Le 3 janvier 1625.
J'cligne des yeux dans la lumière. Temps pourri, mais c'est toujours mieux que la lueur des lanternes à bord du vieux Passeur. 1625, bonne année, santé bonheur. La bienvenue sur Grand Line à toutes les recrues prêtes à se former à Navarone.
A bord, ça parle encore joyeusement de la perm' au Cap des Jumeaux. J'enrage un peu d'avoir été mise aux arrêts, quand même. Ça m'aurait fait un peu de soleil après la tempête et avant la grisaille, j'aurais bien aimé. Mais bon, 'faut faire avec, alors je fais avec.
On débarque en uniformes, nos sacs en bandoulière jetés sur la même épaule, fusil à la main et en rangs. Nos semelles lourdes battent un pavé trempé. Et puis, sur les quais, on nous fait attendre. Vingt bonnes minutes, sous une pluie de moins en moins fine et de plus en plus battante. La discipline militaire, dans toute la splendeur de sa connerie. Ça, j'ai l'habitude maintenant. Je me rebelle pas, j'ai la respiration calme sous mes traits qui acceptent le ruissellement de l'eau. Tous, nos cheveux à tous, ils sont trempés. On frissonne sévère, c'est l'hiver ici aussi. J'sais pas trop de quel bois est fait le responsable du coin. Mais si ça continue, c'est toutes mes affaires qui vont dégorger. Même les bouquins, et j'sais que je pourrais pas m'en procurer aussi longtemps que je serais en poste à Navarone. C'est pas que j'ai des préjugés, mais je vois pas trop le coin faire dans la culture littéraire.
-Bon sang de bonsoir ! Vous êtes déjà là ?
Ça, c'est le vieux qui vient d'arriver en robe de chambre. Avec à ses côtés, un grand caporal qui le protège au parapluie avec un air impénétrable tatoué sur la gueule. On peut pas s'empêcher d'échanger des regards. Même le vieux capitaine, devant nous, affiche un tremblement d'épaule du genre de ceux qui me parlent. Il est surpris et en colère.
-Ooooh, mais c'est qu'on a pas idée d'arriver à des heures pareilles ! J'allais pour me coucher. Enfin, content de vous revoir, capitaine Traquebrousse...
-Barberousse.
-Oh oui, pardonnez-moi. Vous savez, à mon âge... Héhéhé. Vous êtes encore un jeune homme, à côté de moi. Profitez-en bien, ça passe vite, si vite !
-Oui, hum. Ce sont les hommes dont le profil a exigé un passage formateur sous votre juridiction.
-Je vois, je vois... Mes enfants, soyez les bienvenus à Navarone. Votre maison, pour au moins le prochain mois. Suivez-moi, allons nous mettre à l'abri... vous aussi, capitaine Bramedouce. Barberousse, oui, pardon. Allons !
Les membres glacés, l'uniforme détrempé et collant, je me remets en marche aux côtés des autres qui tirent autant la gueule que moi. Jusque là, l'intimidation avait adouci les caractères, mais là, ça recommence à bouillir à droite à gauche. Celui-là, la vigie suicidaire, il se balance d'avant en arrière à chaque pas, comme s'il hésitait à se jeter contre le sol. Celui-ci ricane méchamment en murmurant quelques saloperies particulièrement vicieuses sur le Vice-Amiral Andermann. Parce que tout le monde l'a déjà deviné. Ça peut être que lui. On le dit sacrément costaud, et je le crois volontiers. Mais ça empêche personne de se payer sa tête.
Est-ce que Joe l'a comprit, que ça servait à rien ? A rien de tracer son chemin en semant la haine et la terreur, par sa propre force ? Que c'est pas ça qui le ferait quitter sa mue de roquet, de sale petit rejeton du Grey T. ?
D'ailleurs, jusqu'à quel point est-ce que je l'ai compris, moi qui me suis pliée à la discipline et qui m'entraîne si durement chaque jour ? Au fond, je suis pas bien sûr de savoir ce qui me motive.
Mais ce que je sais, c'est qu'à la fin d'une journée de mission, j'ai plus la force de penser. Et que ça, ça au moins, c'est bon.
