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Entre six yeux : les siens, les miens, et ceux de Dieu

Nous avions récupéré à bord, une jeune Vice Lieutenant qui n'avait pas sa langue dans sa poche. Elle devait être mutée plus tard mais comme nous avions la même destination, le Lieutenant Coldrim avait préféré faire une pierre deux coups. Il avait donc à bord une autre Vice Lieutenant, une femme qu'il n'avait pas formée : Séréna Porteflamme.


Je revenais de ma rixe avec ce mari violent qui frappait sa femme. Le lien direct avec mon enfance était établi immédiatement et je n'avais pas pu contrôler ma colère, et comme la traversée était tranquille, je n'avais aucune manœuvre à effectuer pour le moment, alors je repensais à ce moment où l'autre moi avait repris le dessus. Si je n'avais pas su intervenir à temps, j'aurais tué cet homme.

Que serais je devenu ? Une perte collatérale était ce que détestait le plus mon Lieutenant. Il disait que la chasse aux pirates et aux révolutionnaires n'empêchaient pas la sûreté des civils. Que quoi que nous fassions, il fallait s'assurer qu'au civil n'aurait à pâtir de nos guerres. Personne au sein de la Marine n'aurait accepté cela, moi le premier. Je portais en moi un monstre comme une femme enceinte porte un enfant dans son ventre. Un monstre tapi à l'intérieur de moi, prêt à refaire surface à chacun de mes moindres faux pas. Un geste en trop, une colère qui s'enflammait dans mes veines et le voilà resurgi de dedans moi, je l'accouchais tel un enfant indésiré et indésirable. Je craignais chacune de ses apparitions et donc chacune de mes colères et chacun de mes gestes brusques envers quelqu'un. Au fond de moi je sentais comme un parfum de colère et d'envie sanglante. Tout le temps. Mais sur mon visage, face à la mer, accoudé sur le garde fou du pont, le doute se marquait. Il ne fallait pas que je faiblisse devant l'équipage dans lequel j'avais été intégré. Ils me prendraient pour un monstre.


Mes yeux à nouveau se portèrent sur cette charmante Vice Lieutenant qui pestait dans son coin. Pour tenter de la calmer, je m'approchais d'elle pour lui offrir de quoi se sustenter et faire connaissance.


- Bonjour, Matelot première classe Der Nacht, Alexander Der Nacht. Vous voulez boire ou manger quelque chose ?

Sans même attendre sa réponse, je me tournais vers le cuisiner de notre caravelle.

- Cuistot ? Tu aurais de quoi grignoter ? C'est pour la Vice Lieutenant Porteflamme et moi.

Nous étions assez libres sur le navire. Le Lieutenant Coldrim nous laissait souvent vaquer seuls, comme bon nous semblait, tant que le travail était fait et que l'ordre régnait.

- Notre caravelle vos plaît elle ? C'est petit mais tout le confort est là.
    Bon, okay, Seigneur. Le coup de sang contre le lieutenant quand il m'avait demandé de me taper toute sa paperasse sur mes heures de perm', avec un grand sourire plein de sous-entendus pour faire passer l'affaire, j'aurais pu éviter. Éviter de lui balancer la chaise sur laquelle j'étais assise en-travers les dents, manière de voir le bruit que ça rendait un dentier pété. Ouais, il était pas tout jeune, l'étalon bleu et blanc, faut pas croire... l'âge auquel tu devrais justement plus trop penser à être bon ailleurs que dans les formulaires et le foutoir administratif. C'est bien, la marine, y'a une place pour tout le monde. Mais y'a aussi ces foutus grades. Le respect, moi, je peux pas toujours faire avec. Et là, je me le suis calé au cul, ou plus exactement je le lui ai rentré dans le sien, à  lui. Non, non, faut pas pousser. Pas parce que je suis toujours la « p'tite », que j'ai pas vingt piges et la tête de celle qui a déjà tout vécu sur pas mal de plans que j'ai pas de dignité. Ou que je veux pas m'en construire une.

