Les premiers rayons du soleil chassent le ciel d'encre, percent à travers les rideaux café au lait trop clair de ma piaule minable. On devine déjà le temps maussade qui va squatter l'endroit toute la journée, y'a un manteau de nuages épais comme pas permis. Le clocher tardera pas à tinter six fois. J'émergeais déjà quand il a rempli son office, un peu plus tôt. C'est l'heure. Je soupire un coup, me redresse contre la tête de lit et jette un oeil vers la silhouette endormie à côté de moi. Une cliente paumée qui voulait pas passer la nuit seule. Je fume. C'est rare mais y'a des matins comme ça ... Y'a une choppe aux trois-quarts vide à côté de moi, sur la table de chevet miteuse, à côté de la lampe miteuse de cette chambre miteuse. Une gorgée achève le fond d'alcool, le verre est reconverti en cendar. On va pas plus dégueulasser les draps qu'ils ne le sont déjà.
Y'a mon falzar qui glande, couché par terre à côté de moi. Il a dormi là, on dirait. J'vois une première gaudasse, à moitié embusquée sous une jambe du jean. L'autre fait le guet au niveau de la porte, entrebaillée. On sait jamais. Ma chemise ... elle est où, celle-là ? Hm, je l'ai pas enlevée de la nuit en fait. Trois boutons remis correctement, je repousse la couverture de l'autre côté du lit et finit de me sapper. Perdu une chaussette, on dirait. On s'en fout.
Tu ... tu t'en vas ?
Elle est réveillée. Sa voix prend même pas une intonation déçue, comme ça arrive parfois. Elle est trop lassée de la vie pour ça. Trente-cinq piges peut-être, seule, ballotée par la vie. Elle a épousé les emmerdes. Elle va pas faire un flan d'un minet trop sale sur lui pour demander un deuxième rencard et de dix ans au moins son cadet qui file sans dire au revoir. J'ai la sale migraine du manque de sommeil trop longtemps répété ces dernières semaines qui me prend, j'ai pas envie de lui causer. Mais bon. On fait rarement ce qu'on veut, dans la vie.
Faut qu'j'aille bouffer. Bosser.
Manger ...
Elle a dit ça l'air d'apprécier la proposition. C'en était pas une. J'lui réponds que bouffer, c'est bien, et que c'est pour ça qu'il faut que j'aille bosser. J'ai plus un rond ou presque. Mon ex-paye de marine me fait salement la nique des jours comme ça. Fait chier. Elle dit qu'elle serait contente si je lui ramenais un café. Elle m'emmerde mais c'est pas de son fait. J'lui dis que je vais voir pour ça, qu'elle peut descendre quand elle veut. Et je sors.
L'escalier craque sous mes pas, je me gifle deux ou trois fois pour relancer la machine qui se plaint de la fatigue physique et nerveuse qui l'étreint. Quand on se sait dans une situation précaire, on est pas d'entrain en se levant. On rumine. On se ronge un peu le sang, on agresse sans le vouloir. On vit pas, on survit. Pitoyablement. Rez-de-chaussée. Y'a un serveur qui dort debout, au bar. Je cogne. Contre le bois. Il se réveille dans un sursaut, demande d'une voix endormie ce qui se passe.
Y'a une femme qui descendra. Tu lui offres ce qu'elle veut boire.
J'lui file dix Berrys à lui, au lieu des vingt règlementaires de l'endroit. Mais ils vont dans la poche du jeunot qui l'est pas franchement plus que moi, alors l'affaire marche pour tout le monde. Voilà. J'peux pas faire mieux. Jme barre.
Y'a un espèce de brouillard qui nappe les rues, la bruine froide qui rend les pavés glissants même s'ils sont couverts de merde. L'air frais prend aux bronches quand jl'aspire. C'est bien, ça finit de me tirer du coltard. Autour, personne. Même pas un poivrot trop cuit. Pas plus mal. Pognes bien au fond des poches, je remonte les ruelles pas fréquentables. J'sais pas trop où aller, mais on trouve rarement ce qu'on cherche dans ces quartiers. Et on tombe souvent sur ce qu'on veut pas croiser. Mes grolles claquent la pierre à chaque pas, un nuage de buée m'enveloppe à intervalle régulier. J'mire un clebs famélique, au poil rongé ici et là, qui cherche dans un tas d'ordure le repas qu'il a pas eu depuis trois jours peut-être. Je m'approche, voir si dans le monticule dont il atteint pas le sommet, y'a un truc pour lui. Il grogne, montre un croc. Démerde toi.
