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Sous les yeux du Génie

"Salut tout le monde ! Je suis rentré !"

Je referme la porte derrière moi. Ça fait six semaines que je ne suis pas rentré à la maison. Mais j'ai le week-end pour moi, cette fois-ci. La caserne a beau être en plein milieu de la ville, toute proche de ma famille, on n'a que rarement le droit d'en sortir tant que notre service n'est pas terminé. Enfin, au moins, je peux rentrer chez moi quand je suis en permission. Ceux qui n'habitent pas la capitale n'ont pas cette chance.

Je suis fourbu. Les jambes lourdes, courbaturés. Le fait d'être arrivé à fait chuter l'adrénaline qu'on a lorsqu'on approche du but. Je ne rêve que de m’asseoir. Mais dans ce cas, je ne bougerais sans doute plus pendant de longues minutes, et j'ai quand même envie de voir mes parents et les p'tits. Ils savent que je rentre aujourd'hui, ils doivent m'attendre. S'ils sont déjà levés.

Samedi matin. La boutique et l'atelier attenants à la maison doivent être ouvert. J'y entre. Un employé est dans la boutique avec une cliente. Je lui fais un signe de la main, un sourire, et le laisse à son travail. Personne d'autre. Je passe dans l'atelier derrière. Une femme dessine des croquis sur une table en bois.

"Salut m'man."

Ma mère lève la tête, me sourie et me gratifie d'un bonjour. Mais reste assise et se replonge dans son travail. Je m'approche, et passe mes bras autour de sa taille, puis pose ma tête sur son épaule. Le dossier de la chaise est un peu gênant, mais bon. Maman lève le bras et me tapote le bout du nez de son crayon.

"Tu n'es pas un peu trop grand pour faire des câlins à ta maman ? Trouves toi plutôt une jeune fille de ton âge."
"Je fais des câlins à qui je veux quand je veux, d'abord !"
"Grand bébé va." Dit-elle en posant son crayon, et en me caressant les cheveux de la main. C'est agréable. Plus que ma position courbée pour pouvoir l'enlacer sur sa chaise...
"Tu fais quoi ?"
"Je dessine de nouveaux motifs, pour des bijoux. Si certains me plaisent, je les graverais ensuite sur une plaque de métal, et on en fera des moules en miniatures."
"Oui, je connais la méthode. C'est joli."
"Yskiiiiiino !"

Je lâche ma mère et vois ma petite sœur foncer comme un bolide sur moi. En rigolant, j'ouvre les bras, et elle me saute dessus. Je m'écarte un peu, pour avoir de la place autour de moi, puis commence à pivoter en la tenant fermement par les bras. Je la fais tourner un moment, elle riant aux éclats. Quand je la repose, nous avons tout deux le tournis et le sourire.

"Salut la petiote, ça va ?"
"Je veux monter !"
"Lunea, ne casse pas le dos de ton frère."
"Mais nan, c'est bon..." Je m'accroupis, et ma sœur me ressaute dessus. Sur le dos cette fois-ci. Puis se hisse sur mes épaules. Je me relève, elle trônant au dessus de ma tête. "Ouf... Dis donc sœurette, tu as grossis ou quoi ? T'es devenu sacrément lourde !"
"On ne parle pas comme ça aux filles !" Rétorque-t-elle en me tapant de la main sur la tête. "Aller, en avant !"

Avec un sourire, je sors de l'atelier, ma sœur sur les épaules. Pas dit que je puisse continuer ce petit jeu encore longtemps. Elle a vraiment grandi d'un coup ces dernières semaines et je galère à la porter... Je retraverse la boutique, faisant un signe à l'employé amusé et au client ébahi, ma sœur criant "plus vite, plus vite", tout en me tapant sur la tête.

Retour au bercail. Je re-traverse le salon, et me dirige vers la cuisine. Le passage de chaque porte est problématique, je dois me baisser pour ne pas fracasser le crâne de Lunea dans le chambranle, mais que c'est dur de se relever ensuite... Une odeur de café m'indique que j'arrive à destination. Je pousse la porte du pied et entre. Mon père et mon petit frère sont là. Je dépose la petiote, et me laisse tomber avec un soupir dans une chaise.