    Sauf que, ça, je l'ai dit, mais non. Les supérieurs, les vrais, ils ont rien voulu entendre. Quand t'es sous-off', tu bouffes pas à la même table qu'eux. Et ils veulent pas trop entendre parler de toi, en général. Comme si ton niveau dans l'échelle de l'évolution montait selon les couleurs de tes galons, et que pour l'instant, t'étais encore au stade du gonze poilu qu'a peur du feu et qui bouffe sa barbaque crue à même la charogne, parce qu'il a pas d'outils pour tuer.

    Donc, comme l'autre arrêtait pas de me tenir la jambe et que je devenais un peu moins compréhensive à chaque fois, jusqu'à arriver à l'histoire de la chaise, j'ai été mutée, encore une fois. Et ça m'a foutu les boules parce que cette base là, je l'aimais bien. Y'avait du travail, pas juste de la branlette gratuite comme dans neuf casernes sur dix (crois moi que je m'y connais, j'en ai visité plein), on formait des recrues... j'étais très bien avec le patron et les clients du petit bistrot derrière la place du marché, celui qui sent le café moulu quand tu passes devant la porte, tellement que ça te donnerait envie d'en manger. J'suis restée qu'un mois, même pas. Je commençais juste à avoir deux trois copains, un repère ou deux, ce qu'il faut pour faire un soldat heureux. Faut pas croire que ça m'éclate de me faire bourlinguer comme ça, de jouer les patates chaudes... j'ai jamais fait quelque chose d'assez répréhensible pour qu'on me retire l'uniforme. Même là, la chaise dans sa petite gueule d'amour, j'avais des témoins. Le mec a pas eu à demander réparation, il aurait risqué gros pour abus de pouvoir. Mais y'a des fois où la justice, c'est ça : je ferme ma gueule, tu fermes ta gueule, et je me barre parce que mes épaules sont moins bien galonnées que les tiennes, et que j'ai un dossier moins clean que le tien. Et que t'as le soutien de la hiérarchie, aussi, ça, ça clôt le débat sans qu'on ait à le commencer.

    Bon, et du coup, je devais repartir à bord d'un patrouilleur en mission. Mais y'a eu ce type, Coldrim, qu'est passé par là, et qu'allait où j'avais été réaffecté. Donc, hop, ni une ni deux, tu prends tes cliques et tes claques, vice-lieut' Porteflamme, et tu te casses. Ça se marrait ouvertement, chez les copains lèche-boules (dans tous les sens du terme, note bien) du lieutenant que j'ai oublié son nom et que c'est tant mieux.

    Oh, rien à dire sur le navire désigné pour la promenade, hein. Ça a l'air d'être l'ambiance tranquille et tout, mais j'suis un poil trop en boule pour vraiment apprécier la sollicitude du première classe qui me fait faire le tour du bâtiment. Déjà, d'où tu me parles, t'es qu'un sold... euh, non, eh. Faudrait pas non plus que ça commence à déteindre sur moi, ça. Donc, ouais, t'obéis aux ordres, tu joues les guides touristiques, mais ta croisière de Club South, là, j'en veux pas. J'suis en deuil de ma p'tite base que j'kiffais bien, j'ai besoin d'être un poil tranquille. De faire le vide, de causer à Celui qu'est partout et nulle part. Au lieu de ça, on me fout deux merguez sous le nez avec une tranche de pain de voyage tout frais. Le cuistot, il a droit à mon regard noir. Rien de personnel, j'étais dans mes pensées. Et il s'est barré avant que je me décide à lui dire merci quand même, mais j'ai pas faim. Du coup, le message est pour Alex' le macchab' Première Classe. Bah ouais, un soldat qu'est plus en formation, c'est un mec qu'est toujours en première ligne... j'ai connu, j'sais ce que c'est.
    Bref, les remerciements et le casse-croûte, il en hérite.

    -Si ça me plait, hein ? T'es gentil, matelot. On se tutoie, hein, j'suis pas d'humeur à te donner du « Matelot Première Classe Der Nacht ». Bon app', Alex'.