Vingt minutes de marche. On approche des sept heures. Quelques pèlerins foutent le nez dehors. Ceux-là ont un job, sinon, pourquoi se lever si tôt. C'est assez con. Jme gèle plus, les muscles se sont réchauffés tout seuls. Sans trop m'en rendre compte, jme suis dirigé vers le seul coin familier : l'office de la marine. Vieille habitude. Jamais eu que ce foyer, depuis mes treize piges. Alors, c'est pas une radiation en carton qui va chasser les automatismes. Je mire l'uniforme au guichet, et le mec dedans. Cinquantenaire en fin de carrière, l'air bonhomme du gars qui attend juste sa paye sans prendre de risque. Un faible. Ça le gonfle déjà beaucoup de devoir se coltiner les horaires de nuit. Il attend juste qu'on vienne le relever pour rentrer se faire plaindre par sa rombière dans son douillet chez lui. Elle est belle, la Marine. On fiche à la porte les mecs réglos et on engraisse les incapables. Un jour, les gens accepteront plus ça. Un jour. Mais pas aujourd'hui.
Je l'envisage, sans détour, le regard dur de celui qui est habitué à diriger.
La nuit a été calme, collègue ?
Collègue ? Z'êtes pas du coin, vous.
West Blue.
Et vous venez foutre quoi si loin de chez vous, si j'peux me permettre, soldat ... ?
Future mutation. Et c'est Lieutenant. Lieutenant Elvis Trinita.
Là, il perd presque son équilibre sur sa petite chaise. Mon nom a résonné jusque dans ce coin. Officiellement, je suis un héros de la marine. Mon éviction s'est fait dans la plus sournoise discrétion. Comme quoi, ça sert.
Alors, rien à signaler ?
Euh ... non non ... enfin, presque rien ... euh ...
Précisez.
Une cave a pris feu, cette nuit. Sortie Sud. Vers les villas.
Et ? Vous êtes allé voir ?
Aller voir ? C'est que ... il s'agit de la demeure de Sir Tènement et il n'est pas bon de se mêler de ses affaires ...
C'est le rôle de la marine, de s'occuper des troubles, non ?
On lui prête des relations avec la pègre, mon Lieutenant ...
Je vois. ... Soldat ?
Mon Lieutenant ?
Vous avez bien agi. Je vais aller enquêter sur place. Taisez cette information à vos collègues. Tout doit se dérouler dans la plus parfaite discrétion. Ne mentionnez même pas ma visite ici. C'est un ordre.
Bien, mon Lieutenant !
Votre dévouement sera dignement récompensé.
Il est tout fier, le couard. Mais j'peux pas me plaindre. Grâce à lui, j'ai peut-être trouvé à me faire embaucher ailleurs. Le procédé laisse à désirer, mais quand on a faim, il faut savoir cibler ses priorités. Je ressors de l'Office sur un dernier regard convaincu adressé au "Seconde classe Walace " qui prie déjà secrètement pour une promotion inespérée.
Je marche. Réfléchis vaguement. Va falloir y aller avec les tripes, et beaucoup de gueule. J'ai des deux. Les premières m'ont toujours servies, l'autre m'a joué de sales tours. Au pire, si ça rate, il sera toujours temps de chercher un taf' minable, payé au lance-pierre, comme tous les monsieur tout le monde sans envergure. Mais pourquoi s'en contenter ? J'aspire à mieux. À beaucoup mieux. Avec un peu de chance, on va me payer pour faire ce que j'aime. Hors horaires de service, même pas imposé.
On m'indique la villa que je recherche en me jetant un regard où danse la curiosité, derrière la crainte qu'inspire le nom. La ville s'éveille. Pourtant, y fait pas lumineux. Non, c'est sombre, dépressif. Y'a pas un sourire sur les visages, pas une lueur de chaleur dans le décor. Que le gris du bitume et celui du ciel qui se font face et se rejoignent à l'horizon. J'arrive devant le haut portail de l'entrée de la demeure. Y'a une effervescence soigneusement camouflée, sur place. Presque parfaitement, mais on trompe pas l'instinct de l'enquêteur. Et il y a ce très léger voile de fumée, qui s'élève depuis l'arrière et danse ici dans une odeur tout à fait particulière. J'attends. Checke la géographie des lieux sans trop en avoir l'air. Un malabar finit par remarquer le manège et se ramène. Il sort les dents; comme le chien de tout à l'heure. Mais j'me méfiais plus du canidé que de lui. Je demande à parler à son patron. Une première fois gentiment. La seconde en tordant un peu l'un des barreaux de la grille qui nous sépare. J'ai son attention. Je rentre.