"Bonjour Yskino."
"Hé, tu peux me donner tes billes araignées ? Kaito a des billes miel supers rares, mais il n'accepte de les jouer que contre des billes de valeur, et je n'en ai pas."
"Tu n'en as pas parce que tu es mauvais et que tu les perds toutes ! Si tu veux les miennes, il faudra les gagner en me battant d'abord. Salut papa."

Mon frère commence à bouder. J'attrape un morceau de pain, du beurre, une pomme, et me prépare mon petit déjeuner. Rapidement, ma mère nous rejoint et la sœurette me grimpe sur les genoux pour me piquer mes tartines déjà préparées et ma pomme soigneusement coupée.
Je suis à la maison.

***

Je me plaque ventre au sol. Je ferme l’œil droit et déplace légèrement la tête pour avoir les deux sphères alignées, et que la deuxième soit cachée par la première. Puis satisfait, je rouvre mon œil. D'une pichenette, j'envoie valser ma bille, qui percute celle de Valtien.

"Et voilà, j'ai gagné."
"J'y crois pas. Comment tu fais pour me toucher d'aussi loin ?"
"Il suffit de bien viser et de ne plus bouger quand on a sa cible en vue, jusqu'à ce qu'on tire." Mon frère à un air déconfit. Je reprend. "Tiens attrape."
"J'ai perdu, pourquoi tu me donnes ça ?"
"Parce que tu en as envie, et que j'ai confiance en toi. Pique toutes les billes de Kaito d'accord ? Tu me rendras la mienne et une des siennes en échange, c'est un investissement."
"Merci frérot."
"Aller, on va manger. Si maman nous appelle encore une fois, on va se prendre une trempe quand on arrivera."

Le week-end est passé bien trop vite. Déjà dimanche soir. Le dîner passe vite aussi. I

Il va falloir que je rentre. Les deux petits, épuisés, se sont endormis et sont couchés. Il est tard après tout. Je ne suis pas tellement plus vieux, mais j'ai plus l'habitude des veilles. L'armée est passée par là.

"Tu y vas ?"
"Ouep, je pars dans quelques minutes pour arriver juste avant la fermeture des portes. Le réveil va être violent demain matin mais bon, je rentre pas souvent, je veux en profiter au maximum."
"Comment se passe ton service ?"
"Comme on l'avait raconté. On se lève tôt, on fait beaucoup de sport. Au début j'aimais bien, mais je commence à en avoir vraiment marre des tours de pistes tout les matins... Après, on nous entraîne, et c'est chiant. Fais-ci, fais-ça, alors qu'on sait qu'on est nul pour éplucher des patates et qu'on aiderait plus en traduisant des bouquins. Mais non, on ne choisit rien..."
"C'est ça l'armée..."
"Tout le monde passe par là. Une bonne armée obéit aux ordres, alors on vous apprend à obéir. Mais c'est une bonne formation, mine de rien."
"Mouais. A côté, on à tout le temps des tests. De sport, de tir, de combat au sabre, de logique, de langue, d'anatomie... Et évidemment on n'a jamais les résultats."

Une cloche commence à sonner au loin. Je suis à la bourre.

"Et merde, va falloir que je courre. Salut maman, salut papa, on se voit dans six semaines."

J'embrasse mes géniteurs, puis me dépêche de filer. Je pars sur une foulée moyenne, histoire de tenir tout le trajet. Et j'arrive tout juste alors que les portes se ferment. Aller, demain, lever à l'aube en se faisant crier dessus. Dans la joie et la bonne humeur.
Youpi...

***

L'eau glacée me mord la peau. Les gouttes qui me touchent les yeux me font passer un éclair blanc de douleur dans le cerveau. Il ne dure qu'une fraction de seconde, puis s'atténue fortement, ne laissant qu'une douleur sourde et très peu vive.
Ça reste désagréable.