    Ouais, sûr que tu serais gradé, ça serait pas la même. Et je l'oublie pas. J'sais que j'ai au moins une chance sur deux d'avoir baisé ton orgueil en te rappelant un peu qu'aux yeux de la hiérarchie, t'es encore rien d'autre qu'un tas de chair à canon. Hein, que j'suis sympa quand je m'y mets ?
    Mais bon, c'est pas vraiment vraiment fait exprès.

    -Mais ouais, ouais, c'est bien.

    De toutes façons, je m'en fous. Ça pourrait être un galion en or massif que ça changerait rien au fait qu'on me promène comme une captive, et que j'ai pas envie de prendre la mer. Tout sauf ça, même. Eh, j'ai pratiquement fait toutes les bases des Blues en trois ans, sérieusement ! Puis pour une fois, j'dois dire que je regrette pas mon geste. Pas du tout. J'devrais, pourtant, vu que je me suis laissée dominer par la colère, le ressentiment, des trucs qui te bouffent tellement le cœur que des sages y ont perdu leur âme. Eh, j'veux pas en arriver là, vraiment pas. Mais c'était une des rares fois où céder à la colère, ça m'a fait plaisir.

    Sauf que, j'en suis à assumer les conséquences de ma petite satisfaction égoïste. Et je me rends compte que non, c'était pas une solution.

    J'aurais mieux fait de foutre du poison dans sa tasse de café, tiens. Ouais, le pardon, c'est pas encore pour demain...

    -Je suppose que j'suis en repos, vu que le lieutenant est pas venu me voir. Tu veux me montrer où c'est ? On verra bien si je trouve le courage d'aller m'emmerder avec les autres sur le pont quand j'aurais posé tout ça...

    J'ai ma maison sur moi, c'est à dire, un gros sac en treillis que je porte en bandoulière, mon mousquet que je traîne depuis que j'ai revêtu l'uniforme, et un petit sac à dos pas très réglementaire. J'ai mes bouquins dedans, avec les paroles des quasi-seuls vrais amis que j'ai sur terre (ou pas, les auteurs doivent tous être morts depuis longtemps), ceux qui me serrent dans leurs bras immatériels quand je pleure et qui me giflent en m'expliquant la vie quand je déraille. Et là, je déraille, je le sens.
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    L'instant avant que le cuisinier ne débarque, je n'avais su dire mot à cette nouvelle Vice Lieutenant en voyage. Mais déjà, je commençais à cerner le type de femme qu'elle était. Elle était toujours active, toujours à bouger. Elle devait vivre à cent à l'heure, ses pensées devaient bouillir et fuser dans sa tête.
    Et puis une fois que je n'étais plus occupé à deviner comment elle pourrait être -c'est à dire quand le cuisinier mettait un peu trop longtemps- mon assurance en prit un coup. C'est vrai, je ne connaissais pas cette jeune femme et je lui proposait à manger et à boire. Elle avait plusieurs façons d’interpréter le geste …
    Soit à ses yeux j'étais le larbin désigné à son bien être, soit un petit effronté qui ne pensait qu'à pouvoir la serrer dans un coin.

    Enfin, j'imaginais beaucoup de possibilités mais mon assurance prit un autre coup quand je vis que ce fameux cuisinier ne lui apporta qu'un simple morceau pain dans lequel pendaient deux pauvres merguez. La tristesse de l'en-cas ! Alors qu'il s'approchait de nous -et certainement pas la mine réjouie, il ne souriait presque jamais- je lui fis les gros yeux, signe apparent de ma surprise dans la mauvais sens du terme. Nous recevions une Vice Lieutenant et ce dadais lui servait un sandwich à la merguez ! Je rappelle que c'est UNE, VICE, LIEUTENANT ! Autrement dit, le deuxième grade le plus élevé sur notre caravelle. Je ne dis pas que nous vivions la belle vie, avec steak de Roi des Mers tous les jours, mais pas ça à une si importante personne. Du coup, juste avant de me faire tout petit à ses côtés, je la vis lui lancer un regard noir et lui qui repartait en cuisine en maugréant et en haussant les épaules. Sombre idiot !

