[1625] Only doing so quietly


    J'étais occupée à ce que je faisais de mieux, c'est-à-dire fouiller les archives du Bureau et mettre en ordre les différents rapports et notes de service, quand le Chef vint à moi. Un jeune boutonneux, recrue fraîchement arrivée, m'assistait alors que j'étais chargée de lui expliquer la classification des documents et les méthodes de recherche de l'information. Tâche ô combien rébarbative pour la plupart des agents, mais dans laquelle je trouvais non seulement un savoir inégalé en terme d'espionnage, mais aussi un certain plaisir. Voilà quelque chose dans ma vie que je maîtrisais de A à Z, et qui restait définitivement en place. Malheurs et mille tourments à qui mettait ne serait-ce qu'une once de chaos dans « mes » archives.
    Penchée sur le registre, je débitais donc ma leçon d'un ton docte et naturellement professionnel, avec juste ce qu'il fallait de condescendance, quand je sentis sur le regard de Bubon Junior n'était plus fixé sur mon décolleté. Chose à la fois plaisante – en tant que futur agent CP, j'espérais  - en vain - qu'il fût en mesure de reluquer avec plus de discrétion – mais très dérangeante. Hé quoi, qu'est-ce qu'il pourrait y avoir de plus intéressant que ma paire de loches dans le coin ?
    Lorsque je lui posai donc une question assez sournoise sur ce que je venais de lui commenter, et lorsque je n'obtins en guise de réponse que de quelques syllabes en quantité insuffisante pour que je déchiffrasse le code qu'il utilisait pour s'exprimer, je levai les yeux. Rei Yakutsuki  se trouvait alors à exactement trois pas trois-quart de nous, étudiant la scène avec la tête penchée sur le côté. Une vision assez désagréable, car j'avais appris à mes dépends qu'en dépit de toutes ses apparences, le Chef n'était pas quelqu'un de gentil. On ne savait jamais trop ce qu'il se passait derrière ce visage d'ange innocent. Or, être capable de me prendre à mon propre jeu... Si je n'avais pas été révolutionnaire, et donc son ennemie jurée, j'aurais été en totale admiration devant lui. Enfin, non, mais l'idée était là.

    Après m'être époussetée et vérifié le bon état de ma tenue, le bras en écharpe pour soulager mon épaule, je me redressai. Nous échangeâmes les politesses habituelles les plus succinctes, et à ce moment, j'étais persuadée que j'allais recevoir ma nouvelle mission, quelque chose d'adapté à mon état de santé. Mon épaule ne guérissait pas aussi bien qu'espéré, faute qui me revenait, moi qui m'entraînais en secret au mépris des recommandations du médecin. Cependant, je savais aussi que ce n'était pas quelque chose qui allait arrêter le Gouvernement Mondial de m'envoyer par monts et vaux.
    Je me trompais.

    -  « Puis-je savoir ce qui vous a motivé de prendre « Jade » comme pseudo ? »
    La question n'eut aucune introduction. A moi de réfléchir et de comprendre. Vite de préférence. Rei n'était peut-être pas un monstre de brutalité, mais il n'était pas chef d'un des bureau du Cipher Pol pour rien.
    -  « Il s'agit de mon quatrième prénom, Monsieur. Shaïness Eva Stella Jade. »
    -  « Et vous y répondez avec naturel ? »
    -  « Oui. »
    Je n'allais pas entrer dans les détails. Rei s'en contre-fichait, de toutes les façons. C'était un homme de peu de mots. Ceci dit, je ne comprenais pas pourquoi il m'interrogeait sur l'alias que j'avais pris lors de ma dernière mission en date, l'arrestation de Mayaku Miso, qui avait nécessité une infiltration sur Dead End. Ainsi, pour expliquer ma présence dans ce gourbi d'île, je m'étais faite passer pour une révolutionnaire, Jade. Enfin, passer pour... l'ironie du sort était que j'étais belle et bien une anarchiste. Mais ça, techniquement, Rei ne le savait pas.

    Je n'eus pas le temps de demander l'origine et le but de ces interrogations.
    Mes questions restèrent sans réponse.
    Pour le moment.
    Mes explications ayant apparemment satisfaite la curiosité de mon directeur, je me retrouvai congédiée. Ce qui était un comble, étant donné que je me trouvais plus dan ce placard à cartons chez moi, que chez lui. Enfin, ne soyons pas plus royal que le roi, ou quelque soit l'expression consacrée. Je retournai à mes fonctions, puis à mon train-train quotidien pendant quelques jours. Avant de le rencontrer.



Dernière édition par Shaïness Raven-Cooper le Jeu 8 Aoû 2013 - 23:09, édité 2 fois
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    Il s'approcha de moi sans que je l'eus absolument remarqué, ce qui était en soi un exploit, étant donné son physique. Après tout, grand et large, il sortait de la foule tel un phrase fendant la monotonie de la falaise. Mais il se trouvait que j'étais particulièrement sur mes gardes, voire sur mes nerfs, et à l’affût. De part mon identité d'agent double, je n'étais jamais totalement décontractée. Qui sait quelle information une oreille qui traînait pouvait capter ? Qui sait aussi quelle menace pouvait être évitée pour qui sait se montrer prudente ? Il fallait à tout cela ajouter que cette brève entrevue avec le Chef quelques jours auparavant avaient déclenché chez moi un accès de paranoïa aiguë.
    Avec le recul, je me demande s'il ne l'a pas fait exprès. Si ce n'était pas sa façon à lui de me prévenir. Ou peut-être n'était-ce qu'un test pour s'assurer que j'étais à même de remplir la mission pour laquelle le CP6 m'avait sélectionnée. Quoi qu'il en fut, ces questions sur « Jade » me trottaient encore et toujours dans la tête si bien que je n'eus même pas un sursaut en entendant cette voix, ni une hésitation quant à la suite à donner.
    - « Jade ? »
    - « Ça dépend de qui la demande. » Depuis cette entrevue, Jade était là dans chacun recoin de mes pensées. Plus que jamais, j'étais Jade. Ce nom m'était aussi familier que Shaïness, et même un peu plus.

    C'était jour de marché dans mon quartier à Marie-Joie, et c'était là qu'il m'aborda. Moi, panier au coude, je m'achetais des pamplemousses tout en écoutant les ragots. Une espionne n'a jamais de jour de repos, alors que l'agent CP en moi oui. C'était donc en parfaite petite civile aimant la mode, perchée sur mes dix centimètre de talons, que je me promenai entre les étals de produits alimentaires et des articles artisanaux.
    C'était là que l'autre m'attendait.

    L'homme était taillé sur le grand modèle : tête massive, bajoues imposantes encadrées par les pointes d'un col aussi impeccable que sévère, et corps qui avait perdu depuis longtemps toute prétention à la minceur. Il avait doublé à trente ans le cap des quatre-vingt-dix kilos pour ne plus y revenir, et comme les balances ordinaires s'effondraient désormais sous sa masse, il en était souvent réduit à se peser sur les bascules de transport. Ce qui ne l'empêchait pas de se promener dans la vie avec toute l'assurance d'un homme heureux, fier de sa carrière et de ses succès. Il avait de l'aplomb à revendre, mais il avait aussi le savoir-faire et l'intelligence qui lui permettaient d'être à la hauteur de ses ambitions.
    Il ne se présenta jamais, et jusqu'à la fin, je ne connus rien de lui. Son nom resterait un mystère pour moi.

    Et il était mon ennemi.
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    -  « Je travaille pour le sixième bureau... »
    -  « Hum, suis-je censée partir en hurlant comme une petite fille ? »
    -  « Marchons... »
    Pas de s'il vous plaît. Nous allions marcher, que cela me plût ou pas. Marchons, donc.

    Chemin faisant, je tentais de tirer une quelque compte déduction de l'inspection à laquelle je soumettais mon interlocuteur. En vain. Il était aussi hermétique qu'imposant. A part ce très sibyllin « je travaille pour le sixième bureau », je ne savais rien.
    Et quelle tournure de phrase bien étrange. Elle semblait sous-entendre qu'il n'était pas agent assermenté. Pourtant, sa façon de se déplacer laissait penser qu'il maîtrisait au moins deux voire trois arts du rokushiki. Mais je croyais sans peine qu'il était Cipher Pol.
    -  « De toutes les identités possibles, pourquoi avoir pris celle d'une révolutionnaire, pour aller sur Dead End ? »
    -  « Miso faisait partie des Saigneurs. Un autre pirate posant des questions sur son compte aurait débouché sur bien d'autres questions auxquelles je n'aurais pu répondre. La piraterie a une sorte de code que nous n'avons jamais totalement décrypté... »
    -  « Et vous avez trouvé que c'était moins dangereux ? »
    -  « Quoi ? Jouer à la révolutionnaire ? Certainement, mais uniquement parce qu'il y avait des pirates en face. Face à des vrais rebelles, je ne serais pas à même de tenir un rôle crédible. C'est votre spécialité, après tout. »
    -  « Avez-vous la moindre idée des répercussions que votre … tour... a posé ? »
    -  « Absolument aucune. J'ignorais totalement que « Jade » puisse avoir été ou être un problème. »
    -  « J'ai dit « répercussions », pas « problème »... »
    -  « Bah, comme vous ne dites pas grand chose, je suis bien obligée de lire entre les lignes. »
    -  « Ce n'est pas souvent opportun. »
    -  « Pas moins inopportun que m'importuner pendant mon jour de congés. Vous ne voulez pas me parler pendant mes heures de travail, c'est vous que ça regarde. Je me contente d'analyser et de déduire. »
    -  « Et qu'avez-vous déduit, pour le moment ? »

    C'était fou comme ce genre de type avait le don de vous énerver, de vous tendre des perches pour se faire battre, alors que nous savions tous deux que s’emparer de cette arme si obligeamment tendue revenir à s'exposer à un retour de bâton au combien plus dur.
    -  « Je pense que vous avez lu mon rapport et que vous y avez lu quelque chose qui vous chagrine.. »
    -  « Oui, je lis les rapports. Une activité que vous appréciez aussi, je crois... »
    -  « Vous ne croyez pas, vous savez. »
    -  « Qu'est-ce qui vous fait croire que j'ai été... chagriné par votre rapport ? »
    -  « Vous n'êtes pas l'image de la jovialité et si j'avais fait une erreur, je serais convoquée par mon chef dans son bureau. J'ai donc le choix entre curieux, intéressé ou chagriné. »
    -  « Et vous avez retenu chagriné. »
    -  « C'est que vous avez l'air particulièrement constipé aujourd'hui. » Il commençait à me courir sur le haricot, avec ses demi-suggestions et semi-questions. Je n'étais pas là pour me faire psychanalyser par un agent inconnu, le tout en pleine rue. Soit il m'arrêtait, soit il me disait ce qu'il me voulait.
    -  « Est-ce Jade ou Shaïness qui parle ? »
    -  « Aucune. Les deux. Que vous importe ? » Je haussai un seul et unique sourcil. « En tant que Jade, je n'ai même pas à vous supporter. En tant que Shaïness, je peux vous demander à ce que votre chef parle à mon chef, qui viendra me parler. D'habitude, j'aime bien les petits jeux de passe, et les protocoles, et les 'je sais que tu sais que je sais'. Pas aujourd'hui. Alors, que me voulez-vous ? »
    -  « Je veux Jade. »
    -  « Prenez-la. Faites-en bien ce que vous voulez, ce n'est qu'un nom sur le papier, après tout. » Ce n'était pas comme si Joseph Patchett allait parler de moi autour de lui. Pas la moindre chance, vu le petit souvenir que je lui avais laissé de 'Jade' avant de quitter son Hibou de la Nuit.
    -  « Il me la faut avec ses répercussions. »



Dernière édition par Shaïness Raven-Cooper le Jeu 18 Juil 2013 - 18:53, édité 1 fois
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    Les Écailles.
    Ainsi surnommait-on cet îlot minuscule à la périphérie de Marie-joie. Longtemps resté sauvage, il avait été adopté par les hommes-poissons non esclaves, qui avaient fait de lui un village, un dédale humide et toujours pourrissant de masures et de pilotis, de passerelles branlantes et de sombres venelles. De jour, l'île des Écailles semblait être un village lacustre misérable, des profondeurs duquel montaient des puanteurs de marécage viciées. Mais dès la nuit tombée, les Écailles devenaient le cœur palpitant d'une culture primitive et violente, qui s'exprimait à la lueur des torches, dans un air moite et chargé d'épices, au rythme de sinistres tambours célébrant des rituels anciens ou scandant des chants guerriers, des danses lascives de sirènes, des épopées sanglantes. Ici, seules les lois et traditions tribales des hommes-poissons valaient.