Je remplis à nouveau mes mains en coupe au robinet du lavabo et m'arrose le visage. J'ai une sale gueule. Le manque de sommeil m'a créé des cernes monstrueuses sous les yeux. Je fixe ces derniers. Mes pupilles sont minuscules, trahissant ma fatigue. Mes sclérotiques sont injectées de sang, plus blanches du tout. Et en conséquence, mes iris habituellement bleus clairs se sont assombris. Même de loin, ça se voit. Je suis pâle, et je me suis coupé en me rasant, du coup, un peu de sang perle sur mon menton.

Au moins, je suis à peu près réveillé par le choc thermique. En soupirant, je descend dans la cour, et prend place avec les autres. Rapidement, le sergent instructeur arrive et nous nous mettons au garde-à-vous en attendant les instructions. Non pas qu'on ne sache pas quoi faire. « Vingt tours de pistes pour commencer ! Puis entraînement au sabre ! Ensuite les corvées assignées pour la semaine ! Aller, au boulot ! ». Chaque matin est la même chose avec une faible variante dans le choix des mots.

"Garde-à-vous ! Bonjour soldats. Aujourd'hui, je vais appeler plusieurs d'entre vous. Ceux qui seront nommés iront dans le réfectoire. Les autres feront vingt tours de pistes, pour commencer. Bien, Matt Antony ! Thomas Berkeley ! Aniel Briggs ! Keller Clavis !"

Ça c'est nouveau... Il se passe quoi ? Surpris, les appelés se détachent timidement du rang et se dirigent vers le réfectoire.

"Inès Grisfer ! Yskino Haynell !"

Mon nom est donc sorti... On est déjà à la lettre H et moins de vingt personnes sont été appelés pour bien deux cent personnes dont le nom commence par une lettre de A à G... Une fois la liste alphabétique finis, on sera quoi... Cinquante ? C'est trop pour une punition. Et je ne me rappelle pas avoir fait quoi que ce soit de répréhensible. Donc, pour quoi on nous appelle ? Baaa, on verra bien.

J'entre dans l'immense salle à manger. Il y a un peu de monde dans un bout, même si nous sommes loin de remplir le lieu. J'estime le nombre de personnes présentes entre soixante et quatre-vingt, à première vue... Certains, des jeunes faisant leur service militaire, comme moi. D'autres, plus âgés, apparemment des soldats de métier. J'hésite un peu. Ça fait quatre mois et demi à présent que mon service militaire, d'une durée d'un an, a commencé. Et pourtant, je ne connais que peu de monde. A vrai dire, même si les jeunes de tout le royaume se retrouvent ici, dans la capitale, je n'avais pas vraiment approché les gens des autres villes, pour rester plutôt avec ceux que je connaissais et avec qui j'allais à l'école. Et on n'a peu de temps libre pour sympathiser, en plus, entre tout les entraînements et les corvées qu'ils nous font faire...
Du coup, je me retrouve un peu embêté en constatant qu'aucun de mes amis n'a été appelé, et que je me retrouve au milieu d'une foule de personnes sans connaître quiconque...

Du coup, je m'assois sur une des chaises et attends la suite. Petit à petit, d'autres appelés nous rejoignent. J'observe les environs. Il y a quelques jolies filles. Je les observe en douce, un peu gêné lorsqu'elles croisent mon regard, que je détourne. Ma timidité m'agace un peu, à seize ans révolu, mais chassez le naturel, il revient au galop et vous piétine allègrement la face en se riant de vos efforts pour changer... Et puis finalement, plus personne ne vient. Et maintenant ?

Au bout de cinq minutes d'attente, d'autres gens arrivent. Certains portent des uniformes que je n'avais encore jamais vu. Et il y a manifestement des hauts-gradés dans le tas, vu toutes les décorations... L'un d'eux prend la parole.

"Mesdemoiselles, messieurs, bonjour. Je m'appelle Renje Hydra, je suis le chef du renseignement et des troupes du génie du royaume de Silte. Si vous êtes là, c'est parce que vous avez montrés des capacités intellectuelles supérieures aux normes. Soit, pour les plus jeunes d'entre vous, durant les test qui émaillent votre service militaire. Soit, pour les anciens, durant votre travail et vos actions de tout les jours, ce qui vous donne une seconde chance."