    Comme prévu -enfin, pas tant que ça mais j'étais sur que ce n'était pas un en-cas qui lui plairait- elle me le tendis. Je ne savais pas si c'était que ça ne lui convenait pas ou si elle n'avait pas faim, mais je me retrouvais encore plus ridicule, avec ce sandwich qui lui était destiné, entre mes mains, tout bête, figé sur place par la surprise.


    -Si ça me plaît, hein ? T'es gentil, matelot. On se tutoie, hein, j'suis pas d'humeur à te donner du « Matelot Première Classe Der Nacht ». Bon app', Alex'.



    Là encore, j'évaluais deux possibilités. Soit elle aussi était proche de ses hommes, enfin en occurrence, de ce que je lui servais d'homme ; soit elle faisait savoir qu'elle m'était supérieure. Dans tous les cas, la règle d'or du Lieutenant Coldrim était respectée : on tutoie ses hommes mais on vouvoie ses supérieurs. Mais que faire ? Eelle m'avait clairement demandé de la tutoyer … Oui, je pouvais encore paraître plus bête. Le fond n'était pas encore atteint.




    D'ailleurs, embêté, je l'étais vraiment, je ne savais plus trop quoi faire pour la satisfaire pleinement. De toute façon, elle avait l'air bien plus préoccupée par quelque chose d'autre. Sûrement son ancienne caserne. Le Lieutenant Coldrim nous en avait parlé, je connaissais le motif de son départ mais comme la demoiselle me paraissait pas sensible mais instable et comme elle était ma supérieurement théoriquement, je ne voulais p …

    -Mais ouais, ouais, c'est bien.

    Je descendais encore un échelon dans l'hésitation et la décontenance. Je ne savais comment prendre cette phrase, comment aborder cette femme pour répondre à ses besoins, et surtout, je ne savais plus quoi faire. Je ne la suivais pas, je n'étais au même rythme qu'elle. On était deux musiciens qui ne jouaient pas au même tempo donné par un même chef d'orchestre.

    Là encore, elle paraissait en plein ébullition cérébrale. Puis elle me décocha encore quelques mots.

    -Je suppose que j'suis en repos, vu que le lieutenant est pas venu me voir. Tu veux me montrer où c'est ? On verra bien si je trouve le courage d'aller m'emmerder avec mes autres sur le pont quand j'aurais posé tout ça...

    Ah ! Là ! Là, je maîtrisais !

    -Oui, bien sur, vous êtes notre invitée, vous avez le droit de faire ce que bon vous semble. Suivez moi, je vais vous montrer la chambre des vice lieutenants.



    Nous descendions donc les marches en direction de la cabine du Lieutenant, les chambres des Vices Lieutenant lui étant mitoyennes. Les matelots et les sous-lieutenant dormaient dans la cale, là où tout le reste des biens pour vivre et survivre était entreposé. Le navire était petit, la moindre place était occupée, le tout harmonieusement rangé. Nous ne dormions pas sur les caisses de provisions, en plein milieu de la fumée de la cuisine ou des odeurs des plantes médicinales du docteur. Non, tout était compartimenté.

    La vice lieutenant Porteflamme avait de énormément d'affaires sur elle. Elle s'en débarrassa sur son lit et son petit sac s'entrouvrit. Elle avait emmené avec elle des livres. Ils devaient lui tenir à cœur. Aussi, je ne me suis pas fait plus intrusif que ça. Mais apparemment, elle maniait le mousquet.



    -J'espère que ça vous plaira. Dites vous que c'est pour le temps du trajet … Vous voulez faire quelque chose en particulier ? Je peux vous laisser bouquiner sereinement ici si vous le désirez. Si vous avez besoin, n'hésitez pas à m'appeler … Je … euh … sauf si je suis en pleine manœuvre, vous vous en doutez.



