Vacances improvisées {Elinor}


    La gallega était un célèbre bateau de croisière qui faisait la navette entre les blues -Hormis West Blue du fait de sa dangerosité. Lorsqu’il avait accosté dans le port de Shell-Town, je n’avais pas résisté à l’envie de prendre des vacances bien méritées. Bientôt dix années que je ne me l’étais pas vraiment permis. Depuis mon premier mariage, très exactement. Submergé par un flot de pensées plus ou moins nostalgiques, je finis par avoir un sourire et par faire venir dans mon bureau, tous mes aides de camp pour leur annoncer mes projets à venir. D’abord surpris, ils ne purent que s’incliner devant mes envies, non sans une once d’inquiétude. En effet, la ville était régulièrement attaquée depuis que les chantiers du célèbre Léviathan avaient recommencé à s’animer. D’ailleurs, mon dernier combat contre un capitaine pirate chevronné qui voulait s’emparer des plans du navire, ne remontait qu’à une petite semaine seulement. De quoi troubler mes hommes de main qui ne comprenaient pas ce caprice soudain. Ketsuno commença même à s’affoler, ce qui m’obligea à leur annoncer l’arrivée imminente de la sous-amirale Debossah Bii. Elle venait au moins pour deux bons mois, ce qui eut pour effet de réduire mes vis-à-vis au silence. Ma victoire était totale.

    Il avait également fallu convaincre cette Debossah, lorsqu’elle avait enfin foulé la terre que je chérissais et que je protégeais depuis des années maintenant. Un pauvre commodore n’avait aucune chance face à une féministe pareille, sous-amirale qui plus est. C’était plié d’avance pour la plupart des hommes qui oseraient lui demander un quelconque service. Cependant, mon cas était toujours à part. Baratiner une femme ? Rien de plus facile. Aussi avais-je mis en avant mes talents d’orateur en plus de ma formidable plastique. Quelques mots d’amour avaient fini par la faire fondre. Une seule heure m’avait suffi pour l’avoir dans le creux de ma main. Cependant, il eut un bémol. Après quelques temps, cette folle s’était mise en tête d’effectuer ce voyage avec moi. Quelle plaie, j’vous jure ! Là encore, je fus obligé de lui expliquer l’importance de sa présence sur le sol de Shell, entre la protection de la ville et les projets du Léviathan qui allaient bon train. La sous-amirale ronchonna pendant un jour ou deux, avant de me donner son aval, pile au moment où la Gallega repartait vers de nouveaux horizons. Ni une ni deux que j’avais fait une valise à la hâte, avant de m’en aller le sourire aux lèvres. Avec ces vacances, nul doute que j’allais pouvoir bien me reposer.

    Que j’m’étais dit…

    Seulement, sans le savoir, je m’étais mis le doigt dans l’œil ; car à peine avais-je embarqué sur le bateau de croisière que je fus assailli par des groupies sorties de nulle part. C’est dans ces moments-là que je détestais ma grande popularité. Certes, elles étaient toutes jeunes, toutes belles et toutes fraiches, mais ce à quoi j’aspirais tombait bêtement à l’eau. J’aurai pu gérer ces fameuses groupies, mais des gamins « fans » de mes exploits, virent également s’ajouter au calvaire que je vivais. Autant dire que pour la tranquillité, c’était mort. Pendant les trois premiers jours donc, j’étais constamment suivi par une cohorte d’adolescentes et de gamins qui luttaient à mort pour avoir la moindre considération de ma part, ce qui était assez gênant. Je ne pouvais pas faire le moindre pas, le moindre geste, sans être suivi à la trace par une foule immense, ce qui avait l’art d’amuser les autres passagers qui me plaignaient tout de même. Et puis, peu à peu, ma situation finit par s’arranger grâce au capitaine de bord qui fit vite de remettre de l’ordre -Non sans s’essuyer moult insultes on s’entend. Alors certes, j’étais toujours suivi par plusieurs personnes après son intervention, mais je n’étais plus « harcelé » ce qui était un grand pas en avant. Mes vacances commençaient véritablement !

    Effectivement, les jours qui suivirent me permirent de glander, de m’amuser et de ne penser qu’à ma poire. On avait beau être un fervent défenseur de la justice, de la veuve et de l’orphelin, mais il fallait de temps en temps penser à soi, ce que je fis avec brio. Après une semaine de tranquillité, je m’étais ressourcé comme il fallait. Le stress de mon poste à Shell-Town avait été complètement évacué, ce qui me permit enfin de penser un peu aux autres. Je m’amusais donc à complimenter certaines demoiselles qui m’approchaient pour leur faire plaisir ; ou encore à raconter quelques-uns de mes combats aux gosses qui me poursuivaient. Tout le monde y avait pour son compte. Avec quelques bambins, nous fîmes même connaissance avec une baleine géante plutôt pacifique que nous nous amusâmes à nourrir à partir du bastingage le plus bas. Il avait de toute façon intérêt à être sage, sans quoi j’allais l’achever d’un coup de sabre sans qu’il ne comprenne grand-chose. Oui oui, même en vacances, j’avais mon meitou avec moi. Nous lui avions même donné un nom et les enfants aimaient beaucoup s’amuser avec lui. Cette situation embarrassa quelque peu le capitaine de bord, mais je fis vite de le rassurer en me portant garant de la sécurité de ces petits chenapans.

    Malheureusement, le bonheur que je vivais avec tous ces gens dans le bateau de croisière fut de courte durée. Après deux semaines de navigation, nous atteignîmes l’intersection East Blue South Blue. Un point plus ou moins difficile à pratiquer pour des navigateurs novices. Les courants marins étaient vraiment très élevés dans cette région, ce qui expliquait sa dangerosité. Pour l’éviter, il fallait faire un plus long détour, mais le capitaine de bord ne l’avait sans doute pas estimé nécessaire. Un choix somme toute inquiétant. Les passagers avaient donc été priés de rester dans leurs cabines, le temps de la traversée, ordre que tous respectèrent. Tous sauf une seule personne : Moi. La raison était toute simple : Le navire tanguait dangereusement. Vu les dimensions du navire, on ne le sentait pas tellement, mais j’étais assez expérimenté pour le savoir. Et puis, j’avais un mauvais pressentiment. Mon instinct de marine, sans doute. C’est une fois sur le pont que je vis un peu le temps dans lequel nous nous étions aventurés. En plus de l’averse qui s’abattait sur nous, les vagues étaient assez hautes, le vent violent… Bref, une scène digne de Grand Line. Je me portai volontaire auprès du capitaine pour aider les matelots qui y travaillaient, mais ce dernier déclina mon offre.

    Sur le moment, sa fierté mal placée m’étonna assez.

    Je pestai et comptai me retourner dans ma cabine, lorsqu’un matelot bascula par-dessus le bastingage et tomba à l’eau. La panique s’empara immédiatement de ses collègues. Le capitaine lui-même fut secoué par cette scène dont il fut témoin. A cause de l’averse, le pont était glissant et ne facilitait pas les travaux de ses hommes. Son manque de précaution allait causer la mort d’un de ses éléments. Également témoin de la chute du pauvre jeune homme, je n’avais pas attendu le moindre ordre pour traverser le pont au pas de course, avant d’essayer de déterminer la position du marin. Une fois que je l’aperçus en train de se débattre dans les vagues qui l’emportaient, je n’hésitai pas à sauter dans l’eau. Après quelques brasses courageuses, je réussis à le récupérer et à faire signe vers le pont du mieux que je le pouvais. Le capitaine et ses hommes n’envoyèrent qu’une bouée reliée à une longue corde. Les imbéciles ! Pourquoi ne pas larguer un canot de secours ?! Qu’avaient-ils en tête ?! Décidément, j’avais affaire à des amateurs ! N’ayant cependant pas le temps de me plaindre, j’essayai de m’accrocher à la bouée, mais la corde qui la reliait au navire risquait de casser avec deux corps. Spontanément donc, je pris la décision de le sauver en premier.

    Dans cette situation inextricable, je réussis à entendre les mots de remerciements de celui que j’avais secouru, et ce malgré le ressac violent et le vent encore plus fort. Je n’eus pas le temps de répondre vu que je me débattais pour rester près du navire et attendre une deuxième bouée. Deuxième bouée qui n’arriva point à temps, puisque les vagues de plus en plus fortes m’éloignèrent inlassablement du navire. C’est dans ces instants là qu’on se rend compte que l’homme est dominé par la nature, et que notre vie ne tient qu’à un fil. Allais-je mourir comme ça ? Pour avoir voulu sauver un homme ? Des questions qui restaient sans réponses, puisque je commençais à perdre le pied. Le mouvement des vagues me demandaient un effort trop soutenu pour maintenir ma tête hors de l’eau. En deux trois minutes seulement, j’étais tout simplement épuisé. Je sentis soudainement mes forces m’abandonner alors que j’essayais de lutter encore et encore. Mon corps finit par ne plus m’obéir et l’eau s’y infiltra par ma bouche et mes narines. Totalement englouti par cette mer en colère, il ne me fallut pas plus d’une minute pour que je perde connaissance. J’étais aux portes de la mort. Ce que je ne vis pas cependant, c’est que la baleine avec laquelle nous nous étions amusés me secourut…

    Incapable de me transporter jusqu’au navire qui avait totalement disparu jusqu’à son champ de vision, ma sauveuse m’emmena rapidement jusqu’à la première ile qu’elle trouva. La basse marée fit son effet et j’échouai sur une plage inconnue, totalement inconscient et recouvert d’algues de toutes sortes. Ne voyant personne dans les environs, la baleine se mit alors à chanter comme elle put, dans l’espoir d’attirer n’importe quel humain qui pourrait aider son ami. Elle le sentait, elle le savait même : Il n’était pas tiré encore d’affaire.
    Deux enfants se penchèrent et regardèrent attentivement leur trouvaille. Le premier appuya sur un endroit. Le second garçon, qui lui ressemblait comme deux gouttes d'eau, s'empara plutôt d'un bâton et fit de même que son frère.

