Dix-huit heures. Fin du service, et c'est pas trop tôt. Je suis sur le pont depuis huit heures pétantes. Si le Capitaine Hadoc m'avait tenu informé de ce léger détail au moment de m'engager, pas sûr que j'aurais topé. Mais j'avais pas des masses le choix, sur le moment; et la situation est ce qu'elle est maintenant, ça sert à rien de ressasser. Je suis pas tout à fait à l'aise dans ce nouvel environnement et dans mon nouveau costume, c'est pourquoi le Commodore a jugé bon de m'offrir un petit stage pratique sur l'une des bases d'East Blue avant d'embarquer à bord de son navire, Le Passeur. Et de m'accorder le droit d'arborer ma tenue de civil. Un chouette costard, faut dire, ça m'aurait coûté de le jeter au feu. Me voilà en probation, pourrait-on dire; ça fait grincer des dents le petit Commandant qui sera mon supérieur hiérarchique une fois dans le grand bain. Je sens qu'on va bien s'entendre lui et moi. Il fait le grincheux par principe, pour impressionner les criminels et les potentielles recrues, mais dans le fond, il doit être sympa. Je crois.
Un mois pour apprendre le b-a-ba de la conduite du bon marine. C'est peu. Mais qu'est ce que c'est long. Y'aurait un peu d'action, un peu d'intervention, je dis pas, mais là. Dix heures de boulot insipide, à saluer des gradés, à envoyer du "monsieur" au monde, à manier le tampon et l'agrafeuse comme un fichu gratte-papier. Jouer les messagers entre deux ailes du bâtiment, c'est la seule distraction, le seul moment de pause où je peux m'en griller une peinard en me faisant passer pour un civil auprès de ceux qui ont pas encore bien eu le temps d'enregistrer ma bouille. Bref, la vie d'ambassadeur de la Justice, elle est bien morne. Mais, heureusement, ça représente que dix heures. Ça en laisse encore un paquet pour rattraper le coup. Je suis pas officiellement rattaché à la base, je suis pas tenu de respecter le couvre-feu. Ça en fait saliver un ou deux, du dortoir, de savoir que je peux partir me divertir, arroser ma soirée comme je l'entends. Bien sûr, y'a aussi ceux qui me demandent si j'envisage sérieusement de partir au bar tous les soirs de la semaine, j'réponds que j'y compte bien. Même si c'est pas faire honneur à l'uniforme que je porte pas ? Absolument, et la bonne soirée à vous aussi. Et je sors.
Je m'en grille une, sitôt sorti de l'enceinte. Vrai qu'avec ça, ne pas fumer pendant les heures de boulot, ça fait drastiquement revoir à ma baisse ma consommation de clopes. Et de picole. Mais j'compte bien rattraper soigneusement tout ça ce soir. Y'a un bar, un peu kitch mais bien festif, où j'ai mes entrées. Pas le genre bar huppé et sur-côtoyé où je risque de tomber sur des supérieurs. Non, juste un petit établissement pas trop raccord avec ce qui est en vogue en ce moment, pas trop lumineux et pas bien cher niveau carte des alcools. La clientèle est du genre paisible et c'est tant mieux, aucune envie de devoir faire valoir mon nouveau statut de représentant de l'Ordre auprès de tel ou tel mec trop saoul et un peu turbulent. Y'a pas mal de vieux loups de mer au teint fané par les années sous le soleil et le sel, d'artistes ratés à la coiffure portée disparue, et de gars un peu crapuleux mais à peu près réglos aussi. Ça y joue parfois des vieux airs de jazz, quand un groupe itinérant négocie bien le coup et fait le fond sonore pour la soirée. Pas le cas aujourd'hui, mais y'a mieux. On est mercredi.
Et le mercredi, pour ceux qui connaissent le rendez-vous, c'est poker. Quinze ou vingt joueurs qui se retrouvent, dans l'arrière-boutique éclairée à la lanterne, répartis entre trois tables un peu old school et même pas de jetons pour les mises. Juste des biftons. Un cadre pareil, ça incite. Des jeux d'ombre et de bluff. Y'a toujours un bon joueur ou deux, parce que c'est ainsi, dans tout bon tournoi. Y'a aussi les habitués, qui viennent tant pour distiller de bonnes anecdotes et mettre l'ambiance que pour jouer. Et y'a le patron du rade qui en est parfois aussi; quand on gère un bar, on se tient jamais bien loin des jeux d'argent.
J'arrive, écrase ma clope par terre avant d'entrer. Petite porte de troquet à clochette. Ça tinte, un petit son clair qui met d'entrain. C'est déjà la quatre ou cinquième fois que je viens en vingt jours, on commence à me reconnaître au faciès. Pas loin de rentrer dans la catégorie habitués du coin, alors le serveur me lance un " Tiens bonjour " sympa. Y'a du monde, mais c'est pas complètement plein. Ça l'est rarement, faut dire. Mais là, c'est un peu trop vide.
J'suis en avance ?
Un peu. On lance dans une petite demi-heure.
Alors, une bière, pour patienter.
Une bière, ça marche.
