A tout chef d’œuvre, il faut un modèle, ou du moins à ce qu’il parait… Même si la formule est le plus souvent rabâché à tue-tête par les riches et opulentes bourgeoises du royaume à leurs hommes proprets et bien éduqués, je me dis que la maxime pourrait tout aussi bien être valable pour Luvneelprad qui, pour le coup, aurait davantage des allures de brouillon plutôt que de monstre sacré. Pourquoi il me vient une idée pareille au coin de la caboche ? Il m’est d’avis que des champs de ruines sur terrains vagues où l’assainissement est aussi rare que des hordes de pirates soiffards à Mariejoie ne sont guère comparables au luxe et à la somptuosité de la cité mère. ‘Fin bon, mon avis est loin d’être celui de l'unanimité, j’ai déjà vu des batteries de types ici bas qui vendraient père et mère pour rester dans ce taudis à ciel ouvert…allons bon, le cœur a ses raisons que la raison ignore et heureusement pour nous tous.
Me vl’a juché derrière la verrière graisseuse, presque huileuse de cette conserverie désaffecté de poissons à observer l’un des derniers vestiges de la TaraLuvneel d’il y à 9 ans : l’ancienne digue, dont les roches imperméables, extraites des carrières les plus renommées de ce vaste océan, ont été employées à son édification. Les évènements tragiques d’il y a 9 ans, le raz de marrée et l’exode qui lui a succédé, je ne vais les déplorer ni même y aller de ma larme pour les trépassés. Tout ce tintouin et la désertion de Taraluvneel a permis progressivement d’instituer ce climat scabreux et périlleux sans quoi notre petite affaire n’aurait jamais pu voir le jour. Il n’y a plus guère âme qui vive dans ce bourbier infâme, à moins que vous ne pensiez que ces idéalistes révolutionnaires, ces illuminés fiévreux, ces folles toute droites sortis de leurs cages, puissent renaître de quelque manière après leurs trépas…ouais,eux, ne manquent pas à l’appel, l’opulence de Luvneel à quelques lieues de cà ne fait que creuser le fossé de leur dépravation tout en renforçant leur détermination.
Pardon, je m’égare, j’ai omis de vous narrer la fameuse affaire dont on s’était cassé le train à élaborer dans l’ombre et surtout mon rôle dans ce business foutrement juteux. Je suis en affaire avec quelques types bien placés, de bons bourgeois de la capitale, de ceux qui sont nés sous la bonne étoile et avec la cuillère en argent au coin de la bouche, de ceux aux titres ronflants qui ne peuvent s’empêcher de se vanter à tort et à travers et qui ont besoin de ce que j’appelerais "petit personnel" pour mener à bien les basses besognes que leur condition leur interdit dorénavant de réaliser. On les dénomme tantôt majordome, tantôt maître de maison, tantôt hommes de l'ombre. Leurs patronymes n’ont que peu d’importance, seul est la bourse grasse et fournie avec lequel ils rémunèrent mes ô combien précieux services. Mon rôle consiste à servir d’intermédiaire entre ce petit personnel et ces pigeons qui sont près à débourser de petites fortunes pour conserver leur précieux anonymat, je convoie la marchandise et me fait payer à réception de celle-ci. Bien sûr, je fais dans le commerce de gros et qui dit commerce de gros dit que seules les meilleures prises seront achetées et que mathématiquement, je devrais écouler les stocks ultérieurement ou les faire disparaître comme on dit dans le jargon’. Aujourd’hui c’est mon premier soir à la manœuvre, on m’a filé quelques mecs, histoire de décharger sans embûches le vivier’ et de palier à tout risque inhérent à la précieuse cargaison.
On s’est camouflé dans les anciennes pêcheries Wilkins, une grande et vaste verrière et pour le coup, on y est tous allé d’un beau ciré jaune, presque trop propre pour qu’on ait l’air de véritables pêcheurs en bonne et due forme. Il n’est guère bon de susciter trop la curiosité des petits fouineurs et autres vermines du coin, les pêcheries offrent une bonne couverture pour faire transiter nos types. A toute médaille figure son revers, les aléas du métier font que l’on doit renifler les relents de poissons macérés et pourries depuis bien des lustres, la crasse humide et poisseuse d’une conserverie délabré sans parler de l’odeur d’Iode omniprésente dont les murs suppurent en permanence. ‘Fin bref, ca nous met dans l’eau du bain ou le pied dans l’étrier comme vous préférez. Je l’avoue, je suis jeune, un peu nerveux et assez néophyte dans le métier mais j’ai un beau profil, c’est sans doute ce pour quoi les bourges m’ont choisi, je dois faire bonne impression et faire davantage mauvais garçon plutôt que criminel chronique.
M’enfin je vous rassure, je ne suis pas un perdreau de l’année, votre serviteur s’est prit un bon nombre de gnons avant d’arriver où il en est et dieu sait qu’il a aussi à son palmarès, decroché un bon nombre de mâchoires. Au loin, j’aperçois enfin à la surface de l’eau les signaux lumineux de l’embarcation m’informant de l’arrivée imminente du convoi, objet de toute ma convoitise. Dehors, il fait nuit noire. Le ciel nuageux presque opaque cache les rayons de l’astre lunaire. Nous nous sommes enquis à accueillir promptement nos hôtes sur un ponton de fortune où l’embarcation est censée amarrer. Il est temps de se mettre à pied d’œuvre.
Dernière édition par Sharp Jones le Ven 9 Mai 2014 - 21:31, édité 1 fois