    Pour bien comprendre tout ce que les Écailles sont et ne sont pas, il nous faut restituer la situation locale dans son contexte. La Charte Universelle Législative voulait que les humains et les semi-humains vivent libres et égaux à travers les territoires protégés par le drapeau à la mouette. Il n'en restait pas moins que les Dragons Célestes bénéficiaient d'une zone de non-droit en ce qui concernait les esclaves, et la race des hommes-poissons souffrait particulièrement de cette éclipse législative. Le plus choquant était encore que le commerce de chair se faisait sous le nez même du Gouvernement Mondial, dans la capitale de Marie-Joie, au centre du monde et de Red Line. Si c'était ici qu'on trouvait les bâtiments du Conseil des Cinq Étoiles et des Hautes Cours, c'était aussi ici que vivaient la plupart des Nobles des Blues. Quel soufflet magistral à la face du Gouvernement, que de savoir qu'entre ces murs, plusieurs dizaines de milliers d'hommes et de femmes étaient quotidiennement amenés, exhibés, manipulés, marqués, fouettés, humiliés, asservis, abusés, torturés de corps et d'âmes et enfin abattus.

    Autant dire qu'il ne faisait pas bon être sirène ou homme-poisson de part le voisinage. Pour autant, le Gouvernement ne pouvait repousser ceux et celles qui venaient ici, ou pour être plus prêt de la vérité, s'y échouaient. Des êtres indûment capturés et secourus in-extremis par la Marine, des rares esclaves libérés, parfois des cœurs plein d'espoir à la recherche d'un frère, d'une fille, d'un parent disparu, qu'on pourrait identifier au détour d'une rue ou d'une vente aux enchères. Mais surtout, on trouvait aux Écailles des désenchantés du rêve Gouvernement. Des âmes qui avaient cru en des paroles de paix et de fraternité, qui avaient voulu s'engager dans la Marine ou dans les Corps Administratifs, qui avaient voulu monter un commerce ou tout simplement vivre ici sous le soleil. Des âmes que la peur, l'incompréhension, les idées préconçues et les médisances refoulaient des rues et des cœurs, des âmes qui se trouvaient shuntées des autres, acculées par tant de haine à partir, à se réfugier « avec les siens » comme on pouvait entendre cracher dans les dos, des parias que rien n'auraient exclure, si ce n'était la nature profondément inhumaine des humains.

    Les Écailles étaient un sanctuaire pour ces infortunés, une reconstitution de leur « chez-eux d'en-bas », mais à jamais souillé. Là, dans les remugles d'un marais dont personne n'avait voulu, pas même les hommes-poissons, ce n'était pas la boue qui puait le plus. C'était la rancœur et le déshonneur, l'infamie et le désir de vengeance, la pauvreté et tout le mal qu'on sait se faire, qui faisait stagner une aura glauque de misérabilisme dignes des cours des miracles. Qu'en était-elle pas une, ces Écailles ! Voleurs et brigands, ils l'étaient tous, eux à qui ont avaient dérobés la quiétude, la naïveté ou l'ambition.
    Trop souvent marqués dans leur chair de tatouages d'esclaves ou de marines, les hommes-poissons ne pouvaient retourner chez eux. Ce peuple fier ne pouvait admettre des déchus, et ils portaient autant de traces de leur blessures que de leur échec. Quoi ? Retourner auprès des siens ou de ses semblables, et exposer à leur vue à quel point désormais ils n'étaient plus comme les autres, mais avaient été des jouets ou des imbéciles heureux tombés aux mains des humains ? Hors de question. Il n'y avait d'autre choix que de se réfugier ici, dans les méandres des Écailles, à trouver un quelconque réconfort au fond d'une chopine, et à échanger avec ses « frères » des souvenirs et légendes du temps d'avant, en dépit du fait qu'on ne se rappelait pas forcément – voire pas du tout – du Palais Ryuugu  et de ses gardes, car après tout, on était né ici sur la terre, du temps où ses parents tenaient un petit restaurant de fruits de mers.

    Ghetto, mais également point noir à la vue de tous, blotti ici à quelques mètres des remparts de la belle Marie-Joie. Furoncle pourrissant, il avait d'abord été source d'amusement sadique à voir ces personnes si peu désirées repoussés dans un bourbier insalubre, il était maintenant un village à part entière où la Marine ne s'aventurait sous aucun prétexte, cicatrice purulente exposée, preuve indéniable de l'échec du Gouvernement.



Dernière édition par Shaïness Raven-Cooper le Mer 19 Juin 2013 - 18:34, édité 2 fois
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    Je ne fus donc pas étonnée quand l'agent du Cipher Pol 6 m'indiqua qu'une cellule révolutionnaire était en train de voir le jour là, quelque part dans ces ruelles. C'était presque étonnant que rien ne se fut passé auparavant. Les Ecailles était un réel vivier révolutionnaire.
    J'acquiesçai mais en moi-même, je ne voyais pas ce que je venais faire dans cette histoire. Pourquoi est-ce que le sixième bureau, pourtant spécialiste de ces questions, venait me chercher, moi ? Et cette question ne pouvait qu'éveiller en moi suspicion : avais-je été découverte ou « juste » soupçonnée ? Etait-ce un test pour voir comment j'allais réagir ?
    Mon contact m'indiqua alors que « Jade » allait lui être utile. Là, je commençais à me méfier. Etait-il en train de préparer l'annonce qu'il me fallait aller dans les Ecailles chercher des informations ? Dans ce coupe-gorge d'où aucun humain n'était jamais ressorti ?
    Non et non. Non je n'irais pas. Et non, ce n'était pas un guêpier à humain, puisque justement, le chef de cette cellule en plein bourgeonnement était un humain.


    Le CP 6 avait à plusieurs reprises empêché la création de groupuscules anarchistes au cœur même de Marie-Joie. Cette fois, c'était différent. L'homme qui semblait être à la tête du mouvement éludait toutes les tentatives d'espionnage ou d'identification. C'était une ombre particulièrement habile. Or, le CP6 ne pouvait agir à la légère et risquer d'avertir les séditieux qu'on était sur leur piste. Toutefois, il ne pouvait pas non plus rester indéfiniment en mode furtif, car justement, le manque de réaction prouverait qu'il était sur le coup. Il fallait donc une diversion, montrer que le CP s'occupait de ce dossier, de façon à endormir leur méfiance, sans que cela ne donnât de réels résultats, leur laissant penser que leur stratagème de dissimulation était meilleur que les limiers des Bureaux.

    Pourquoi pas. Le raisonnement se tenait.

    -  « Pourquoi moi ? »
    -  « Parce que vous êtes Jade. »
    -  « Vous avez bien des collègues pour s'en charger, de cette diversion.. »
    -  « Nous ne pouvons risquer un agent infiltré. »
    -  « Et me risquer moi, c'est possible ? »
    -  « Jade n'a pas lieu d'exister plus en avant. Elle ne met pas en danger un agent infiltré. Vous n'êtes pas infiltré après tout. »
    -  « Je ne vois pas le rapport entre ça et Jade. Si vous voulez que j'enquête en tant que CP sur cette cellule pour couvrir vos propres investigations, pourquoi voulez-vous Jade ? »
    -  « Parce que ce n'est pas vous, la diversion. Vous, vous serez l'appât. La révo plus ou moins aguerrie, qui vient aider le mouvement. Bien entendu, personne ne va vous faire confiance. Vous serez surveillée. Du coup, on verra encore plus notre agent CP en train d'enquêter sur la cellule et sur vous. »
    -  « Et vous encore plus dans les ombres. Je comprends le principe, mais je ne vois pas l'intérêt de me faire faire surveiller par les révos comme par les CP... Si je suis si louche que ça, ces révos, ils vont au mieux me claquer la porte au nez, au pire me tuer. »
    -  « Vous présenterez un atout plus intéressant que la menace que vous pourriez être...  Nos info nous indiquent qu'un membre important de la révo dirige cette opération. Il nous le faut, vif, pour le passer à la question. Nous devons être sûrs de pouvoir le capturer. Vous allez donc les attirer dans un jeu dont nous aurons absolument toutes les cartes en main. Vous allez vous présenter comme Jade, la révolutionnaire infiltrée chez la Marine. »



Dernière édition par Shaïness Raven-Cooper le Jeu 18 Juil 2013 - 18:55, édité 1 fois
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    Je ne saurais décrire le déferlement de sensations et de pensées qui m'assaillit à ce moment. De l'incrédulité – avais-je bien entendu ? Avais-je bien compris ? De l'admiration – ce plan était machiavélique à souhait. De la panique pure – j'avais été découverte et tout ceci n'était qu'un plan pour me capturer, moi.

