouffrer dans une auberge, dans une chambre d'un particulier, dans une banque, mais tout ce que je savais, c'est que j'étais en enfer. Et que je n'y étais pas seul. Presque à tâtons, j'vrai une chaise de sur mon chemins. J'marchai sur une bouteille en verre et me viandai de tous mon lot dans une bordée d'insultes toutes plus violentes à mon encontre les unes que les autres. Fallait pas que je déconne. Oh mec, non, fallait pas que je déconne. Mais une fois debout dans cette fournaise dont Hansel et Gretel s'étaient servi pour se débarrasser d'une putain de sorcière, eh bien même méchamment salope, la sorcière, j'la plaignis tant les flammes me brûlaient à dix mètres. Je sentais mes yeux parcourir les lieux comme deux étourneaux affolés. Affolé. Putain, j'me sentais en danger et c'était pas bon. J'le sentais pas du tout le plan, là. Mais pas du tout du tout. Et dans cette atmosphère oppressante, à crever de tabagisme passif, à voir le monde à travers un calque darkred, j'eus la trouille d'y rester. Et putain merde, avoir la pétoche, ça ravigote son homme.
Droit devant moi, un mur de flammes et de fumées. Derrière moi, un barrage de chaleur. Au-dessus, des poutres qui menacent de s'écraser sur ma tronche trop grande à leur goût. J'savais pas pourquoi j'étais entré. J'savais pas pourquoi, aujourd'hui, j'avais franchi le cap du suicide. Mais j'eus une pensée pour ma femme et mes gosses. J'veux dire, plus poignante que celle que j'ai pour elles chaque heure de ma vie. Parce qu'ils avaient vécu ça. J'courrus à travers une porte soufflée par l'explosion. Et je laissai couler deux trois larmes qu'eurent vite fait de rafraichir mes joues. Pas assez à mon goût, mais je dis pas non à un aperçu de ce qui m'attendra dehors. Parce que j'ai bien l'intention de ressortir. Surtout que là, je savais pourquoi j'étais rentré.
Là-bas. Allongé, un corps. J'me pliai en deux pour approcher ma tête de la sienne. J'savais pas si ça respirait, mais je sentais que oui. J'savais pourquoi j'étais entré dans cette putain de baraque infernal. Et pour al première fois depuis longtemps, je me sentis fier. C'était pas ma femme que je sauvais, mais cette femme que je soulevai sur mes épaules, à plus de deux mètres du sol, j'sentais qu'elle était un passe-droit pour réussir à me pardonner.
Mais au fond, je savais que c'était impossible. De me pardonner.
Tout comme cette porte qui me pardonnera jamais de l'avoir défoncée à coup de pompes dans sa tronche. Fallait dire que j'étais un peu pressé de reprendre ma respiration. Essoufflé, certes, asphyxié, sûrement. Les nuages de fumée, c'était pas le top niveau oxygène. Et avec un peu de chance, c'était ça qui les avait tuées et non la chaleur des flammes. Ce serait encore la plus douce des révélation. Et pas celle dont j'avais besoin. J'voulais pas être tendre avec moi. Pas de raisons !
Dehors, je déposai le corps encore brûlant près de la fontaine et me laissai tomber près du bassin où flottaient de nombreuses planches détruites et un pied. Merde quoi, ma chemise. Je repris ma respiration. Là bas, sous une table renversée, la tronche ahurie de ce Con de Cormoran reparut. Je respirai plus fort que je ne l'aurais cru. J'aspirai par lot de cent litres cet air pur qui m'avait semblé inaccessible à l'intérieur. Je plongeai la tête dans le bassin. Un type accourut pour s'occuper de la dame/demoiselle/gamine -qu'importe- qui reposai inconsciente sur le sol. J'en détournai le regard, presque fier. Je fixai les nuages et écoutai les Steel Gulls finir de détruire Hinu Town pour Capturer les Saigneurs, bien que je ne le sus qu'une paire de minutes plus tard. A moins que ce ne soit le contraire.
Un autre type s'amena pour voir ma jambe droite. J'eus beau lui dire qu'elle allait bien, il ne me lâcha pas d'une semelle. C'est là que j'ai su pour les Saigneurs, de fil en aiguille. Dans la conversation comme dans ma peau percée d'éclats de je ne sais quoi. J'eus un demi-sourire, je crois. Face à ce que j'avais enduré pour cette petiote. À ce que j'avais bravé. J'essuyai mes lunettes par réflexe avant de m'adresser à cet homme, devant, qui soignait cette donzelle au poil blond, quoiqu'un cheveu roussi par les flammes et la peau légèrement plus rouge que si elle n'était pas passée au four mode rotisserie.
Comment qu'elle va ?
-Elle est morte monsieur...
..
Putain.
...
J'avais presque réussi à me pardonner.