    Alors je refermai la porte pour ne pas lui montrer que je me damnai. Il fallait que je lui dise que j'avais vu ses bouquins ! Parfois, je me détestais. Foutue journée ! Entre mon coup de sang à Cocoyashi, mon incapacité avec elle, je n'avais plus qu'à aller me coucher en priant que tout cela se termine. Du coup, je repartis sur le pont pour oublier tout ça avec un grand bol d'air aussi frais que iodé parce que je pouvais être appelé à n'importe quel moment pour aider les miens.
      Eh ben, nerveux le môme... je m'en fous que tu ais vu mes bouquins, tu sais ? C'est pas comme si t'étais tombé sur une collection de strings léopard avec l'insigne de la marine dessus, quoi...

      Ouais, le môme. Il fait facile dix ans de plus que moi, mais c'est toujours l'histoire des galons, ça.  Tout intimidé, tout embêté parce que j'ai du grade, un peu, et pas lui. Du grade arraché à l'effort et à la rage, 'faut bien le dire ; j'y ai jamais vraiment tenu, à grimper les échelons. Mais par contre, dès lors que je me suis engagée, j'ai été un bon élément. Turbulente, instable, avec des rapports psychologiques et des avertissements pour mauvais comportement qui débordaient de mon dossier, ça, oui. Mais chez un soldat, avoir un mental de lion, c'est plutôt une qualité qu'un défaut. Le cadre fait que ça pose une grille, que la bête peut s'exprimer sans trop trop déborder. Pour ça que j'y tiens tant, à ma place. Solution de facilité. L'armée, c'est un exutoire qui laisse peu de place à la pensée. Place que je prends quand même sur mon temps libre, parce qu'il y a des trucs que j'ai vécu et que je veux mieux comprendre. Je le sens comme ça.

      C'est tout.

      Bon, j'ai pas été très sympa, il avait l'air tout flippé. Pourtant, j'ai des défauts, c'est vrai, mais je suis pas trop du genre à gueuler sur mes subordonnés. Moche, ce mot. Sur mes hommes. Quand j'en ai.

      Parce qu'il faut pas croire... là, on me respecte, on me donne du « Vice-Lieutenant Porteflamme », on est tout honoré de mon passage à bord. Mais j'suis pas dupe, je sais ce qui m'attend au QG d'East. En fait, mon grade, il me permet de jouer les hérauts ou les porte-drapeaux dans les batailles. Je me suis moqué des première classe, en voyant Alex, mais les vice-lieutenant sont encore plus exposés qu'eux, en fait. C'est le grade où tu dois constamment montrer ce que tu vaux, où rien n'est jamais acquis. Où tu comprends qu'en rentrant dans les rangs des off' subalternes (ou des sous-off' qu'on de l'avenir, pour traduire), tu t'es foutu le doigt dans un engrenage qui va t'entraîner à en faire toujours plus pour moins de reconnaissance. C'est le grade où tout devient plus dur. Tu dois montrer l'exemple, lécher des bottes tout en restant crédible en qualité de figure d'autorité (et ça, c'est de la physique appliquée, ou de l'alchimie, au moins), être un modèle en toutes choses.

      Ce que je ne suis pas.

      Je suis arrivée jusque là parce que j'ai fait enfermer beaucoup d'hommes, et réglé pas mal de conflits par la force. Je suis pas fière de tout ce que j'ai fait au nom de la mouette. Et au fond de moi, je me souviens que les galons n'ont pas de valeur sur un cadavre. Et comme dit un de mes copains dans ses livres :

      « La Fortune n'a pas les bras longs. Elle ne s'empare de celui qui s'attache à elle. »

      Mon grade, mon mérite, c'est pas moi, même pas une partie de moi. Qu'on me les arrache des épaules et qu'on les piétine dans la merde. Tant que je reste dans la marine, dans mon cadre qui me tient droite, mon corset thérapeutique spécialement taillé pour le cœur, ça ira.
      Je respire mieux, les yeux rivés sur les lignes d'un livre qui m'a jamais trahie dans les moments de crise. J'ai balancé mes affaires sous le pieu, et... putain.

      J'ai tourné une page un peu trop vite, ça l'a décollée de la reliure.

