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Ici, tout s'arrête.

Cellule.
Outre le fait qu’ils te jettent dans une cage en rejetant l’idée que tu es humain au même titre qu’eux, que tu as vécu tout comme eux, dans celle-ci se trouve en haut un carré de lumière avec deux larges barreaux qui la coupe en trois. La lumière, dans une si petite pièce est synonyme d’espoir, espoir dans l’oppression de l’emprisonnement, espoir dans la presque mort, espoir dans la presque vie. Ils la mettent en haut pour que tu la regardes. Les barreaux qui la coupent, eux te disent qu’il ne faut pas trop espérer, ils sont là pour que tu te souviennes où tu es, ils te disent que l’espoir n’existe pas dans l’oppression, n’existe pas dans l’emprisonnement. Y croire te conduira à la presque vie, là où règne la presque mort. Ils les mettent en haut pour que tu les regardes, pour que tu saches que la réalité transperce l’espoir. En haut, parce que l’espoir se trouve dans le ciel, en haut, parce que les rayons éclairent toute la pièce créant une ombre en trois parties à cause des barreaux. Ils la mettent en haut pour que tu la regardes, pour que tu saches que la réalité transperce l’espoir comme ces trois petits morceaux d’ombres lumineuses l’ont été.

Puis, tu commences à avoir une légère douleur au cou et tu regardes le sol, ça c’est la réalité. Tu retrouves l’ombre coupé en trois. Les barreaux sont plus grands. La réalité est plus grande que l’espoir ? Aussi, ils te murmurent que tu ne t’en sortiras pas. Plus. Dans mon cas, l’ombre me dit que j’ai fait le mauvais choix. Que j’aurais du prendre le sens inverse avant la tempête, à savoir, retrouver ma famille. Elle me nargue de ses lueurs figées sur le sol fait de froide pierre, me nargue car elle, elle sera toujours en vie tandis que moi je suis voué à mourir dans cette cage. Je suis déjà presque mort. Presque en vie.

Dans un coin, il y a un petit saut pour les sécrétions et l’urine, l’odeur n’est pas top, je ne veux pas respirer l’air et je m’étouffe toutes les 20 secondes. Mes yeux piquent, ma rage chante mais je me force à ne pas pleurer. Je me force aussi à ne pas penser à tous ceux que j’aimais, que j’aime encore. Si j’en suis là c’est de ma faute. J’ai honte. Honte d’avoir honte. Honte de voir ce saut de pisse et de merdes. Honte d’être tombé si bas.

Ils m’ont jeté froidement et violemment contre le mur de ce qui allait devenir ma maison, le choc m’a d’ailleurs amoché la joue. Bizarrement, je ne ressens rien. La douleur, le remord, la nostalgie. Rien de tout ça. Comme si, je savais que c’était ce qui allait arrivé depuis toujours. Comme si, j’ai dit. Mais en fait ce n’est pas ça. Mon cerveau a gelé en franchissant l’île, mes émotions aussi. J’ai vu mes derniers jours me souhaiter le bonsoir et maintenant, je cohabite avec eux. J’ai peur alors je me contente de regarder vers le bas, de voir mes mains, mes pieds enchainés. Ils vont venir me les enlever, c’est certain. Je n’échapperai pas à la règle.

800 ans. 800 ans qu’on sait que les projets des ponts est voués à l’échec et ils continuent à exploiter des hommes, pire, des enfants pour cette foutue connerie. Le Gouvernement me fait rire alors que je ne devrais pas. Non. Je veux rire mais je ne peux pas, plutôt. Ils pensent qu’ils peuvent faire tout du monde, le dérégler en ouvrant des « portes » mais si notre terre est faite ainsi, personne ne pourra la changer. Il n’y a que le Tout-Puissant qui en est capable, pas ceux qui se prennent pour lui.