    Mais une seconde vague vint, aussi intransigeante que le froid de l'hiver : en tant que révolutionnaire acquise à la cause, je ne pouvais me refuser à cette mission. Qu'importe que je fus à l'embrasure d'une situation qui ne pouvait être qu'une masse informe de complications. Je me devais d'apprendre la vérité et d'avertir Raven.
    Je refoulai toute autre considération et me retournai pour face clairement face à cet agent CP6. Ce n'était pas tant Jade qu'il voulait de moi, mais ma capacité à jouer une révolutionnaire. Je ne savais pas d'où me venait cette soudaine inspiration, et pourquoi j'avais focalisé sur Jade. Si ça se trouvait, mon nom de code pour cette mission serait Bambie ou Germaine. Encore un coup de Rei. Il avait voulu me prévenir, mais fidèle à lui-même, il m'avait entortiller l'esprit.
    Il n'empêche que certaines questions restaient sans réponse, et tant que je n'obtiendrai pas satisfaction, ma paranoïa ne se calmerait pas.
    - « Pourquoi vouloir faire de moi une infiltrée dans la Marine ? Le CP serait plus crédible... »
    - « Trop crédible. »
    - « Alors, vous me sélectionnez parce que j'ai du talent à jouer un rôle, mais en même temps, vous craignez que j'ai trop de talent ? »
    - « C'est une règle d'or dans l'espionnage : ne jamais jouer son propre rôle. C'est trop confortable, on devient imprudent. »
    - « Je ne connais pas grand chose à la révolution, il faudra me former, mais je sais tout de même que je ne peux arriver en m'écriant 'salut les amioches, j'suis révo infiltrée dans la Marine'. Comment comptez-vous faire ? »
    - « Faites-nous confiance. »
    - « Hum, non ? »
    Et là, je sus que j'avais frappé sur une corde sensible.
    - « Vous êtes un agent assermenté et à ce titre, devez obéir à --- »
    - « Oh, mais j'obéis. Je vais être Jade ou quoi que soit le nom de cette révo. Je vais tout faire pour que ma mission se déroule correctement. Or, un agent révolutionnaire est avant tout très indépendant, pour ne pas être trop relié à une organisation, encore plus s'il est infiltré. Je veux donc tout savoir de cette opération, pour ne pas avoir l'air idiote si une question est posée. Vous ne serez pas sur le terrain, moi si. Alors, comment allez-vous faire pour m'introduire dans cette cellule ? »
    - « La cellule va venir à vous. Je vous ai dit, vous êtes la diversion. Ce révo ne pourra résister à la rumeur comme quoi un autre agent est déjà là, infiltré au sein de la Marine. »
    - « Si ce révo est si haut placé, il devrait parfaitement être au courant des sympathisants locaux. Il sera que Jade n'existe pas. »
    - « Mais Jade existe. »
    - « Jade n'est apparu que sur Dead End et --- »
    - « Il existe un révo infiltré. Ce révo, c'est Jade. »
    - « … … … C'est particulièrement vicieux, ça. Avoir un agent qui se fait passer pour un révo et qui donne des infos contrôlées à la révo. »
    - « Ce n'est pas vicieux. On se bat avec les moyens du bord. »
    - « Oh, je ne critiquais pas, j'admirais. Ceci dit, la question reste posée : si ce révo existe, notre cible doit connaître son existence. »
    - « Personne ne le connaît. Enfin, plus personne... »
    - « Et ce n'est pas dommage de griller cette cartouche juste pour capturer un révo ? »
    - « Ça, c'est à nous de voir. »
    - « Au risque de me répéter, je ne veux pas y aller en aveugle. J'ai besoin de savoir ce qui se passe. Je ne suis pas un simple pion ! Vous ne pouvez pas m'inclure dans vos plans dans vos plans comme ça !. »
    - « Vous êtes agent assermenté. Vous obéirez. Ici, on ne fait pas ce qu'on veut, mais ce qu'on doit. »
    Et après, on se demande pourquoi je suis passée révolutionnaire...


    Les choses s'enchaînèrent très vite. Il me fallut déménager, et mon nouvel appartement était on ne peut plus informel. La règle selon laquelle je ne pouvais jouer un rôle « trop confortable » s'appliquait à mon domicile – non sans raison je dois le reconnaître – et il s'agissait aussi d'assurer ma sécurité au-delà de ma mission. Puisque nous savions que je serais traquée par la révo, autant ne pas dévoiler ma véritable adresse. Quelque part, j'étais heureuse de ce changement de locaux : je n'avais pas envie que les agents CP qui surveillaient ceux qui me surveillaient pussent avoir vue dans mon intimité, qu'ils sussent la couleur des draps et le contenu des placards.
    Mais j'étais obligée de travailler dans les bureaux de la Marine à Marie-Joie, et quand je rentrais le soir, je ne pouvais même pas me relaxer dans MON canapé, dans MON salon. Je détestais la couleur des murs et il n'y avait même pas de baignoire ! Mais Jade n'aimait pas prendre de bains. Jade était une parfaite Marine frigide qui ne vivait que pour servir. Elle lisait beaucoup et jouait au scrabble et au bridge. Jade me sortait par les trous de nez.

    Ma plus grande peur restait que les deux escargophones blancs se missent à sonner chez moi. Je n'avais pas pu les prendre avec moi, car à partir du moment où la conversation avec le Grand Bob (c'est ainsi que je décidai d'appeler l'homme sans nom) se termina, je fus constamment encadrée et abrutie de consignes, informations et autres directives. D'un autre côté, je savais que je ne pouvais pas les déplacer, puisque ce nouvel appartement faisait l'objet d'une attention constante. Ils étaient donc restés chez moi, dans ce que j'espérais être une très bonne cachette, avec suffisamment de nourriture pour le moment, et je croisais les doigts pour qu'aucune urgence de la part de Raven ou de Rafaelo ne se manifestât.

    Puis vint la première nuit dans cet appartement étrange où je ne pouvais réellement faire à ces grincements inconnus, jusqu'à ce que je finisse par somnoler aux petites heures de l'aube. Alors que j'allais enfin trouver le sommeil, un sursaut violent s'empara de moi. Certes, je n'étais pas disponible si la révolution avait besoin de moi, mais la réciproque était vraie ! J'étais totalement et indubitablement seule dans cette histoire. Il me faudra agir en aveugle, sans pouvoir vérifier le vrai du faux après de l'homme le plus à-même de me dire qui était un traître ou pas. Venait de se poser sur mes épaules le fardeau des grands enjeux. Si tout ce que le CP6 m'avait dit était vrai, alors l'organisation courrait un grand danger, et il n'y avait que moi, toute ignorante des stratégies et des plans décidés bien au-dessus de moi, pour agir.
    Et ça, c'était juste terrifiant.
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    Une autre chose me glaçait le sang : réaliser à quel point le CP6 était bien renseigné sur la révolution.

    Depuis ce jour sur le marché où j'étais devenue Marine de façon temporaire, je passais mes journées enfermée dans un bureau de la grande base, à occuper un poste précédemment confiée à une jeune femme partie en congé maternité. Ça tombait bien, j'allais endosser son identité et ainsi mon intégration comme révolutionnaire infiltrée ne s'en trouvait que facilitée. Le seul problème dans ce jeu de passe-passe ? J'avais dû me teindre les cheveux en noir.
    Bien entendu, je comprenais que mon rose naturel était trop voyant, mais quitte à changer de tête, j'aurais préféré avoir mon mot à dire. Une perruque avait été hors de question, car trop facilement détachable. Du coup, la teinture s'était imposée et déjà je m'étais imaginée en blonde platine. Mais non, voilà que j'étais d'un moche noir tout simple, sans reflet ni profondeur. Un noir attristant qui n'arrangeait pas mes humeurs.

    Et donc, en tant que brune et Marine, je devais en plus de traiter des affaires de secrétariat qui m'étaient confiées, lire toutes les informations que le Grand Bob m'envoyait, pour faire de moi une révolutionnaire accomplie.

    C'était effrayant. Là, sous mes yeux, la preuve que le Gouvernement connaissait des codes, des cryptogrammes, des mots de passes. Les données n'étaient pas forcément à jour et certaines étaient tellement hurluberlues que s'en était ridicules. Qui pouvait croire que les révolutions avaient une poignée de main secrète, qui plus impliquant le signe « peace and love » ? Ah, j'imaginai Mandrake en train de faire un « knucles bump » avec Raven et des larmes de rire perlèrent à mes paupières.

    La nécessité impérative d'identifier et de capturer les agents CP6 infiltrés balaya néanmoins toute trace de peur chez moi. Je me doutais bien que les hauts dirigeants avaient des doutes, voire mêmes des certitudes, et que toute action inconsidérée de ma part pouvait mettre à mal des plans préparés depuis des années. Mais je devais protéger les miens. Ah, si seulement je pouvais entrer en contact avec Raven.
    Et si seulement je pouvais me débarrasser de cette couleur ! Je me faisais sursauter à chaque fois que je captait mon reflet au détour d'une vitre ou d'un miroir....
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    Après une dizaine de jours où l'excitation menaçait de se transformer en routine, Grand Bob décida qu'il était temps de me faire connaître de notre ennemi. Autant dire que le contenu de mon estomac fit du hula hoop à cette annonce. J'avais beau eu avoir du temps à me préparer et à me faire à cette idée, non, définitivement, ça ne passait pas. Il fallait dire qu'il m'avait que je n'irais pas dans les Écailles. Paroles creuses et vaines promesses, voilà bien des stratagèmes d'homme.

    J'avais déjà eu l'occasion d'explorer les bas-quartiers de Marie-Joie, et je pense que mes premiers sentiments de rébellion sont nés de cette expérience. Par exemple, ma première mission après l'obtention de mon titre d'agent CP m'avait conduite dans le quartier rouge de la capitale, accompagnée par deux hommes que je n'avais plus revus depuis. Non que j'en eu réellement envie. Oswald Jenkins m'avait fiché les jetons et Red m'avait montré un aspect de ce qu'était mon probable futur en tant qu'agent imperturbable qui ne m'avait pas enchanté. Il fallait terminer en notifiant à quel point j'avais été particulièrement ridicule et inutile lors de cette mission. Si j'avais encore des doutes sur mes capacités, là, maintenant, je voyais clairement les progrès accomplis : si je devais refaire cette mission, les choses seraient réellement différentes.
    Mais je n'allais pas chercher des chiens de salon pour le compte d'une Dragon Céleste capricieuse. J'allais attirer un de mes camarades rebelles dans un piège.

    Les Écailles n'étaient en rien comparable à tout ce que j'avais pu voir. Lorsqu'on avait le dos tourné aux remparts de Marie-Joie, on avait l'impression de se retrouver à des lieux de la ville, dans un village traditionnel perdu au milieu de Grand Line. L'odeur de marais et le sentiment de décrépitude qui flottaient autour des maisons en pilotis imposaient une ambiance tropicale, de jungle sauvage. Pourtant, la « civilisation » se trouvait là, à quelques mètres.
    La Marine ne pénétrait jamais dans le village tant que cela n'était pas nécessaire. Le poste de garde près de la muraille était particulièrement renforcé, mais sauf incendie ou crise générale de folie, les hommes-poissons vivaient en parfaite autarcie et indifférence méprisante.

    Sur le seul et unique pont de bois qui menait depuis la berge aux premières maisons sur pilotis, trois hommes-poissons nous regardèrent alors que nous avancions d'un pas décidé mais non militarisé vers eux. Mon escorte était constituée de cinq soldats et d'un officier, un sous-lieutenant nommé Milstone, tous volontaires et plus ou moins au courant du vrai motif de cette visite. Je fus étonnée de voir qu'une femme se trouvait dans le lot, et qu'en dépit de son côté abrupte et musclée, elle ne manquait pas de féminité, si on aimait le genre. Quelque part, j'avais adhéré aux stéréotypes communs qu'une femme dans la Marine de terrain ne pouvait être qu'une hommasse hyper-musclée sans aucun charme.
    Bien entendu, je me fustigeai pour mon étroitesse d'esprit, d'autant plus que j'étais soulagée de ne pas être la seule fille à se jeter dans la gueule du loup, ou pour être exacte, du requin.

    Les trois « vigiles » se décalèrent juste ce qu'il fallait pour que nous passâmes en file indienne, moi au milieu, et malgré toutes ces années comme fifille de la haute ou agent CP en entraînement, le regard mauvais et haineux qu'ils nous dédièrent me fit frissonner. Nous n'étions pas les bienvenus, et ça se voyait. Partout devant nous, les rues se vidaient des enfants , les volets branlants ou à défaut les rideaux rapiécés se fermaient et ne restaient que des hommes et des femmes qui auraient eu leur place dans un peloton du BAN. Le moindre geste déplacé pouvait être l'étincelle qui mettrait le feu aux poudres.
    Oh, ce n'était pas eux qui feraient le premier pas vers une situation qui ne pourrait que dégénérer en conflit ouvert. Et seule une petite portion d'entre eux espéraient que cette flammèche prît. La plupart voulaient vivre une existence aussi normale que possible étant donnée leurs conditions de vie. Pourtant, c'était du ressentiment que je lisais au fond de leur yeux. Milstone évita de justesse un glaviot lancé avec précision non pas sur lui mais à côté, dans le but certain de l'obliger à se décaler. L'officier agit comme si de rien n'était, marchant dans le crachat avec sa botte aux épaisses semelles, et tandis que je restais admirative de cette bravade mais craintive de ce que cela allait donner, je vis que ce flegme marquait des points auprès de la population. La tension était toujours là, mais moins intense.

