Quand tout s'écroule...1623.
Barrel Island. North blue.D'après une histoire vraie.
Je suis le grand Lloyd Barrel, fils d'Abraham Barrel, et petit-fils de récemment feu Théodore Barrel. Depuis tout petit, ma mère me répète que je suis le plus beau, le plus fort, le meilleur. Elle me berce en me narrant les aventures des plus grands de ces mers, en me disant que mon destin est aussi fabuleux que le leur. Je me suis donc toujours, naturellement et à juste titre, considéré comme étant un être particulier, une personne supérieure aux autres. Pourtant, là, maintenant, à l'heure actuelle, je ne sens que je ne pourrais pas être plus au fond du trou.
Pourtant, là, maintenant, à cet instant précis, je me sens le plus malheureux des hommes.
Elle s'appelait Erina. Un joli brin de femme. A l'enterrement de mon grand-père, quand je serrais entre mes bras un père désemparé, dont les larmes coulaient à flot, elle était venue m'adresser ses condoléances. Je ne l'avais pas apprécié, de prime abord. On ne plaint pas le grand Lloyd Barrel. Mais je l'avais ensuite recroisée au gré de mes déplacements sur l'île, et à l'instant même ou je l'avais revue, j'avais senti l'étincelle embraser quelque chose au fond de moi. J'étais resté de longues heures, à discuter avec elle, à me noyer dans ses beaux yeux bruns. Elle, était toute gênée de me parler. Quoi de plus normal, au vu de mon rang et de ma magnificence. Et rien ne se passait. Cependant, on sentait tous les deux qu'il y avait quelque chose d'anormal, de presque malsain entre nous deux : quand on était pas l'un avec l'autre, on était pris de maux de ventres, de bouffées de chaleurs, de crises d'angoisse. C'était quelque chose que je ne comprenais pas. Comment pouvais-je être mal pour quelqu'un d'autre que moi ?
Je ne sais pas vraiment quand j'ai compris que c'était de l'amour. Je crois que c'est quand elle m'a dit "Je t'aime."
Les jours ont passé. Mon coeur battait désormais à l'unisson du sien, et bien que cela me paraissait impossible, j'adorais tout d'elle. Même si on se disputait, parce qu'elle était en tort, on s'aimait. On passait des journées rivés dans les bras de l'autre.
Arrivée dans ma vie à un moment ou je me sentais vide, creux, elle y avait redonné un sens. Elle avait rempli ce vide. Son amour avait été comme une graine, qui s'était plantée dans un sol sec et aride, et avait fleuri. Tout ce que je faisais, tout ce que j'accomplissais, je le faisais en son nom, pour elle. Mon père, depuis tout petit, voulait que je reprenne l'entreprise familiale, et ça ne m'enchantait guère. Mais au plus les jours passés avec elle s'entassaient, au plus j'en avais envie. Je voulais vraiment le faire, pour lui offrir la vie qu'elle méritait. Elle avait beau me dire qu'elle m'aimerait quoi qu'il arrive, quoi que je puisse faire, j'étais persuadé que c'était ce que je devais faire, moi, le grand Lloyd Ba... Que moi, Lloyd Barrel tout simplement...
Oui, j'étais persuadé que je devais le faire, pour elle.
On s'aimait. Et on a cherché à se le prouver. On s'est fait des promesses. Je lui avais dit "Je t'aime et t'aimerai pour toujours.". Elle m'avait demandé de toujours être avec elle. Elle avait des projets, pour elle, pour moi, pour nous. Des promesses d'avenir, de bonheur. Mais comme le dit le proverbe, mieux vaut mille refus qu'une promesse non tenue. Une promesse, c'est un engagement. Quand elle ne va plus que dans un sens, elle se brise. Et moi, je me suis brisé. Mon monde magnifique, mon univers merveilleux, mon être splendide, mon coeur superbe, mon âme en or... Tout s'est écroulé. Elle m'a dit que ce n'était plus comme avant, que le temps de l'amour et des papillons devant les yeux c'était fini. Qu'elle avait besoin de se concentrer sur son propre avenir. Qu'elle avait besoin d'être seule pour tenter certaines expériences. Qu'elle voulait bien qu'on se revoie, plus tard, pour tout recommencer à zéro. J'ai voulu ouvrir la bouche, j'ai voulu contester. J'ai voulu hurler son nom, du plus profond de mes entrailles. Elle m'a dit de rien dire. Qu'elle avait besoin d'être seule quelques temps. J'ai compris qu'une fois de plus, je devais faire ce qui me semblait juste. Je n'ai rien dit.
J'ai attendu. J'ai fini par accepter ce qui arrivait. J'ai fini par tout laisser reposer sur l'espoir. Et alors qu'avant, je me considérais comme doué d'un destin exceptionnel, pour la première fois de ma vie, l'avenir me semblait incertain. Et j'ai tout sacrifié. J'ai survécu pendant des mois, en me nourrissant de ma souffrance.
Et alors que tout dégringolait autour de moi, que tout n'était plus que ruines, je n'avais qu'une seule idée en tête. Réparer ma relation avec elle. J'ai attendu.
J'ai attendu, comme un chien resté bloqué dehors, sous la pluie. J'ai attendu, jusqu'à en être trempé jusqu'aux os. Jusqu'à en être froid comme la mort. Et la porte s'est rouverte, pour moi, le gra... Le grand Ll... Pour moi, un simple type malheureux... Elle s'est rouverte parce que c'était mon incroyable desti... Non... Elle s'est rouverte pour mieux se claquer juste devant mon nez, pour me faire comprendre que tout était fini, et que je devais arrêter d'espérer. C'est fou. Comment peut-on croire avoir été aimé tout ce temps quand ça se termine comme ça ? Le temps passé ensemble était bien réel. Mais avait t-il été passé sous le couvert du mensonge ? De l'illusion ? De la poudre aux yeux ? Je ne l'ai jamais su. Et ce qui me fait le plus de mal, c'est que je n'aurai plus jamais d'occasion de le savoir. L'amour que j'ai éprouvé pour elle était aussi pur que du cristal. Et aujourd'hui, de cet amour, il ne reste que du verre brisé. Du verre avec lequel je me suis coupé.
C'était mon premier amour. C'était mon pire amour. Mais c'était mon seul amour. C'est sûrement celui qui sera le plus fort, le plus sincère, le plus beau, mais aussi celui qui sera le plus douloureux. Je ne suis pas sûr de vouloir m'en souvenir. Pourtant, quelque chose au fond de moi me dit que je ne pourrai jamais l'oublier. Et autre chose me dit de ne pas l'oublier.
A présent, je suis allongé dans un cercle de cendres. Quand elle est partie, elle a emporté avec elle ce qui avait rempli mon coeur et mon âme. La fleur s'était fanée. Les flammes qui animaient mon amour s'étaient mises à me consumer. Il parait que la haine c'est le sentiment le plus proche de l'amour.
Peut-être que toutes ces larmes versées ont éteint le brasier, peut-être que ça m'a sauvé. Peut-être que le feu a fertilisé le sol. Peut-être qu'une nouvelle graine peut être plantée et pousser.
Toujours est-il que maintenant, il ne reste qu'un corps calciné. Qu'un nom tâché de sang. J'ai perdu la vie en la perdant, elle.
Je suis devenu le plus insignifiant des hommes, moi, qui était le grand Lloyd Barrel...
Dernière édition par Lloyd Barrel le Mer 19 Juin 2013 - 19:36, édité 1 fois