Ouvrir les mirettes et s’apercevoir qu'on ne sait pas où l'on a passé la nuit ? Je sais le faire. A dire vrai, ceci marque mon quotidien. Le quotidien d'un misérable pirate n'étant plus tout jeune, qui n'a rien fait de sa vie si ce n'est liquider les réserves de rhum des tavernes. Balior The Hungry Blackness, dit le soiffard. L'homme qui n'a jamais su quand cesser de remplir son godet. L'homme qui n'a compris que l'alcool ne rendait pas meilleur, ni n'améliorer la vie. Bien au contraire, la bibine brise votre vie, la rend chaotique est infecte, du moins c'est la sensation qui m'envahit à chaque lendemain de beuverie. Aussi ne fus-je pas tellement surpris de me retrouver au beau milieu de nulle part, la bouche pâteuse et le crâne martelé. Chaque réveil est similaire à celui-ci pour moi, on s'y habitue à force.
Nom d'une pipe en terre ! C'est quoi tout ce boucan ?!
Comprenez-moi, tout juste revenu des bras de Morphée, que mon cerveau est agressé par d'importants bruits de bataille. Pas loin d'ici, il y a des malheureux qui s’entre-tuent et le ramdam qu'ils produisent s'entend à des kilomètres à la ronde. Un grognement s'échappe de ma gorge. Les jeunes de nos jours, ils ne savent plus s'étriper en silence. Et le respect pour les vieux clochards qui roupillent alors ? Affichant la trogne des mauvais jours, ceux où je communique avec des mandales et non des mots, j'entreprends de rejoindre la source de mes problèmes. C'était sans compter le somptueux décors dans lequel j'avais choir la nuit dernière, alors que l’alcool remplaçait mon sang coulant dans mes veines. Des ruines partout, en grande quantité, autant que la flotte sur lesquelles ces ruines s'amoncelaient.
Par le gland du chêne pubère ! Où est-ce que je suis ?
Je n'aurais pas su dire combien, mais les épaves de navire étaient légion en ces lieux bien sinistre. Pas un morceau de terre n'était visible, uniquement du bois en piteux état. Trempé, troué, pourri, le bois ne manquait pas. Des carcasses de bateaux à perte de vue, il y avait plus agréable comme découverte au réveil pour un vieux loup de mer comme moi. De quoi m'arracher un pincement au vieux cœur desséché qu'est le mien. La tristesse fut rapidement oubliée lorsque cette faim insatiable, cette fille de joie, se manifesta de nouveau, faisant brailler mon estomac de famine. Ce besoin de se remplir la panse en tout lieu, en tout temps, commençait sérieusement à m'agacer. Quand cette garce cessera-t-elle de me tarabuster ?! D'autant qu'il n'y avait rien à me mettre sous la dent, ici.
Et ce tintamarre qui n'en finit pas... raaaah !
Fronçant plus encore les sourcils, grinçant des ratiches, je reprenais la marche, le pas furibond, déterminé à mettre les paluches sur ces enfants de putain qui n'y comprenaient rien ! Il n'aurait pas fallu croiser mon chemin en cet instant. Lorsqu'enfin, je fus remonter à la source, ma vision défaillante parvint à comprendre ce qu'il se tramait. Deux équipages forbans se livraient bataille avec une hargne époustouflante ! Les sabres tranchaient dans le vif et les pistolets trouaient la peau autant que faire ce peut. Plissant les yeux afin de mieux distinguer ce qui n'était que des silhouettes vue d'ici, je fus contraint d'admettre ne rien y voir d'aussi loin et d'avancer. Dieu que la bataille était plus sanglante une vingtaine de mètres plus en avant ! Et... nom d'un... Foutre... des...
FOUTREBLEU ! DES FEMMES ?!
