Maman m'a toujours dit que quel que soit l'endroit où je vais, je trouverais un refuge. Un endroit qui me sera hautement familier alors que je ne l'aurais jamais vue. Un lieu que je reconnaitrais entre mille. Un petit coin d'ile où je serais bien, où je pourrais me protéger. De moi. Des autres. Du reste. Un endroit à soi. Sur Endaur, j'ai toujours aimé la forêt qui mange la plus grande partie de la surface. J'aime la forêt, les arbres. Une ile sans végétation, c'est un peu une ile sans poumon. Une ile de béton et d'acier est une ile de mort. Sans âme. J'en ai jamais. J'en ai jamais eu la connaissance. J'espère ne jamais en voir. J'espère que ça n'existe pas. Non. Ça ne peut exister. Ainsi, il existe toujours un coin de vert sur chaque ile de ce monde et c'est dans pareils lieux que je peux y faire mon nid, l'espace d'une journée, d'une heure, pour panser mes plaies, qu'elles soient physiques ou morales. Se rouler en boule pour passer l'hiver de quelques tourments. Un endroit où je me sens bien. La forêt. Elle est présente sur cette ile au nom d'Innocent Island. Depuis Callelongue, je suis sur un bateau. Depuis Callelongue, je n'ai pas croisé d'arbres, je n'ai pas senti cette nature, je n'ai pu respirer les flagrances merveilleuses d'une forêt qui respirent. Je l'ai vu rapidement et je n'ai qu'une seule envie : la parcourir. J'ai mis une demi-heure à m'y plonger complètement après avoir abandonné le Bel Espoir. Petit à petit, les sensations sont revenues. La douce brise glissant entre les troncs massifs, formant un réseau complexe sous la dense floraison. Les gais sifflements des oiseaux couvrent le chuchotement des petits animaux se précipitant à l'abri lors de mon passage. La brise agite çà et là quelques branches comme si les arbres eux-mêmes me saluent. Je ne peux m'empêcher de sourire, car je suis là où je voudrais être. Et sans soucis, je salue de la main ces êtres immobiles qui agitent leur branche sous mon passage. Ils m'accueillent. Je suis chez moi.
J'ai pris une bonne heure pour me promener dans ces bois. J'ai voulu observer l'état de cette forêt et constater par moi-même de sa force et de sa vitalité. Non. Elle ne souffre pas. Elle n'est pas corrompue par quelques maux. Certes, il y a toujours quelques maladies et quelques arbres morts, mais c'est dans l'ordre des choses. On ne peut aller à contre-courant de ses phénomènes. J'ai marché au hasard, là où mes pas me menaient, constatant toutefois que la forêt en elle-même est plutôt petite. Mais cela me suffit. Malgré ma corpulence, je me suis glissé sans heurt au milieu des arbres. J'y suis à mon aise. Je ne peux être handicapé quand je progresse en forêt. C'est mon domaine, ma vie. Une fois certaine du bon état de santé de la forêt, j'ai trouvé une petite clairière qui me convenait. Là, je me suis installé au creux de quelques massives racines d'un grand arbre assurément centenaire. La tête posée contre son tronc ridé, j'ai fermé les yeux, rassurés par la pérennité des lieux. Au loin, j'ai entendu le clapotis d'un petit ruisseau. Dans mon immobilisme, j'ai senti le déplacement léger de quelques animaux de ses lieux, curieux de ma venue, mais sans s'approcher outre mesure. J'ai souri. J'étais bien. J'aurais pu rester comme ça pendant des heures, mais elle fut unique. Une seule heure pour me délester de ces trois mois de mer. De ces trois mois loin de Mère Nature. Loin de ce petit coin de chez moi que je peux trouver sur toutes les iles de ce monde, comme me l'a souvent dit maman.