On me conduit dans un petit bureau annexe. C'est pas celui du patron, à coup sûr. Mais c'est un premier pas. On me désigne un siège en bois, et m'intime d'attendre là sans faire d'histoire. Ça me va. Un individu bien sapé comme il faut se pointe. Je l'évalue au rang d'homme de confiance. Si je le convaincs lui, c'est dans la poche. Il a le visage cordial, les gestes polis mais le ton cassant.
Faites vite, je vous prie, je suis occupé.
Ouais, l'incendie hein ...
Pardon ?
Voilà le plan, monsieur : je me propose de vous aider à régler votre petite affaire d'incendie.
Il est déjà éteint, en quoi pourriez-vous nous être utile ?
J'pourrais peut-être retrouver ce qu'on vous a dérobé...
Il se crispe. Lève une main déjà, pour demander à son molosse resté en retrait d'intervenir. Bingo, j'ai vu juste.
Relax. Vous m'avez dit de faire vite, non ? Si j'suis ici, c'est pas pour vous chercher des crosses, j'suis pas assez con pour ça. Non, j'suis là parce que je peux vous aider. Et que vous, vous avez des tas de billets verts dans vos caisses pour embaucher des gens compétents comme moi. Sauf que les autres gens, ils sont pas là. Moi, oui. Et j'pars pas sans être embauché.
Ho ... et si je vous réponds non ?
J'vais tout répéter à la marine, bien sûr.
Il se recrispe. L'autre s'agite dans mon dos, attend un signal. Grand sourire. Arrogant, un peu. Confiant, surtout. Je mens pas sur mes capacités. Seulement, je peux pas déballer mon CV au gusse, ça ferait mauvais genre. Il me toise, silencieux. Puis éclate de rire.
Vous en avez, du cran, jeune homme. C'est appréciable. Entendu. Vous êtes embauché. Monsieur ... ?
Elvis.
Poignée de main franche, sourire entendu. Et soudain, l'étreinte se referme, il me plaque contre son épaule. Merde. Une voix sombre.
J'espère que vous savez ce que vous faites... Elvis.
J'espère aussi ... Et il me relâche. Il m'aurait presque foutu la trouille, ce con. Il extrait d'un tiroir de son bureau une enveloppe, qu'il me balance, indifférent, en disant que ça devrait couvrir les frais d'enquête. Y'a facile cent barres, au poids. Il a jeté ça tellement négligemment que ça m'en file la gerbe. Juste après, il dispense ses ordres à son homme de main.
Conduis le au sous-sol. Ne le lâche pas d'une semelle. Je veux un rapport détaillé toutes les heures.
Et le pti déj au lit, aussi ? Je me tais. Je suis mon guide jusqu'à la scène de crime. Ça y est, j'y suis.
Tu reprends du service Lieutenant.
Y'a mon falzar qui glande, couché par terre à côté de moi. Il a dormi là, on dirait. J'vois une première gaudasse, à moitié embusquée sous une jambe du jean. L'autre fait le guet au niveau de la porte, entrebaillée. On sait jamais. Ma chemise ... elle est où, celle-là ? Hm, je l'ai pas enlevée de la nuit en fait. Trois boutons remis correctement, je repousse la couverture de l'autre côté du lit et finit de me sapper. Perdu une chaussette, on dirait. On s'en fout.
Tu ... tu t'en vas ?
Elle est réveillée. Sa voix prend même pas une intonation déçue, comme ça arrive parfois. Elle est trop lassée de la vie pour ça. Trente-cinq piges peut-être, seule, ballotée par la vie. Elle a épousé les emmerdes. Elle va pas faire un flan d'un minet trop sale sur lui pour demander un deuxième rencard et de dix ans au moins son cadet qui file sans dire au revoir. J'ai la sale migraine du manque de sommeil trop longtemps répété ces dernières semaines qui me prend, j'ai pas envie de lui causer. Mais bon. On fait rarement ce qu'on veut, dans la vie.
Faut qu'j'aille bouffer. Bosser.
Manger ...
Elle a dit ça l'air d'apprécier la proposition. C'en était pas une. J'lui réponds que bouffer, c'est bien, et que c'est pour ça qu'il faut que j'aille bosser. J'ai plus un rond ou presque. Mon ex-paye de marine me fait salement la nique des jours comme ça. Fait chier. Elle dit qu'elle serait contente si je lui ramenais un café. Elle m'emmerde mais c'est pas de son fait. J'lui dis que je vais voir pour ça, qu'elle peut descendre quand elle veut. Et je sors.