      Pas question de laisser ça comme ça, un coup à en paumer un morceau. Et ce bouquin là, il est pas facile à trouver. J'vais pour chercher de la colle, quand le première classe Alex, il ouvre la porte que je m'attrape dans le nez. Et bam, que ça pisse le sang de bon matin, que le soldat il me tourne autour en m'agitant son mouchoir en disant qu'il était désolé, qu'il avait frappé pourtant, et que...

      -Stop, mec, tais-toi un peu pour voir... ouais, c'est bien comme ça. Ecoute, c'est pas grave, ça peut arriver à tout le monde. Tu sais où je peux chopper de la colle à pap...

      Mais non, il insiste, il veut que je passe à l'infirmerie. Bon, je vais pas non plus me plaindre, je le suis. A bord, ça a l'air de s'emmerder sec. Quand je traverse le pont, je fais un peu l'attraction l'espace de quelques secondes. Mais pas longtemps, parce que je suis loin d'être la vice lieutenante la plus connue du moment.

      -Dis, t'avais quelque chose à me dire, pour être revenu ? Que j'ai pas saigné pour rien...
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      [HRP : Dans ce passage, je fais allusion à un livre IRL que j'ai modifié pour l'incorporer IRP, je vous laisse deviner lequel, réponse en fin de passage si vous ne trouvez pas, héhé.]

      Déjà que je n'arrivais pas à la cerner et à la satisfaire, voilà que je lui éclatai le nez sur la porte de sa chambre. Dans une confusion extrême, je lui présentai mes excuses, lui tendis un mouchoir et lui proposai les premiers soins. Elle, elle me réclamait simplement de la ... colle à papier ?!

      Sa réponse inattendue et déconcertante m'embrouillait davantage, c'était pour cela qu'il mit fin à cette précipitation inutile. Pourquoi étais-je venu lui éclater le nez sur la porte ? Ah, oui !


      - Hmm, je vais jouer franc jeu avec vous, vous me paraissez sympathique, enfin, du moins, agréable, quoi qu'un peu ...  Bref ! Je connais la raison de ce pourquoi vous nous accompagnez aujourd'hui. Je ne juge pas hein, juste, j'ai trouvé ça ... Surprenant et amusant, enfin, votre réaction quoi ... Après ... Je veux dire, changer de caserne, tout cela, ça doit bien vous faire quelque chose non ? On a forcément un avis sur tout et je serai ravi de l'entendre si vous voulez bien m'en parler. En fait, ce qui m'a rapproché de vous, ce sont vos livres. Si vous les avez avec vous, c'est que vous les avez dans votre coeur, qu'ils régissent votre vie, votre pensée. J'aime beaucoup lire également, et il y a un livre en particulier qui a attiré mon attention. "Docteur Geythuet et Monsieur Cachet". Vous savez, cet homme aux deux personnalités ? Je pense sincèrement qu'au fond de chacun il y a une part d'ombre, aussi infime soit elle, qui nous ferait agir différemment. Et je pense qu'on a tous une manière différente de la percevoir. Est ce qu'il faudrait l'enfouir au plus profond de soi ? La faire ressurgir à tout va ? Tenter de vivre avec ?

      Nous étions plantés sur le pas de la porte comme deux poireaux en terre. La discussion ne pouvait pas se continuer ici.

      - Nous pourrions continuer de parler de tout cela sur le pont, non ? Accoudés face à la mer ou sur des tabourets ... Parce que là ...

      [HRP : Il s'agissait en faire de Docteur Jekyll et Mister Hyde.
      Jekyll -> J'ai kill -> J'ai tué -> Geythuet (pour le rendre plus plausible en nom de famille)
      Hyde -> Hide -> Cacher -> Cachet (pareillement)]
        Holà, holà, holà. On se calme, on respire entre ses phrases, matelot. Non ? Ah, bah non. Y'a pas à dire, comme tentative d'approche, j'ai vu mieux. Pire, aussi, quoique. Me balancer que je suis sympathique, déjà, c'est drôle. J'ai pas fait un sourire depuis que j'suis arrivée, j'ai tout juste essayé de rester polie, et j'ai une gueule de fille de mauvaise vie qu'a pas dormi. C'est pas parce que mon uniforme est bien repassé que je suis une bonne fréquentation, faut pas croire... sûr que je vais pas te bouffer non plus, mais bon, si tu veux discuter peinard en prenant ton pied à poser les yeux là où t'as envie, tu t'es gouré de personne. Quand je parle pour de vrai, c'est comme si je vomissais du sang. Je parle avec mes tripes, et j'engage ma propre vie dedans. Mais ça arrive pas souvent, voir même jamais. Non, je suis pas une bavarde ; j'ai mes moments, et je les choisis pas.

