Serena, l'aurait pas du. Serena, l'a déconné grave. Et Serena, l'marche pas droit, Serena...
L'veut plus dire « je » pour parler d'elle, Serena. L'a trop mal à l'orgueil, encore plus au p'tit sac qu'elle se traîne, là, dans sa tête, qui s'appelle fierté. Fierté de qui de quoi et d'où, l'sait pas. Mais l'est là, lui permet d'vivre, d'gueuler quand l'monde l'agresse. Ou a l'air d'l'agresser.
Putain de bordel de merde, mais pourquoi est-ce qu'il faut toujours que ça tourne autant ?
Tourner ? Héhé. L'a fait qu'ça, Serena, d'puis qu'elle a du galon aux épaules. Au nord, au sud, à l'est, à l'ouest. L'a tout fait, des plus grandes bases au plus chtiotes, jusqu'à v'nir s'échouer sur Tanuki. La lettre de mutation, l'était formelle, la lettre. Bien polie, avec les « lieutenant » et les « veuillez agrérer. » Arégrer ? Bref. Ces conneries, tout ce velours crasse qui enrobe le fait brut : j'ai encore déconné.
Enfin, Serena. Pas moi, hein. Qu'on soit d'accord.
C'est drôle ça, quand même. Tu te mets minable, t'as les mirettes qui brillent tellement que t'es plus capable de lire une enseigne écrite en gros caractères noirs sur fond blanc, tu sens plus vraiment tes jambes et tes bras. Oh. Dégueulasses, les géraniums. Ahah.
T'as aussi comme un casque qui te sers le crâne et tout le corps, l'équilibre qui répond plus, les muscles mous. Et de tout ça, t'as qu'une conscience entrecoupée, parce que t'as l'impression que ta cervelle et tes yeux jouent au yo-yo. Ça monte et ça descend... ça monte et ça descend... ça monte et ça desc...
Beurg.
Non, non. Aller, redresse toi... Ouais, je m'redresse tête appuyée contre le crépi d'une façade. Ça doit m'écorcher un peu l'oreille, mais j'sens rien d'autre que mon cœur qui bat dans l'éraflure. J'me raccroche à ce drôle de bruit pour pas tomber. Garder une ligne, un rythme, un point de fuite. Mais j'y peux déjà plus rien. J'ai des remords, je savais bien que j'aurais pu ne pas en arriver là. Pas aller boire, en sortant de la caserne.
Ce con m'avait donné une permission, aussi. Une perm', toute seule, sans mes hommes. Qui m'aiment pas. Qu'ont pas trop de raisons de m'aimer non plus, peut-être. J'me sens si sale, si seule. La rue non plus, elle m'aime pas. Pas plus que la bouteille. Le monde est pas fait pour moi. Alors je tourne mes yeux vitreux vers le ciel pluvieux, encore une fois. Il me renvoie mon propre vide, parce que le Seigneur est pas l'ami des poivrots. Ça me tue, je me sens encore plus minable.
Et c'est mon propre dégoût qui tombe dans le tout à l'égout de Tanuki. Je gerbe tout ce que je peux, c'est ma perception des choses qui achève de basculer. Le cœur au bord des lèvres, j'ai l'âme qui se barre entre deux morceaux de fayots et une bouillie terne. Les mélanges, j'aurais cru que ça ferait plus de couleurs.
Puis d'un coup, vlam bam, c'est le noir. Deux trois focus, un réverbère, des pas pressés sur ma gauche, ma main qui tâte le caniveau souillé, mon autre main qui trouve un morceau pas net dans ma crinière fraichement rincée.
Je sais pas combien de temps s'est passé. Je m'relève, en lutte contre une force qui vient de moi et qui me dépasse. Je suis plus légère, mais les choses n'en tournoient que plus vite et plus fort. Y'a deux bras qui me soulèvent, sous les aisselles. Je me débats, j'crois reconnaître des gars du poste. Mais y'a personne, j'me bats contre des fantômes en pleine rue. Une petite mamie insomniaque me regarde de son balcon, mi-inquiète, mi-gênée. J'bloque sur elle. Je crois que j'l'insulte, mais ça, j'en suis pas sûre. Ce que je sais, par contre, c'est que ça m'a suffit pour me souvenir du pourquoi.