L'escalier craque sous mes pas, je me gifle deux ou trois fois pour relancer la machine qui se plaint de la fatigue physique et nerveuse qui l'étreint. Quand on se sait dans une situation précaire, on est pas d'entrain en se levant. On rumine. On se ronge un peu le sang, on agresse sans le vouloir. On vit pas, on survit. Pitoyablement. Rez-de-chaussée. Y'a un serveur qui dort debout, au bar. Je cogne. Contre le bois. Il se réveille dans un sursaut, demande d'une voix endormie ce qui se passe.
Y'a une femme qui descendra. Tu lui offres ce qu'elle veut boire.
J'lui file dix Berrys à lui, au lieu des vingt règlementaires de l'endroit. Mais ils vont dans la poche du jeunot qui l'est pas franchement plus que moi, alors l'affaire marche pour tout le monde. Voilà. J'peux pas faire mieux. Jme barre.
Y'a un espèce de brouillard qui nappe les rues, la bruine froide qui rend les pavés glissants même s'ils sont couverts de merde. L'air frais prend aux bronches quand jl'aspire. C'est bien, ça finit de me tirer du coltard. Autour, personne. Même pas un poivrot trop cuit. Pas plus mal. Pognes bien au fond des poches, je remonte les ruelles pas fréquentables. J'sais pas trop où aller, mais on trouve rarement ce qu'on cherche dans ces quartiers. Et on tombe souvent sur ce qu'on veut pas croiser. Mes grolles claquent la pierre à chaque pas, un nuage de buée m'enveloppe à intervalle régulier. J'mire un clebs famélique, au poil rongé ici et là, qui cherche dans un tas d'ordure le repas qu'il a pas eu depuis trois jours peut-être. Je m'approche, voir si dans le monticule dont il atteint pas le sommet, y'a un truc pour lui. Il grogne, montre un croc. Démerde toi.
Vingt minutes de marche. On approche des sept heures. Quelques pèlerins foutent le nez dehors. Ceux-là ont un job, sinon, pourquoi se lever si tôt. C'est assez con. Jme gèle plus, les muscles se sont réchauffés tout seuls. Sans trop m'en rendre compte, jme suis dirigé vers le seul coin familier : l'office de la marine. Vieille habitude. Jamais eu que ce foyer, depuis mes treize piges. Alors, c'est pas une radiation en carton qui va chasser les automatismes. Je mire l'uniforme au guichet, et le mec dedans. Cinquantenaire en fin de carrière, l'air bonhomme du gars qui attend juste sa paye sans prendre de risque. Un faible. Ça le gonfle déjà beaucoup de devoir se coltiner les horaires de nuit. Il attend juste qu'on vienne le relever pour rentrer se faire plaindre par sa rombière dans son douillet chez lui. Elle est belle, la Marine. On fiche à la porte les mecs réglos et on engraisse les incapables. Un jour, les gens accepteront plus ça. Un jour. Mais pas aujourd'hui.
Je l'envisage, sans détour, le regard dur de celui qui est habitué à diriger.
La nuit a été calme, collègue ?
Collègue ? Z'êtes pas du coin, vous.
West Blue.
Et vous venez foutre quoi si loin de chez vous, si j'peux me permettre, soldat ... ?
Future mutation. Et c'est Lieutenant. Lieutenant Elvis Trinita.
Là, il perd presque son équilibre sur sa petite chaise. Mon nom a résonné jusque dans ce coin. Officiellement, je suis un héros de la marine. Mon éviction s'est fait dans la plus sournoise discrétion. Comme quoi, ça sert.
Alors, rien à signaler ?
Euh ... non non ... enfin, presque rien ... euh ...
Précisez.
Une cave a pris feu, cette nuit. Sortie Sud. Vers les villas.
Et ? Vous êtes allé voir ?
Aller voir ? C'est que ... il s'agit de la demeure de Sir Tènement et il n'est pas bon de se mêler de ses affaires ...
C'est le rôle de la marine, de s'occuper des troubles, non ?
On lui prête des relations avec la pègre, mon Lieutenant ...
Je vois. ... Soldat ?
Mon Lieutenant ?
Vous avez bien agi. Je vais aller enquêter sur place. Taisez cette information à vos collègues. Tout doit se dérouler dans la plus parfaite discrétion. Ne mentionnez même pas ma visite ici. C'est un ordre.
Bien, mon Lieutenant !
Votre dévouement sera dignement récompensé.
Il est tout fier, le couard. Mais j'peux pas me plaindre. Grâce à lui, j'ai peut-être trouvé à me faire embaucher ailleurs. Le procédé laisse à désirer, mais quand on a faim, il faut savoir cibler ses priorités. Je ressors de l'Office sur un dernier regard convaincu adressé au "Seconde classe Walace " qui prie déjà secrètement pour une promotion inespérée.