J'cligne des yeux dans la lumière. Temps pourri, mais c'est toujours mieux que la lueur des lanternes à bord du vieux Passeur. 1625, bonne année, santé bonheur. La bienvenue sur Grand Line à toutes les recrues prêtes à se former à Navarone.
A bord, ça parle encore joyeusement de la perm' au Cap des Jumeaux. J'enrage un peu d'avoir été mise aux arrêts, quand même. Ça m'aurait fait un peu de soleil après la tempête et avant la grisaille, j'aurais bien aimé. Mais bon, 'faut faire avec, alors je fais avec.
On débarque en uniformes, nos sacs en bandoulière jetés sur la même épaule, fusil à la main et en rangs. Nos semelles lourdes battent un pavé trempé. Et puis, sur les quais, on nous fait attendre. Vingt bonnes minutes, sous une pluie de moins en moins fine et de plus en plus battante. La discipline militaire, dans toute la splendeur de sa connerie. Ça, j'ai l'habitude maintenant. Je me rebelle pas, j'ai la respiration calme sous mes traits qui acceptent le ruissellement de l'eau. Tous, nos cheveux à tous, ils sont trempés. On frissonne sévère, c'est l'hiver ici aussi. J'sais pas trop de quel bois est fait le responsable du coin. Mais si ça continue, c'est toutes mes affaires qui vont dégorger. Même les bouquins, et j'sais que je pourrais pas m'en procurer aussi longtemps que je serais en poste à Navarone. C'est pas que j'ai des préjugés, mais je vois pas trop le coin faire dans la culture littéraire.
-Bon sang de bonsoir ! Vous êtes déjà là ?
Ça, c'est le vieux qui vient d'arriver en robe de chambre. Avec à ses côtés, un grand caporal qui le protège au parapluie avec un air impénétrable tatoué sur la gueule. On peut pas s'empêcher d'échanger des regards. Même le vieux capitaine, devant nous, affiche un tremblement d'épaule du genre de ceux qui me parlent. Il est surpris et en colère.
-Ooooh, mais c'est qu'on a pas idée d'arriver à des heures pareilles ! J'allais pour me coucher. Enfin, content de vous revoir, capitaine Traquebrousse...
-Barberousse.
-Oh oui, pardonnez-moi. Vous savez, à mon âge... Héhéhé. Vous êtes encore un jeune homme, à côté de moi. Profitez-en bien, ça passe vite, si vite !
-Oui, hum. Ce sont les hommes dont le profil a exigé un passage formateur sous votre juridiction.
-Je vois, je vois... Mes enfants, soyez les bienvenus à Navarone. Votre maison, pour au moins le prochain mois. Suivez-moi, allons nous mettre à l'abri... vous aussi, capitaine Bramedouce. Barberousse, oui, pardon. Allons !
Les membres glacés, l'uniforme détrempé et collant, je me remets en marche aux côtés des autres qui tirent autant la gueule que moi. Jusque là, l'intimidation avait adouci les caractères, mais là, ça recommence à bouillir à droite à gauche. Celui-là, la vigie suicidaire, il se balance d'avant en arrière à chaque pas, comme s'il hésitait à se jeter contre le sol. Celui-ci ricane méchamment en murmurant quelques saloperies particulièrement vicieuses sur le Vice-Amiral Andermann. Parce que tout le monde l'a déjà deviné. Ça peut être que lui. On le dit sacrément costaud, et je le crois volontiers. Mais ça empêche personne de se payer sa tête.
Est-ce que Joe l'a comprit, que ça servait à rien ? A rien de tracer son chemin en semant la haine et la terreur, par sa propre force ? Que c'est pas ça qui le ferait quitter sa mue de roquet, de sale petit rejeton du Grey T. ?
D'ailleurs, jusqu'à quel point est-ce que je l'ai compris, moi qui me suis pliée à la discipline et qui m'entraîne si durement chaque jour ? Au fond, je suis pas bien sûr de savoir ce qui me motive.
Mais ce que je sais, c'est qu'à la fin d'une journée de mission, j'ai plus la force de penser. Et que ça, ça au moins, c'est bon.