Une seconde chance ?

"Toutefois, faire partie du génie ou du renseignement nécessite bien plus que de la simple intelligence. C'est pourquoi nous allons vous évaluer lors d'un test grandeur nature. Nous allons donc descendre au port et prendre un bateau, et je vous expliquerais les modalités de l'épreuve quand nous serons en mer."

L'homme redescend, et pars avec les autres officiels. Nous commençons à les suivre, groupe mal coordonné et braillard. Un brouhaha se fait entendre, discussions joyeuses sur les paroles prononcées par ce Renje Hydra. Quelques soldats nous encadrent.
Curieusement, les « anciens » sont sur le qui-vive, tendus. Ils scrutent les visages, marmonnent tout seuls. A l'inverse, les « jeunes » sont excités et bruyants. Le mot qui me vient à l'esprit est insouciant. Je me demande ce que sera cette épreuve...

Nous embarquons sur le navire dans une indifférence assez générale. Celui-ci met les voiles. Nous sommes sur le pont, et les officiels réapparaissent. Renje reprend alors ses explications.

"Bien. Nous nous dirigeons actuellement vers la petite île de Vauluire, tout juste à l'est d'ici. Cette île fait partie du royaume. Par beau temps, on peut la voir des côtes de Silte. Sur cette île, hormis la base militaire au port, il n'y aura que vous cent. Votre objectif sera de faire gagner votre équipe."

On va donc être placés en équipe... Comment ? On choisit avec qui on se met ? Je connais personne moi...

"Cette épreuve se dispute une fois par an. Toutefois, on ne peut y participer qu'une ou deux fois au maximum. La première tentative est pour les jeunes de seize ans passant leur service militaire. Si vous échouez, ou que vous n'êtes pas convoqué lors de votre service, vous avez une seconde chance si vous êtes un militaire de métier et avez prouvé votre valeur. Un deuxième échec, et c'est fini, vous ne serez plus jamais convoqué."

Ah. Ça explique la tension des « anciens »...

"Il y a deux manières d'être éliminés : enfreindre les règles, ou être tué par une équipe adverse."

Euh... What ?

"Bien sur, par tué, nous parlons de morts simulées... Vous allez recevoir des armes dont le poids et la forme sont semblables à ceux que vous utilisez quotidiennement. Mais ils auront quelques différences. Les épées, haches, couteaux... Et toutes autres armes blanches seront remplacés par du bois d'if, qui est solide, mais souple. Ainsi, les coups reçus ne pourront couper, ni provoquer de contusions mortelles. Quand aux armes à feu, ce sont des armes normales, mais les munitions ne seront pas des billes de plomb mais d'argile. A moins que vous ne tiriez en tenant un revolver contre la tempe d'une autre personne, une bille d'argile ne fera pas de gros dégâts à votre cible. Mais il sentira l'impact et saura qu'il a été « abattu ». Si vous êtes touchés par un coup normalement mortel ou mutilant, tel un membre tranché, vous êtes considérés comme mort. Vous devez donc impérativement cesser toute participation à l'épreuve. Il est donc interdit de parler aux participants restants, ou de se battre, ou de les empêcher de prendre votre équipement. Vous n'aurez qu'à rejoindre le port de Vauluire, remonter sur le navire, et observer le reste de l'épreuve."
"Comment être sur que personne ne trichera ?" Crie quelqu'un.
"Bonne question. Comme je le disais à l'instant, une fois éliminé, vous pourrez nous rejoindre et observer les survivants. Car toute l'île est équipée de Den Den mushi de surveillance, et nous observons donc tous vos faits et gestes. Il est évident que ne pas accepter sa mort, c'est enfreindre les règles, et sera puni plus sévèrement qu'une simple élimination de l'épreuve. Disons que vous serez affecté à la corvée de nettoyage des chiottes pendant quelques mois..."

Pas cool...