    - Tu ne devrais pas le toucher avec la main. C'est peut-être dangereux. Toxique ! Il te donnera des boutons qui te feront la peau comme un poulpe !

    Le gamin poussa un cri de dégoût et éloigna ses mains.

    - Beuh....Qu'est-ce que c'est ? Tu sais ?

    L'autre secoua la tête.

    - Je crois que c'est un mollusque. Regarde, quand j'appuie là, c'est tout mou
    .

    - Tu as vu, la baleine, là-bas ? C'est elle qu'on a entendu !

    Une voix lointaine, provenant de l'autre côté de la dune, interpella les deux jeunes enfants. Ils répondirent d'une même voix :"On est là, Eli !"

    ***

    Elinor avait perdu la piste des enfants depuis quelques secondes à peine. Elle était encore une jeune fille alerte, et pourtant les jumeaux courraient si vite dans le sable qu'ils l'avaient semé. Elle escaladait la haute dune qui les séparait d'eux, après avoir vérifié au son de la voix qu'ils étaient bien allés vers la mer. Ils devaient sûrement avoir été attiré par ce chant de baleine provenant de l'Ouest.

    Son cousin Milo était occupé avec le père de la rouquine à récolter les produits de leur verger, avec tous les membres de la famille. Tout cela pour préparer le nouveau nectar éthylique de la famille Lafayette. Elle s'était portée volontaire pour surveiller les fils de son cousin pendant la durée du travail. Elle adorait ses neveux. Leur imagination n'avait aucune limite, leurs paroles étaient totalement excentriques, ils passaient leur temps à jouer au pirate et à la marine. Ils étaient d'une curiosité insatiable ; elle se s'étonnait même pas qu'ils aient voulu voir la baleine, là où d'autres enfants de leur âge auraient pris la fuite.

    Enfin au sommet ! Elle posa ses mains sur ses genoux, reprenant son souffle, avant de se redresser vivement, balançant ses longs cheveux roux dans son dos avec la même grâce qu'une pin-up. Elinor dominait la mer et la plage d'ici. Elle respirait le bon air iodé de la mer, distinguait au loin le ciel assombrissant les vagues. Ça devait remuer là-bas. Elle allait commencer à descendre lorsqu'elle entendit encore la baleine qui chantait. Ce son était doux et agréable, mais elle sentit une nuance de plainte dans cette mélodie. Intriguée, Elinor accéléra le pas, orientant son corps vers l'arrière pour ne pas chuter. Elle distingua une forme couchée à terre ; ses neveux étaient à ses côtés. Elle fronça les sourcils, inquiète. Elle était à quelques mètres d'eux à peine lorsqu'elle reconnut le corps d'un homme allongé.

    - Eli, regarde, on a trouvé un mollusque !
    - Non, Ce n'est pas un mollusque, c'est un homme. Poussez-vous, les garçons.

    Elle s'agenouilla auprès de lui, posa son oreille sur le torse mouillé. Elle perçut faiblement le battement de son cœur. Le pauvre avait dû tomber à l'eau pendant la tempête qui avait secoué la mer à plusieurs lieues de là. Pas besoin d'être climatologue pour s'en rendre compte. Le ciel noir en témoignait de façon flagrante. Malheureusement, ce genre de chute n'était pas rare. Et la mer ne faisait pas de pitié. Cet homme avait encore de la change d'avoir pu s'échouer. En aurait-il assez pour survivre ? Elinor savait administrer quelques soins, même si elle n'était pas une spécialiste. Elle orienta la tête de l'homme vers l'arrière, lui pinça le nez, et alterna un massage cardiaque et un bouche à bouche qu'elle espérait salvateur.

    - Tante Eli, qu'est-ce que tu fais !!!
    - Elle embrasse un poulpe !

    La jeune femme leva les yeux au ciel. L'innocence des enfants... Elle prit un air sévère, qui fit comprendre aux jumeaux qu'elle ne plaisantait pas. Le signal pour eux qu'il fallait filer doux et arrêter les bêtises.

    - Gasa, Nokano, allez immédiatement chercher votre père.

    Sans trainer, les deux feux follets partirent dans demander leur reste. Si Elinor parvenait à réanimer l'inconscient, elle serait dans l'impossibilité de le déplacer seul. Elle reprit son labeur, avec précision mais angoisse. Parviendrait-elle à le sauver ? Au bout de quelques secondes qui lui parurent être des heures, l'échoué montra un signe encourageant. Elinor relâcha la tête en douceur, pour lui permettre d'évacuer l'eau de ses poumons, et s'assit sur ses fesses. Elle passa une main dans ses cheveux - se mettant du sable de partout au passage - et adressa un sourire à la baleine, pour la rassurer.

    - Ne t'inquiète pas. Il est sauvé !

    ***

    Environ une demi-heure plus tard, le naufragé était installé dans le lit d'une chambre d'amis. La jeune cuisinière resta seule avec lui. Elle sortit des placards une bassine, une serviette blanche. Elle remplit le récipient avec de l'eau chaude. Revenant de la salle de bain, elle imprégna le linge et le posa sur le front de l'inconnu. Elle le borda après l'avoir couvert de couvertures. Pour lutter contre une éventuelle hypothermie.

        ***

        Je crois bien que c’est cette horrible sensation de sudation qui finit par me réveiller quelques heures plus tard. Et par me faire grogner d’ailleurs. Après tout, le fait d’être coincé sous de multiples draps et de baigner dans une mare de sueur n’était pas forcement agréable, quand on y réfléchit. Aussi m’étais très rapidement dégagé des couvertures en redressant mon torse d’un coup sec. Le petit linge posé sur mon front tomba sur mes cuisses, tandis que j’inspirai profondément. Contrairement à ce que j’avais cru, je n’avais pas été ligoté comme une vulgaire bête. Alors, tout en battant des paupières pour rétablir clairement ma vue, je passai une main dans ma chevelure ébouriffée et poussai, juste après, un soupir las qui en disait long sur mes états d’âmes. Je ne savais pas encore où je me trouvais, mais j’étais relativement calme. Mis à part ma tête lourde, le bourdonnement temporaire de mes oreilles et ma température légèrement élevée, tout allait dans le meilleur des mondes ! Enfin… Manière de parler, on s’entend. Je finis donc par tourner ma tête dans tous les sens, inspectant les lieux du regard, avant de me rendre compte qu’il s’agissait d’une chambre bien entretenue et plutôt chouette. Un cadre apaisant qui dissipa alors mes dernières appréhensions…

        C’est alors que j’eus comme un flash. Sans crier gare, les souvenirs de mon accident me revinrent en pleine face comme l’effet d’un sacré coup de poing. J’eus un énième soupir, avant de me replier sur moi-même, la tête enfouie dans mes bras forts et musclés. Mon humeur devint morose, mon regard mélancolique. Encore une fois, j’avais frôlé la mort de très près. Le pire, c’est que je n’avais même pas été en plein exercice de mes fonctions. L’ironie de toute cette situation, si je puis dire ainsi. Mon regard dériva doucement sur le petit linge qui était auparavant posé sur mon front. Sa couleur me rappela celle de la robe d’une petite fille, qui aimait bien me prendre pour son fidèle destrier en montant régulièrement sur mon dos ou mes épaules. J’eus alors un petit sourire, mais il fut éphémère ; car en redressant ma tête et en posant mon menton sur mes genoux, j’en vins à me demander si le navire et tous les passagers allaient bien. J’allais devoir chercher un escargophone pour contacter la base de South Blue et la mienne pour d’éventuelles recherches. Mais encore fallait-il que je me débarrasse de toute cette sueur, que je sorte de cette chambre, et que j’aille remercier ceux qui m’avaient repêché à temps. Pas une mince affaire pour un flemmard comme moi, je vous jure…

        C’est dans cette optique des choses que je m’extirpai complètement des couvertures, avant de quitter mon lit. J’eus une désagréable sensation au niveau de ma tête, mais elle disparut bien vite. Encore heureux, vu comment mes yeux tournaient. Quelques secondes me suffirent pour retrouver toutes mes sensations et m’étirer comme il se doit. Après quoi, je m’étais dirigé vers une porte en espérant qu’il devait s’agir d’une salle de bain. Mon vœu fut alors exaucé, mais l’espace d’un instant, j’eus une hésitation. N’était-ce pas malpoli de profiter des lieux sans demander une permission au préalable ? Ne me prendrait-on pas pour un sans-gêne ? Autant de questions qui me firent longuement réfléchir -Seulement vingt secondes en fait-, avant que je ne prenne une décision : Celle de faire ma toilette. Ma motivation était toute simple : Il aurait été plus inconvenant de se présenter comme je l’étais pour formuler une demande aussi stupide. Si on m’avait mis dans cette chambre, c’est que je pouvais en profiter comme bon me semble. De ce fait, je me mis donc à me déshabiller au seuil de la douche. Mais alors que j’avais fini de me foutre à poil, la porte de la chambre s’ouvrit brusquement. J’aurai voulu sauter sur mon pantalon, mais il était trop tard : Deux petites silhouettes firent leur apparition.

        - AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAHHHHHHHHHHHHHHHHHHH !!!!!


        J’eus à peine le temps de bien les observer et prononcer ne serait-ce qu’un seul mot, que les deux gamins s’étaient enfuis en courant et en criant comme des fous. Légèrement surpris et amusé par cette réaction compréhensible -Un mec de deux mètres cinquante tout nu, ça fait pas forcement rire-, je finis par hausser mes épaules, avant d’entrer dans la salle de bains et de fermer la porte derrière moi. En regardant autour de moi, je réussis à dénicher une serviette qui avait l’air propre et du savon. Je fis donc couler un bain et la minute d’après, j’étais plongé dedans, sourire béat aux lèvres. L’eau tiède me faisait un bien fou. Certes, j’avais d’autres choses à faire, comme prendre des nouvelles de la Gallega ou rassurer la base de Shell-Town sur ma position actuelle, mais je préférai ne pas me précipiter en pensant négativement. Si ça se trouvait, je m’inquiétais pour rien du tout. Cependant, je devais avouer que mes vacances avaient pris une tournure un peu bizarre et que j’avais eu le cul bordé de nouilles. Mourir pour avoir voulu sauver un marin qui faisait son job, aurait été un peu trop bête quand même. Je me renfrognai légèrement dans l’eau, quand j’entendis des bruits de pas s’approcher de la chambre où je me trouvais. Les gamins avaient dû alerter le propriétaire des lieux.
        Les champs débordaient de fruits au point qu'il devenait difficile de les entreposer. Combien de fois la Patrie Lafayette avait-il dû se baisser pour ramasser les perfides pommes prenant la poudre d'escampette en catimini ? Le travail n'en finissait plus, la nature avait été clémente cette année.
        Elinor était rouge de la tête aux pieds. Ses vêtements étaient bons pour la poubelle ; les taches de fruits étaient une calamité à faire disparaitre. Les pêches de vigne étaient sans pitié. Juteuses à souhait, leur précieux nectar sera recueilli dès le lendemain pour la nouvelle cuvée de l'année, sauf pour celles qui s'étaient lamentablement suicidées sur la jeune fille. Elinor tendit pourtant une fois de plus sa main vers l'arbre chargé pour récupérer sa moisson, quand un double cri la fit sursauter, à l'instar de tous les cueilleurs des vergers alentours. Elle se retint de justesse à l'échelle vacillante, et descendit au plus vite, posant le pied dans un fruit pourri. A moitié boiteuse à cause d'un noyau bloqué à la semelle droite, elle  se précipita vers les jumeaux dont les yeux exorbités ne présageaient rien de bon.

        "Le Mollusque ! C'est affreux !"
        "Il a un tentacule énorme ! Il a voulu me dévorer !".

        Le clan Lafayette s'approcha des enfants paniqués. Tentant de décrypter les propos énigmatiques des enfants, chacun y allait de sa petite réplique.

        "Tous à la mer, donnez-moi un harpon !" clama l'arrière-grand mère, ancien louve de mer avide de Takoyakis.
        "Qui a osé faire goûter de l'eau de vie à ces garnements ?" râla Oncle Mim de sa voix perchée.
        "Hey ! Je ne leur ai jamais donné quoique ce soit !" protesta le cousin. "Juste une goutte, tout au plus."

        Elinor émit un sifflement strident, seul bruit capable de couvrir le brouhaha, en mettant deux doigts dans sa bouche. Les commentaires cessèrent dans la seconde.

        - Ils parlent de l'homme de la plage. Je m'en occupe.



        Elle abandonna la petite troupe pour rejoindre la maison appartenant à la famille principale des Lafayette, soit son père, sa mère, et elle-même. Le bâtiment était plutôt grand, composé de deux étages, et donnant directement sur la fabrique d'alcool, installée dans la grange avoisinante. L'ensemble était chaleureux : des lambris de bois lui donnaient un caractère authentique, la décoration était correcte, ni chargée ni simpliste. La salle la plus agréable demeurait la cuisine ; elle bénéficiait d'ailleurs de la plus grande superficie de la maison. Elinor et sa mère y passaient énormément de temps. Une table massive en bois régnait en son centre ; la lumière des fours baignait la pièce d'une atmosphère douce et feutrée. Le frigo, incrusté à même le mur, était savamment organisé à tel point qu'on le confondait à une bibliothèque. Un lieu vivant. Elinor resta à l'admirer quelques secondes - c'était un rituel auquel elle ne dérogeait jamais, même si elle la connaissait par cœur - et monta les marches deux à deux.

        La porte de la chambre était entrouverte. Elle soupira : les jumeaux ne savaient pas contenir leur curiosité sans borne. Elle pénétra dans l'espace vide, perçut un clapotis d'eau. Elle prolongea ses pas vers la salle de bain, poussa la porte sans craindre de dévoiler sa mise peu avenante : vêtements blancs maculés de jus de pêche, feuillages entortillés dans ses mèches, jambe plus haute que l'autre à cause du noyau ayant fusionné à sa chaussure.

        - Ça y est, vous êtes revenu à vous ?

        Elle affichait un sourire radieux. Une certaine fierté l'envahissait à l'idée qu'elle avait sauvé cet homme. Ses yeux ne quittaient pas son invité impromptu, de peur qu'il ne perde connaissance d'un moment à l'autre. Elle claqua des doigts devant ses yeux, plongea sa main dans l'eau de la baignoire pour prendre son pouls (laissa tomber la main en se moquant des éclaboussements), posa sa main sur le front, puis tapa sur le genou pour vérifier les réflexes.

        - Pas de fièvre, ni baisse de tension. Teint légèrement rosé, tout va pour le mieux, alors !

        Ne laissant aucun répit à la pudeur ou une réplique, elle reprit avec emphase.

        - Il y a des vêtements propres dans le placard de la chambre. Je laverais les vôtres si vous le souhaitez. Ils sont plein de sable mouillé, sans parler des déchirures. Ce soir, mes parents vont manger au centre du village, on fête la fin des récoltes. Du coup, on sera tous les deux seuls. On passe à table à sept heures, alors soyez ponctuel !

        Elle referma la porte, toute essoufflée, le visage en feu, le sourire aux lèvres. Elinor se sentait particulièrement en forme, à la limite de l'hystérie. Pour ce pauvre naufragé, elle allait se donner à fond en cuisine. Elle mit juste un tablier par dessus ses vêtements - pour quelle utilité vu l'état de sa tenue - et alluma dans les fourneaux un foyer plus chaud que les enfers.
        Même si elle aimait son quotidien, au milieu de la gastronomie, des alambics et de sa famille, il lui manquait cette petite étincelle, ce piment qui donnerait du sel à son existence trop prévisible. Cet homme était venu par la mer, quelle aventure l'avait amené ici ? Elle avait des tas de questions à lui poser. Quelle était sa vie ? Pêcheur ? Marine ? Explorateur ? Pirate ? Tueur psychopathe ? Comme c'était excitant !

            Une pile électrique.

            C’est ce qu’on pourrait penser de cette demoiselle qui n’avait pas arrêté de parler et de gesticuler à tout moment, sans que je ne comprenne grand-chose. Mais lorsqu’elle s’en alla non sans me donner un rendez-vous à respecter, j’eus un sourire aux lèvres et les joues légèrement empourprées. Non pas à cause de ce rencart ou même du manque de pudeur de notre brève rencontre, mais bien à cause de sa beauté à en couper le souffle. Ah ouais… J’avais conquis toutes sortes de belles femmes, mais je devais avouer que celle-là avait quelque chose de vraiment spécial. Elle était naturelle surtout. Pas de maquillages et de froufrous superflus… Un sourire sincère et non intéressé… Des courbes délicieuses comme je les aimais tant… Bref, une vraie lady qui avait tout pour plaire et pour faire fondre n’importe quel homme. J’eus alors un sourire béat et les rétines imprimés de gros cœurs roses qui en disaient long sur mes états d’âmes. Rien à dire, elle m’avait séduit en un clin d’œil, et ce, malgré l’état dans lequel ses vêtements et sa chevelure étaient. Mais d’une manière ou d’une autre, c’était vraiment pas de chance… Parce qu’en vérité, je ne me voyais même pas faire du charme à celle qui m’avait sauvé la peau, juste pour une partie de rodéo. Ce serait bien irrespectueux de ma part…

            - Aye aye…

            J’eus un long soupir, avant d’arrêter de baver comme un pauvre obsédé et je m’allongeai complètement dans la baignoire, tout en m’accoudant au rebord derrière moi. Mes yeux fixaient le plafond de la pièce, tandis que mon esprit pensait à autre chose. J’allais devoir au moins passer la nuit ici. Abuser de l’hospitalité de mes sauveurs hein… Je me sentais un peu mal, rien qu’à cette idée. Si seulement j’avais eu mes affaires avec moi, nul doute que j’aurai pu loger dans un motel, le temps de trouver des solutions à mes problèmes. Même que si nous étions en pleine journée, j’aurais peut-être pu contacter une base marine et m’en aller tranquillement… La poisse, je vous jure. Finalement, je me mis à éclater de rire. Entre mon impuissance sur le moment et la reconnaissance dont j’allais devoir faire preuve envers ma sauveuse, je ne savais plus vraiment où donner de la tête. J’étais vraiment dépassé par les évènements. Je passai une main sur ma chevelure, un peu à bout de toutes ces idées et sentiments contradictoires qui me taraudaient. La vie de naufragé n’était pas de tout repos. Aussi, avais-je décidé de bouger suite à cette pensée. Histoire de savoir quelles étaient mes possibilités sur le moment. Histoire aussi de ne pas la priver de la fête de sa ville. Surtout ça.