    Ce fut sûrement pourquoi, au lieu de déboucher sur une sorte de place vide de tout occupant, nous nous heurtâmes à un silence poignant et à une rangée de personnes qui nous attendaient, les bras croisés sur la poitrine. C'était bien la première fois que je voyais autant de tritons, sirènes, femmes et hommes-poissons réunis, et l'impression d'avoir devant moi un groupe animé par la même volonté farouche, comme une meute de loups, me fit tourner la tête. Nous étions au comme perdus dans les entrailles des Écailles, et même en tournant les talons, nous ne voyions plus rien de Marie-Joie. C'était comme un voyage dans l'espace. Je trébuchai sur une racine, et là, je compris que nous étions sur l'îlot qui avait abrité les premières constructions. J'avais parlé d'entrailles ? Pff, nous étions au cœur de la chose, la fondation même. Quelque part, j'avais l'impression d'être une touriste en train de visiter un monument sacré.

    Une femme d'âge mûr s'avança, et il n'y avait pas besoin d'être grand devin pour comprendre qu'elle était la « chef du village ». Mon chef ne cilla pas, et se contenta d'un bref salut :
    -  « Des points d'eau ont été contaminés dans la ville. Nous venons vérifier la qualité de vos puits ainsi que le niveau d'eau. »
    -  « Et vous envoyez des soldats pour ça ? »  Touché.
    -  « En effet. De forts soupçons d'actes malveillants planent sur ce dossier. Le Gouvernement a jugé que nous étions capables de faire les prélèvements nécessaires tout en étant à même à répondre à toute autre menace que nous pourrions rencontrer. »
    -  « Mais bien entendu, vous n'envoyez pas de médecins... »  
    -  « Des médecins seraient envoyés en cas de cas connus d'intoxication. Dans ce cas, nous ne serions pas là pour vérifier quoi que ce soit, car il serait alors prouvé que vos points d'eau aient été contaminés. »
    -  « Mais si vous étions malades, est-ce que vous enverriez des docteurs ? »  
    -  « Certainement, Madame, pour peu que l'administration fût mise au courant de ce besoin. » Et paf, retour à l'envoyeur. Il me plaisait bien, ce Milstone là.

    L'échange de piques et d'insinuation dura encore quelques minutes, avant que nous ne soyons autorisés à approcher les puits et les citernes. Nous étions bien entendu « escortés » partout, par des habitants désireux de « coopérer » en désignant les endroits que nous cherchions... histoire qu'on n'aille pas voir ailleurs, hum. Personnellement, je devais lutter contre l'envie de me mettre à hurler à chaque fois que je devais mettre la botte – certes botte en plastique réglementaire sans talon mais tout de même – dans un trou de vase. Qui pouvait bien pouvoir aimer vivre ici ? Pourquoi ne prenaient-ils pas leurs affaires pour partir loin ? Ou s'imposer dans un quartier de Marie-Joie ? Leur nombre faisait d'eux une force qu'on ne pouvait ignorer. Mais peut-être avaient-ils trop l'habitude de courber la tête, d'entendre ce qu'ils devaient pour, pour pourvoir penser par eux-mêmes ? Soit fidèles automates, soit sourds et aveugles au bon sens.

    Au bout du compte, je finis par repérer les deux-trois individus que Grand Bob m'avait minutieusement décrit. Mes contacts révo. Ces femmes et hommes, mes sœurs et frères dans le combat. Des personnes capables de parler de moi à ce mystérieux chef venu... je m'arrêtai en fronçant les sourcils. A bien y regarder, ça n'avait pas de sens. Pourquoi est-ce que le Conseil Dragon enverrait un de leur hommes de confiance à la capitale, pour y monter une cellule vouée à être connue et reconnue ? Si ce stratagème pouvait marcher dans les îles reculées, ici, à Marie-Joie, ça n'avait aucune chance. Depuis la mort de Basara, le gouvernement tombait sur le poil de la moindre ombre révo plus vite qu'un Hun sur une selle. Alors, pourquoi une telle opération ? D'autant plus que cela n'avait abouti, pour le moment, qu'à éveiller les soupçons du CP6... à croire qu'ils le faisaient exprès....
    Mais oui ! Ça ne pouvait être que ça : un piège pour le gouvernement pour attraper la taupe en leur rang. Ah lala, ça devait compliqué, et pourtant, je pratiquais ce jeu de ruse depuis ma plus tendre enfance. Mon souffle se fit court pendant un moment, dépassée par les pensées de « ils savent que le GM sait qui sait qu'ils savent ». Un jeu de dupe, et j'étais au milieu.

    J'aurais voulu pouvoir échanger avec mes indics de véritables codes révolutionnaires, et non pas ces archaïques mots de passe, mais un Marine était toujours à portée de voix, comme le devait le règlement... et les ordres de Grand Bob. Pour ma sécurité, avait-il précisé, mais je ne pouvais m'empêcher de penser que dans ce jeu de l'oie, c'était moi qu'on allait plumer pour passer à la casserole.
    Je me contentai de voir une flamme passer dans le regard de l'homme-poisson en face de moi, qui après m'avoir dévisagée un peu trop longtemps pour que cela fut honnête – en tous les cas, la CP en moi trouva sa réaction bien peu professionnelle – et hocha enfin imperceptiblement la tête. L'hameçon était lancé, et il suffisait d'attendre pour voir qui allait venir mordre...
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    Je ne pensais pas que ma journée pouvait devenir pire alors que je rentrais suante, poisseuse et puante des Écailles. Je ne parlais pas « pire » comme un incendie ou une guerre, non, je faisais allusion à ces « pires » sous forme de rencontres, ces nouvelles et ces mots qui blessent comme le dard d'une guêpe, provoquant suffisamment d'inconfort mais aucunement une douleur nécessaire à justifier une absence. Non, je faisait allusion à ces choses qu'on se doit d'endurer, les lèvres serrées et les poings fermés.

    Comme par exemple, croiser son père au détour d'un couloir.

    Au départ, il ne me reconnut pas. Il fallait dire que j'étais bien loin de celle que je paraissais être habituellement. En uniforme Marine des plus réglementaire, un truc informe qui tombait comme un sac à patates et à l'ourlet douteux, en bottes plastiques plates et les cheveux noirs sévèrement nattés, je ne ressemblais pas à l'élégante agent du Cipher Pol, impeccable depuis la pointe de mes cheveux jusqu'à mon petit orteil manucuré avec soin. Jusqu'au dernier moment, il remonta le couloir sans me prêter plus d'attention particulière. Qu'est-ce qui lui mit la puce à l'oreille ? Aucune idée. Mais alors que j'épiais sa réaction par dessous mes cils, refusant le contact direct, je vis sa bouche s'ouvrir sur un « oh » qui resta heureusement silencieux, sa démarche ralentir... et il se reprit, et l'instant d'après, il avait disparu.

    Comme je savais que cette histoire n'allait pas en finir là, et bien que j'étais certaine que Père prendrait toutes les précautions nécessaires, je préférai prendre les devants. Je me glissai donc dans son bureau plus tard dans la journée, prétextant je ne sais plus quel motif administratif.

    Je n'étais jamais rentrée dans son nouveau bureau. Sa mutation à Marie-Joie n'était pas récente, mais voilà bien une poignée d'années que je n'avais mis les pieds dans les affaires professionnelles - donc militaires - de mon père. Et bien que nous soyons voisins de part nos affectations respectives dans cette même ville, je limitais les entrevues avec ma famille au strict minimum. Les escargophones, invention du millénaire. A chaque fois que j'allais dans cette maison, je retrouvais tout ce que j'avais tant adoré en tant que naïve et pourtant cruelle adolescente, et tout ce qui me dégoûtait en tant que révolutionnaire : le luxe débordant, les mesquineries, les dynasties qui supplantaient tout concept de mérite, le concept de la femme-enfant qui ne quittait le réconfort paternel que pour retrouver immédiatement l'ombre maritale. Des gosses partout, des femmes enceintes qui pavanaient leur ventre lourd sur lesquels nous devions roucouler d'envie, des bals pour enivrer et séduire, et oublier que tous, hommes et femmes, étions dans des cages.

    Pourtant, mon père ne m'apparaissait pas comme foncièrement mauvais. Je l'examinais telle un agent, repoussant toute notion d'affectif, comme si c'était la première fois que je le voyais.
    Comme toutes les petites filles, j'avais pendant un certain temps idolâtrer mon père. Ce qui était un amour enfantin grandit en admiration, et dans mon cas, adoration naïve presque idiotique. Oui, j'étais une fifille à son papa, capable de l'entortiller autour de mon doigt, de le soumettre à mes moindres caprices. Mais en retour, il avait eu sur moi une emprise quasi totale, et j'avais toujours obéi avec aveuglement au moindre de ses ordres, suivi avec crédulité le plus petit de ses conseils. Il avait fallu un miracle pour que je réussisse à me débarrasser de ces œillères.... ou plutôt un concours de circonstance malheureux, un coup de chance. Le couteau était à deux tranchants : à force de me croire le centre du monde, j'avais décidé que le monde tournait comme je le voulais. Je testai donc de façon plus ou moins consciente les limites qu'on m'imposait, et ce fut donc naturellement que je me rebellai contre les prétendants qu'on me suggérait, jetant mon dévolu sur un homme du Gouvernement au lieu d'un Marine.
    Avec le recul, je souris. Ce n'avait été qu'un sursaut médiocre. Si j'avais vraiment voulu me rebeller, j'aurais choisi un vendeur de légumes ambulant, et me serais enfuie avec. Non, cette amourette n'avait été qu'un caprice de plus. A cette époque, j'étais encore prisonnière du lavage de cerveau qu'on m'avait imposé depuis ma naissance. Ce ne fut que plus tard que je transformais ce comportement de bouderie d'enfant gâtée, en une révolte morale.

    Pourtant, à bien regarder mon père, je ne voyais rien de l'homme cruel, machiavélique et calculateur dont je gardais l'image.

    Il semblait fatigué, et beaucoup plus marqué par l'âge que je ne le pensais. Je voyais les rides autour de ses yeux, l’affaissement des chairs autour de sa bouche, les douleurs articulaires dans ses mains. Je ne voyais plus qu'un homme, qui avait vécu sa vie selon des principes qu'il pensait sincèrement et fondamentalement bons. Je ne voyais qu'un père, qui regardait sa fille avec amour... et fierté ?