La lettre de mutation. Dans deux mois, je m'en vais sur Grand Line. Les Blues n'en peuvent plus de moi.
J'aurais vraiment aimé rester sur Tanuki. Une petite île sans histoire, qu'on m'avait dit, et c'était vrai. Je pensais que j'allais pouvoir m'y refaire une vie, loin de l'agitation des grandes villes et de la tension des QG. Que j'allais avoir mon temps en plus d'avoir la discipline militaire pour cadrer ma vie. Je m'étais déjà fait tout mon scénario : la petite maison que j'habiterais, la cuisine que je me ferais, le chien que j'adopterais. Tout un tas de conneries vides et creuses, mais j'en avais besoin. Je pensais vraiment en avoir besoin pour donner du corps et du cœur à tout ça.
Mais non. Mutée sur Grand Line. J'avais rien fait de mal à Tanuki. Un peu gueulé sur mes gars, sans plus. J'y étais bien. Et on va m'en arracher pour me balancer à l'aventure et à la dérive sur une mer qu'est faite rien que pour ça.
J'en chialerais, mais l'alcool m'a sucé jusqu'à la dernière goutte d'eau. On m'a fait croire des choses alors que mon cas était déjà décidé. Peut-être qu'ils prennent ça pour une récompense, là-haut ? Pour ma monté en grade plutôt rapide, mes coups d'éclat que j'serais prête à renier pour pas partir. Ils pigent pas, putain. Ils pigent pas que c'est mon putain d'arrêt de mort ou de folie qu'ils signent, en me jetant là-bas.
J'suis sans force. Je me pose, en essayant d'éviter la flaque de gerbe. Ouais. Moyen, pour l'esquive, hein ? Boh. Faudrait que je rentre. Mais pas la foi. Que je prenne un bain. Mais pas le courage. Que je dise un truc au grand mec qui me regarde du haut de ses deux mètres. Mais j'ai rien à dire d'autre que ça :
-Dégage, putain.
Ce qui a au moins le mérite d'être clair. C'est pas mon soir.
L'veut plus dire « je » pour parler d'elle, Serena. L'a trop mal à l'orgueil, encore plus au p'tit sac qu'elle se traîne, là, dans sa tête, qui s'appelle fierté. Fierté de qui de quoi et d'où, l'sait pas. Mais l'est là, lui permet d'vivre, d'gueuler quand l'monde l'agresse. Ou a l'air d'l'agresser.
Putain de bordel de merde, mais pourquoi est-ce qu'il faut toujours que ça tourne autant ?
Tourner ? Héhé. L'a fait qu'ça, Serena, d'puis qu'elle a du galon aux épaules. Au nord, au sud, à l'est, à l'ouest. L'a tout fait, des plus grandes bases au plus chtiotes, jusqu'à v'nir s'échouer sur Tanuki. La lettre de mutation, l'était formelle, la lettre. Bien polie, avec les « lieutenant » et les « veuillez agrérer. » Arégrer ? Bref. Ces conneries, tout ce velours crasse qui enrobe le fait brut : j'ai encore déconné.
Enfin, Serena. Pas moi, hein. Qu'on soit d'accord.
C'est drôle ça, quand même. Tu te mets minable, t'as les mirettes qui brillent tellement que t'es plus capable de lire une enseigne écrite en gros caractères noirs sur fond blanc, tu sens plus vraiment tes jambes et tes bras. Oh. Dégueulasses, les géraniums. Ahah.
T'as aussi comme un casque qui te sers le crâne et tout le corps, l'équilibre qui répond plus, les muscles mous. Et de tout ça, t'as qu'une conscience entrecoupée, parce que t'as l'impression que ta cervelle et tes yeux jouent au yo-yo. Ça monte et ça descend... ça monte et ça descend... ça monte et ça desc...
Beurg.