            Maintenant que j’avais fini de réaliser qu’elle s’était sacrifiée pour moi alors qu’elle aurait pu bénéficier elle aussi de la fête, je ne pouvais pas rester dans le bain, encore moins attendre ce fameux diner en tête à tête. D’une manière ou d’une autre, j’étais flatté. Beaucoup flatté même. Des personnes débonnaires comme ça, il n’y en avait pas des masses dans ce monde. Mais étant moi-même l’un de leurs, je ne pouvais plus profiter longtemps de son hospitalité et de sa bonté de la sorte. Aussi, m’étais-je rapidement nettoyé pour chercher des tenues dans les placards qu’elle m’avait désigné. Dieu merci, je tombai rapidement sur des vêtements à ma taille –Ce qui n’était pas évident dans certaines contrées. Il devait y avoir quelques gaillards dans le coin qui avaient au moins ma taille. C’était bon à savoir. Lesdits vêtements étaient propres et en bon état qui plus est. Je passai outre l’odeur de vieux dessus pour les enfiler rapidement. Le jeans noir m’allait comme un gant. Idem pour la chemise noire aux manches longues que j’avais dégoté. Simple et de bon goût. Que de chance, vraiment. Je n’arrêtais pas d’être verni depuis mon accident. J’eus alors un sourire aux lèvres, mais je finis par me rappeler de ce que je devais faire, avant de sortir de ma chambre comme une furie.

            - At… Attendez… S’il vous plait !

            Quelques temps plus tard, soit une vingtaine de minutes après le départ de la belle rousse de la chambre qu’elle m’avait cédé, j’avais fini par faire irruption dans la cuisine dans laquelle elle se démenait pour moi. Méritais-je vraiment toutes ces attentions de sa part ? Et dire pourtant qu’elle ne semblait même pas me connaitre… C’était bizarre tout ça. D’un seul coup, je me mis à penser à la possibilité selon laquelle un pirate sanguinaire aurait été à ma place, mais je fis vite de chasser ces pensées inutiles et de mettre un peu d’ordre dans mon esprit. Là encore, mes yeux tombèrent inexorablement sur ses belles formes -Entre son fessier rebondi et sa poitrine volumineuse, il y avait de quoi être véritablement troublé-, mais je me fis violence pour ne pas fondre et pour prendre une nouvelle fois parole : « Il y a une fête dehors qui n’attend que vous. Je ne me le pardonnerais pas si vous la manquiez rien que pour vous occuper de moi. » Je fis mon plus beau sourire. Celui que j’avais l’habitude d’arborer pour faire fondre les femmes que je voulais conquérir. Mais c’était différent cette fois. Au lieu de la draguer tout bonnement, je voulais la convaincre. Il n’était pas encore trop tard. Je m’approchai alors d’elle et m’emparai tranquillement de ses deux mains, avant de les embrasser délicatement.

            - Merci de m’avoir sauvé, de m’avoir offert un toit et de vous être occupée de moi avec bienveillance. Mais je vais bien maintenant, et je ne souhaiterais pas abuser plus longtemps de votre hospitalité au point de vous faire manquer cette fête. Vous vous devez d’être aux côtés de votre famille, de vos amis et de vos connaissances. Ce genre de rassemblement ne doit pas avoir lieu tous les jours, non ?


            Je gardai toujours ses mains dans les miennes avec mon sourire de toujours et un regard à la fois sincère et déterminé. Pas moyen qu’elle résiste bien longtemps ! Il n’était pas encore trop tard pour qu’elle les rejoigne. Pas encore.
            Elinor ne s'autorisait aucun répit. Elle enchaina les activités sans arrêt, avec le même enthousiasme débordant. Elle n'avait jamais connu une telle interruption de son quotidien. C'était comme dans les contes que lui lisait sa mère...Sauf qu'elle n'était pas une pauvre fille maltraitée. par une bru tyrannique, qu'elle n'avait pas de bonne marraine fée ou sorcière, et qu'il était un poil trop âgé pour être le jeune et beau prince (même s'il restait, au demeurant, charmant). Finalement, cela n'avait rien à voir avec les contes de sa mère.

            Entre deux cuissons, elle prit le temps de se regarder dans l'eau de l'évier, et considéra son apparence. Si cet aspect de sauvageonne pouvait faire l'affaire dans le vif de l'action, elle ne saurait être mignonne et séduisante pour un tête à tête, surtout depuis qu'elle avait de la farine sur le nez. Elle entreprit de passer une manche sur son appendice nasal, tandis qu'elle entendait grincer les gonds de la veille porte de la cuisine. Le naufragé la regardait ; elle le désha...dévisageait intensément, constatant que les vêtements de son oncle Rhusa lui allaient comme un gant. Elle lui adressa une sympathique risette. Il fit de même, en présentant des sortes d'excuses pour l'avoir dérangée, qu'il ne fallait pas, et autres fadaises. Il alla jusqu'au baise-main. Il était si galant, si gentleman, si attentif. Il s'inquiétait pour elle, même.

            Elinor planta ses yeux brillants dans les siens. Elle serra forts ses doigts, un sourire rayonnant sur le visage. Elle ferma légèrement les paupières, dévoilant ses longs cils noirs. D'une voix chaleureuse et calme, elle murmura presque.

            - Vous voulez que j'aille à cette soirée...A cette fête...

            Ses pupilles s'embrasèrent aussi chaudement qu'un four à bois. Elle écrasa les phalanges de l'inconnu. Son sourire radieux persistait sur ses lèvres sensuelles tandis qu'une veine battait la chamade sur sa tempe. D'une voix chaleureuse et calme, elle murmura presque.

            - J'ai préparé une bonne partie du repas de ce soir. Je n'ai pas terminé. Dégourdissez-vous les jambes si vous le souhaitez, vous avez aussi les canapés du salon si vous voulez vous reposer. En revanche, ne m'empêchez pas de voir si vous allez vous régaler en mangeant ce que j'ai cuisiné. Vous risqueriez de me froisser.

            Elle relâcha son étreinte, ses traits s’apaisèrent. A l'intérieur, cependant, elle bouillait. Comment pouvait-elle aller à la fête alors qu'elle avait donné le meilleur d'elle-même pour satisfaire le pauvre naufragé ? L'Aventure, avec un grand A, frappait à sa porte, et il voulait qu'elle rejoigne sa famille et ses voisins qu'elle côtoyait quotidiennement ? Il l'empêchait de se noyer dans le doux ronronnement des récits de pirates valeureux et de demoiselles en détresse ?
            Afin d'éviter toute protestation, elle s'empara d'un couteau à viande qu'elle tendit dans la direction du bel étalon avec autorité, redevenant menaçante, voire dégageant une aura démoniaque, les sourcils froncés jusqu'à la crampe.

            - Les vêtements vous vont à merveille. Le bain vous a-t-il procuré du plaisir ? Vos blessures ne vous font aucun mal ?

            Elle relâcha sa colère pour retrouver sa bonne humeur habituelle.

            Elle décapita le poisson qui attendait sur la planche à découper.
              Elle savait ce qu’elle voulait. Et ces gestes la trahissaient. Son ardeur à vouloir rester à mes côtés me tira un sourire cajoleur. Qu’elle puisse vouloir autant s’occuper de moi, j’aimai ça. J’avais beau me dire que j’étais vraiment sans gêne de me l’accaparer pour moi tout seul, il semblait bien que j’étais davantage plus digne d’intérêt que ce rassemblement. Bon Dieu, ce sourire et ses yeux magnifiques, ils m’ont écarté toute envie soudaine de l’inciter à me laisser seul. Et puisqu’elle semblait vouloir passer la soirée avec moi, autant répondre présente, non ? De mon côté, je n’allais pas esquiver à ma vue la perspective de déguster ses hanches des yeux en plus des succulents plats qu’elle semblait préparer avec une ardeur rare. Une merveilleuse cuisinière avec ça ? Elle se présentait comme une femme pleine de talents ! Non, décidément, je ne pouvais me priver d’un pareil plaisir.

              -Hé bien, charmante demoiselle, je n’ai aucune envie de vous froisser. Et j’ai hâte de déguster vos plats, qui s’annoncent succulents, en votre agréable compagnie.

              Je lui refis mon plus beau sourire tandis que je m’éloignais de quelques pas. Son couteau m’amusait et je ne pus m’empêcher de poser un doigt sur la pointe de sa lame en susurrant mystérieusement quelques mots.

              -Je vous apprendrai bientôt que je ne suis pas homme à avoir peur de ce genre de lame.

              Je passai à ses côtés tout en la fixant du regard tandis que je passai au salon comme elle me l’avait proposé. Là, je choisis un fauteuil à l’allure confortable dans un premier temps, mais possédant l’intéressante particularité de m’offrir un champ de vision total sur ma sauveuse en train de s’affairer. Enfoncer dedans, je devinai déjà qu’en sortir ne serait pas une mince affaire, ma flemme étant revenue au galop. Lorgnant sans vergogne sur la jeune femme en cuisine, je pris le temps de lui répondre.