    – « Si tu savais combien de fois j'ai espéré te voir dans cet uniforme là plutôt que dans tes tenues d'agent... »
    -  « Dois-je comprendre que mes tenues ne sont pas à votre goût ? Ou que vous avez finalement abandonné ce combat ? »
    – « Ah, je n'ai jamais rien reproché à tes tenues. Un peu ostentatoire et pas forcément celles que j'aurais choisi pour travailler sur le terrain, mais au moins, tu as toujours été très élégante. Quant à ton choix de carrière.. » Il agita la main d'un geste semblable à celui qui chasse une mouche. « Contrairement à ce que tu penses, je suis fier de ta carrière. J'ai juste eu du mal à comprendre que tu désirais réellement t'investir dans une carrière. »
    -  « Ce n'était pas comme si on m'avait encouragée ou même parlé de cette possibilité. »
    – « Ah, ta mère pensait bien faire. »
    – « … A-t-elle donc arrêté de comploter avec ses amies pour unir nos familles ? Ou est-ce que j'ai enfin jeté suffisamment de honte sur le nom honorable des Raven-Cooper pour que je sois regardée comme la brebis galeuse qu'on ne veut pas accepter comme belle-fille ? »

    A ma grande surprise, Père éclata de rire.
    – « Ta mère se rengorge de tes succès comme si c'était les siens. Elle sous-entend continuellement que c'est la preuve que tu es bien meilleure que les dindes des autres familles. »
    -  « Elle n'a donc pas mis fin à ses manigances de marieuse ? »
    – « C'est comme ça qu'elle a été élevée. Elle pense que c'est son devoir, son destin, que de vous marier tous les trois, et de bien vous marier. Sans ça, elle aura l'impression d'avoir raté sa vie, de ne pas être une bonne mère. »
    -  « Dans ce cas, elle doit se morfondre et se demander où elle a échoué avec moi, moi qui ne suis ni mariée ni prête à laisser tomber ma carrière pour fonder une famille. »
    Ma déclaration était finale, et le front de Père se creusa.
    – « En effet, elle ne comprends pas. Et j'avoue que quelque part, moi aussi. Que tu fasses carrière, pourquoi pas. C'est dans l'air du temps, et au risque de te contrarier, sache que tu n'es pas la seule de ton âge à avoir voulu travailler. Mais tu es la seule à avoir un poste qui comporte autant de risque. »
    -  « Donc Angus et Jeremy peuvent risquer leur vie, mais pas moi ? Qu'est-ce qu'on me reproche ? »
    – « On ne te reproche rien, c'est juste dommage qu'une belle jeune femme comme toi prenne autant de risque. »
    -  « Donc si j'avais été laide, ça ne gênerait personne ? »
    – « Shaïness, nous n'aurons pas cette conversation. Pas encore. Tu sais quelle est ma position, je connais la tienne et comme ni l'un ni l'autre n'allons changer d'avis, autant ne pas nous disputer. Il est déjà tellement rare que nous nous voyions. »
    -  « Que voulez-vous, Père ? Les petits chats ne font pas des petits chiens. Je suis têtue comme mon père, j'ai le goût de l'aventure comme lui, et en cela, je ne diffère en rien de mes frères. »
    – « Hum, je n'ai jamais été bien aventureux. »
    C'était vrai. Père avait eu une carrière que certains pourraient juger médiocre. Il avait végéter pendant des années au Quartier Général de la Marine de West Blue, sur différents postes, avant de se cantonner à la direction des services de l'information. Mais maintenant que j'étais adulte, je compris soudainement qu'il s'agissait là d'un choix volontaire, pour ne pas avoir à nous déraciner au grès des mutations ou à nous exposer à des localisations jugées dangereux.
    -  « Vous l'auriez été si vous aviez pu... »

    Mon père m'aimait. Il m'avait toujours aimé et n'avait jamais agi que pour mon bien. Même présentement, il n'avait que mes intérêts à cœur. Il ne comprenait pas mes choix en dépit de ses efforts. Il avait toujours fait d'énormes concessions à mon encontre, et je n'avais eu pour lui que mépris et haine farouche pendant toutes ses années. Oh, il n'était pas un saint. Je le savais coupable d'un certain nombres d'actes que je jugeai indéfendables. Notamment être parfaitement au courant des excès, abus et autres passes-droits de la Marine et du Gouvernement, et ne pas agir contre... voir même de les cautionner. Notamment de n'avoir jamais agi en faveur de l'abolition de l'esclavage au sein même de la caste des Dragons Célestes.

    Mais il m'aimait.
    Les jambes coupées par cette révélation, je me laissai allée dans mon fauteuil. Ce n'était pas pour m'arranger. C'était beaucoup plus facile pour moi de le maudire, de le diaboliser. Ça réglait mes problèmes de conscience. Me voilà désormais de nouveau en proie à ce dilemme, entre mon amour filial et mes convictions révolutionnaires. Je devrais juger mon père coupable, mais je lui trouvais trop facilement des myriades d'excuses. Après, était-ce sa faute s'il avait été élevé dans un moule dont il ne s'était jamais débarrassé ? D'avoir vécu comme son père et son grand-père, en répondant aux attentes posées sur ses épaules, en se montrant bon héritier et dépositaire de traditions ancestrales ? Autant de prétextes que je savais fallacieux, mais qui déformait mon jugement.
    Si un jour, je devais affronter ma famille, je n'étais pas certaine de pouvoir presser la détente.

    – « Je déduis que ta mission actuelle t'a mené à endosser une identité de Marine. Est-ce que je peux espérer que cette opportunité peut ouvrir tes yeux et que tu reviendras dans le 'droit chemin' ? »
    Il me taquinait. C'était bien la première fois. Il faut dire que c'était aussi la première fois que nous échangions d'adulte à adulte. Il faut dire aussi que c'était la première fois que je me comportais en adulte face à lui, et non plus en ado idéaliste insoumise.
    C'est fragile, les premières fois.
    Je ne le savais que trop bien.
    Combien de fois ai-je regretté d'être passé à côté.
    Pour une fois que je pouvais faire quelque chose, je n'allais pas saboter ce moment. Je m'efforçai de mémoriser la scène, comme si je planais au-dessus de nous, pour ne jamais oublier, pour ne pas rater un geste, un mot qui gâcherait cette première fois.
    D'autant plus que le triste sentiment qu'il s'agissait peut-être de la dernière m'assaillait. Oui, pour ne pas constamment douter, pour que ma famille ne fut pas un obstacle, pour concilier mon passé et mon futur, je devais apprécier mon présent à sa juste mesure, comme si c'était la dernière fois. Pour ne pas avoir de regrets.

    -  « Père, vous n'avez qu'à vous dire que le bleu de l'uniforme ne me va pas au teint. Ça serait un crime que de m'obliger à être ainsi vêtue. »
    Il sourit en coin. Mon amour, mon obsession de la mode avait été l'alpha et l'omega de mes tendres années. Combien de fois avais-je fait un scandale parce que je n'avais pas le bon ruban, la dernière coupe, le coloris de la tendance ?
    – « Oui, je m'en voudrai de commettre un tel crime. Une hérésie, même. Par contre, j'espère très fortement que cette couleur de cheveux est temporaire »
    Je tirai sur une mèche d'ébène, partageant son air dégoûté. J'avais hérité de lui, tout comme Angus, de cette particularité capillaire. Dans sa prime jeunesse, mon père avait été d'un rose flamboyant. Ah ça, il ne passait pas inaperçu.
    -  « C'est pour les besoins de ma mission, je dois protéger mon identité. »
    – « Oui, j'avais cru comprendre ça. La prochaine fois, tiens-moi au courant. J'ai failli avoir une crise cardiaque plus tôt.. et si je peux t'aider. »
    Mon père se proposait de m'aider. J'avais été persuadée pendant tellement longtemps qu'il n'avait que ressentiment à mon encontre...
    -  « Je ne peux pas parler de ma mission. Sinon, je devrais vous tuer. » Il leva un sourcil goguenard, ne pouvant croire mes paroles. Il savait très bien à quel point j'avais toujours détesté la violence et surtout, les combats. « J'ai changé, Père. Je vous rappelle que j'ai suivi un entraînement au BAN. Et je suis agent Cipher Pol. Je maîtrise le rokushiki. »
    – « Alors, je vais devoir avertir tes frères de ne pas se moquer de toi. Ta mère ne supporterait pas que tu casses le lustre du salon. »
    La conversation dériva très rapidement sur nos souvenirs de bagarre d'enfants, où je m'arrangeais quasi-systématiquement pour rejeter toute responsabilité sur le dos d'Angus, Jeremy ayant l'avantage de l'aînesse... et de toutes les façons, mon frère et moi partagions une pré-disposition au mensonge et à la manipulation.
    -  « Avez-vous de nouvelles des fiançailles ?.. »
    Pour le coup, notre lieutenant-colonel faisait la joie de Mère : il venait de demander la main à je ne sais plus quelle pintade, fille d'un obscur haut gradé. La période de fiançailles était à peine entamée que les deux matriarches avaient déjà planifié l'intégralité de la cérémonie du mariage. Peut-être étaient-elles en ce moment en train de persifler des méchancetés suite à un accrochage sur le prénom des potentiels petits-enfants. Oui, les femmes de Marines pouvaient être terrifiantes.

    En dépit de moi-même, de cet amour filial très récemment retrouvé, je n'avais pu m'empêcher d'intégrer à quel point ma nouvelle relation avec Père pouvait m'être profitable. Ce poste à l'Etat-Major de la Marine auprès du Gouvernement positionnait mon géniteur au cœur de l'information. Encore une fois, je n'étais que son reflet : pas étonnant que je fusse devenue espionne... J'avais été élevée dans un monde où l'information était la clé du monde. Si je m'y prenais bien, je pourrais tirer de mon père un profit non négligeable.
    -  « Sinon, à part ce futur mariage, que s'est-il passé dans le monde ? Cette mission m'empêche de me tenir au courant, je suis condamnée aux informations des journaux, comme Vivement la fin ou autre... »
    – « Bah, il y a le procès de Toji Arashibourei, mais ça, tu dois être au courant. Sale histoire. La mort de Greed était déjà un problème en soi. »
    -  « Nul doute qu'il sera remplacé. Et rapidement, vu que les Corsaires se font rares, en ce moment... »
    – « Un peu moins. Le rang de Warth a été donné à un certain Jack Sans Honneur, des Saigneurs. Un dossier qui doit te rappeler quelque chose non ?. »
    Ainsi mon Père suivait-il réellement ma carrière, au point d'être au courant des détails de mes missions. Par contre, cette nouvelle me contrariait. Le souvenir de Dead End évoquait immanquablement celui de Jo Patchett, et c'était comme titiller une blessure en train de cicatriser. Je devais m'occuper de son cas, à ce petit bandit.
    – « Il a réussi à récupérer un équipage depuis Dead End. Cette ville est réellement un ramassis de pirates. »
    -  « Et maintenant, elle est sous sa protection, je suppose ? »
    – « Naturellement. Mais bon, il faut faire des concessions. Nous avons besoin de lui de notre côté sur Grand Line. Après la débâcle de Drum... »
    Je dressai malgré moi l'oreille. J'avais suivi cette histoire, puisque mes camarades de la révolution étaient impliqués. Les choses s'étaient compliqués avec mon départ pour Dead End...
    -  « Pourquoi parler si négativement ? Le Gouvernement a rétabli l'ordre non ?.. »
    – « Oui, mais nous avons perdu un candidat au poste de Corsaire. Heureusement que le Contre-amiral Fenyang était dans le coin. Avec son équipage du Léviathan, il a sauvé la situation. »
    -  « Pff, j'ai du mal à croire que ce faignant d'Alheiri ait trouvé la force de bouger de son fauteuil... »
    – « Tiens, donc, tu connais le fils Fenyang ? »
    Malheur ! Que n'avais-je pas dit !!!? Il n'y avait pas de doute sur la nature de la petite lueur qui venait de s'allumer dans les yeux de mon père.
    -  « J'ai inspecté sa base, quand il était sur East Blue. Un faignant, je vous dis. »
    – « Hum, faignant qui a tout de même fait une carrière exemplaire. »
    -  « Grand bien plus fasse. »
    – « Hum hum... Tu sais qu'il a des chances de remplacer son père ? »
    -  « Sûrement. Les Fenyang ont toujours eu des postes importants dans la Marine. » Etait-il vraiment en train de me vanter les qualités du grand dadais ?
    – « Il a arrêté un révolutionnaire, sur Drum. »
    -  « Ah oui ? Quelqu'un de connu ? » Pour le coup, mon cœur venait de s'arrêter et était actuellement en train de converser avec mes amygdales.
    – « Un certain Rafaelo Auditore. Bon, le rapport n'est pas encore sorti, donc je compte sur toi pour . »

