D'une pichenette négligente Red balance la fin de son cigare dans le sillage du cuirassé. Bout de braise incandescent immédiatement englouti par les remous puissant que provoque l'étrave massive du monstre et les deux énormes roues à aubes qui l'animent...
Instant nostalgie classique des vieux romans de piraterie que Red dévorait tout môme. Le héros est plongé dans l'ombre du gaillard arrière, silhouette mystérieuse, solitaire et libre, accoudé négligemment au parapet, le regard impassible perdu dans le lointain pendant qu'au loin le soleil se couche rouge vif sur une mer d'huile. Une fois de plus il a triomphé des ennemis et des pièges que le destin a placé sur sa route et on le devine plongé dans d'insondables pensées tournées vers ses camarades perdus au combat ou vers les prochains défis qui l'attendent. C'est beau comme un conte de Noël.
Fondu au noir, musique, fin de l'épisode.
Foutaises.
Dans l'ombre Red se marre en silence. La posture est bonne mais ce n'est pas sur que les derniers événements soient parés pour la prospérité. Trop d'approximation, trop de nuances de gris et de faux semblant. Dans les livres, les héros ne doutent jamais. Ils n'ont jamais besoin de faire de concessions, de glisser insensiblement de part et d'autre de la ligne imaginaire qui compose le code moral qui les régit.
Red se souvient encore d'une de ces phrases ronflante qu'il adorait étant môme, une phrase de samouraï, sa troisième passion après les révolutionnaires et les pirates. Voyons voir, le héros ne connait pas la mort, le lâche ne connait pas la vie...
Pauvres héros...
Red est incapable de se rappeler du moment ou il a cessé de vouloir devenir un héros. A l'entrainement du Cipher Pol ? Au premier homme qu'il a tué sans motifs, juste parce qu'il se trouvait la au mauvais moment au mauvais endroit ? Ou au premier qu'il a trahi et abandonné après avoir tout fait pour devenir son ami ?
Va savoir. Et puis quelle importance ? Les héros meurent toujours au bout du compte. Et s'il y a bien une chose auquel Red n'a pas l'intention de renoncer, c'est bien la vie. Pas pour l'instant en tout cas...
Un mouvement léger dans la cabine ramène Red à l'intérieur. Louve a bougé dans son sommeil.
-Rachel ?
Rien, Louve dort encore du sommeil du juste. Savourant probablement le confort d'un vrai lit après plusieurs jours à dormir en cage sur un pont. Et Red reste la à la regarder. A la regarder dormir en se demandant comment il a pu s'en passer tout ce temps. Cette histoire la pourrait se vendre, au moins dans la collection d'imprimés rose que lisait ses sœurs et dont il se moquait tout le temps. Ouais, une bonne histoire pour peu qu'on retouche un peu la gueule du jeune premier et qu'on édulcore un peu son passif...
Marrant non ? Vingt ans a se forger un personnage d'horrible agent anonyme pour finir en héros de roman à l'eau de rose. Quelle blague...
Cela dit, la chute est bien meilleure.
A condition évidement que ça dure et qu'au tome suivant l'auteur ne décide pas de jouer l’angoisse et de remettre une couche sur la séparation dramatique...
Hors de question...
Assis à coté du lit Red contemple sa main fermé qui se nimbe de noir, une pratique maintenant parfaitement routinière, et tellement efficace. Il ouvre la main observant la tache mouvante qui bouge dans sa paume et qui absorbe si bien la lumière qu'il a par instant du mal à la voir..
Ouaip, hors de question de revivre ces derniers jours, à tourner en rond comme un damné, impuissant, a se demander si Louve est en vie quelque part ou déjà morte.
Effleurant le visage de Rachel Red va poser la main sur son épaule. L'y maintenant pressé jusqu’à ce que la Marque Noire se glisse insensiblement d'un corps à l'autre.
Dernière édition par Red le Dim 27 Oct 2013, 11:32, édité 1 fois