Le souffle humide et la légèreté de l’air se mêlent, on dirait. Ça rend mes paumes moites, mes joues aussi. Des goutes de sueurs parcourent mes tempes et mon front. Un œil à gauche, vers le bas : un cadavre. La cellule devait lui appartenir avant qu’il ne meurt. Il y a deux ou trois rats qui dévorent sa chair, aussi. Ça pue. Je me dis que ces foutus bestioles n’hésiteraient pas à me grignoter pendant mon sommeil alors pour éviter ça je me lève. Difficilement. J’ai l’impression de me tenir sur mes os. Mes mouvements sont comme ceux d’un robot mais je parviens à lever un pied et en écraser un. Les autres sentent le danger et courent se cacher dans un recoin de la cage. Je les suis d’un pas encore plus lourd et lent ayant perdu l’habitude de marcher mais tout de même sûr puis ils repartent dans un autre coin. Je m’y dirige de la même façon mais évidemment ils repartent. Je continue le manège pendant 10 bonnes minutes jusqu’à ce qu’ils sortent de ma cage pour aller dans une autre et me faire interpeller par un sifflement de celle-ci. Nous étions séparer par de grandes barres, l’espace était de la largeur de mon bras et on pouvait voir tout ce que l’autre faisait en tournant simplement la tête. Il les a rapidement éliminé à l’aide de la pointe aiguisée d’un bout de bois qu’il tenait fermement.

Ouais, t’as raison. Les rats, ça se multiplient vite, on les a tous tué dans nos piaules à nous.

Je lève un sourcil. Il a dit piaule, il parle sans grand mal. Je conclus alors que c’est un de ceux qui est là depuis longtemps, un de ceux qui savent qu’ils finiront leurs jours ici, un de ceux qui luttent plus. C’est un petit rouquin aux yeux verts, je le sais car une mèche dépasse de sa capuche qui recouvre l’intégralité de son crane. Il me sourit de toutes ses dents, avec sincérité en plus, alors que nous sommes voués à mourir ? ça ne le révolte pas plus que ça ?

Puis, tu devrais t’habiller plus chaudement, il caille presque autant que dehors ici.

Il a raison. Tequila Wolf est une île hivernale. Le temps est gris qu’importe la saison. Je tourne la tête, puis je regarde le mort, vêtu. Et oui je vais le faire. Avant que mes os se brisent, que mes articulations ne fonctionnent plus, je vais le faire. Prendre ses vêtements qui sentent la pisse, les crottes de rats et l’enfer d’une vie passée ici. D’un mouvement des mains, j’ôte d’abord son pantalon puant le pet. Et oui, tout bon médecin ou ancien du moins sait qu’à la mort, toutes les tensions se lâchent, le cerveau envoie ses derniers commandements. Mes doigts sont déjà gelés. Ce n’est pas tant le fait de lui retirer ses vêtements qui me gène mais plutôt les craquements que mes articulations de la main font à chaque dézip. La tête observe celle du rouquin, puis revient regarder les bas. Je les enfile et je sens comme de la sueur et de l’urine contre ma peau. Et peut-être des sécrétions de rats.

J’ai envie de gerber mon dégout et ma haine. De gerber mes mauvais choix et même les bons. Les yeux regardent à gauche et à droite. Les barreaux, la pisse et le carré de lumière. Je me rends enfin compte d’où je suis. Il me dit « Tout le monde à vécu ça. » le rouquin mais comprend-t-il que je ne suis pas destiné à ça ? Je suis un père de famille, mon fils m’attend pour que je lui donne une bonne éducation, ma femme, pour que je lui donne tout l’amour dont elle a besoin et encore plus. Alors ne me dis pas que tout le monde a vécu ça. Je ne suis pas tout le monde. Je suis le docteur Kavinsky, le milicien qu’on surnommait l’étoile rouge. Et cette étoile je l’arbore toujours. C’est l’étoile qui dans la nuit avec un ciel dégagée, m’indique où je suis. Et là, je ne suis pas à ma place. Je dois partir. Qu’on me libère je dois partir.

Non.