"Bien. Sur ce que vous devez savoir... Il y aura cinq équipes composées de vingt membres: noirs, bleus, rouges, jaunes et verts. Quand nous approcherons de l'île, chacun d'entre vous choisira un sac. Dedans, il y aura des instructions et d'autres règles, à respecter absolument sous peine d'élimination. Ainsi que votre équipement. Et un insigne qui indiquera votre équipe et votre classe." Là-dessus, il s'arrête un instant.
"Notre classe ?" Quelqu'un a posé la question qu'on se posait. Enfin, du moins, que les « jeunes » se posent. Les anciens semblent déjà connaître tout ça.
"Oui. Chaque équipe disposera de trois classes : attaquant, gardien et espion. Il y a six attaquants et gardiens, et huit espions par équipe. Comme je le disais tout à l'heure, le but est de faire gagner votre équipe. Voici comment cela fonctionnera."

Deux soldats apportent alors un grand tableau sur lequel sont notés des chiffres. Je suis un peu loin pour lire, aussi, je m'approche tout en écoutant.

"Un attaquant qui « tue » un ennemi, trois points ! Pour un espion, un point. Un gardien, 0 point."

Les attaquants attaquent et les gardiens défendent. Quelle logique formidable, on n’aurait jamais trouvé seuls.

"Un gardien qui participe à un combat qui mène à la « mort » d'un ennemi. Un point. Deux gardiens se battant à deux contre un peuvent ainsi gagner chacun un point."

Donc, les gardiens en groupe. Ce qui fait d'eux une cible en même temps pour des tireurs isolés.

"Si vous « tuez » quelqu'un de votre équipe, moins cinq points !"

Pourquoi on tuerait quelqu'un de notre équipe ? A moins de tirer aveuglément sur tout ce qui bouge...

"Les espions disposent de deux insignes. Un de leur équipe, et un d'une autre équipe. Ils peuvent donc infiltrer les rangs ennemis et donner des informations à leurs coéquipiers."

Mais ils rapportent que dalle en point. Un au mieux. Et effectivement, s'il y a des traîtres dans chaque équipe, on peut se tirer dessus... Ça devient chiant cette histoire.

"Toutes les trois heures, une annonce sera faite par haut-parleur sur la situation, c'est à dire, combien de points ont chaque équipe."

Ça va mettre la pression et les gens vont se liguer contre les équipes en tête...

"Par ailleurs, chaque équipe à un et un unique leader de chaque classe. L'assassin rapporte deux fois plus de points qu'un attaquant normal s'il combat seul. L'informateur dispose d'un den den mushi qui lui donne des renseignements sur un membre au hasard de chaque équipe lors des annonces, sans distinction de s'il est vivant ou mort. Le paladin peut, en sacrifiant cinq points de son équipe, permettre à deux coéquipiers d'échanger leurs insignes. Les espions n'auront jamais des faux insignes de leader, vous pouvez donc leur faire confiance. Enfin, l'équipe qui aura en dernier un ou plusieurs membres survivants gagnera vingt points."

Je suis assez près pour lire le tableau, qui ne fait que reprendre ce qui vient d'être dit. Bon...

"Et voilà tout pour l'instant. Vous allez à présent prendre un sac dans le tas là-bas. Si vous l'ouvrez avant d'être sur l'île, vous êtes éliminé. Une fois débarqué, un guide conduira chacun d'entre vous à son emplacement de départ. Une fois que vous l'aurez tous atteint, une annonce sera faite, et vous pourrez ouvrir vos sacs. Bonne épreuve à tous."

Là-dessus, Renje s'en va, et entre dans une cabine du navire. Un attroupement se forme autour des sacs. Peu enclin à prendre le dernier, je m'approche. Mais ils sont tous absolument identiques d'aspect et de taille. Ce sera vraiment du hasard...
Je me demande comment ils notent les participants. Pas uniquement sur le nombre de points rapporté à l'équipe, sinon, les espions n'auraient aucun chance... L'idéal, ce serait que je sois un leader, qu'on me fasse confiance. Quinze chances sur cent. Mais même être un attaquant me conviendrait.