              -Ce bain a été une bénédiction. Je m’excuse d’avoir pris l’initiative de m’en faire couler un, si ça vous a dérangé. Sincèrement.

              En pensant à mes blessures, je passai mes mains sur mon torse et mes bras comme pour vérifier que tout allait bien. Excepté quelques maux de tête passagers, tout allait pour le mieux.

              -Je n’ai pas à me plaindre, merci. Et pour tout dire, vous êtes pour beaucoup, assurément, dans le bien-être que je ressens actuellement.

              Je ne pouvais m’empêcher de la complimenter, cherchant à capter son regard quand elle regardait dans ma direction. M’enfonçant dans le fauteuil, j’apprécie le sentiment de calme baignant dans les odeurs prometteuses d’une cuisine réalisée avec envie. Toutefois, me tenir éloigner d’elle me dérangeait. Parce que la complimenter pour mieux la charmer était maintenant l’idée du moment, je ne voulais pas laisser un gouffre s'installer entre nous deux. Je ne connaissais même pas son nom ! Alors, avec toute ma détermination, je m’étais relevé pour m’approcher de la cuisine. Là, appuyé contre le mur, je l’avais regardé s’affairer un instant, le sourire aux lèvres, avant de poser une question d’importance.

              -Mais au fait, je ne connais toujours pas votre nom, voulez-vous me le donner ?

              Dans ce cas-là, il convenait d’abord de lui dire le mien. J’avais hésité à annoncer mon grade et mon nom de famille réputée. Je m’étais dit que, finalement, je ne voulais pas instaurer un fossé entre nous. Je ne voulais pas que notre relation soit ternie par ma réputation et mon héritage familial. Elle était particulière. Elle était simple. Je me devais d’être simple. En tout cas, au début, car j’estimais qu’il serait très compliqué de garder longtemps secret mon statut de marine. Ainsi, je pris les devants.

              -Je me présente. Vous pouvez m’appeler Salem.
                C'est bien, il changeait d'avis. Tant mieux, sinon la jeune fille l'aurait mal pris. Comment pouvait-on l'écarter d'une présence neuve et intéressante ? Non pas qu'elle rejetait en bloc sa vie généralement, mais elle en avait assez de la monotonie habituelle. Un naufragé, grands dieux, c'était si exceptionnel ! Une personne neuve sur cette île, enfin ! Quelqu’un qui voyageait et qui pourrait lui raconter ses aventures, voire lui donner l'impulsion qui lui manquait pour prendre la décision qui changerait le cours de son existence.

                Un brin séducteur, et provocateur, l'homme vint à elle avant de repartir pour enfin lui permettre de continuer son repas de son côté, car il n'était pas prêt. Elle savait sciemment que l'inconnu n'était pas loin, voire même qu'il l'avait dans son champ de vision. Elle sentait son regard sur elle, et cela ne lui déplaisait pas. Elle profita de lui tourner le dos pour esquisser un sourire sur ses lèvres. Quand il disait que ce bain avait été apprécié, se doutait-il qu'elle-aussi en avait profité ? Petite coquine, oui, mais elle assumait. Quand c'est beau, où est le problème, hum ?

                - Oh, je suis ravie de voir que vous profitez bien de votre repos ici. Sachez qu'une fois que vous aurez goûté à ce que je vous prépare, tous les bienfaits précédents auront l'air sans saveur ! Je suis la meilleure cuisinière de l'île !

                Pas beau de mentir. Sa mère était nettement au-dessus, puisqu'elle l'avait formée à être la jeune fille inventive et enthousiaste, à en faire danser les oignons dans la poêle. Mais sa mère ne lui en voudrait sûrement pas de jouer les prétentieuses, pour une fois. Cela ne fait pas mal de se mettre en avant, surtout en présence d'un auguste personnage.  

                Elinor s'activait devant la grande marmite où elle venait de faire glisser le poisson, afin qu'il mijote dans une sauce audacieusement sucrée/salée. Elle prenait des risques. Mais elle aimait mettre du piment (au sens figuré) dans ses plats pour surprendre les papilles. C'était un défi : quoiqu'elle cuisinait, même lorsque c'était spécifique, et difficilement adapté à une langue commune, elle arrivait à le faire apprécier. C'était ça, être douée ! Et voila qui expliquait son but dans la vie : parvenir à cuisiner n'importe quoi, même un aliment mauvais ou sans valeur, avec sa seule accommodation des plats. Et elle y parviendrait peut-être... Si elle arrivait à prendre son impulsion.

                Alors qu'elle s'empara d'un poivrier, prête à ajouter la touche finale, elle entendit la voix proche de l'inconnu qui la fit sursauter. Mince, quand s'était-il rapproché de nouveau de la pièce ? Elle se retourna vivement, laissant tomber l'objet dans sa sauce. Gloups... Histoire de cacher sa maladresse, elle décida de donner le change avec un sourire appuyé, un rire un peu surfait.

                - Mon... Mon nom ? Ah ah ah, vous voulez connaitre mon nom ?

                Oui, il voulait connaître ton nom idiote ! D'ailleurs, il déclina lui-même son identité, tandis qu'elle cherchait une louche à proximité pour partir à la pêche. Salem ? Non, Poivrem. Ah, c'était son nom ! Elle crut qu'il lui avait parlé de sa bourde. Il fallait qu'elle se remette vite les yeux en face des trous, cela devenait ridicule.
                Visiblement, il n'avait pas remarqué, l'honneur était sauf. Elle parvint à sauver la poivrière et à la poser sur le plan de travail, trempée. Inquiète pour la qualité de son plat, elle plongea le doigt immédiatement. Ouf, l'épice noire n'avait pas coulé de partout. Mais elle hésitait à servir une nourriture souillée par un élément non alimentaire à un invité. Avec regret, elle était menée à éliminer le poisson de son repas. Pourvu qu'il se satisfasse de ce qu'elle avait déjà fait. Deux entrées, trois plats de résistance et dix desserts, serait-ce trop frugal ?

                - Je m'appelle Elinor ! Enchantée de savoir comment vous appeler. Mais vous ne devriez pas rester debout ! Si vous voulez me voir cuisiner, prenez une chaise... et...

                Elle alla dénicher dans un haut placard une bouteille dont le contenu était d'un rouge proche du sang. Ou du jus de tomate. D'où dépend de vos références culturelles. Elle prit un verre pour lui, un pour elle, et les servit à la limite du bord, avant de lui tendre.

                - Tenez. C'est fait maison.

                Elle but cul sec, sans aucune frayeur. Elle en connaissait par cœur la composition, la moindre goutte n'avait aucun secret pour elle. Aussi n'était-elle jamais brûlée par le mélange savoureux de fruit de la passion et de tabasco.
                  Vous voir cuisiner, oui, douce Elinor. Ou plutôt, vous voir. Tout simplement.

                  Je me fendis un nouveau d’un sourire charmeur, avançant ma stratégie de charme par petite touche. Je ne perdis pas une seconde à la voir se mouvoir au travers de la cuisine, regardant sans vergogne son balancement de hanches. Et sans non plus manquer la suite lorsqu’elle se mit sur la pointe des pieds pour aller chercher cet étrange breuvage. Une boisson rouge, oui, comme je l’étais, un peu, au visage. Hé bien ! Moi ? Rougir ? C’est qu’elle me faisait un petit effet, cette Elinor. Je m’empressai de prendre place sur une chaise de bois et d’osier, avec d’infime précaution. Avec ma carrure et mon gabarit, il y a certaines choses qui ne sont pas faites pour me résister. Je suis comme ça, je suis hors normes des pieds jusqu’aux cheveux. Constatant que je n’allais pas démolir le mobilier, j’agrippai d’une main franche le verre qu’elle m’avait servi que je penchai légèrement, évaluant de visu sa nature. Un mélange forcément.  Je passai la bouteille sous mes narines, inspirant un grand coup. C’était fort. Fort piquant au lieu d’être fort alcoolique. Un instant, j’eus une pointe de déception. Ainsi, je n’allais pas gouter à la gnôle maison. Cela aurait été prometteur en compagnie d’une jeune femme de s’enivrer les sens. Mais il ne fallait pas insulter l’hospitalité des lieux, alors, je m’empressai de gouter au liquide sans une once d’appréhension ; mon père est tout de même Keegan Fenyang ! J’ai hérité de sa capacité de demi-géant à avaler tout sans broncher !

                  Toutefois, la boisson passa en se faisant bien sentir. L’habitude jouait beaucoup dans l’appréciation des saveurs. Je fus pris de légères bouffées de chaleur lorsque le tabasco vint me titiller la bouche, mais il fut rapidement annihilé par le délicieux gout des fruits. Que c’était bon ! Un savant mélange de gout piquant et de fruits douçâtres, ça tiendrait du génie. Je me manquai pas une seconde pour avaler d’un trait le reste de mon verre. Il ne fallait pas non plus passer pour une femmelette à côté de la jeune femme. Ma virilité était en jeu ! Je m’humectai les lèvres, récupérant ce qui aurait pu perler sur celle-ci avant de lancer un regard appréciateur à Elinor. Reposant mon verre, je passai une main sur ma chemise, retirant les deux boutons du haut en faisant mine de dire que ce n’était pas intentionnel. Ce serait mal me connaitre ! Dans un jeu de charme, il est toujours de bon ton d'exhiber discrètement sa plastique pour qu’elle se rince l’œil. Et quand on est dans mon cas, il n’y a pas lieu d’avoir honte de son physique. C’est clair, je suis plutôt beau gosse. Mais il faut que ce soit fait de manière discrète. En l’occurrence, j’avais un peu chaud à cause de la boisson maison ; pas autant pour nécessiter un peu d’air, mais elle ne le savait pas.