        Et puis, eh. Tu te crois proche de moi parce que tu lis des romans de docks, là ? Eh, merci, j'suis touchée quoi... putain, heureusement que c'est pas l'orgueil qui m'étouffe, parce que sinon, j'aurais joué la puriste froissée qui demande réparation. Dr machin et monsieur truc... même pas besoin d'avoir lu, 'suffit de fréquenter les comptoirs pour en savoir autant que celui qui en aurait pris la peine.

        Mais bon. Pas de quoi faire la grande dame. J'ai pas prétention à avoir fait d'études ou quoi que ce soit, et mes bouquins, à vrai dire, j'en parle pas. Pas que j'aime pas, juste que j'ai jamais trouvé personne pour en causer d'égal à égal. Pas que je me sente supérieure de quoi que ce soit non plus, juste que c'est dur de parler d'un truc qu'on ne connait pas, et que je suis pas un modèle de patience non plus. Puis j'aurais plus besoin d'un maître que d'un élève à qui expliquer que les vieux livres qu'on trouve à cinquante berrys chez tous les bouquinistes et les brocanteurs, y'a des trucs à en retirer. Même si y'en a plein qui sont chiants à lire.

        Sûr, quand tu enchaînes trois phrase d'une demie page chacune où ça parle de transcendance des idées, d'hypostases entre le monde et Dieu, de l'action de la nécessité et d'autres trucs du même tonneau, ça donne pas envie.

        Puis bon, la petite flatterie comme quoi j'avais bien fait d'envoyer l'autre refaire ses dents... j'ai gagné un admirateur à la suite d'une insubordination, c'est quand même beau. Trop pour que ce soit parfaitement honnête. J'aime pas qu'on essaye d'acheter mon estime en me léchant les bottes.

        -On félicite pas un soldat sur ses erreurs, c'est l'encourager à la médiocrité, mec.

        Je le suis quand même, en l'écoutant meubler. J'ai gardé mon bouquin en main. « De la constance du sage », qu'il s'appelle. Je sens que je vais pouvoir pratiquer. Un pressentiment.

        -Ouais, boh, ton histoire de part d'ombre, ça me parle pas des masses.

        Un peu brutal, je le sens coupé en plein élan. Mais j'suis calmée, du coup, je m'en vais lui expliquer un peu la vie.

        -Non, je crois pas qu'on cache tous en nous une volonté de détruire, de tuer, ou de faire mal. Le deuxième personnage, c'est une connerie. On est seul, en fait, matelot. Et on est absolument libres, aussi, ça c'est important. Après, si y'en a que ça amuse de penser qu'ils ont une puissance en eux qui leur dit de faire du mal, moi, je te dis que ce sont des lâches qui sont pas capables de faire face à ce qu'ils sont. Et qui préfèrent donner un petit nom à tous leurs démons plutôt que de les accepter et de chercher à les rendre meilleurs. Voilà.

        Sinon, t'as de la colle à papier quelque part ?


        Je dis ça manière de clore le débat, mais l'autre a pas l'air décidé à lâcher. Rapport au fait qu'à bord, y'a pas grand chose à faire, que le lieutenant a l'air de faire la sieste dans sa cabine, qu'il fait chaud et qu'on est pas mal à prendre l'air accoudé au bastingage. Manque une pression bien fraiche, belle invention d'un tavernier de Bliss, mais on est tous en service quand même, mine de rien. C'est la perm' avec le goût du taff.
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