J'attrape un sac et passe une lanière autour de mon épaule. Le navire est déjà en train de manœuvrer. Nous accostons dans le petit port militaire de Vauluire. Des soldats nous appellent un par un, dans l'ordre alphabétique. Mon tour vient, et je suis guidé quelque part dans l'île. Au milieu de la forêt, sur un rocher moussu. J'entends un ruisseau non loin.

"Comment tu te sens ?" Me demande soudain mon guide.
"Comme un lapin lâché au milieu d'une cage de tigres. Les tripes qui dansent la samba, l'impression que tout va aller de travers, et pourtant, je n'ose pas bouger."
"Ahah... Aller, bon courage."

L'homme s'en va. Je suis seul. J'attends.

"A tout les participants. Vous avez tous atteint votre emplacement de départ. Vous pouvez ouvrir votre sac, mettre votre bracelet, et prendre connaissance des règles. La partie commence !"
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Je ne prends pas la peine d'ouvrir mon sac. A peine le haut-parleur éteint, je saute au bas de ce rocher où je suis une cible parfaite. Mieux vaut se trouver un endroit tranquille pour faire l'inventaire du sac, ce serait idiot d'être éliminé par un joueur parti immédiatement pendant que je lis les règles...

Octobre... L'île est sous la neige. Les traces de pas se voient facilement. Bien sur, le fait que nous ayons tous été amenés à des endroits différents a créé une multitude de traces partout, mais il suffit d'observer s'il y a une empreinte de pas ou deux pour savoir s'il faut suivre le chemin ou non.

Je me dirige vers le ruisseau que j'entends couler non loin. Bientôt, j'arrive au bord. Parfait, il n'est pas trop gelé. Je descend un peu le long de l'eau, puis j'y entre. L'armée nous a fournit de bonnes chaussures, bien étanches. Mais là où il y a peu de courant, et donc peu de profondeur, l'eau est sous sa forme solide. Cela se verra si je marche dessus. C'est donc avec une grimace que je chemine au centre du courant, l'eau m'arrivant à mi-mollet et me mordant les pieds en rentrant dans mes chaussures. Froid. Trop froid.
Je remonte le fil de l'eau. Puis sort de l'autre côté de la rive sur un rocher pentu ou il n'y a pas de neige. Je dégouline un peu sur le rocher, mais ça séchera avec le vent. Et ça ne me trahit pas. Du rocher, je monte sur un deuxième bloc de roche, et me faufile dans une petite crevasse, à l'abri des regards. Mais par une fente, je peux observer les traces que j'ai faite dans la neige sur l'autre rive. Bon, si quelqu'un monte aussi sur le rocher et regarde en bas, je suis foutu... Mais ça n'arrivera pas hein ?

J'enlève mon sac à dos, il est temps de regarder ce qu'il y a dedans. Le sac lui-même à une poche principale, et trois petites poches annexes : une sur l'avant, une à gauche, une à droite. J'ouvre la principale. Dedans, un papier plié en quatre. Les règles sans doute. Bon, commençons par ça.


Épreuve d'entrée dans les troupes du Génie
Fiche informative

Bonjour candidat,
Vous avez le sac numéro 67. Ce numéro est enregistré, et votre équipement et classe est donc connu des organisateurs. Votre classe dans cette épreuve est espion. Votre équipe est rouge.

Règles de l'épreuve:
L'infraction d'une seule des règles sera sanctionnée d'élimination.

1) Il est interdit de changer de classe, sauf dans le cadre du paladin.
2) Dans la poche avant de votre sac se trouve un bracelet, que vous devez impérativement mettre avant la première annonce. Ôter ce bracelet, sa perte, ou sa destruction, entraînera votre élimination.
3) Il est interdit de quitter l'île, ou de s'éloigner des côtes de plus de vingt mètres.
4) Il est interdit de déclencher des avalanches, des chutes d'arbres, ou tout autre événement néfaste pouvant entraîner la mort d'autres candidats.

