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De sombres pensées


Journal d'Edward Rackham a écrit:Saint Uréa
1625, date du décès de James Rackham.


Voici dix ans que Papa est mort, dix ans que Maman est morte, dix ans que je vis au jour le jour, dix ans que je survis sur cette île qui ne veut pas de moi et des gens de mon espèce. Dix ans durant lesquelles je me suis endurci, durant lesquelles j'ai rencontré des crapules et des bons samaritains. Je ne regrette ni mes choix, ni mes actes, ni leurs conséquences. Je ne sais d'ailleurs pas pourquoi j'écris ces lignes, je pensais certainement que cela allait m'aider à me sentir mieux, car la réalité est dure. Mes parents me manquent affreusement, horriblement. Dieu m'a volé mon cœur et l'a jeté à la mer. Il a vogué, vogué et je suis à présent à sa recherche. Je veux écumer les mers pour le retrouver, non pas comme un simple pêcheur comme l'était Papa, mais comme un véritable pirate. Je me contrefous des gens et j'emmerde le monde. Ils connaîtront tous mon nom d'ici peu, je serai le plus célèbre forban des mers, le Grand et Terrifiant Edward Rackham. Je posséderai tellement d'or que je devrai faire construire des bateaux afin de le transporter. Je naviguerai sur toutes les mers de ce monde et saurai tout d'elles. J'y arriverai, je n'ai pas le choix. Il est impossible que je meure comme toi James Rackham, d'une crise cardiaque, à cause de mon travail, pour ramener deux quignons de pain aux personnes que tu aimes.

Pourquoi est-ce que je me confie ainsi ? Je ne sais toujours pas. Cela ne m'a pas soulagé, au contraire, j'ai l'impression d'être davantage en colère. En colère contre vous mes parents, contre mon île et ses dirigeants, contre les habitants de celle-ci, contre le Gouvernement Mondial, contre le monde entier, contre Dieu. Contre moi. Si j'avais été plus fort, j'aurai pu ramener de l'argent étant plus jeune et ainsi aider mon père et le soulager de ses fardeaux.

Maman, tu me manques. Je pense encore à toi malgré les années qui se sont écoulées à une vitesse folle, tels les grains d'un sablier. Si tu me voyais aujourd'hui, alcoolique, tatoué, provoquant et vivant dans la débauche, tu aurais honte. J'ai moi-même honte de ce que je suis devenu, mais je me rappelle ce que tu me disais : "Vis tes rêves à fond mon fils, la Vie est trop courte pour ne pas profiter d'elle". Tu avais raison et je ne ferais pas la même erreur que Toi et Papa, je le jure. Je deviendrais un grand pirate et voguerais où bon me semble, raflant tous les trésors de ce piètre monde, je le jure. C'est mon rêve. Lorsque vous êtes morts, j'ai rencontré ce pirate, Henry qu'il s'appelait. Il avait réussi a pousser son rafiot jusqu'à l'océan de tous les périples, Grand Line, avec son équipage avant de le dissoudre. Un grand capitaine. Sacré Henry. Il m'a appris tout ce que je sais aujourd'hui. Il a terminé mon éducation dans des tavernes miteuses avec des prostituées comme maîtresses, dans des ruelles sombres où des petites frappes voulaient ma peau pour quelques pièces d'or. Il m'a appris à vivre pleinement. J'ai même cru que Dieu me l'avait envoyé pour te remplacer quand il m'a un jour ordonné de croquer la vie à pleine dent jusqu'à mon dernier souffle. Mais il est parti lui aussi, comme tous ceux à qui je me suis attaché. Quelle ironie. Je dois réellement être la marionnette préférée du Seigneur pour qu'il se joue autant de moi.

Qu'est-ce que je suis en train de foutre ? Quelle connerie ce pseudo journal intime. Allez tous chier bande de co...

Edward écrasa le stylo qu'il tenait dans sa main droite de toutes ses forces avant de le balancer à la mer, suivi du cahier tout juste acheté et dont toutes les pages étaient vierges sauf celles qui avaient reçu les pensées de notre bandit. Le livre neuf atterri sur l'eau est flottait à présent en direction du large tandis que le stylo avait d'hors et déjà été englouti par la masse bleue et emporté dans les tréfonds marins. Une petite goutte chuta et alla rejoindre ses consœurs dans la mer suivies par plusieurs autres. Lorsqu'elles frappèrent la surface, de fines ondes s'éloignaient du point d'impact ce qui fit virevolter le reflet du ciel immaculé.

Ned passa rapidement ses larges poings sur ses pommettes avant de frapper de toute sa force la pierre, travaillée afin de devenir un banc, sur laquelle il était assis. Une légère grimace de douleur traversa son visage où deux rivières avaient sillées de larges tranchées partant de ses yeux jusqu'à son menton. Il se releva rapidement et observait désormais le réceptacle de ses souffrances au loin, naviguant avec grâce. Le jeune protagoniste baissa honteusement la tête et tourna les talons. Il se trouvait au bord d'une falaise, pas très haute, qui permettait d'avoir une vue avantageuse sur l'horizon. L'herbe était verte, les oiseaux chantaient, l'environnement était parfait. Cette reproduction du jardin d'Eden comportait comme l'original un arbre centenaire. Néanmoins celui-là n'avait que des feuilles et aucuns fruits. Tout prêt, deux plaques en marbre étaient plantées, comme rejetées par la Terre. De petites et fines inscriptions décoraient ces objets contre-natures. Sur la première était écrit le nom "James Rackham" et sur la seconde "Sophie Rackham". Les deux tombes comportaient néanmoins une inscription identique en dessous de leurs noms : "Aimés et chéries jusqu'à leurs derniers souffles". Edward avait du se battre corps-et-âme pour amener les dépouilles de ses parents à cet endroit privilégié et magique. Ils méritaient un tel dévouement, eux qui avait passé leurs vies à élever leur fils au point d'en oublier leurs propres rêves. Qu'ils reposent à présent en paix. Ned fixa alternativement chacune des deux stèles alors qu'un objet solide et inconnu semblait bloquer la salive dans sa gorge. Il était temps de passer à autre chose et d'avancer pour de bon. Jusqu'à ce jour, il était toujours resté sur Saint-Uréa - certainement par peur - alors que son ambition lui dictait de prendre le large. Ce temps était désormais révolu. Une énième vision des tombes de ses parents lui avait réellement fait prendre conscience qu'il n'était pas éternel (peut-être le serait-il un jour ?), qu'il devait vivre la vie qu'il aimait et aimer la vie qu'il vivait.

Le jeune forban lança un dernier regard à ses parents enfouis sous six pieds de terre et de poussière puis vers l'horizon bleue, sans fin. Il tourna enfin le dos à l'endroit idyllique et se dirigea vers une route pavée qui permettait de rejoindre par la suite les bas-fonds de la vieille et miteuse Uréa. Il savait déjà ce qu'il allait faire : trouver une taverne et se bourrer la gueule. Edward avait besoin d'oublier et l'alcool était la meilleure des solutions.