Une large moustache bleue fend l'océan. Le mouvement est rapide, mais elle reste fixe, drapée dans une dignité majestueuse. Elle est la figure de proue du « Moustachu Piaffeur », un nom vraiment particulier pour un patrouilleur de la marine. Derrière cette capillarité boisée et peinte, on devine deux superbe mât et un gaillard d'arrière où deux personnages se toisent sur un plancher si propre que l'on pourrait manger dessus.
« - Mais pourquoi tu l’as pris à bord ?
- Il avait l’air entraîné et avait une grande épée. Ça ne peut pas faire de mal d’avoir du renfort avec nous.
- Oui, mais tu sais que je ne peux pas les blairer, moi, ces racailles de chasseurs de prime.
- On s’en fout, je ne te dis pas de l’épouser. Il va juste rester là le temps de se faire cette connasse.
- Je persiste à croire qu’on n’a pas besoin de son aide. »
L’engueulade s’est arrêtée à ce moment. Le jeune caporal a un sacré culot d’engueuler son sergent. Mais, là, c’est la marine d’élite, un lieu où la hiérarchie n’a pas beaucoup de sens. En tout cas, elle n’est pas basée sur le grade, mais sur autre chose. Une méritocratie où celui qui a la plus grosse peut se permettre de gueuler. Le jeune caporal est d’ailleurs un chien fou de la nouvelle école. Esprit d’élitisme, folie des grandeurs. Un bon soldat comme les aiment ceux qui ont créé la branche. Efficaces, mais un peu chiants. Fortes tendances aux dommages collatéraux, mais efficience remarquable. Niveau physique, il a une sale gueule avec une peau brune fortement marquée par la variole et un corps fin, mais puissant. Il est sec comme un combattant du désert. Le vieux sergent soupire. Il a aussi débuté comme ça. Par contre, l’âge lui a appris la sagesse. Il a trop vu crever des types comme ce jeune con pour s’énerver. D’ailleurs, il a assez de recul pour voir la supercherie dans l’élitisme forcené de son unité. Il sait que ce n’est qu’un moyen pour les presser à avoir une vie de merde sans moufter. Il l’a compris à force de voir ses potes clamser ici et là, victimes de leur connerie d’idéologie. La mort, c’est sale et solitaire. Alors, il préfère autant envoyer un chasseur de prime au casse-pipe. Garder les siens en vie, dont ce jeune imbécile. Le quinquagénaire soupire à nouveau, plus bruyamment. Il s’en va sans un mot. Il a la bedaine qui pousse sur les boutons de sa chemise et un crâne dégarni sur lequel vivotent quelques cheveux sel et poivre en couronne. Un gros pif rouge et des favoris fournis lui donnent un air débonnaire. Ce que parachèvent ses épais sourcils qui bougent beaucoup trop à chacune de ses paroles. Il a décidé d’aller rendre visite à son hôte, un type assez intéressant qui veut prendre des coups. Le sergent réfléchit au meilleur moyen de l’utiliser. Mais pas que lui, il a quelques abrutis à éduquer. En général, il délègue à la vie le soin d’affûter ses outils et à la mort la tâche de le débarrasser du surplus.
« Alors, comment va notre homme, doc ? »
Le doc est un trentenaire aux cheveux longs et au ton traînant. Un blond aux yeux bleus, assez bien fait de sa personne, mais agaçant de lenteur.
« - Je crois, que, ça ira, oui, probablement.
- Mais encore ?
- La balle, elle l’a traversé, ce n'est pas une blessure vitale, non, pas vitale, pas d’organes touchés donc pas vitale. Lui, il est plutôt –comment dire ?- solide, voilà, c’est le mot, solide. Il se remettra.
- Ok, j’ai compris, je vais le voir. Laisse tomber les explications, le fait qu’il se remettre me suffit. »
Et il prend congé du bureau carré pour entrer dans la pièce où se trouvent les lits. Il écarte un rideau blanc pour découvrir son aîné parfaitement réveillé et alerte. Il lui sourit avec condescendance et s’adresse à lui avec ces mots :
« - Vous avez assez pioncé, c’est bon ?
- …
- Nous sommes en vue du navire ennemi et allons commencer les manœuvres, il serait peut-être temps de vous bouger le cul.
- Demandé si gentiment. »
L’homme allongé se lève, il est plus grand et plus large que le sergent. Il le domine d’une bonne tête et lui rend son sourire condescendant.
« - Voyons voir ce que sait faire la marine d’élite, sergent ?
- Monture. Vous c’est Ledger sur votre carte. C’est votre vrai nom ?
- Qui sait. »
Sur le pont, le vent est violent et l’après-midi est largement entamée. Cependant, il fait relativement sombre vu la masse de nuages qui cachent le soleil. Le temps est assez frisquet, mais ça ne semble pas émouvoir les marins. Des gars bien apprivoisés, ça, il sait faire le sergent, même s’il se fait passer pour un type à la cool. À une bonne trentaine de mètres, on aperçoit un bateau à un mât qui ne tient pas la longueur face à l’embarcation rapide du sergent Monture. La confrontation est imminente, pense Julius. Il rajuste d’un geste machinal sa cape et vérifie ses armes. Puis, il passe sa main sur sa blessure encore fraîche. Il semble prêt pour le deuxième round. Et, pendant que les canons se mettent en place dans un vacarme assourdissant, le vieil homme laisse se dessiner sur son visage un sourire carnassier qui n’est pas sans rappeler ses heures les plus sombres.