J'ai fini par rouvrir les yeux et me lever, presque à regret. Je suis ici pour une autre raison. J'ai une chose à faire. Une chose que je me suis empêché de faire sur le Bel Espoir, de peur de ces répercussions. En pleine mer, un problème peut être désastreux. Sur la terre ferme, c'est tout de suite moins dramatique. Je l'espère. Regardant mes mains ouvertes, je cherche en moi cette puissance, cette chose qui a fusionné avec moi. Ce fruit du démon. Un pouvoir animal qui s'est manifesté peu de temps après avoir ingéré le fruit maudit. L'événement aurait pu être beaucoup plus dramatique. Ce ne fut pas le cas, mais mes souvenirs restent ce qu'ils sont : ce pouvoir n'est pas maîtrisé. Et ce pouvoir peut être dangereux. Regardant tout autour de moi, je fais le calme en moi. En ce lieu, je vais éveiller de nouveau ce pouvoir. Je vais apprendre à le maitriser. Ce pouvoir ne doit pas me contrôler. Surtout pas. Je suis maitre de mon corps. Je suis maitre de ce que je ferais. Je ne commettrais pas d'erreur. Évidemment, j'ai la crainte que ma détermination ne suffise pas et que la forêt elle-même en subisse les conséquences.
Mais j'ai confiance. Elle m'a toujours protégé. Elle a toujours été là pour moi. Elle acceptera de m'aider à nouveau. Au contact de ces écorces et de ces êtres végétaux, je suis persuadé que ma détermination et mes convictions s'en trouveront grandi. Je ne peux pas faillir. Non. Je ne faillerais pas. L'échec n'est pas permis. Kestrel me l'a redit. Il ne faut pas faire d'erreur. Jamais. Et même si on en fait, il faut redoubler d'effort pour ne plus en refaire. L'erreur peut être terrible.
Debout au milieu de la petite clairière, je cherche en moi cette petite languette qui ne demande qu'à être tirée. Cette voix insidieuse me l'ordonne. Ouvre-moi. Ouvre-moi ! Embrasse à pleine bouche cette force que je ne contrôle pas. Il est si difficile de concevoir comment l'on peut déclencher quelque chose qui est étranger à son corps. C'est une lutte de l'esprit, mais une lutte dans le vide, l'inconnu. C'est comme si je m'ordonnais de lever mon bras par la force de l'esprit. L'esprit commande, mais comment je pourrais faire pour que cela s'exécute. Et comment j'exécute ce mouvement sans même y penser ? Tu es parfois facétieux, Seigneur. À force de tâtonnement et de tentatives qui m'arrachent un petit rire tellement ces tentatives sont risibles dans sa manière d'être, je réussis à obtenir ce que je veux. Les changements se font brusquement et un cri m'échappe ; j'ai peur d'être allé trop loin. Je gagne un peu en taille, ma peau change. Des appendices apparaissent. Je prends en corpulence. Je fixe mes mains tout en me concentrant. Je vois. Je vois qu'elles restent là où elles sont, mes mains. Je reste à moitié transformer. C'est ce que j'ai voulu. Sous cette forme, j'existe toujours comme je voudrais l'être. Je fais quelques pas, reprenant cet étrange sentiment de se déplacer sous cette forme qui me paraît si familier. Avisant une pierre, je tente de la soulever. Il doit bien faire dans les cents kilos, mais je le soulève avec une facilité déconcertante. Je ne sens même pas son poids alors que sans utiliser ce pouvoir, je l'aurais fait aisément, certes, mais j'aurais senti ce poids.
Ce pouvoir est puissant. Mais il est malin. Cette petite voix est toujours là. Je n'ai qu'ouvert à moitié la boite de pandore. Dans les ténèbres de cette boite, la voix m'intime de l'ouvrir en grand. Je n'ai fait qu'un pas. Il me faut faire un bond. Un bond dans l'inconnu. Ou pas. Un bond dans un état qui m'est incontrôlable. Il me fait peur. Je me fais peur. L'espace d'un instant, j'hésite à aller plus loin, à faire ce que je me suis destiné à faire. Et puis il y a cette brise bienheureuse qui vient me réconforter. Les branches bougent comme pour me saluer à nouveau. Vas-y. vas-y ! La forêt me parle. Elle me fait confiance. Je souris à nouveau. Je ne peux pas aller à l'encontre d'un encouragement pareil. À travers eux, c'est Endaur qui m'encourage. Les petits Woks. Ma famille. Mon père. Ma mère. Mes frères.