Tirée au fût, s'il vous plait. Je m'installe sur mon tabouret, au bar, me retourne pour mirer un peu le beau monde. Deux-trois visages familiers, dans le lot; un signe de tête à l'un, avec qui j'ai tenu une de ses bonnes discussions de soirées qui mènent on sait jamais trop où la dernière fois.
Et voilà, ça fera vingt Berrys.
La monnaie transite, le serveur file. Y'a quelques autres gens que moi, au comptoir, faut les satisfaire aussi. Sur ma gauche, je l'entends prendre les commandes et glisser la remarque l'air de rien.
Bonjour, vous venez pour le tournoi ?
Un mois pour apprendre le b-a-ba de la conduite du bon marine. C'est peu. Mais qu'est ce que c'est long. Y'aurait un peu d'action, un peu d'intervention, je dis pas, mais là. Dix heures de boulot insipide, à saluer des gradés, à envoyer du "monsieur" au monde, à manier le tampon et l'agrafeuse comme un fichu gratte-papier. Jouer les messagers entre deux ailes du bâtiment, c'est la seule distraction, le seul moment de pause où je peux m'en griller une peinard en me faisant passer pour un civil auprès de ceux qui ont pas encore bien eu le temps d'enregistrer ma bouille. Bref, la vie d'ambassadeur de la Justice, elle est bien morne. Mais, heureusement, ça représente que dix heures. Ça en laisse encore un paquet pour rattraper le coup. Je suis pas officiellement rattaché à la base, je suis pas tenu de respecter le couvre-feu. Ça en fait saliver un ou deux, du dortoir, de savoir que je peux partir me divertir, arroser ma soirée comme je l'entends. Bien sûr, y'a aussi ceux qui me demandent si j'envisage sérieusement de partir au bar tous les soirs de la semaine, j'réponds que j'y compte bien. Même si c'est pas faire honneur à l'uniforme que je porte pas ? Absolument, et la bonne soirée à vous aussi. Et je sors.
Je m'en grille une, sitôt sorti de l'enceinte. Vrai qu'avec ça, ne pas fumer pendant les heures de boulot, ça fait drastiquement revoir à ma baisse ma consommation de clopes. Et de picole. Mais j'compte bien rattraper soigneusement tout ça ce soir. Y'a un bar, un peu kitch mais bien festif, où j'ai mes entrées. Pas le genre bar huppé et sur-côtoyé où je risque de tomber sur des supérieurs. Non, juste un petit établissement pas trop raccord avec ce qui est en vogue en ce moment, pas trop lumineux et pas bien cher niveau carte des alcools. La clientèle est du genre paisible et c'est tant mieux, aucune envie de devoir faire valoir mon nouveau statut de représentant de l'Ordre auprès de tel ou tel mec trop saoul et un peu turbulent. Y'a pas mal de vieux loups de mer au teint fané par les années sous le soleil et le sel, d'artistes ratés à la coiffure portée disparue, et de gars un peu crapuleux mais à peu près réglos aussi. Ça y joue parfois des vieux airs de jazz, quand un groupe itinérant négocie bien le coup et fait le fond sonore pour la soirée. Pas le cas aujourd'hui, mais y'a mieux. On est mercredi.
Et le mercredi, pour ceux qui connaissent le rendez-vous, c'est poker. Quinze ou vingt joueurs qui se retrouvent, dans l'arrière-boutique éclairée à la lanterne, répartis entre trois tables un peu old school et même pas de jetons pour les mises. Juste des biftons. Un cadre pareil, ça incite. Des jeux d'ombre et de bluff. Y'a toujours un bon joueur ou deux, parce que c'est ainsi, dans tout bon tournoi. Y'a aussi les habitués, qui viennent tant pour distiller de bonnes anecdotes et mettre l'ambiance que pour jouer. Et y'a le patron du rade qui en est parfois aussi; quand on gère un bar, on se tient jamais bien loin des jeux d'argent.
J'arrive, écrase ma clope par terre avant d'entrer. Petite porte de troquet à clochette. Ça tinte, un petit son clair qui met d'entrain. C'est déjà la quatre ou cinquième fois que je viens en vingt jours, on commence à me reconnaître au faciès. Pas loin de rentrer dans la catégorie habitués du coin, alors le serveur me lance un " Tiens bonjour " sympa. Y'a du monde, mais c'est pas complètement plein. Ça l'est rarement, faut dire. Mais là, c'est un peu trop vide.
J'suis en avance ?
Un peu. On lance dans une petite demi-heure.
Alors, une bière, pour patienter.
Une bière, ça marche.
Tirée au fût, s'il vous plait. Je m'installe sur mon tabouret, au bar, me retourne pour mirer un peu le beau monde. Deux-trois visages familiers, dans le lot; un signe de tête à l'un, avec qui j'ai tenu une de ses bonnes discussions de soirées qui mènent on sait jamais trop où la dernière fois.
Et voilà, ça fera vingt Berrys.
La monnaie transite, le serveur file. Y'a quelques autres gens que moi, au comptoir, faut les satisfaire aussi. Sur ma gauche, je l'entends prendre les commandes et glisser la remarque l'air de rien.
Bonjour, vous venez pour le tournoi ?