Non, non. Aller, redresse toi... Ouais, je m'redresse tête appuyée contre le crépi d'une façade. Ça doit m'écorcher un peu l'oreille, mais j'sens rien d'autre que mon cœur qui bat dans l'éraflure. J'me raccroche à ce drôle de bruit pour pas tomber. Garder une ligne, un rythme, un point de fuite. Mais j'y peux déjà plus rien. J'ai des remords, je savais bien que j'aurais pu ne pas en arriver là. Pas aller boire, en sortant de la caserne.
Ce con m'avait donné une permission, aussi. Une perm', toute seule, sans mes hommes. Qui m'aiment pas. Qu'ont pas trop de raisons de m'aimer non plus, peut-être. J'me sens si sale, si seule. La rue non plus, elle m'aime pas. Pas plus que la bouteille. Le monde est pas fait pour moi. Alors je tourne mes yeux vitreux vers le ciel pluvieux, encore une fois. Il me renvoie mon propre vide, parce que le Seigneur est pas l'ami des poivrots. Ça me tue, je me sens encore plus minable.
Et c'est mon propre dégoût qui tombe dans le tout à l'égout de Tanuki. Je gerbe tout ce que je peux, c'est ma perception des choses qui achève de basculer. Le cœur au bord des lèvres, j'ai l'âme qui se barre entre deux morceaux de fayots et une bouillie terne. Les mélanges, j'aurais cru que ça ferait plus de couleurs.
Puis d'un coup, vlam bam, c'est le noir. Deux trois focus, un réverbère, des pas pressés sur ma gauche, ma main qui tâte le caniveau souillé, mon autre main qui trouve un morceau pas net dans ma crinière fraichement rincée.
Je sais pas combien de temps s'est passé. Je m'relève, en lutte contre une force qui vient de moi et qui me dépasse. Je suis plus légère, mais les choses n'en tournoient que plus vite et plus fort. Y'a deux bras qui me soulèvent, sous les aisselles. Je me débats, j'crois reconnaître des gars du poste. Mais y'a personne, j'me bats contre des fantômes en pleine rue. Une petite mamie insomniaque me regarde de son balcon, mi-inquiète, mi-gênée. J'bloque sur elle. Je crois que j'l'insulte, mais ça, j'en suis pas sûre. Ce que je sais, par contre, c'est que ça m'a suffit pour me souvenir du pourquoi.
La lettre de mutation. Dans deux mois, je m'en vais sur Grand Line. Les Blues n'en peuvent plus de moi.
J'aurais vraiment aimé rester sur Tanuki. Une petite île sans histoire, qu'on m'avait dit, et c'était vrai. Je pensais que j'allais pouvoir m'y refaire une vie, loin de l'agitation des grandes villes et de la tension des QG. Que j'allais avoir mon temps en plus d'avoir la discipline militaire pour cadrer ma vie. Je m'étais déjà fait tout mon scénario : la petite maison que j'habiterais, la cuisine que je me ferais, le chien que j'adopterais. Tout un tas de conneries vides et creuses, mais j'en avais besoin. Je pensais vraiment en avoir besoin pour donner du corps et du cœur à tout ça.
Mais non. Mutée sur Grand Line. J'avais rien fait de mal à Tanuki. Un peu gueulé sur mes gars, sans plus. J'y étais bien. Et on va m'en arracher pour me balancer à l'aventure et à la dérive sur une mer qu'est faite rien que pour ça.
J'en chialerais, mais l'alcool m'a sucé jusqu'à la dernière goutte d'eau. On m'a fait croire des choses alors que mon cas était déjà décidé. Peut-être qu'ils prennent ça pour une récompense, là-haut ? Pour ma monté en grade plutôt rapide, mes coups d'éclat que j'serais prête à renier pour pas partir. Ils pigent pas, putain. Ils pigent pas que c'est mon putain d'arrêt de mort ou de folie qu'ils signent, en me jetant là-bas.
J'suis sans force. Je me pose, en essayant d'éviter la flaque de gerbe. Ouais. Moyen, pour l'esquive, hein ? Boh. Faudrait que je rentre. Mais pas la foi. Que je prenne un bain. Mais pas le courage. Que je dise un truc au grand mec qui me regarde du haut de ses deux mètres. Mais j'ai rien à dire d'autre que ça :
-Dégage, putain.
Ce qui a au moins le mérite d'être clair. C'est pas mon soir.