Viens ! Viens ! Ouvre-toi à moi ! Tu ne seras pas déçu.
Je ne vous décevrais pas.
Abandonne-toi ! Laisse exploser tes envies ! Laisse-toi aller à tes instincts. Animal.
Je ferme les yeux. À nouveau, je tâtonne dans mon esprit. Je sais comment faire ; la petite voix me le dit. Mais je cherche quand même. L'appréhension. La peur de sauter dans le gouffre maintenant que je le contemple. La voix se fait sans cesse insistante, mais je ne craque pas. C'est bien. C'est moi qui m'ouvrirai à cela. Pas la voix.
Enfin, déterminer comme jamais, je m'ouvre à ma forme animale.
J'ai pris une bonne heure pour me promener dans ces bois. J'ai voulu observer l'état de cette forêt et constater par moi-même de sa force et de sa vitalité. Non. Elle ne souffre pas. Elle n'est pas corrompue par quelques maux. Certes, il y a toujours quelques maladies et quelques arbres morts, mais c'est dans l'ordre des choses. On ne peut aller à contre-courant de ses phénomènes. J'ai marché au hasard, là où mes pas me menaient, constatant toutefois que la forêt en elle-même est plutôt petite. Mais cela me suffit. Malgré ma corpulence, je me suis glissé sans heurt au milieu des arbres. J'y suis à mon aise. Je ne peux être handicapé quand je progresse en forêt. C'est mon domaine, ma vie. Une fois certaine du bon état de santé de la forêt, j'ai trouvé une petite clairière qui me convenait. Là, je me suis installé au creux de quelques massives racines d'un grand arbre assurément centenaire. La tête posée contre son tronc ridé, j'ai fermé les yeux, rassurés par la pérennité des lieux. Au loin, j'ai entendu le clapotis d'un petit ruisseau. Dans mon immobilisme, j'ai senti le déplacement léger de quelques animaux de ses lieux, curieux de ma venue, mais sans s'approcher outre mesure. J'ai souri. J'étais bien. J'aurais pu rester comme ça pendant des heures, mais elle fut unique. Une seule heure pour me délester de ces trois mois de mer. De ces trois mois loin de Mère Nature. Loin de ce petit coin de chez moi que je peux trouver sur toutes les iles de ce monde, comme me l'a souvent dit maman.
J'ai fini par rouvrir les yeux et me lever, presque à regret. Je suis ici pour une autre raison. J'ai une chose à faire. Une chose que je me suis empêché de faire sur le Bel Espoir, de peur de ces répercussions. En pleine mer, un problème peut être désastreux. Sur la terre ferme, c'est tout de suite moins dramatique. Je l'espère. Regardant mes mains ouvertes, je cherche en moi cette puissance, cette chose qui a fusionné avec moi. Ce fruit du démon. Un pouvoir animal qui s'est manifesté peu de temps après avoir ingéré le fruit maudit. L'événement aurait pu être beaucoup plus dramatique. Ce ne fut pas le cas, mais mes souvenirs restent ce qu'ils sont : ce pouvoir n'est pas maîtrisé. Et ce pouvoir peut être dangereux. Regardant tout autour de moi, je fais le calme en moi. En ce lieu, je vais éveiller de nouveau ce pouvoir. Je vais apprendre à le maitriser. Ce pouvoir ne doit pas me contrôler. Surtout pas. Je suis maitre de mon corps. Je suis maitre de ce que je ferais. Je ne commettrais pas d'erreur. Évidemment, j'ai la crainte que ma détermination ne suffise pas et que la forêt elle-même en subisse les conséquences.