                  Félicitation, c’est excellent, même si ça donne un peu… chaud ! Un vrai régal pour les papilles, tout autant que pour les yeux.

                  Je faillis faire un petit clin d’œil, mais je ne le fis pas. Ce n’était pas encore le bon moment. Du coup, je m’affalai un peu plus sur la chaise qui grinça un peu adoptant l’attitude du mec cool, mais fainéant. Ce n’était pas jouer la comédie, je suis comme ça naturellement. Les yeux mi-clos, j’appréciai l’arrière-gout de la boisson au fond de la gorge tandis que je respirai doucement les odeurs de la cuisine. Décidément, il y’en avait pour tout les sens, j’étais comblé. C’est à ce moment-là que décida mon ventre pour s’exprimer à grand renfort de gargouillement. J’ouvris les yeux, les baissant vers mon ventre plat, mais bruyant. Je n’avais pas vraiment mangé depuis des lustres ! Vraiment manger pour dire manger beaucoup, car j’avais un appétit féroce. Encore l’héritage familial qui veut ça. Ce gargouillement, c’était un cri d’alarme. Ça sonnait les cloches. Et Elinor l’avait entendu. Je penchai la tête sur le côté, mimant la gêne.

                  Je crois bien que toutes ces bonnes odeurs en ont réveillé un. Mais prends ton temps. Je ferai en sorte de retenir ses ardeurs.

                  Tout comme je retenais les miennes sans cesse croissantes. Mais là aussi, je savais me retenir. J’en avais profité pour passer au tutoiement, en espérant qu’elle continuerait. Ça ne pouvait que nous rapprocher. Je me fis aussi penser à l’après. À quand je devrais partir. Quand justement ? Peut-être qu’il n’y avait pas de navires pour partir d’ici. Ce qui pouvait peut-être expliquer l’engouement d’Elinor à chercher la compagnie d’un étranger ; il y’en avait peu. Par conséquent, il fallait que je contacte ma base pour qu’il m’envoie le taxi. Je voyais déjà Ketsuno, ma cousine, morte d’inquiétude en me sachant disparu. Si elle savait que je draguais une fille pendant que je la laissais sans nouvelle, elle me ferait une colère noire comme elle sait les faire. Il faudrait que je les contacte. Il faudrait. Je ne savais pas comment ; ont-ils un escargophone ici ? Et je ne voulais pas non plus mettre ça sur le tapis. Ça ferait celui qui a envie de quitter cet endroit. Et ce n’était absolument pas ce que je ressentais à ce moment-là.
                    Elinor ne quittait pas des yeux son invité face à son verre. Gaillard comme il était, elle imaginait mal qu'il ne tienne pas le choc. Et pourtant, elle avait déjà vu tomber de vraies baraques face à certaines de ses créations. C'était drôle, d'ailleurs. Elle, femme mince d'apparence fragile, tenait mieux l'alcool qu'un baroudeur aventurier. A priori, Salem le tenait le choc. Il semblait juste avoir chaud. De là à déterminer si cela venait de la rouquine ou de la boisson…

                    Satisfaite, Elinor remplissait à nouveau les verres et retourna à la cuisine, lui tournant le dos un instant. Et dire qu'elle avait fait tomber le poivre dans la marmite un peu plus tôt ! Il allait vraiment s'enflammer avec tout ça !

                    -C'est le mariage des deux saveurs, assez contraires, qui apporte à la fois goût et chaleur. Rien de tel en hiver, quand il fait froid. Ou lors d'une veillée au feu de camp sur la plage. Cela réveillerait un mort ! J'ai appelé ce cocktail le "TNT". Je pense qu'il porte bien son nom. Quoique, plus réchauffant qu'explosif Il faut que j'augmente les quantités du piment oiseau.


                    Elle fut interrompue dans ses calculs par un bruit donc elle n'eut aucune difficulté à découvrir l'origine Eh bien, enfin ! Monsieur Estomac avait été long à la détente !D'ordinaire, les éffluves l'éveillaient un peu plus tôt. Salem était un dur à cuire. Circé la magicienne faisait toujous tomber ses victimes avec ses potions.

                    - Ne vous inquiétez pas…

                    Passage au tutoiement raté pour elle. Peut-être à la prochaine phrase ? L'inverse ne la gênait pas, elle était ravie qu'ils deviennent des amis, plus familiers. Mais la différence d'âge, ainsi que le charisme de cet homme l'obligeaient à demeurer pour l'instant à la seconde personne du pluriel. Cela viendrait avec le temps !

                    -… Nous passons bientôt à table !

                    j'Elinor lâcha les fourneaux pour commencer à mettre le couvert. Elle sortit une armada d'assiettes pour une assemblée nombreuse, alors qu'ils n'étaient que deux ! Par principe, elle refusait de servir deux plats dans une même assiette. Les goûts pouvaient se mélanger. Et un plat devait être honoré dans une vaisselle vierge.

                    - voilà qui est fait ! À table !

                    Elle s'empara du saladier et le tendit vers son invité. Un savant mélange de verdure et de légumes en fins filaments colorés, un arc-en-ciel de de lamelles à la sauce délicatement parfumée, coordonné parfaitement à une viande restée en fumoir pendant des mois. goûteuse, sans être forte. Un vrai plaisir pour les papilles

                    -j'espère qu'en échange de ce repas, je pourrais en savoir plus sur votre arrivée… mouvementée.

                    Elle s'installa à son tour sur une chaise, se retrouvant face à lui, prête à satisfaire sa curiosité.
                      Je manquai de m’étrangler lorsqu’elle me parla de TNT. Un instant, j’ai cru qu’elle faisait référence au célèbre Timuthé N. Tempiesta, une célèbre crapule qui sévit dans ma blue. Un parrain de la mafia aussi sournois qu’il est jeune. Un être qu’il faudrait arrêter le plus vite possible tellement je crains de ce qu’il pourrait devenir dans le futur. Un expert des explosifs. Il était prédestiné, avec son pseudonyme. Elle ne se rendit pas compte de ma soudaine gêne. C’est que je l’avais rencontré, ce sinistre individu. Un moment, j’aurais pu croire qu’il était là, planqué dans un placard, prêt à m’assaillir, profitant de mon absence totale d’attention, si ce n’était pour damoiselle Elinor. Mais ce n’était qu’une mauvaise pensée et bientôt, le couvert fut mis et le repas fut donné. Devant moi s’aligner plusieurs plats présentés comme il le fallait, c'est-à-dire, en faisant en sorte que l’on ait l’envie de tout manger dans la seconde. Les odeurs se mélangeaient, mais le tout formait une combinaison d’effluves qui m’en faisait saliver au sens propre. Quel manque de tenue. Mais c’était presque faire honneur à sa cuisine que de montrer mon intérêt avant même d’y avoir gouté.


                      Évidemment, ma chère. Je me dois certainement de vous rassasier de mes histoires pour qu’il y ait un juste remboursement de me rassasier de vos mets et de vos charmes.



                      Je pris deux cuillères pour me servir de cette viande au fumet impressionnant avant de tendre le plat à Elinor qui ne semblait que prête à avaler mes contes. Je lui fis un regard presque implorant.


                      Par contre, je refuse de dire le moindre mot si tu ne manges pas en ma compagnie.


                      Je lui tendis le plat pour qu’elle puisse se servir et j’attendis patiemment qu’elle se soit servie pour commencer à manger. Sans surprise, je fus conquis. Une nourriture aux allures prometteuses, des arômes tout aussi annonciateurs d’une bonne cuisine ; il fallait que le gout suive. Il était là. J’appréciai plusieurs morceaux de viande, prenant quelques secondes après les avoir avalés pour ressentir le plus longtemps possible les saveurs dans ma bouche. Puis, il fallut bien que je remplisse ma part du marché. Elle m’attendait. Ça se voyait dans son regard. Et je suis homme à satisfaire les attentes de ces dames.


                      C’est un concours de circonstances qui m’a fait échouer sur ton ile. Je faisais tranquillement route sur un navire de croisière pour me ressourcer un peu. Mes vacances, en somme. Voyez-vous, j’ai un métier très épuisant et très prenant. Et du coup, ces vacances étaient les bienvenues. Sauf que les conditions météo se sont dégradées de telles sortes qu’un matelot est tombé à la mer. N’écoutant que mon courage, j’ai sauté à l’eau pour le récupérer et l’équipage a envoyé une bouée. J’ai accroché le pauvre homme à cette dernière pour qu’ils puissent le ramener, mais ils ont été trop longs pour m’en envoyer une autre. Les vagues m’ont emporté au loin.

                      Et la suite, tu la connais.


                      Je repris quelques bouchées. Évidemment, une question ne tarda pas. Mon métier. Que suis-je ? Dois-je tout dire ? Elle finira probablement pas savoir la vérité, surement quand je contacterais la base pour qu’ils viennent me chercher. Du coup, autant jouer franc-jeu.


                      Je suis un marine. Le colonel Alheïri S. Fenyang de Shell Town. Et ce repas, il est mieux que tout ce que j’ai pu manger à la cantine de la base. C’est vraiment succulent.

                        - Mais c'est du chantage, ça. M'obliger à manger, pour que vous parliez... Cependant, je suis trop curieuse pour en rester là.