Non. Tu as bien entendu. Je dis non car j’avais une vie de famille, un métier, des amis. J’avais une vie. Non car j’en sauvais, des vies. Pourquoi, bon Dieu, pourquoi je me retrouve ici ? Dans une cage froide oxygénée de mort et parfumée de désespoir ? Pourquoi je me retrouve à porter le pantalon d’un mort ? Est-ce que je le mérite ? Non. Je dis non. Toute ma vie, je me suis battu pour ce que je pensais juste. J’ai grimpé la montagne du travail, j’ai lu, j’ai étudié, je me suis donné pour ce qui me passionnait : la médecine. Je pensais qu’il n’y avait que les criminels qui se retrouvaient dans une cellule et privé de droit. Pas les hommes biens. Pourquoi ? Que quelqu’un me réponde. Est-ce que quelqu’un peut me répondre ? Personne, c’est ça ? Car vous avez accepté votre destin. Moi, je refuse. Car c’est moi qui choisis le chemin que j’emprunte. Et celui là, on a beau me le montrer du doigt, je crache dessus. On m’a fait Homme. Un Homme a le droit de mettre toutes les cartes en main pour choisir son avenir. Alors, oui. Je dis non. C’est mon choix.

Malgré ça, le cadavre me regarde d’un œil. « Ce qu’il m’est arrivé, c’est ce qu’il t’arrivera. Tu n’es plus un homme. Tu es un esclave. » Quand tu penseras pouvoir t’en sortir, on te cassera ton espoir en deux. Ces deux parties formeront alors deux chemins. Celui où tu t’en sortiras en te donnant la mort, celui où tu accepteras ce que tu arrives. Mais jamais tu ne pourras être maître de ton destin. Ici, il n’y a que l’inhumanité qui règne. Tu n’es plus qu’un corps sans âme et sans vie. Ici, tu n’es plus un homme. Tu ne vaux pas plus qu’un cadavre. Si tu pars, ils ne te regretteront pas. Ici, tu n’es plus un père de famille car ici, tu n’as pas de passé.

Ici.

Tout s’arrête.


Dernière édition par Asen Kavinsky le Mer 17 Avr 2013 - 19:22, édité 1 fois
    Natures.
    Vêtu, maintenant. Je n’ai plus froid, oh, je n’ai plus rien depuis longtemps. Enfin, ça ne fait qu’un mois je suis ici, je crois. Ils m’ont déjà vidé de mon humanité tout comme eux le sont, de mon passé et de mes droits. Ils pensent être supérieurs, avoir un pouvoir sur nous « les bagnards ». Je n’ai jamais détesté quelqu’un mais eux, les gardes, je leur crache dessus : mon mal-être, mon regard, mon dégoût. Des fouets, des « allez plus vite ! », du noir dans les regards, du sadisme dans les sourires. C’est ce qu’il se passe tous les jours ici mais mon cœur s’est vraiment déchiré quand j’ai vu un enfant erré dans les ruelles entre les baraquements. Que faire… Le mettre dans ma cage pour qu’il se sente encore moins libre ? Le laisser dans la rue froide comme un sans cœur ? Les gens passent et font comme s’ils ne le voyaient pas. Me mélanger à ces sortes de fantômes ne me ressemble pas. Alors, quitte à ne rien pouvoir faire, je vais le voir.

    Ses yeux s’ouvrent en grand, héhé, ça fait longtemps que je n’ai pas donné un sourire. Alors, qu’est-ce qui peut bien l’amener là. Qu’est-ce qui peut bien t’amener là. Du bout du doigt, je touche son nez, au début, il rit un peu puis après il commence à pleurer. C’est ça les enfants, il passe du rire aux larmes, je le sais bien. Mais il fait du bruit et nous, nous sommes constamment surveillés par cette bande d’animaux sans sentiments. Du même doigt, je lui fais signe de ne pas pleurer en le mettant sur ma bouche et grossissant mes yeux. Normalement, ce n’est pas si facile de calmer un enfant mais lui il sait que les gardes ne sont pas commodes et pas patients alors il se tait rapidement.

    Finalement, je l’ai pris avec moi. Il marche devant, lui aussi est un travailleur. Un bagnard d’à peu près 6 ans. A part sa respiration saccadée au moment de ses pleurs, il n’a jamais ouvert la bouche alors je ne sais rien de lui. Je me demande, là, ce que je ferais si c’était mon fils. Voilà ce qu’il se passe dans le monde, voilà la cruauté des hommes. J’ai peur pour ma famille. Les hommes sont des êtres impitoyables… Parfois bien pire que ce qu’on imagine du diable. Nous sommes nos propres ennemis. Nous combattons contre nous-mêmes. Nous sommes donc notre propre guerre. Celle-ci commence à tout âge, voici donc un exemple : le petit de 6 ans qui doit lutter depuis plus longtemps que moi. Force ? Il en possède bien plus que moi. Je ne suis qu’un de ces mauvais soldats qui mettent en avant le personnel dans ce qui ne l’est pas et qui ne le sera jamais. Je ne suis qu’un de ces mauvais soldats qui ont déposés les armes sur le champ de bataille et qui regardent les autres combattre en attendant la mort. Un mélancolique déserteur resté sur place. J’aime bien cette phrase.