Mais j'ai confiance. Elle m'a toujours protégé. Elle a toujours été là pour moi. Elle acceptera de m'aider à nouveau. Au contact de ces écorces et de ces êtres végétaux, je suis persuadé que ma détermination et mes convictions s'en trouveront grandi. Je ne peux pas faillir. Non. Je ne faillerais pas. L'échec n'est pas permis. Kestrel me l'a redit. Il ne faut pas faire d'erreur. Jamais. Et même si on en fait, il faut redoubler d'effort pour ne plus en refaire. L'erreur peut être terrible.
Debout au milieu de la petite clairière, je cherche en moi cette petite languette qui ne demande qu'à être tirée. Cette voix insidieuse me l'ordonne. Ouvre-moi. Ouvre-moi ! Embrasse à pleine bouche cette force que je ne contrôle pas. Il est si difficile de concevoir comment l'on peut déclencher quelque chose qui est étranger à son corps. C'est une lutte de l'esprit, mais une lutte dans le vide, l'inconnu. C'est comme si je m'ordonnais de lever mon bras par la force de l'esprit. L'esprit commande, mais comment je pourrais faire pour que cela s'exécute. Et comment j'exécute ce mouvement sans même y penser ? Tu es parfois facétieux, Seigneur. À force de tâtonnement et de tentatives qui m'arrachent un petit rire tellement ces tentatives sont risibles dans sa manière d'être, je réussis à obtenir ce que je veux. Les changements se font brusquement et un cri m'échappe ; j'ai peur d'être allé trop loin. Je gagne un peu en taille, ma peau change. Des appendices apparaissent. Je prends en corpulence. Je fixe mes mains tout en me concentrant. Je vois. Je vois qu'elles restent là où elles sont, mes mains. Je reste à moitié transformer. C'est ce que j'ai voulu. Sous cette forme, j'existe toujours comme je voudrais l'être. Je fais quelques pas, reprenant cet étrange sentiment de se déplacer sous cette forme qui me paraît si familier. Avisant une pierre, je tente de la soulever. Il doit bien faire dans les cents kilos, mais je le soulève avec une facilité déconcertante. Je ne sens même pas son poids alors que sans utiliser ce pouvoir, je l'aurais fait aisément, certes, mais j'aurais senti ce poids.
Ce pouvoir est puissant. Mais il est malin. Cette petite voix est toujours là. Je n'ai qu'ouvert à moitié la boite de pandore. Dans les ténèbres de cette boite, la voix m'intime de l'ouvrir en grand. Je n'ai fait qu'un pas. Il me faut faire un bond. Un bond dans l'inconnu. Ou pas. Un bond dans un état qui m'est incontrôlable. Il me fait peur. Je me fais peur. L'espace d'un instant, j'hésite à aller plus loin, à faire ce que je me suis destiné à faire. Et puis il y a cette brise bienheureuse qui vient me réconforter. Les branches bougent comme pour me saluer à nouveau. Vas-y. vas-y ! La forêt me parle. Elle me fait confiance. Je souris à nouveau. Je ne peux pas aller à l'encontre d'un encouragement pareil. À travers eux, c'est Endaur qui m'encourage. Les petits Woks. Ma famille. Mon père. Ma mère. Mes frères.
Viens ! Viens ! Ouvre-toi à moi ! Tu ne seras pas déçu.
Je ne vous décevrais pas.
Abandonne-toi ! Laisse exploser tes envies ! Laisse-toi aller à tes instincts. Animal.
Je ferme les yeux. À nouveau, je tâtonne dans mon esprit. Je sais comment faire ; la petite voix me le dit. Mais je cherche quand même. L'appréhension. La peur de sauter dans le gouffre maintenant que je le contemple. La voix se fait sans cesse insistante, mais je ne craque pas. C'est bien. C'est moi qui m'ouvrirai à cela. Pas la voix.
Enfin, déterminer comme jamais, je m'ouvre à ma forme animale.