    Le reste de son discours se perdit alors que je maudissais ma « chance » et mes escargophones blancs, laissés dans mon appartement... [/b]
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    La monotonie des jours suivants fut un réel soulagement, tellement cette journée avait été éprouvante pour moi. La visite des Ecailles, la re-rencontre avec mon père et ce regain d'impuissance face aux événements qui secouaient mon mouvement m'avaient mis à genoux. Cependant, au bout de trois jours d'attente, je commençais à ronger mon frein, car à la pression de la réussite globale de la mission – pour la protection de ma couverture et surtout parce que j'aime réussir, avec mon satané esprit de compétition – s'ajoutait la fébrilité d'être enfin libre de toute surveillance, pour pouvoir contacter Raf ou Raven. La culpabilité de ne pouvoir agir, l’énervement de savoir que je pourrais demander à mon père sans pouvoir le faire (le risque d'attirer l'attention étant trop grand), et le ressentiment d'être encore une fois impuissante, faible.... oui j'étais à cran.
    A chaque seconde où je n'étais pas occupée à traiter les dossiers dont la pseudo Jade meublait sa carrière – et même pendant ces secondes, mon esprit se carapatant souvent ailleurs, comme mû par sa propre volonté – je repassais en boucle la scène de la place du marché. Avais-je identifié les bons contacts ? Avions-nous échangés les signes de reconnaissance correctement ? Pourquoi mais pourquoi rien ne se passait-il ?

    En conséquence de quoi, quand je fus attaquée, je fus prise au dépourvue, tellement j'étais occupée à ruminer dans mon coin.
    Lorsque la main se plaqua fermement contre ma bouche et qu'un corps étranger tenta de maîtriser mes bras, ma première réaction fut de glapir comme une poltronne. J'ai beau me consoler en disant que cela ne put que renforcer mon identité secrète, mon égo d'experte en souffre toujours. Puis mes quelques onces de combattante en moi agirent et je commençais à me débattre.
    -  « Silence, femme, ou il t'en cuira... »
    J'avoue que la remarque me calma sur place, mais pas pour les raisons espérées par mon agresseur. La banalité de la menace, prononcée d'une voix de baryton me fit hésiter entre la consternation et le rire presque hystérique. Toutefois, le flagorneur était accompagné par autre qu'un amateur, à en juger par l'efficacité déployée pour me lier des mains dans le dos – à en damner des boy-scouts ! - me bâillonner et me couvrir les yeux. Enfin, je fus hissée dans une sorte de charrette.
    Au début, je tentai de suivre le chemin parcouru, retraçant dans ma tête le plan de la ville tout en me fiant à des sons et odeurs. Les pavés de la place des trois manoirs, la boulangerie Tewit spécialisée dans la fleur d'oranger, la grande volière aux oiseaux-messagers... Mais au fur et à mesure que nous nous enfoncions dans les tours et détours de Marie-Joie, je finis par capituler. Bah, mon escorte de surveillance avait intérêt à bien faire son boulot... Tiens, en y pensant, cela faisait quelques temps que je n'avais vu le Grand Bob... pas depuis mon debriefing de fin de mission, après ma visite des Écailles.
    Tout ce qui était sûr restait que justement, je n'allais pas aux Écailles. Nous étions en ville, et dans un quartier bas à en juger par l'odeur. Rien à voir avec les sensations du marais. Je recommençai à m'agiter : persuadée que je serais conduite chez les hommes-poissons, je m'interrogeai soudain sur le fait que je n'avais peut-être pas été enlevé par le révolutionnaire. Ceci dit, qui d'autre aurait pu vouloir kidnapper la simple et très ennuyeuse Jade ?

    La calèche s'arrêta et je fus transvasée sur une épaule appartenant à un grand puant. Grand, car il me porta sans aucun problème, mais dut se baisser pour passer le linteau de la porte – à moins que la grille ne fut particulièrement basse. Puant parce qu'avec son bras enroulé autour de ma taille et moi en mode sac à patates, j'avais le nez comme collé à son aisselle et je profitai ainsi du musc du mâle, me masquant toute autre odeur. Impossible donc de savoir où j'étais. Au moins savais-je que j'avais au moins trois adversaires : la voix (de baryton), les mains (aux nœuds) et les aisselles (sans commentaire).

    Lâchée plus qu'autre chose sur une chaise, débâillonnée mais toujours aveuglée et ligotée, je fus alors soumise à la question. Si Baryton menait la danse, je perçus à un moment donné plusieurs respirations, toux ou raclements de gorge. Rectification, je me retrouvais seule contre un bon tas, de nature indéterminée.
    -  « Ne cherche pas à t'échapper, femme, ou--- »
    -  « -ou il m'en cuira. Oui, je sais, vous me l'avez déjà dit... » Je lui coupai la parole, pour lui montrer que je n'avais pas peur. Ce qui n'était pas loin d'être une vérité. Seule l'inquiétude de ne pas connaître le nombre exact de mes ennemis et une estimation de leur possibles capacités assombrissait le tableau. Hé quoi !? Je suis une agent assermentée, entraînée et expérimentée. J'étais capable de me défendre, même si cela me surprenait encore.
    -  « Tu garderas le silence ! Sais-tu pourquoi tu as été amenée ici ? » Une bonne dizaine de répliques fusèrent en moi, mais je restais coite. « Je t'ai posé une question, femme!!! »
    -  « Je croyais que je devais garder le silence, homme... il faudra savoir, homme. C'est que je ne suis pas bien intelligence, homme. Je ne suis qu'une pauvre petite marine, homme. »
    -  « Pourquoi répètes-tu « homme »? »
    -  « Bah, tu répètes bien « femme », alors je me suis dit que c'était une sorte de rituel. J'essaie de faire partie du groupe moi ! » Cette mise en scène commençait à user de ma patience.  « Après, pour répondre à ta question, je vais dire que ça dépend de qui la pose. Après tout, il y a autant de fleurs que d'abeilles... » C'était un code de reconnaissance de la révolution. Un que le CP6 connaissait. Grand Bob pouvait me dire ce qu'il voulait, je préférais partir du postulat qu'il avait un homme – si ce n'était plus – déjà infiltré dans la cellule du fameux révolutionnaire, que je n'étais que la énième pièce d'un puzzle. Voir même la cible du puzzle. Le côté grandiloquent de Baryton me faisait penser à un acteur et l'espace d'un espace, la pensée comme quoi tout cela n'était qu'une mascarade jouée à mes dépends me traversa l'esprit. Se pourrait-il ?
    -  « Le miel n'est pas seulement doux, il peut aussi guérir. » Baryton répondit convenablement et cela stoppa mes élucubrations.
    -  « Bon... pouvez-vous me libérer maintenant ? »
    -  « Les mains, mais je crains fort que mon identité doive rester secrète. »
    -  « Je vous rappelle que je suis moi aussi infiltrée au sein de la Marine. »
    -  « Moins vous en savez, mieux c'est. La révolution a toujours fonctionné ainsi.»

    C'était bien vrai. Après tout, n'étais-je moi-même totalement libre si ce n'était deux escargophones ? Je sentis des mains défaire les nœuds et je notais que cet homme – oui c'était un représentant du sexe masculin, je le « sentais » - devait être prendre avec toutes les précautions nécessaires. Le fait qu'il ne tranchât pas le lien avec une lame prouvait à quel point il connaissait son boulot : ne jamais sacrifier quoi que ce soit, toujours être prêt. Une vie pouvait parfois dépendre du fait qu'on eût un petit bout de corde non coupé dans sa poche.
    Le sang recommença à circuler et mes doigts picotèrent douloureusement. Je passais le temps en me massant les poignets, cherchant, écoutant, flairant... Cette attente alors que j'étais si près me rendait folle.

    -  « Bon et maintenant ? »
    -  « Maintenant, nous allons parler. »
    -  « Parfait. De quoi voulez-vous parler ? »
    -  « Vous devriez avoir une petite idée. »
    -  « Tout pareil. Pourquoi irais-je nous confier mes petits secrets à un inconnu ? »
    -  « Vous avez déjà avoué que vous été une révolutionnaire infiltrée. »
    -  « Des mots jetés en l'air pour me défendre. Personne ne pourra me le reprocher. Alors que vous, vous n'avez rien dit de spécial. »
    -  « Vous n'avez pas confiance en moi. Pourtant, j'avais le code. »
    -  « Tout le monde peut connaître le code. Les Cipher Pol, ils leur arrivent de faire quelque chose de leur dix doigts... »
    -  « Les Cipher Pols sont à des lieux de savoir quoi que ce soit sur la révolution et ce que nous faisons. » Tiens, je m'attendais à un rire triomphant. Ceci dit, le frottement que j'avais distinguer dans le crépitement des lampes et le déplacement des pieds et masses me laissait croire à un jeté de cape sur épaule.
    -  « Si vous le dites. C'est juste que je n'ai jamais entendu parler de vous, et --.. »
    -  « Dans ce cas, ma chère, comment êtes-vous parvenue à la conclusion qu'il fallait contacter telle personne aux Ecailles ? » Je notai que je n'étais plus 'femme' mais 'ma chère'. A bien y réfléchir, je préférai 'femme'.
    -  « Duh... Marine ? Vous savez, le groupe qui me fournit ce splendide uniforme ? Un rapport est passé et j'ai été capable d'additionner deux et deux... »
    -  « Vous comprendrez que cette explication est légère et ne me convient pas totalement.. »
    -  « Et que voulez-vous que j'y fasse ? »
    -  « Puisque vous avez la langue bien pendue, nous allons en profiter. »
    Rire machiavélique.
    Soupir.
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    L'entretien continua comme ça pendant plusieurs heures. Je répondis à ces questions du mieux que je pus, dans le cadre de mon rôle et selon les instructions de Grand Bob. Ma paranoïaque d'idée ne me quittait pas : même ici, j'étais surveillée. Finalement, alors que je commençais réellement à en avoir ma claque – en plus d'une envie pressante - je fus relâchée. Aisselles me porta et j'eus droit à un tour de chariot gratis. Les derniers mots de Baryton furent une mise en garde convenue de « et n'oubliez pas qu'à partir de maintenant, nous vous regardons. Le moindre geste, la moindre parole, nous saurons tout ». Il n'y gagna qu'un nouveau soupir.

    Lorsque je fus laissée seule et que je pus retirer mon bandeau, je réalisais que ces enflures m'avaient déposée bien loin de mon quartier... enfin, celui de Jade. En fait, je me trouvais à la lisière du quartier rouge de Marie-Joie, celui-là même où j'avais fait mes premières armes, accompagnée de certains Red et Oswald Jenkin. Autant dire que la vue me réjouit et que l'idée de devoir retourner à pieds jusqu'à cet appartement que je honnissais de toutes mes forces, et de devoir enquiller par la suite sur une journée de travail m'arrangea pas mon état d'esprit.
    Ce fut donc d'un pas lourd – ô perte affligeante de mes talons, comme je vous pleure, vous, mes amis, mes frères – que je m'engouffrai dans mon bureau, en claquai la porte pour me renverser dans le fauteuil et y faire une sieste bien méritée. Les cernes que j'avais aperçues brièvement au détour d'un miroir m'effrayaient plus que la possibilité d'être prise en flagrant délit de paresse par qui que ce fut.