    Je surveille d’un seul œil le gosse rentrer dans une case et se faire jeter aussitôt. Je me rapproche essayant de ne pas faire de bruit puis mettant l’oreille sur la paroi très fine de la baraque.
    Une claque. Des pleurs. Je les reconnais immédiatement pour les avoir fait cesser, ce sont du bambin. Une autre claque pour faire taire les pleurs. Ce qui me dérange c’est que ce ne sont pas des surveillants mais des prisonniers qui frappent « Deyan », Deyan qui d’après les plaintes n’a pas réussi à voler les vivres des baraques du centre. C’est vrai qu’il y a une rumeur qui court sur les campements au centre appartenant à des esclaves mouchards qui vendraient leurs camarades pour une miette de pain. Il serait mieux nourrit et les plus radicaux même recrutés. J’y crois. Et ça me dégoute.

    Alors c’est comme ça que sont les humains entre eux… Un groupe qu’on qualifie d’inférieur socialement au lieu de s’entraider ils font encore pire que ceux qui leur ont donné ce statut. Ils se bouffent entre eux jusqu’à forcer un enfant qui partage leur misère à voler de la nourriture à d’autres encore plus pourris. Voici donc mes confrères les hommes. Sans bon sens, sans morale, sans honneur. Ils méritent qu’on se moque d’eux. Je jure devant mon Honneur de ne pas devenir comme ça.

    Je finis par quitter les lieux sans entrer ayant repéré un groupe de gardes armés de fouets. Je marche assez rapidement en direction du chantier et je me fais interpeller par ceux-ci qui me recommandent d’y courir si je ne veux pas qu’ils deviennent méchants. Sans vraiment prêter attention à sa menace, je l’écoute tout de même me rendant au pont et par conséquent, dans mon lieu de mort. J’aperçois le rouquin de loin. Ça doit être le seul qui puisse sourire, ici. D’ailleurs j’ai remarqué qu’on ne l’aimait pas. Ils n’aiment pas quand quelqu’un accepte son sort. Son nom à lui, personne ne le connait du coup, on l’appelle le rouquin et ça ne le dérange pas. Quant à moi, c’est le barbu. On a la possibilité une fois par semaine de se la tailler en présence de garde mais moi je refuse. Cette barbe qu’on associait à « séduction » et « charme » dans mon entourage s’est retrouvée en ménage à trois avec « négligé » et « pauvreté ». Mais je n’en ai que faire des réflexions des autres, tant en bien qu’en mal.

    Ici, tout s'arrête. Portraiitche
    L’homme que je suis devenu. Un visage dont on ne peut nommé l’expression car je ne ressens rien. Je fais. Je n’ai aucune bonne âme révoltante en moi qui me dit de tout casser, de libérer les autres. Aucune. Je pense que c’est de ma faute, j’ai pris le mauvais chemin, celui qui m’amène le plus lentement à la mort. Comme on dit, toutes les voies mènent à Shabondy. Mais pas de la même manière. Un visage qui ne témoigne pas vie. Voilà. Un visage de cadavre avec la barbe dont je parle plus haut. La bouche tenue fermé. On pourrait croire que les yeux regardent au loin mais on se rend vite compte que non, il manque cet aspect du rêve dans toutes les autres parties. En fait, ce sont comme des bouts de sentiments qui ne veulent rien dire fusionnés ensemble. Je n’ai pas tant changé, finalement.

    Le rouquin m'a fait sourire, aujourd'hui. Cela fait un bon mois qu'il me pose des tonnes de questions et il a réussi à savoir que j'aime beaucoup les lettres et le savoir. Alors, il m'a rapporté quatre gazette et une dizaine de nouvelles ou romans. Mais le plus intéressant ont été un cahier de note et un stylo à plume.

    Le récit poursuivra désormais sous forme de notes.