Enclave.1623.
Barrel Island. North blue.
Jour 1.
Il parait que les gens de North Blue, la mer polaire, sont d'un naturel chaleureux. C'est peut-être parce qu'on s'y caille tellement que c'est la seule chose que l'on retient. Moi, le grand, le splendide, le magnifique, le fabuleux, l'incroyable Lloyd Barrel, ne suis pas d'un naturel frileux, et pourtant, je me gèle. Je lâche un souffle d'air chaud dans mes mains, en les frottant pour me réchauffer. Malgré les gants et les bottes rembourrées et mon épais manteau de fourrure, le froid semble quand même parvenir jusqu'à chaque recoin de mon corps, transissant mes os.
C'est le crépuscule depuis bientôt un bon mois, et tout le monde se prépare à accueillir la Grande Nuit, cette période de trois à cinq semaines de froid extrême et d'obscurité totale qui marque le milieu de la nuit polaire. Les villageois rentrent les dernières bûches de bois de chauffage, et les réserves sont prêtes pour permettre à tout le monde de se nourrir et de boire pour trois bonnes semaines, le temps que les premières glaces cèdent et que des bateaux spécialement équipés puissent venir ravitailler. Les coudes posés dans la neige qui recouvre le rebord de la fenêtre de ma chambre, je contemple les ultimes lueurs d'un soleil fantôme qui se fera bientôt languir. Et nous voilà partis pour ce qui me semble être comme étant une éternité nocturne, à devoir se rationner et espérer que l'hiver ne soit pas trop rude. Ce n'est pas la première Grande Nuit que moi, et encore moins mon père ou d'autres habitants de l'île endurons, et pourtant, à chaque fois qu'elle se produit, comme chaque année, je me dis que c'est la dernière que je pourrai supporter, et me demande comment je vais bien pouvoir prendre les rênes de l'entreprise familiale dans de pareilles conditions. Pourtant, c'est en ce sens que mon fabuleux avenir est tracé, à moi, le grand Lloyd Barrel. Quoique...
Je ferme la vitre et les volets, tandis que le soleil disparaît complètement à l'horizon, et attrape un chandelier allumé. Je quitte la chambre et me dirige vers le bureau de mon père. Je frappe à la porte, et après avoir reçu l'autorisation de rentrer, je l'ouvre et passe le pas. L'odeur des livres, de l'encre, du papier et des berries qui d'habitude embaumait la pièce a disparu, laissant sa place à celle presque imperceptible et sans saveur du froid. Les flammes des bougies vacillent faiblement au moment où je pénètre dans le bureau.
"Ferme la porte derrière toi, mon fils.", me demande une voix cachée dans la pénombre.
"Oui père.", réponds-je en m'exécutant. Je reprends : "Ça y est, ça a commencé... Des mois d'obscurité... Mon splendide teint de peau ne va pas apprécier ça...", lâché-je en soupirant.
"Cesse donc de faire l'imbécile, Lloyd... Ceci dit, tu arrives à point nommé. Je voulais m'entretenir avec toi."
"A quel propos ?", demandé-je.
"Cette année, je voudrais que tu m'aides à gérer le domaine pendant la Grande Nuit. En ta qualité d'héritier de la famille Barrel, tu seras forcément amené un jour à t'en occuper seul. Autant que tu voies comment ça se passe dès maintenant."
"Ah ! Pas trop tôt ! Moi, le grand et estimé Lloyd Barrel, me demandais quand vous alliez finalement comprendre que c'est tout à votre avantage que de me laisser, moi et mes incroyables compétences, vous aider ! Que voulez-vous exactement que je fasse, au juste ?"
"Il faudra que tu ailles chaque jour aux habitations pour gérer les distributions de ressources et prévenir les habitants de ne pas gaspiller leurs réserves et des les utiliser avec parcimonie. Je veux également un inventaire détaillé de ce qu'il reste à la fin de chaque "journée" dans les entrepôts. En bref, tu seras mon porte-parole parmi les villageois. Tu t'en sens capable ?", dit-il la mine grave.
"Bien sûr père. Après tout, il n'y a rien que le grand Lloyd Barrel ne puisse accomplir. C'est un honneur que de vous représenter, de représenter notre lignée auprès de nos employés."
"Je ne rigole pas Lloyd, je suis très sérieux. Il est probable que la Grande Nuit de cette année soit une des plus rudes que l'île ait jamais connu. Il y des signes avant-coureurs qui ne trompent pas."
"Je ferai ce que vous me demandez, je réussirai à coup sûr, soyez sans craintes."
"Justement...", commence t-il. Il continue froidement : "Quand tu auras connu autant d'hivers que moi, tu sauras qu'il ne faut pas les prendre à la légère. Et je ne suis pas du genre à m'inquiéter pour rien, mon fils..."
"Je le sais, père... Vous êtes vieux et moi jeune..."
"Allez, tais-toi et va dormir."
"Je n'ai pas beaucoup sommeil..."
"Va dormir. Tu auras besoin de forces, et sûrement plus tôt que tu ne le crois."
"Entendu, père... Grmbl...", grommelé-je en le saluant et en sortant de son bureau. Je retourne dans ma chambre et m'installe dans mon lit. Je m'approche des chandelles, et, réticent, je me décide à les souffler. L'obscurité totale envahit la pièce. J'aimerais me dire que demain est un autre jour. Malheureusement, pendant la Grande Nuit, ce terme n'a plus vraiment le même sens...
Dernière édition par Lloyd Barrel le Dim 8 Sep 2013 - 11:54, édité 4 fois