Équipement
Dans les poches latérales de votre sac se trouve quelques rations de nourriture et d'eau. Si vous manquez de vivres, vous pouvez en demander au port, mais cela entraînera votre élimination. Vous disposez également de deux balises de secours, qui créent une épaisse fumée orange, mais leur utilisation entraînera votre élimination. A utiliser seulement en cas de situation critique pour votre vie suite à un accident hors épreuve (chute, empoisonnement...).
Enfin, chaque participant se voit remettre trois pièces d'équipement parmi la liste (non exhaustive) suivante :

- Un couteau (interdiction de l'utiliser contre les candidats).
- Une carte de l'île.
- Des jumelles.
- Une lampe-torche.
- Un briquet.
- Des rations supplémentaires.
- De la toile blanche.
- De la corde.
- Un bloc-note et un crayon.
- Deux boîtes d'allume-feu.
- Un pistolet (balles en argile).
- Une boussole.

Bonne épreuve à tous.


Liste non exhaustive... Ça veut dire qu'il y a d'autres objets qu'on peut avoir mais qui ne sont pas dans la liste. Pourquoi ? Ils ont forcément une particularité quelconque... Des avantages ou inconvénients particuliers qu'on ne doit pas savoir dès le début ?
Et en prime, chacun d'entre nous a reçu un sabre en if et un fusil en descendant du navire.
Sous la liste, je trouve un bloc-note avec un crayon attaché sur le dessus. Super, un équipement utile... Je continue et trouve les deux boîtes d'allume-feu. Un peu découragé, je pioche jusqu'au fond du sac, et en retire une paire de jumelles. Ah, enfin un truc bien... Quoique, en ce moment, en forêt, pas tellement, mais si je trouve un emplacement un peu en hauteur...
Sauf que tout le monde veut le terrain en hauteur, ça puera le piège... J'aurais aimé avoir une carte.

J'ouvre ensuite les poches latérales. Une petite bouteille d'eau, des lanières de viande séchées, une miche de pain, des fruits secs, une tablette de chocolat. Bon.
La poche avant recèle elle une boîte et deux insignes. Un, rouge, avec un E sur un homme marqué dessus. Un deuxième, bleu, avec G sur un bouclier. La boîte, une fois ouverte, renferme le fameux bracelet.

Ce dernier est en cuir, avec une attache en métal. Ce qui me surprend, c'est le globe qui trône au milieu. Un log pose ?
Non. Car si il y a bien une sphère, et bien un fil en métal, ce n'est pas une aiguille qui y est suspendu, mais une espèce de minuscule cloche, dont le battant n'est pas une tige de métal avec une boule, mais un cercle de métal. Curieux.
Je donne une pichenette à la sphère. Le cercle se met bien à vibrer légèrement, mais rien d'autre ne se passe. J'attache le bracelet. Bon, il ne faudra plus l'enlever. Ce truc à forcément une utilité, il faudra que je l'étudie plus en détails...

L'inventaire effectué, je range tout dans le sac, et le met sur mon dos. Personne n'a suivi mes traces. Dommage, je me suis mouillé pour rien. Et maintenant ?
Quatre personnes sur cinq est un ennemi. Toutefois, il ne s'agit pas d'éliminer des alliés. Il faut d'abord que je soit discret, pour qu'on ne me repère pas. Tout en veillant sur mes stocks de nourriture. Je ne sais pas combien de temps dure cette épreuve, mais le peu qu'on a à manger est préoccupant. Il ne s'agit pas de s'affaiblir non plus...
Ensuite, il faut que je repère des gens. S'ils sont des alliés, se faire connaître. Si ce sont des ennemis, trouver un maximum d'informations sur eux et leurs alliés et ramener ces infos à mes compagnons.

Qu'est que je fais, là maintenant ?
Si je tombe sur quelqu'un, comment je vérifie son appartenance à un camp en particulier ? A moins de lui mettre un sabre sous la gorge... Pas vraiment idéal pour moi qui suis plus à l'aise avec un fusil qu'avec une épée...