Je marche. Réfléchis vaguement. Va falloir y aller avec les tripes, et beaucoup de gueule. J'ai des deux. Les premières m'ont toujours servies, l'autre m'a joué de sales tours. Au pire, si ça rate, il sera toujours temps de chercher un taf' minable, payé au lance-pierre, comme tous les monsieur tout le monde sans envergure. Mais pourquoi s'en contenter ? J'aspire à mieux. À beaucoup mieux. Avec un peu de chance, on va me payer pour faire ce que j'aime. Hors horaires de service, même pas imposé.
On m'indique la villa que je recherche en me jetant un regard où danse la curiosité, derrière la crainte qu'inspire le nom. La ville s'éveille. Pourtant, y fait pas lumineux. Non, c'est sombre, dépressif. Y'a pas un sourire sur les visages, pas une lueur de chaleur dans le décor. Que le gris du bitume et celui du ciel qui se font face et se rejoignent à l'horizon. J'arrive devant le haut portail de l'entrée de la demeure. Y'a une effervescence soigneusement camouflée, sur place. Presque parfaitement, mais on trompe pas l'instinct de l'enquêteur. Et il y a ce très léger voile de fumée, qui s'élève depuis l'arrière et danse ici dans une odeur tout à fait particulière. J'attends. Checke la géographie des lieux sans trop en avoir l'air. Un malabar finit par remarquer le manège et se ramène. Il sort les dents; comme le chien de tout à l'heure. Mais j'me méfiais plus du canidé que de lui. Je demande à parler à son patron. Une première fois gentiment. La seconde en tordant un peu l'un des barreaux de la grille qui nous sépare. J'ai son attention. Je rentre.
On me conduit dans un petit bureau annexe. C'est pas celui du patron, à coup sûr. Mais c'est un premier pas. On me désigne un siège en bois, et m'intime d'attendre là sans faire d'histoire. Ça me va. Un individu bien sapé comme il faut se pointe. Je l'évalue au rang d'homme de confiance. Si je le convaincs lui, c'est dans la poche. Il a le visage cordial, les gestes polis mais le ton cassant.
Faites vite, je vous prie, je suis occupé.
Ouais, l'incendie hein ...
Pardon ?
Voilà le plan, monsieur : je me propose de vous aider à régler votre petite affaire d'incendie.
Il est déjà éteint, en quoi pourriez-vous nous être utile ?
J'pourrais peut-être retrouver ce qu'on vous a dérobé...
Il se crispe. Lève une main déjà, pour demander à son molosse resté en retrait d'intervenir. Bingo, j'ai vu juste.
Relax. Vous m'avez dit de faire vite, non ? Si j'suis ici, c'est pas pour vous chercher des crosses, j'suis pas assez con pour ça. Non, j'suis là parce que je peux vous aider. Et que vous, vous avez des tas de billets verts dans vos caisses pour embaucher des gens compétents comme moi. Sauf que les autres gens, ils sont pas là. Moi, oui. Et j'pars pas sans être embauché.
Ho ... et si je vous réponds non ?
J'vais tout répéter à la marine, bien sûr.
Il se recrispe. L'autre s'agite dans mon dos, attend un signal. Grand sourire. Arrogant, un peu. Confiant, surtout. Je mens pas sur mes capacités. Seulement, je peux pas déballer mon CV au gusse, ça ferait mauvais genre. Il me toise, silencieux. Puis éclate de rire.
Vous en avez, du cran, jeune homme. C'est appréciable. Entendu. Vous êtes embauché. Monsieur ... ?
Elvis.
Poignée de main franche, sourire entendu. Et soudain, l'étreinte se referme, il me plaque contre son épaule. Merde. Une voix sombre.
J'espère que vous savez ce que vous faites... Elvis.
J'espère aussi ... Et il me relâche. Il m'aurait presque foutu la trouille, ce con. Il extrait d'un tiroir de son bureau une enveloppe, qu'il me balance, indifférent, en disant que ça devrait couvrir les frais d'enquête. Y'a facile cent barres, au poids. Il a jeté ça tellement négligemment que ça m'en file la gerbe. Juste après, il dispense ses ordres à son homme de main.
Conduis le au sous-sol. Ne le lâche pas d'une semelle. Je veux un rapport détaillé toutes les heures.
Et le pti déj au lit, aussi ? Je me tais. Je suis mon guide jusqu'à la scène de crime. Ça y est, j'y suis.
Tu reprends du service Lieutenant.