                        Et pour illustrer propos et gestes, elle se servit une grosse louche de son plat en sauce, vérifiant au passage le taux de poivre à la cuillère². Elle laissa sa langue examiner son mets. C'était épicé, mais pas mauvais. Avec un peu de chance, Salem ne se rendrait compte de rien. Vu qu'il ne devenait pas tout rouge et toussant, à la recherche d'eau, tout allait bien. Ouf... L'honneur de cuisinière de la jeune femme n'aurait pas survécu à un tel échec. Elle avait pour objectif de faire une cuisine toujours appréciée, qu'on ne puisse pas lui reprocher quoique ce soit. Le perfectionnisme à l'état pur. Elle voulait même parvenir à faire aimer à quelqu'un l'ingrédient qu'il détestait le plus. Un vrai défi.

                        A présent qu'elle avait répondu à sa requête, lui remplissait sa part du marché, et raconta les circonstances de son arrivée impromptue. Elle resta bouche-bée devant le récit passionnant qu'il fit, et surtout devant son héroïsme admirable dont il avait fait preuve.

                        - Tout le monde ne l'aurait pas fait à votre place. Vous êtes quelqu'un de bien, Salem !

                        Dit-elle avec un grand sourire charmeur et en papillonnant des sourcils, l'air de dire :"je serais ravie de me noyer rien que pour que vous puissiez me sauver". Ah, des gentlemen comme on n'en fait plus. Et tandis que son imagination romanesque l'emportait sur un navire, remué par des eaux tumultueuses, et criant au secours tandis que Super Salem venait la sauver, il continua ses paroles par une annonce qui l'excita d'autant plus.

                        Woa.... Le colonel Alheïri S. Fenyang. Un membre de la marine, rien que ça ! Elle se pâmait devant trop d'éléments passionnants et lui offrant des pespectives imaginaires débordantes. Un homme important, ici, dans sa cuisine !

                        - C'est trop d'honneur, Colonel ! Je lève mon verre, pour vous et pour votre sauvetage !

                        Mais... ne vous réjouissez pas trop vite. Si Elinor était ravie d'avoir un membre de la marine à sa table, ce n'était pas par pur respect du Marin. Oh, certes, elle ne les dénigrait pas et reconnaissait que la Marine faisait un bon travail. Cependant... LA jeune fille fantasmait depuis des années sur la piraterie, à travers les histoires que racontait sa mère. Et là, aujourd'hui, elle avait l'opportunité d'en savoir plus sur ce monde dont elle rêvait. Qu'elle voulait même rejoindre !
                        Sauf... qu'elle prenait des risques à parler de cette admiration, face à un gradé de l'armée de mer du gouvernement mondial. Comment assouvir sa curiosité sans vexer ou braquer Salem ? Même si c'était un homme de bonne composition, il pouvait mal le prendre.
                        Seulement... C'était l'occasion rêvée...

                        - Ainsi donc, vous avez déjà dû lutter contre les éléments, mener des hommes à se battre... Voire, affronter des pirates ?

                        Hors RPG:
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                        Difficile de ne pas s’apercevoir de son état. Et en effet, je ne manquai pas de relever le regard brillant qu’elle me lança. Je connais ce sentiment. Je l’impressionnai. C’est souvent comme ça avec les femmes. J’en impose. A Shell Town, n'importe laquelle de mes aventures serait comptée par nombre de ces dames. Et pour certaines d’entre elles, elles garderaient des aventures beaucoup plus intimes au plus profond de leur cœur. Je continuai d’avaler mon repas en affichant un sourire mi-modeste, mi-assuré. J’étais habitué à toute cette admiration, mais c’était l’admiration de gens qui me connaissaient par mes exploits. Ici, c’était mon statut de colonel qui faisait rêver. Les femmes aiment les hommes en uniforme, je m’en étais aperçu très jeune. Mais loin de moi l’idée d’avoir fait marine pour l’uniforme, c’est juste que les avantages sont très agréables.

                        La question d’Elinor me parut totalement logique. C’est vrai, les marines affrontent les pirates. C’est l’opposition naturelle des choses. Les révolutionnaires sont davantage contre le Gouvernement et ses institutions même si parfois, on est réquisitionné malgré nous. La pacification des mers, c’est notre but. Et ça passe par la traque des pirates. Je lui teins à peu près ces mots pour présenter la chose avant de parler d’aventures beaucoup plus personnelles. C’est vrai que j’avais croisé un grand nombre de pirates, déjà. Certains m’ont marqué plus que d’autres. Un nom me vint rapidement en tête.


                        Tu parlais tout à l’heure de ton cocktail, le TNT. Ça m’a fait sourire, car c’est le surnom d’un pirate que j’ai affronté. Timuthée N. Tempiesta. Un pirate doublé d’un chef mafieux. Le pire, c’est qu’il est jeune en plus d’être dangereux. Je l’ai affronté, il y a … et j’en garde une profonde rancœur. Celle de ne pas l’avoir mis hors d’état de nuire quand j’en avais l’occasion. La vie est ainsi faite. Nos désirs sont souvent plus forts que nos capacités. Et certains pirates que j’aurais voulu arrêter coute que coute continuent aujourd’hui de sévir.


                        Je pris mon verre pour le vider d’un trait. Au travers du verre, je visualisai toutes les têtes des pirates que j’avais attrapés. Mais aussi celle qui s’était glissée entre mes doigts. Je sentis une pointe d’amertume m’envahir. Il n’était jamais très bon de ressasser les erreurs.


                        Ce sont toutefois des grands noms maintenant. Yukiji Alucard par exemple ! Connu pour la destruction de l’ile de Baterilla. Mizukawa Sutero aussi. Un fumier de la pire espèce … et je pèse mes mots ! Il y a certes des pirates qui ont une certaine dignité et suivre un code d’honneur particulier qui font de ces criminels des gens dignes d’être respecté. Mais ce Mizukawa n’est pas de ce bord et ne le sera jamais !


                        Je pensai un instant à mon cousin, Satoshi Noriyaki. Pirate, mais respectable. Mon cousin, mais ce qui ne m’empêchait pas de ne pas dire non à le rosser comme il le méritait. Je me souvenais aussi d’autres pirates. La plantureuse Old Crow. La belle Kana Suu. Ou encore la coquine Shippu…
                        Finalement, les pirates pour qui j’avais un peu de respect étaient bien souvent des femmes, allez bien savoir pourquoi.


                        Mais il n’y a pas qu’affronté des pirates ! Il y a aussi le révolutionnaire ! Connais-tu Minos ? Un géant fourbe aujourd’hui à la tête d’un équipage de va-nu-pieds avide de sang et de richesse sous couvert de la lutte des peuples. Je l’ai fait fuir et je saisirai la moindre occasion qu’on me proposerait si je pouvais à nouveau l’affronter. Pour le terrasser cette fois-ci.


                        Quelques coups de fourchette pour finir mon assiette. J’avais bien l’impression qu’Elinor était bien trop intéressé par mes propos pour manger quoi que ce soit, ce malgré ma demande initiale.


                        Enfin, on rencontre aussi des marines d’excellence. Le renommé Colonel Toji Arashibourei par exemple ! Efficace même si ses méthodes sont bien trop… sans pitié pour moi. Le lieutenant-colonel Yuji Livingstone ! Un officier un peu excentrique, mais au grand cœur qui m’a sauvé la vie par le passé ! L’ex-amiral en chef Pludbus Céldèborde aussi. Un homme respectable qui a fait beaucoup pour la marine malgré les calomnies véhiculées à son sujet.


                        Et bien d’autres encore. Je gardai pour moi les têtes de ces gens que j’ai rencontrés. Certains étaient devenus très proches. Vraiment très proche. Et ces pensées me laissaient un peu dans le vague, oubliant presque la présence d’Elinor. C’était à demi-mot que je concluais tout cela.


                        On croise beaucoup de gens …
                          Elinor écoutait le récit de Salem avec délectation. Elle se sentit fière d'avoir choisi, bien que très involontairement, le nom d'un de ses cocktails. TNT. Cela sonnait bien déjà à la base, pour le côté explosif de la dynamite, mais avec cette nouvelle information, son imagination s'emballa pour une promotion du produit des plus retentissantes. "TNT, l'alcool des vrais pirates !". Ce premier slogan n'était pas certes concluant, mais elle en trouverait bien un. Elle se faisait confiance. Elle n'avait pas porté attention aux parties moins glorieuses citées par le militaire, comme son remords face à cet homme dont elle chercherait l'avis de recherche pour mettre sa tête sur un nom. Quand aux autres pirates dont il parla, tout sonnait dans sa tête aussi limpidement qu'une chanson. Elle imaginait déjà Yukiji Alucard, brandissant un sabre d'abordage pour s'emparer de l'île de Baterilla et délivrer les lieux d'un dictateur sanguinaire. Mizukawa... Euh, il l'avait traité de fumier ? Mince, ce n'était pas très gentil, qu'avait-il donc fait pour mériter ça ?