Une chose est sûre, cet examen nous réserve des surprises. Au vu du peu de renseignements donnés jusqu'à présent, et du fait que ce soit un recrutement POUR le renseignement et le génie, il y a certainement des règles cachées, des pièges... Ce qui sera évalué, somme toute, ce sera sans doute notre capacité à recueillir des informations, à travailler en équipe ou en solitaire suivants les besoins, à résoudre des problèmes... Pas bêtement nos techniques de combat. Donc au début, il ne faut pas se faire sortir stupidement. Mais plus le temps passe, et plus ceux qui auront compris les ficelles de l'examen seront avantagés... Autrement dit...

"A quoi sert ce foutu bracelet..."

Oups. Stupide de penser tout haut. Moins je fais de bruit, mieux c'est. Bon, l'endroit n'est pas idéal pour camper. Commençons par récolter des informations alors. A quoi ressemble mon environnement immédiat, ça me paraît un bon départ. Un peu d'exploration fera du bien. Je m'extrais de la crevasse en me hissant. Puis descend à bas du rocher, au bord du ruisseau. Je m'accroupis un moment et scrute les alentours. Rien ne bouge. Malgré le poids de la neige, les arbres bruissent doucement sous l'effet du vent, et deux oiseaux criaillent, mais aucun autre son ne se fait entendre.

Un peu rassuré, je commence à explorer les environs. Forêt sous la neige. En tant normal, j'apprécierais le paysage, mais je suis extrêmement tendu et me contente de scruter le coin de coups d'œil nerveux. Un corbeau qui croasse subitement me fait sursauter.
J'ai décidé de remonter le cours d'eau. Aller en amont, pour prendre de la hauteur. Si j'arrive à la lisière des arbres, je regarderais à quoi ressemble la suite. Plaine, plateau, colline ? L'île n'est quand même pas immense, il n'y aura pas de vrai montagne...

Tout en marchant, aux aguets, mon cerveau fulmine de pensées diverses. Celle qui revient le plus, ceci dit, c'est : « Qu'est-ce que je fous là ? ».
C'est vrai, je suis juste en train de faire mon service militaire. Dans sept mois et demi, c'est fini, et je retourne en classe. Et en parallèle apprendre l'orfèvrerie. Je ne compte pas faire carrière dans l'armée. Et je me fiche de faire mon service dans l'armée de base ou dans le génie...

Alors je fais quoi, là ? Je n'ai pas demandé à venir. En fait, ils ne nous ont pas laissés le choix. Pas demandés si on souhaitait la passer cette épreuve. Juste hop, on embarque ceux qui ont l'air intelligent, on les lâche tous en pleine nature, et on rigole en les regardant se démerder. On se croirait dans un jeu stupide organisé pour le plaisir des ménagères.

Si je me laissais éliminer ? Une petite balle d'argile ou un coup d'épée en bois sur la tête. Ça fera mal cinq minutes, et puis hop, je rentre au chaud. Fini les conneries. Dès demain, je suis de retour dans la caserne, le train-train morne et chiant habituel. Mais je n'aurais pas besoin de faire le trappeur sous la neige...

Sauf que, dans les papiers de l'armée, sera marqué définitivement mon échec. C'est stupide, mais je n'ai pas envie qu'on me marque comme quelqu'un qui s'est fait jeter d'un examen à peine celui-ci commencé. C'est la honte. Alors, confort pour les prochains jours, ou fierté ? Je joue le jeu ou pas ? Et comment ou joue le jeu au fait ?

BANG !

La neige devant moi explose. On me tire dessus. Tir foiré, heureusement. Perdu dans mes pensées, j'ai fait de moins en moins attention aux bruits autour de moi.
Je m'accroupis instantanément, pour réduire la taille de la cible que je fais, et regarde rapidement autour de moi. Rien.

Je ne vais pas attendre tranquillement qu'il me mette en joue.
Je me propulse donc en avant, et commence à courir à toute vitesse, en slalomant. Une deuxième détonation retentit. Ok, c'est décidé. Je joue le jeu. Et je joue pour gagner.
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