    Plus tard dans la journée, alors que je tentai de faire bonne figure en brassant les papiers – n'étais-je pas surveillée par Baryton, des faux-CP qui donnaient le change à Baryton, et des vrais CP qui enquêtaient sur moi – quand je remarquai, au milieu des rapports quotidiens que je devais remplir, un nouveau dossier. Semblable à tout point aux autres, il aurait pu passé inaperçu si je n'avais pas eu le sens du détail. A l'intérieur, mon nouveau moyen de communication avec Grand Bob : j'étais censée écrire mon compte-rendu des événements, et ce serait par retour de document que je recevrais mes nouvelles instructions. En effet, l'agent du sixième bureau ne pouvait plus entrer directement en contact avec moi, ou m'envoyer un collaborateur. Tout changement à ce qui devrait être l'ordinaire de « Jade, la Marine » serait noté par la cellule révolutionnaire, et était donc à proscrire.

    Pff, tout ce méli-mélo commençait à me donner mal à tête. Quand je reprenais le plan, je m'étonnais que je fusse encore capable de comprendre ce qu'il se passait. Le CP 6 qui utilisait un agent anonyme et douée pour le théâtre, pour tromper un révolutionnaire. Un agent qu'on faisait passer pour une révo infiltrée dans la Marine, sous l'identité de Jade. Jade qui avait émergé très récemment à Dead End. Jade qu'on ne pouvait ni ignorer ni croire. Jade qu'il fallait surveiller. Surveillance qui allait forcément découvrir que Jade était elle-même déjà suspectée par le CP6. Les agents la surveillant n'étant qu'un mirage pour couvrir d'autres agents en train de traquer le révo.

    Tout ça pour... Baryton ? Quelque chose ne collait pas pour moi. Je ne l'avais pas vu, je ne le connaissais pas, je n'avais pas pu échanger avec lui puisque j'avais été réduite au rôle de l'interrogée. Mais en mon fort intérieur, je n'arrivais pas à mettre à égalité Raven, Mandrake et Baryton. Oui, on pouvait être révolutionnaire et aimer jouer les cabotins de série B. Mais généralement, on évitait d'avoir un signe aussi distinctif, histoire de rester le plus neutre possible, surtout quand on était en mission d'infiltration. Je veux dire, Mandrake pourrait commencer à se balader en tutu rose avec une bouée Piou-Piou autour de la taille, que ça ne changerait pas grand chose : on ne voyait Mandrake que pour mourir ensuite. Mais là, Baryton n'avait pas le « profil » d'un haut responsable espion. D'où mes hésitations : Baryton était-il un intermédiaire qui posait pour le vrai chef, une sorte de doublure ? Baryton était-il une fausse identité, un masque, pour tester mes réactions ?
    Je ne partageai pas mes doutes avec Grand Bob, et je m'appliquai à suivre ses directives écrites à la lettre. Etre en journée une bonne petite Marine. Me laisser faire lors des interrogatoires. Donner telle ou telle réponse à telle ou telle question. Ne pas prendre d'initiatives, ne pas chercher à sonder Baryton.

    Ce dernier point m'étonnait, d'autant plus qu'il venait sans explication. Si encore il m'avait été dit que Baryton était suspecté d'être susceptible, ou paranoïaque... Mais là... c'était comme si on ne me croyait pas capable de mener une enquête ! Certes, à leurs yeux, je n'étais qu'une agent du CP5, et pas du tout spécialisée dans les thématiques révolutionnaires. Ah ! Si seulement ils savaient. Sans même aller jusque là... le propre du Cinquième Bureau se situait dans la polyvalence de ses membres. Grand Bob n'avait qu'à me former... Au début, je pensais que c'était pour ça qu'il était venue me chercher, moi, parmi toutes les jeunes femmes du Gouvernement Mondial. Pas une fille du CP9 ou CP3, pas une Marine. Mais moi.
    Et après, on s'étonnait que j'en fus malade de paranoïa !
    Oui, quelque chose m'échappait dans tout cela, et j'avais du mal à croire que c'était juste uniquement parce que je ne connaissais qu'un tout petit bout du Grand Plan.

    Cette nuit-là, et plusieurs nuits par après, je fus suivie. Parfois discrètement, presque imperceptiblement si ce n'était pour ma formation CP, la plupart du temps de façon assez grossière. Et je peux vous dire que c'est difficile d'agir normalement, dans votre soit-disant salon, quand on sent sur soi les regards d'autres... Difficile et pesant. Certains soirs, j'étais de nouveau « enlevée », puis relâchée après avoir été questionnée, dans des lieux différents, mais tous dans les quartiers pauvres.

    Au bout de deux semaines de ce rythme infernal, j'étais sur les genoux, le manque de sommeil et les suspicions me minant jusqu'au creux des os. Je savais que bientôt, je m'écroulerais pour ne plus me relever avant trois jours de coma. Mon épaule qui avait commencé à guérir se bloquait parfois et des pulsions douloureuses m'élançaient régulièrement. Je serrais les dents, en disant que j'étais plus forte que ça, que j'étais capable d'encaisser, et que si tout cela était un test, je me devais de le réussir. Mon honneur, ma fierté, mon amour-propre, comme dernier rempart à mes faiblesses physiques.

    Vint ce soir-là. Comme d'habitude, j'étais sur une chaise, les yeux masqués, et je répondais à un feu roulant de questions. Et là, je craquai. Ce même orgueil me trahit : à force de m'accrocher à ces fibres, elles se manifestèrent. J'étais agent, pas une cruchonne !
    -  « MAIS QUE ME VOULEZ-VOUS A LA FIN ?! » hurlai-je à ce qui était peut-être un imposteur. « Cela fait des heures, des nuits, que je vous le répète. Je m'appelle Jade, je suis révolutionnaire et j'ai infiltré la Marine. En journée, je suis à mon bureau, et je suis là pour écouter et transmettre. Mais je suis sans nouvelle de mes contacts depuis déjà plusieurs mois, alors quand j'ai entendu parler de vous, j'ai cherché à en savoir plus. Et je vous ai contacté, c'est tout !! »
    -  « Comment avez-vous su où nous contacter ? »
    Comment ? Bonne question... Mes idées se brouillaient, et si j'avais eu un sursaut d'énergie cinq secondes auparavant, maintenant, je n'étais plus qu'une loque. On en revenait toujours à ces mêmes questions, et je savais que si je n'arrivais pas à gagner leur confiance, alors toute cette opération, quoi qu'elle fusse en réalité, tomberait à l'eau. Dans ce cas, autant s'y jeter. Dans l'eau, bien évidemment.
    -  « J'ai... j'ai toujours su... Avant même d'avoir entendu les rumeurs. Qu'il y avait un autre révo de haut rang infiltré profondément au Gouvernement. Ça fait... des semaines que je le traque. Ce... ce n'est pas vous ?   »
    -  « Non, nous sommes une entité différente. Et je commençais à penser que c'était vous, ce fameux révo... »

    Hein ? Venait-il de rebondir sur une invention de ma part ? Ceci dit, ce n'était pas improbable que la révo eût un autre contact. Et plus d'un.
    -  « Pourquoi, commencer à penser que c'était moi ? »
    -  « Nous essayons de prendre contact avec cet individu. Pas nouvelle, rien. Puis vous êtes arrivée. »
    -  « Oui, mais non. Ce n'est moi. » Le silence retomba entre nous, et je sentais que bientôt, le sentiment de gêne qui planait aller dégénérer en quelque chose qui n'allait pas me plaire. Quand pris en faute, un groupe cherchait toujours à rejeter la faute sur autrui ; alors que le fautif était le chef, je ne vous raconte pas la giclée qui était à prévoir. Frénétiquement, je cherchai un truc à dire. Et ma bouche fonctionna plus vite que mon cerveau. « Et si c'était un piège ? » Il y eut comme un claquement dans l'air et je n'imaginais que trop bien les têtes qui se tournaient vers moi, à l'unisson, comme des automates. Vite, je devais enchaîner. « je veux dire... si notre haut contact avait été capturé... ou s'il avait trahi... si justement le gouvernement attendait là, pour voir qui allait le contacter... »
    -  « Je ne crois pas que le Gouvernement, et encore moins la Marine, capable de tant de planification.. » Pas de soupir théâtral ? De rire suffisant, de reniflement dédaigneux ? De ricanement de connivence ? Se pourrait-il que j'eusse en face de moi, enfin, le réel leader, et non pas sa personnalité masquée ?
    -  « Non, vous vous trompez. Il ne faut pas sous-estimer l'adversaire. Depuis que je travaille pour eux, je sais à quel point ils peuvent être redoutables. Les chefs, les enquêteurs... ils sont capables d'avoir mis sur pied un tel plan. Pour identifier tous les révo à l'intérieur de l'institution et ici, à Marie-Joie. »
    Oui, c'était possible. Plus que possible. Il n'y avait jamais eu de … non attendez, c'était moi qui venais d'inventer ça, pas le CP6. Le CP6 voulait capturer cette cellule, c'était tout. Je devais, en tant que Jade, les mettre en confiance, les identifier, les amener à un piège.

    Mais pourquoi vouloir « Jade » en particulier ? De tous les noms de code, ils auraient pu me donner « Alberta » ou « Jezabel », mais ils avaient conservé ce « Jade », qui n'était connu de personne, qui n'avait aucun poids, aucune valeur. C'était moi qu'ils voulaient, à la base, ces sales pourritures de flicailles. Pas Jade. Après, peut-être qu'ils ont trouvé plus simple de garder ce nom, parce que j'y répondais. Peut-être pour commencer à bâtir un personnage d'emprunt, une identité que plusieurs femmes pourront par la suite endosser. « Jade, la révolutionnaire », un nom sans visage, un pedigree sans niche. La révo de Dead End, celle qui a fait un coup sur Marie-Joie, celle qui...

    La tête me tournait  et j'avais juste envie de pleurer. Bêtement, comme un enfant, appeler ma mère et me blottir sous ma couette.
    -  « Vous... vous qui me surveillez, pour savoir... si je suis une vraie sœur... vous avez peut-être remarqué... si j'étais suivie ? Est-ce qu'ils sont déjà sur ma trace ?  »
    -  « Si c'était le cas, nous l'aurions remarqué.. » Euh ? Vous auriez dû les voir !!! Les hommes de Grand Bob postés à cet effet.... non, vraiment, vous ne les avez pas vu ? Mais quelle bande de révo êtes-vous ?
    -  « Que dois-je faire pour que vous me fassiez confiance ? S'il vous plaît, vous savez déjà que je ne suis pas une menace. Même... même si j'étais un agent fidèle à la Marine... vous savez déjà tout de moi, non ? Vous voyez bien que je n'ai aucun pouvoir. Ma mort par contre serait suspicieuse. Et mes manquements commencent à se voir, et là, s'ils se mettent vraiment à m'interroger... Vous savez déjà que je suis des vôtres, sinon vous n'auriez pas pris le risque de me faire revenir autant de fois. Il faut en finir, nous n'avons plus le temps de nous méfier l'un de l'autre ! »
    -  « Dans ce cas, il faut que tu t'arranges pour nous donner de l'information qui en vaille le coup. Pas une petite miette, comme les plannings de relevé des gardes. Pas une petite victoire où on pensera tous que ça a été arrangé par la Marine. Un truc qui les met bien dans l'embarras... »
    -  « D'accord... donnez-moi quelque temps... je vais voir ce que je peux faire. Mais il faut faire profil bas... reprenez contact avec moi quand je porterai un foulard rouge. »

    Une telle entourloupe, Grand Bobo saura la monter.
    Le hic, c'était qu'elle n'était pas prévue, et je n'étais pas censée prendre d'initiative.
    Comment allais-je me dépatouiller de toute cette histoire ?


