19 Novembre 1621
Cette journée avait décidément bien mal débutée. J'étais tombé lamentablement de mon lit en me levant, et j'avais ripé contre le parquet dans le couloir juste après. Mon thé s'était renversé sur moi, et je n'avais pas réussi, malgré mes efforts, à allumer une clope. Trop de mauvais signes s'accumulaient en ce jour. Cela faisait maintenant trois heures que je travaillais dans la chaleur du grand four, la peau éclairée par le feu, les muscles bandés à force de soulever ce marteau. La lame que je créais en ce moment devait rentrer dans ma collection d'armes, et je ne la vendrais sûrement pas. Seulement, à tout œuvre d'art il faut le temps de création! Et aujourd'hui mon bras se faisait plus faible, je trouvais mon travail insignifiant, désespérant même. Pour la première fois de ma vie, je me voyais juste en train de taper sur un bout de ferraille. Je lâchais mes outils, n'arrivant à rien de concluant pour le moment. C'en était rageant. Mais ça, pour un mauvais présage c'en était un beau. Les clients étaient rares aujourd'hui, et j'avais à peine vu deux personnes venant faire affuter leurs couteaux. Rien de bien constructif en somme. Je sortis sur le parvis, essayant pour la énième fois d'allumer cette clope. Mon allumette se craqua, et je réussis enfin à tirer une latte. Quel bien ça faisait. Et en même temps, quelque chose me préoccupait. Je n'étais pas tranquille. À la vérité, je savais pertinemment la raison de mon inquiétude. Mon père. Depuis trois jours il était cloué au lit, souffrant le martyr, et ce matin il s'était levé comme une fleur, et était parti vers la forge. Son teint blafard ne me trompait pas. Chez moi, une peau blanche est normale, chez lui, c'est très inquiétant. Mais bon, depuis qu'il était arrivé, je n'entendais que le bruit du marteau sur l'enclume, et jamais un bruit ne m'a autant rassuré. Il a encore de belles années devant lui le paternel. C'est sur ses pensées que mes paupières se fermèrent, me permettant de finir ma nuit. Je ne sais pas combien de temps je dormis, mais le réveil fut brutal..
Un homme, que je connaissais bien, vint me réveiller, alors que le soleil s'était déjà caché de nous. Je savais qui il était, et sa simple présence me fit paniquer. C'était le médecin du village, et il était en tenue de travail... Mon esprit s'emplit de doute, et mes sens se ravivèrent. Je tendis l'oreille, tentant d'ouïr le tintement du marteau sur l'enclume. Rien. Était il déjà si tard qu'il était rentré? Impossible, il m'aurait réveillé. Faisait il comme moi? Une petite sieste réparatrice. À voir la foule qui s'attroupaient autour de l'atelier, ce n'était pas le cas.. Pas du tout. Mon sang ne fit qu'un tour , et je partis au galop. Je poussais la porte du magasin, défonçais la porte de la réserve et ouvrais enfin la porte du grand four. Et mon cœur s'arrêta de battre. Le temps arrêta sa route, et mes yeux s'immobilisèrent. Si à ce moment le sol s'était dérobé sous mes pieds, cela ne m'aurait pas étonné. La vision que j'avais étais la plus horrible que j'ai jamais pu imaginer. Mon père était étendu sur son enclume, sa tenaille dans une main, le marteau dans l'autre. Ses yeux cherchaient le vide, et sa bouche s'étirait en un sourire. Devant lui, juste derrière l'enclume, il y avait une épée. Une épée parfaite, comme toujours. Il venait de mourir, sur son lieu de travail, en travaillant, et avait même pris la peine de finir son œuvre avant de mourir. Il n'était pas mort debout, mais c'était tout comme. On n'a jamais vu mort plus glorieuse parmi tous les forgerons de ce monde.
Moi qui me croyais si fort, si résistant, mes yeux eurent raison de moi. Les gouttes d'eau perlèrent à leurs coins, tombant en rigole dans le creux de mes joues. Le plus grand des hommes, le forgeron le plus doué de sa génération, le père idéal, mon père, était mort. Je ne parvenais pas à me faire à l'idée.. Plus jamais une arme ne porterait l'inscription Kiishi Kentarô, plus jamais un sabre n'aura autant de puissance que ceux là... Jamais la vie ne reviendrait en ce corps. C'en était fini de lui, il avait été terrassé par ses chois, tué par la vie, par sa vie. Mes genoux choisirent de m'abandonner à ce moment là, me laissant chuter au sol, à deux pas de ce corps inerte. Voila donc pourquoi les mauvais présages s'accumulaient ce matin... À genoux, presque en rampant, je vins me tirer jusqu'à cette illustre dépouille, ultime souvenir de mon père.. Ma main se posa sur son corps encore chauffé par le grand four. Même après la mort, il semblait garder en lui une si grande vitalité!! Quelque chose d'exceptionnel. Et j'eus une surprise. Le dernier mot du mort. Je sentis un papier dans cette poche, vieillie et trouée. Je tirais la feuille, ouvrant les yeux sur une lettre rédigée en ces termes.
Fiston,
Si tu lis cette lettre, je suppose que je dois être mort. Quel mauvais coup du sort... J'aurais bien aimé vivre plus longtemps, voir tes œuvres, connaître tes succès et les partager avec toi. Mais je n'aurais pas cette chance. Je t'écris ça depuis mon lit bien chaud, que je quitterais demain matin pour travailler. Je ne sais pas si c'est une bonne idée, mais je refuse de mourir dans mon lit. Ma vraie maison c'est la même que la tienne, c'est notre forge. C'est mon trésor, et je te le confie! Tu es le plus talentueux forgeron que j'ai jamais connu, ne gâche pas ton talent. Ah oui, je suppose que tu es en train de pleurer en lisan cela. Arrête ça tout de suite. Je vais pas pouvoir vérifier, mais je te fais confiance. Tu respecteras bien la devise de la forge. Dis là haut et fort, clame la par dessus ma mort, fais la survoler les monts et les vallées, porte la aux quartes coins du monde, mais ne l'oublie. Dis la maintenant. Dis là, maintenant que je suis mort..
Les larmes s'arrêtèrent, comme stoppées par ces mots. Ils n'étaient pas d'une qualité exemplaire, mais ils signifiaient tant de chose. La devise de la famille... Quel intérêt avait elle, maintenant que la maille se limitait à moi et à moi seul... Mais on respecte la dernière volonté des morts. Je pris une inspirations, rejetait la tête en arrière, avant de hurler au ciel:
Forgeurs d'avenir, forgeurs du passé, revenez moi, et forgeons notre destinée!
Une phrase certes ridicule, mais qui avait une importance capitale dans ma vie. Le premier homme à bafouer cette phrase mourrait immédiatement. Et apparemment, on m'entendit jusque dehors. Toute la foule accumulée là s'était tue. Mon bras passa sous les hanches de mon paternel, je le soulevait sur mon épaule, comme j'avais l'habitude de le faire. Je sortis avec lui sur mes épaules, comme une époque que je n'aurais jamais du perdre... Les regards se tournèrent lentement vers moi, emplis de tristesse et de compassion. Quels braves gens.. Une personne se démarqua de la foule, soudainement. Il tenait dans sa main plusieurs parchemins. Cet homme n'était personne d'autre que Wosh, le cordonnier du village, et le meilleur ami de feu mon père. Il posa dans ma main ces trois feuilles, me murmurant que mon père me les avaient laissés. Qu'est ce que cela pouvait bien être?