De farouches femelles semant la mort, dans les rangs de l'équipage auquel elles faisaient face, comme une multitude de faucheuses. Les mirettes s’écarquillant à en menacer de se décrocher, la mâchoire tombant si bas qu'elle en frôlait la surface à mes pieds, un tel spectacle me clouait sur place, sans voix. Jamais de toute ma vie de forban une telle chose m'était tombée sur le coin de la trogne. Des femmes prenant les armes, éventrant des hommes. Trop sur le cul pour pouvoir réagir, je ne remarquais même pas la fin de la bataille, offrant la victoire aux femmes et à cette monstruosité à leurs côtés. Ce n'est que lorsque cette dernière cracha ses paroles que je repris possession de mes moyens. En commençant par me demander comment une horreur pareille pouvait vivre ?
De ma position trop éloignée, aucun mot ne fut audible, seul un brouhaha irritant perça mes tympans. Il y avait l'image, mais le son se faisait désirer. Misérable ! Après de longues minutes où l'homme à la jambe de bois brailla et éventra quelques-uns des prisonniers, les guerrières repartirent sur leur navire. Laissant guibolle en bois et son compagnon s'affairer pour quitter les lieux à bord de leur propre bâtiment. C'est tout du moins ce que j'imaginais...
La déflagration qui submergea le navire sous mes yeux fut aussi inattendue que terrifiante. J'eus beau me trouver à une centaine de mètre de l'explosion, mon corps bascula en arrière sous la surprise. Dévalant l'amas de déchets de bois constituant la colline sur laquelle je me trouvais, j'allais m'encastrer contre la coque d'un vieux rafiot. A la douleur de la chute s'ajoutait un cœur battant la chamade, manquant de provoquer l'arrêt cardiaque. Foutre-Dieu ! Ce n'est pas permis de provoquer pareille frayeur à soixantenaire, ivrogne qui plus est ! Et les malheureux sur le navire ? Le feu a dû les consumer, pour sûr ! S'ils sont encore en vie après cela, c'est qu'ils sont foutrement accrochés à la vie ! Remontant aussi vite la pente que je l'ai dévalé, j'mire la baille, à la recherche de deux corps calcinés.
Là ! Au milieu des restes de planches jonchant les flots ! M'ont pas l'air en grande forme ! Ils ne mouftent pas d'un pouce. 'Faudrait aller les sortir de c'tte mort certaine ? Ils pourraient me servir ! Sans plus réfléchir, j'laisse tomber le chapeau et plonge à l'eau. Jamais été un excellent nageur, on fera avec.***
Plus jamais... kof kof kof... plus... kof kof... jamais...
Balior, quel piètre nageur tu fais. Quand il s'agit de plonger ton ennui dans ton godet plein de bibine, t'es le premier. Mais quand il faut ramener deux gusses à la nage, là tu fais moins le fier et manque de te noyer à trois reprises ! Je tousse à en mollarder mes poumons, tellement l'eau a infiltré mes bronches. Trempé, harassé, j'y suis parvenu, à les ramener sur le navire. Comme je suis pas couillon, j'ai pris le soin de les ligoter avec de la corde trouvée dans la cabine. Dos à dos l'un de l'autre, toujours inconscient qu'ils sont. J'observe un instant leur faciès, le type à la jambe de bois est un vrai spécimen. Une bedaine énorme, un orteil manquant à son unique jambe, roux et mal en point. Unique en son genre celui-là. L'autre est différent, du rouquin comme de moi. Cet affublement, c'est rare chez les pirates.
Vous êtes encore en vie, les chiens galeux ?!
Le silence. Ils m'ont tout l'air de morts. Alors j'use de la bassine en bois que j'ai ramené de la cabine et leur balance un bon litre d'eau froide sur la trogne. Alors, mieux ? Pas convaincu. Ils ramassent une mandale chacun afin de les aider à revoir la lumière du jour. Alors, mieux ?
Dernière édition par Balior Blackness le Sam 20 Juil 2013 - 9:52, édité 2 fois