Dernière édition par Shaïness Raven-Cooper le Mar 27 Aoû 2013 - 20:28, édité 1 fois
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    Puisque la réunion s'était terminée tout aussi tard que d'habitude, je dus encore une fois me contenter de grappiller quelques heures de sommeil. Ce qui aurait pu être un réel échappatoire se trouva être une succession de songes angoissants, emplis de pièces vides, de brouillard et de miroirs, de voix qui appelaient dans le lointain ou de résurgence de consignes données par Bob.  La sonnerie de mon horloge de chevet me trouva déjà assise dans mon lit, mais absolument pas réveillée. Aurait-il fallu pour cela que j'eusse été endormie à un moment donné.

    Jamais autant faire un rapport n'aura été aussi fastidieux. Une partie de moi, l'étiolée, voulait faire la nique à Grand Bob « moi, j'ai fait ça, nananananèreuuuuu ! » et l'autre, la paranoïaque, se voyait déjà morte à l'évocation seule de sa réaction. Je finis par baratiner un quelque chose que me semblait plausible sur le coup, donc pas forcément une bonne idée avérée, comme quoi les suspects m'avaient demandé d'eux-mêmes de prouver mon allégeance et de fournir de précieux renseignements. Après tout, c'était mi-faux, mais mi-vrai.

    Et j'agonis pour le reste de la journée, avant de recevoir un très laconique « ok, restez sur position, rien ne change » en fin d'après-midi. Tout ça pour ça. Suite à quoi je voulus rentrer pour tenter de me retaper la santé, avant de réaliser que non, Jade ne pouvait pas faire ça, Jade serait restée pour traiter la pile monstrueuse de dossiers qui s'empilaient jour après jour. Pour cause, j'étais incapable de me concentrer, ces derniers temps.
    A un moment donné, je me dis que tout ça, c'était la faute de Grand Bob... ne pas réussir à traquer les révo alors que je me faisais enlever presque tous les soirs. Les CP6 manquaient réellement d'entraînement. Ce qui aurait pu provoquer en moi une étincelle de compréhension se transforma en douleur soudaine, puisque le sursaut que mon corps avait initié percuta mes douleurs à l'épaule.
    Que toutes les malédictions du monde s'abattent sur Jo Patchett, son Hibou et Dead End. Si seulement je n'y avais jamais été !!! Si seulement j'avais trouvé un autre prétexte que « Jade » pour justifier ma présence.... Quoi, ne pouvais-je pas choisir d'être « Stella, la marchande de je-ne-sais-pas-quoi en train de faire du business sur cette île » ? Non, bien sûr que non, c'était trop facile comme ça...

    Le reste de la journée... aucun souvenir. Je ne suis même pas en mesure de me rappeler comment je suis arrivée chez Jade. La porte s'ouvrit sur la noirceur du salon. Le ciel annonçait un orage, maculé qu'il était de lourds nuages ombrageux, et la nuit n'en paraissait que plus présente. L'air était poisseux et vous collait à la peau, et l'odeur de l'humain avait envahi les rues de Marie-joie. Sans même prendre la peine d'allumer la lumière, je me dirigeai vers mon canapé, que j'avais plus ou moins dissimulé derrière un paravent pour me donner un minimum d'intimité, et je m'y affalai. Mon plan pour cette soirée était de rester là, jusqu'à ce que la soif ou la faim me tirasse de cette bienheureuse léthargie qui m'envahissait. Avec un soupir, je fermai les yeux.

    Pour les rouvrir juste à temps pour voir une main venir se plaquer contre ma bouche et entrapercevoir dans la lueur diffuse de l'extérieur qui perçait jusqu'ici, deux yeux, comme deux puits de charbon, chatoyer comme des lucioles fantomatiques.
    -  « Allons, allons. Calmez-vous et surtout, ne faites pas de gestes idiots. »
    Sa voix ne me disait rien. Ni révo, ni CP. Et tout en moi me disait que ce n'était pas ça. Les hommes de Baryton ne devaient pas me contacter avant que j'en ai eu donné le signal. Quand à Grand Bob, il avait des moyens pour s'entretenir avec moi bien moins compliqués et dangereux que de se glisser chez moi alors qu'on ne savait pas trop qui me surveillait. De plus, aucun des deux groupes n'avait osé jusqu'à présent violer mon intérieur jusqu'à présent. Cette manœuvre relevait du suicide plus qu'autre chose.

    Lentement, je me forçai à expirer, calmant le rythme de mon cœur. J'eus même le réflexe de justifier mon début de sursaut en faisant tomber mes chaussures à force de gigotements de pieds.
    -  « Bien. Je n'ai pas trop le temps, alors je vais aller faire vite. Vous êtes en danger. Je ne sais pas à quoi vous jouez, petite fille, mais vous avez mis le doigt dans bien plus gros que vous ne pouviez appréhender. Vous devez fuir. »
    -  « Pourquoi ? Qui êtes-vous ? » marmonnai-je à travers son bâillon de chair. Dans le silence de la pièce, nos chuchotis semblaient résonner comme des boulets de mitraille.
    -  « Je suis celui que vos enfantillages ont mis en danger. Comment êtes-vous remonter jusqu'à moi ? Je croyais vous avoir semé depuis longtemps !! Maintenant, vous allez répondre à mes questions, ou je vous dénonce tous aux CP qui traînent dans le coin.  »  
    -  « Quel CP ? » Mon esprit tournait, mais à blanc. Je n'arrivais pas à donner sens à tout ce qui se passait. Seul un pirate ou un révolutionnaire pourrait craindre les Bureaux, et puisque j'étais en plein complot révolutionnaire, la logique voudrait que... au diable la logique !
    -  « Ne jouez pas à l'idiote avec moi, car moi, je n'hésiterai pas à vous frapper. »
    -  « MAIS !!! » Il étouffa mes protestations en appuyant si fort que mes lèvres se fendirent contre l'émail de mes dents, et je sentis le goût métallique du sang suinter dans ma gorge.
    -  « Bien. Commençons par le début : Qui êtes-vous ? » Il ôta sa main mais s'empara de la mienne avec une rapidité surprenante et je couinai alors qu'il me tordit vicieusement le poignet. La douleur remontait le long de mon bras, jusqu'à mon épaule qui n'en finissait pas d'être abîmée.
    -  « Je m'appelle Jade, je suis une secrétaire à la Marine qui travaille au service de-- »
    -  « La même Jade qui était à Dead End ? »

    L'univers s'arrêta de tourner sur lui-même à ce moment donné. Comment pouvait-il savoir ? Ce n'était pas possible. Personne ici ne pouvait savoir !!!!
    -  « Pour quel bureau travaillez-vous ? » crachai-je avec une fureur renouvelée. Nous y voici ! J'avais été démasquée... mais dans ce cas, que faisait-il là ? Pourquoi n'étais-je pas déjà dans une cellule. Attendez, non, Jade était au-delà de tout soupçon et les CP ne pouvaient.... quoi que...

    Je sentis l'hésitation en lui quand sa prise sur mon poignet frémit. Que se passait-il ?
    -  « Répondez-moi !!! Êtes-vous la Jade de Dead End ? » L'urgence, si ce n'était la détermination farouche, dans sa voix, me fit frissonner et alors qu'il entreprenait de me broyer les tendons du poignet, je sus que je ne pourrais pas mentir.
    -  « Oui.. »
    -  « Mais vous n'êtes pas que Jade ? »
    -  « Non, en effet. »
    -  « Quand avez-vous vu des coccinelles pour la dernière fois ? »
    -  « Hein ? » La pression sur mon bras était abominable.   « Arrêtez, vous allez me briser l'épaule !! » gémis-je, tout en sachant que ma supplique ne serait pas entendue.
    -  « Quand ? »
    -  « Pas plus tard qu'hier, sur la feuille d'un... » Merde, quel était la suite du code ? Il faut dire qu'il changeait selon les saisons et là, j'aurais juré sans problème qu'il avait neigé vingt-cinq centimètres depuis ce matin. «  --d'un bégonia... oui, c'est ça, un bégonia. Un putain de bégonia en pot. »
    -  « De quelle couleur était le pot ? »
    -  « Mais qu'est-ce que j'en sais, moi ? … il était jaune. »
    -  « Vous êtes certaine ? »
    -  « Quoi, vous voulez aller vérifier peut-être ? Au diable avec vos codes à la con.  » Car bien entendu, il s'agissait de ça. D'échanges cryptés. En l’occurrence, l'un des moyens de reconnaissance les plus récents de la révolution.
    -  « J'aurais penser qu'il était rouge... Rouge écarlate. »
    Scarlet... Mon vrai pseudo révolutionnaire, celui que seuls deux personnes au monde connaissait (je me doutais que Raven n'avait pas parlé de moi, insignifiante petite chose, au Conseil ou à quiconque. Quant à Raf... ).
    -  « Non, ça aurait été trop voyant. Je préfère quand les choses restent discrètes. »

    L'inconnu relâcha mon poignet et je geignis, me léchant les coupures à la lèvre, massant mon membre endolori.
    -  « … j'avoue que j'ai du mal à admettre que vous soyez des nôtres... avec un comportement aussi peu... »
    -  « Hé, mon coco, je fais ce que je peux, avec ce que j'ai. C'est facile de venir critiquer, mais j'aimerais t'y voir !!! »
    -  « Justement, moi, cela fait des années que je suis ici, et je n'avais jamais eu le moindre problème. Jusqu'à ton arrivée, gamine. »
    -  « ..ça fait plus de deux ans  que je suis ici... » grommelai-je en dépit de toute logique et instinct de sûreté – mais oui, Shaïness, raconte à l'inconnu l'historique de ta vie d'espionne...
    -  « Donc tu n'es pas en contact avec les gars du Conquistador ? »
    -  « Comme si j'allais vous le dire. »
    -  « Mais qui es-tu, à la fin ? »
    -  « J'avais posé la question la première... »
    Il eut un soupir, un long soupir. Oui, moi aussi j'aurais aimé pouvoir faire pareil. Mais je me retins. Face à ce type, je ne pouvais montrer plus de faiblesses que je ne l'avais déjà fait.
    -  « Ces gars... tu penses vraiment qu'ils sont révolutionnaires ? » me demanda-t-il brusquement, comme si cela était la réponse à toutes nos questions.
    -  « ... »
    -  « Oh, ne fais pas la maligne. Bon, tu ne veux pas me faire confiance. A ta guise. Peut-être changeras-tu d'avis plus tard, mais il serait trop tard. Interroge-les, tu verras bien. Tout le monde peut connaître un code. Mais ça ne fait pas d'eux des vrais combattants, n'est-ce-pas... Jade de Dead End ? »

    Il aura fallu qu'on me le dise aussi clairement pour que je pusse enfin mettre la main sur ce mot que j'avais au bout de la langue depuis ma rencontre avec Baryton : louche et pas crédible.
    Une plainte s'échappa de ma gorge, signe de toute ma frustration, quand je réalisais que l'inconnu avait réussi à s'éclipser sans m'alerter aucunement. Comment avait-il fait ? Qui était-il ? Ma lamentation conclut cette journée tandis qu'épuisée, je m'évanouissais presque dans mon canapé.
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