                          La jeune femme savait qu'il existait, comme partout, des méchants et des gentils pirates, comme il y avait des gentils et des méchants marins. Néanmoins, elle avait réussi à mettre entre les récits qu'elle lisait, ou dont on lui faisait part, une distance qui éloignait les faits de la réalité. Elle aurait beau apprendre que Mizukawa était un bandit qui tuait des enfants et violait des femmes, elle en frissonnerait comme si on racontait une histoire d'horreur, et non hélas la vraie Histoire. Elle avait une vision bornée et romanesque de la piraterie, et voulait rejoindre ce camp pour faire perdurer cette impression de secourir la veuve et l'orphelin et de faire la nique à la Marine avant de s'enfuir dans son bateau. Elle ne pensait même pas au risque de déchanter plus tard, lorsqu'elle-même intégrera un équipage. C'était juste impensable.
                          Sa mère l'avait trop abreuvée, étant petite, d'histoires merveilleuses et d'aventures divertissantes. Le déclencheur de sa passion était le fameux livre des "Exploits du Pirate Luffy et de son équipage au chapeau de paille." Il paraissait que ce livre était une version édulcorée de la réalité, mais inspiré de faits réels. Monkey D. Luffy aurait vécu cent ans auparavant, et aurait transfiguré le monde de la piraterie avec son caractère joyeux et son acharnement à trouver le One Piece. Sans exagérer, elle pouvait affirmer que les Mugiwaras étaient son modèle et son rêve.

                          Tellement happée par les histoires de Salem, elle avait laissé sa fourchette en l'air, les yeux brillants et la tête en vacances. Elle ne redescendit sur terre que lorsque le colonel parla de la Marine et d'un colonel Archi Tabouret. De Livingstone (le goéland ? Ça devait être bizarre pour une unité de soldat d'être dirigé par un oiseau. A moins que cela n'aie aucun rapport avec la bestiole du livre....) et d'un amiral au nom tordu genre Pustus Celeri... Oui, Elinor avait souvent du mal à retenir les noms et à la retranscrire par après. Très orientée, elle rencontrait moins de difficultés avec les noms des pirates que ceux des militaires.

                          La cuisinière resta pensive une bonne minute après que Salem aie terminé de parler. Elle poussa un soupir de contentement avant de se lever pour aller chercher le dessert et le fromage.

                          - Ah, oui... Ça fait rêver tout ça. Les rencontres, les découvertes... Moi aussi, j'aimerais prendre la mer aussi... Enfin, là n'est pas le moment de ce genre de considération ! Voila un plateau de fromage frais, fabriqué sur cette île par les grands-parents, et ... le dessert, le mille-feuille framboisier-chocolat noir. Régalez-vous !
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                          Une remarque attira mon attention à un tel point que je n’eus presque aucune réaction quant aux nouveaux plats qui s’alignaient devant moi. Le dessert avait l’air appétissant. Un mélange de saveur qui ne pouvait être raté. En plus, cuisiner d’une agréable main experte, ça ne peut qu’être étonnant. Par contre, le fromage était à proscrire. Il n’y a pas pires aliments pour briser le parfait costume du gentleman charmeur. Vous avez déjà pensé à draguer avec une haleine sentant le fromage ? Impensable. Le fromage est le genre de mets qui m’est interdit.  Du coup, je fis passer une excuse comme quoi tout cela était fort appétissant, mais que mon estomac ne pouvait plus qu’accepter que du dessert, délaissant le fromage. Il sentait … comme un fromage. Une promesse d’une haleine calamiteuse pour moi. Je mentis un peu. Oui, il avait l’air très bon. C’était la version pour la jeune Elinor.

                          Et puis, il fallait garder tous mes atouts avec moi pour ce qui allait suivre. Car oui, j’avais quelque chose en tête. Une chose qu’elle avait mise elle-même. Toutes ces questions, n’était-ce pas le signe d’une volonté de voyager à travers le monde ? Elle-même l’avouait. Mais ne suis-je pas un homme, justement, qui voyage à travers le monde ? Même si j’ai senti au cours de mon long discours que son attention était un peu plus poussée à l’évocation des pirates, je ne pus imaginer que mes arguments n’allaient pas faire mouche. Avant tout chose, je fis honneur à sa cuisine, avalant le dessert avec une rapidité démontrant l’excellence de la pâtisserie. Je fis claquer ma cuillère sur l’assiette dans un murmure d’apaisement gustatif. Dieu que c’était bon ! Une fine cuisinière et une gracieuse fille. C’est décidé. Je la voulais.


                          Décidément, vous êtes bien surprenante. Je ne connais pas grand monde parmi les cuisiniers de la marine qui saurait faire un aussi bon repas. J’en suis honoré. Je vous remercie énormément.

                          Je la fixai un instant, jugeant si c’était le bon moment. Je pris le pari.


                          Je crois avoir saisi votre appel. Dans vos mots, je peux lire une chose. Une soif de découverte. De voyage. Rencontrer le monde et vivre avec eux ! Je ne me dis pas que si vous restez sur cette ile, vous serez malheureuse,  je dis juste que votre cœur et votre belle âme n’ont vocation qu’à parcourir les mers. Il vous faut juste la main qui permettra d’accomplir cette destinée. Et je me propose d’être ce main.



                          Je me levai et je fis ce que j’avais dit. Je tendis ma main vers elle pour qu’elle s’en saisisse. Pour qu’elle accepte.


                          Elinor, accepterais-tu de me rejoindre ?Tu ferais partie de mes hommes. Je m’engage à t’entrainer à te protéger tout en te laissant la plus grande des libertés.tu pourras continuer à exceller dans l’art de la cuisine. Et tu verras du monde. Tu iras sur toutes les mers, apportant de la paix et du bonheur aux gens dans le besoin. Tes pâtisseries donneront le sourire aux enfants et tes repas donneront les forces suffisantes aux hommes pour construire un monde plus beau. Toi avec moi, c’est Grandline qui nous ouvre les bras. C’est le monde. C’est l’éternité.
                          Accepterais tu m’accompagner dans cette aventure humaine, Elinor ?



                            Elinor resta scotchée par la proposition de Salem et sa main tendue. Avait-elle bien entendu ? Il lui proposait un pont en or vers un avenir radieux. Vivre sur un bateau, voir le monde. Cuisiner pour l'équipage, tout en bénéficiant de liberté d'agir et d'avantages sérieux. Elle s'imaginait déjà sans difficulté dans ce cadre idyllique. L'homme en face d'elle n'avait pas réfléchi plus, il agissait à l'enthousiasme, à l'instinct, comme peuvent l'être les marins pour une bataille navale, où trop de réflexion peut vous tuer. Les décisions devaient être rapides. Sauf que dans le cas présent...

                            Un énorme quiproquo entre eux allait perturber sa joie, voire l'effondrer. Il ignorait totalement qu'Elinor, certes, voulait participer à l'aventure avec un A majuscule, parcourir les mers, découvrir de nouvelles saveurs, faire partie d'un équipage. Mais sa passion, née de lectures de son enfance, lui était venue pour un autre camp. Et malheureusement pas la Marine. Elle savait que son imaginaire sur les Pirates lui donnait une vision peut-être trop romanesque et peu réaliste de ce milieu. Mais un équipage avait fait, un siècle auparavant, fait jurisprudence et bouleversé l'image véhiculée par la Piraterie. Un équipage rempli d'idéalistes qui n'avait qu'un objectif : accomplir leur destin, leur choix, d'aller jusqu'au bout. Et au passage, s'ils étaient des gens dans le besoin, c'était bien ! On était loin du paysage désastreux dépeint par Salem un peu plus tôt, d'hommes cruels et sanguinaires. Et puis, franchement, l'uniforme... Ce n'était pas son trip.

                            La bonne ambiance qui régnait depuis l'arrivée de Salem allait se désagréger rapidement, à présent qu'elle ne partageait pas son entrain. Comment pouvait-il en être autrement ? Ils avaient une opinion divergente qui était loin d'être neutre. Il avait raison, en définitive. Elle aurait dû aller avec sa famille et le laisser seul. Cette conversation n'aurait pas eu lieu. Ils n'auraient pas risqué de se fâcher.
                            Elle ne pouvait décemment pas lui avouer explicitement son admiration pour les bandits des mers. Il allait être choqué. Il le prendrait mal. Il lui ferait la leçon. "Les pirates ne sont pas des gens biens !", "pourquoi tout le monde veut-il devenir pirate ? On ne se rend pas compte de la réalité !" , " tu finiras la tête tranchée devant une population haineuse comme Gold Roger", etc etc.
                            Cette proposition était finalement proche d'une demande en mariage qui aurait été faite par un excellent ami. On l'aime bien, on ne veut pas le vexer, mais il faudra bien lui dire un jour qu'on aime quelqu'un d'autres et qu'on veut rester ami. Elle ne s'attendait cependant pas à avoir à faire cela si tôt.

                            - Euh... et bien... C'est... Inattendu. Je... Je....


                            Elle avala sa salive. Elle se lança, mais pas trop loin.

                            - C'est que... Je sais que j'ai dû paraitre... gaie à l'idée de prendre la mer... Mais c'est une chose de se décider par soi-même et de répondre à une telle demande... Il faut que je réfléchisse...  

                            Elle se violenta les doigts en se tordant les phalanges en signe de malaise. Heureusement qu'elle exécutait le geste sous la table ; ainsi il ne pouvait la voir. Elle devinait son visage rouge à en faire pâlir ses cheveux de jalousie. Elle déglutit à nouveau avant de se reprendre et adresser à son invité un sourire des plus charmeur pour contrebalancer la réception refroidissante de cette offre chaleureuse .

                            - Mais je vous remercie de faire autant preuve de bienveillance à mon égard, et je suis très touchée.

                            "Au point d'être vraiment désolée de devoir refuser", pensa-t-elle.
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