« - Mais pourquoi tu l’as pris à bord ?
- Il avait l’air entraîné et avait une grande épée. Ça ne peut pas faire de mal d’avoir du renfort avec nous.
- Oui, mais tu sais que je ne peux pas les blairer, moi, ces racailles de chasseurs de prime.
- On s’en fout, je ne te dis pas de l’épouser. Il va juste rester là le temps de se faire cette connasse.
- Je persiste à croire qu’on n’a pas besoin de son aide. »
L’engueulade s’est arrêtée à ce moment. Le jeune caporal a un sacré culot d’engueuler son sergent. Mais, là, c’est la marine d’élite, un lieu où la hiérarchie n’a pas beaucoup de sens. En tout cas, elle n’est pas basée sur le grade, mais sur autre chose. Une méritocratie où celui qui a la plus grosse peut se permettre de gueuler. Le jeune caporal est d’ailleurs un chien fou de la nouvelle école. Esprit d’élitisme, folie des grandeurs. Un bon soldat comme les aiment ceux qui ont créé la branche. Efficaces, mais un peu chiants. Fortes tendances aux dommages collatéraux, mais efficience remarquable. Niveau physique, il a une sale gueule avec une peau brune fortement marquée par la variole et un corps fin, mais puissant. Il est sec comme un combattant du désert. Le vieux sergent soupire. Il a aussi débuté comme ça. Par contre, l’âge lui a appris la sagesse. Il a trop vu crever des types comme ce jeune con pour s’énerver. D’ailleurs, il a assez de recul pour voir la supercherie dans l’élitisme forcené de son unité. Il sait que ce n’est qu’un moyen pour les presser à avoir une vie de merde sans moufter. Il l’a compris à force de voir ses potes clamser ici et là, victimes de leur connerie d’idéologie. La mort, c’est sale et solitaire. Alors, il préfère autant envoyer un chasseur de prime au casse-pipe. Garder les siens en vie, dont ce jeune imbécile. Le quinquagénaire soupire à nouveau, plus bruyamment. Il s’en va sans un mot. Il a la bedaine qui pousse sur les boutons de sa chemise et un crâne dégarni sur lequel vivotent quelques cheveux sel et poivre en couronne. Un gros pif rouge et des favoris fournis lui donnent un air débonnaire. Ce que parachèvent ses épais sourcils qui bougent beaucoup trop à chacune de ses paroles. Il a décidé d’aller rendre visite à son hôte, un type assez intéressant qui veut prendre des coups. Le sergent réfléchit au meilleur moyen de l’utiliser. Mais pas que lui, il a quelques abrutis à éduquer. En général, il délègue à la vie le soin d’affûter ses outils et à la mort la tâche de le débarrasser du surplus.
« Alors, comment va notre homme, doc ? »
Le doc est un trentenaire aux cheveux longs et au ton traînant. Un blond aux yeux bleus, assez bien fait de sa personne, mais agaçant de lenteur.
« - Je crois, que, ça ira, oui, probablement.
- Mais encore ?
- La balle, elle l’a traversé, ce n'est pas une blessure vitale, non, pas vitale, pas d’organes touchés donc pas vitale. Lui, il est plutôt –comment dire ?- solide, voilà, c’est le mot, solide. Il se remettra.
- Ok, j’ai compris, je vais le voir. Laisse tomber les explications, le fait qu’il se remettre me suffit. »
Et il prend congé du bureau carré pour entrer dans la pièce où se trouvent les lits. Il écarte un rideau blanc pour découvrir son aîné parfaitement réveillé et alerte. Il lui sourit avec condescendance et s’adresse à lui avec ces mots :
« - Vous avez assez pioncé, c’est bon ?
- …
- Nous sommes en vue du navire ennemi et allons commencer les manœuvres, il serait peut-être temps de vous bouger le cul.
- Demandé si gentiment. »
L’homme allongé se lève, il est plus grand et plus large que le sergent. Il le domine d’une bonne tête et lui rend son sourire condescendant.
« - Voyons voir ce que sait faire la marine d’élite, sergent ?
- Monture. Vous c’est Ledger sur votre carte. C’est votre vrai nom ?
- Qui sait. »
Sur le pont, le vent est violent et l’après-midi est largement entamée. Cependant, il fait relativement sombre vu la masse de nuages qui cachent le soleil. Le temps est assez frisquet, mais ça ne semble pas émouvoir les marins. Des gars bien apprivoisés, ça, il sait faire le sergent, même s’il se fait passer pour un type à la cool. À une bonne trentaine de mètres, on aperçoit un bateau à un mât qui ne tient pas la longueur face à l’embarcation rapide du sergent Monture. La confrontation est imminente, pense Julius. Il rajuste d’un geste machinal sa cape et vérifie ses armes. Puis, il passe sa main sur sa blessure encore fraîche. Il semble prêt pour le deuxième round. Et, pendant que les canons se mettent en place dans un vacarme assourdissant, le vieil homme laisse se dessiner sur son visage un sourire carnassier qui n’est pas sans rappeler ses heures les plus sombres.