Le soir se couche. Sur nulle part. Au milieu de Grand Line, ce navire continue de voguer. Avec le but, mais sans le chemin. Pourtant, il paraît que ce qui importe, c’est le chemin. Non ?
Le vent souffle fort, ce jour-là. Et il fait lourd. Petit-à-petit, tout le monde sent venir l’orage. Cette nuit, ceux qui dormiront ne dormiront pas. Ceux qui veilleront ne dormiront pas. Et dans les sifflements de l’air, le capitaine crie déjà ses ordres, en prévision. Il panique. Yukikurai aussi, panique un peu. Mais il est le chef, alors il fait ce qu’il peut pour aider le capitaine du navire. Il va et vient, courant, tel un esprit du vent chevauchant sa monture incorporelle. Un exemple d’abnégation pour tous les jeunes qui ne sont pas là pour le voir s’affairer. Mais lui…
Lui n’est que l’ombre de lui-même. Les mandales de Mina n’y font rien. La présence des gens qui lui tiennent compagnie, inquiets, n’a pas le moindre effet sur lui. Alors quand vient la rotation des quarts, il lâche le cordage qu’il tenait, simplement. Le début de nœud qu’il s’apprêtait à réaliser se défait en retombant sur le pont. Et derrière, il entend l’un de ses compagnons bougonner. Bougonner contre l’inutilité de certains. Puis s’excuser. Kyoshi n’a pas entendu les excuses. Il est déjà trop loin dans la tempête. Mais est-ce bien grave ? La critique coule sur lui plus vite que le vent…
Dernière édition par Kyoshi Okabe le Mar 3 Sep 2013 - 10:00, édité 3 fois
Posté Sam 24 Aoû 2013 - 13:54 par Kyoshi Okabe
Il rentre dans sa cabine. Et sur son lit, il se met à penser. Penser. Ce qu’il fait de mieux, depuis toujours. Alors ça l’aidera à s’exorciser de ses démons. Peut-être. Il n’est pas sûr de le vouloir. Retoucher l’espoir a quelque chose d’effrayant. Quelque chose qui est terriblement insupportable. C’est le désespoir qui y est intrinsèquement lié. À chaque fois qu’il essaya, les derniers mois, il se retrouva plus triste à l’idée que tout soit finalement vain. Alors ne vaut-il mieux pas rester fataliste ? Ne vaut-il mieux pas se dire que, de toute manière, jamais il ne la reverra. Que la lutte ne mènera à rien. Que ceux qui sont morts sont morts pour rien. Et que c’est comme ça.
Le fatalisme. Cette variante du déterminisme. Ce qui devra se passer se passera, et d’ici là, il ne se sent pas la force de lutter. S’il y a un dieu, quelque part, il doit bien s’amuser à écrire cette histoire, figée pour les intervenants, dans leur cadre de dimension inférieure, où tout ne leur est pas accessible, où ils ne sont que des marionnettes. Les choix ne sont que leurres. Les décisions que le résultat d’une réaction chimique de trop entre deux composés au sein du cerveau. Les réactions de trop, simplement des réactions provoquées par une réaction de trop passée. Et tout s’enchaîne. Toutes les pensées, tous les choix, toutes les actions.
Des marionnettes au bout des doigts de ce dieu que l’homme a appelé la nature.
Et la nature est immuable. Et elle ne choisit pas son essence.
Alors est-ce bien nécessaire de se tourmenter ? Est-ce bien nécessaire de réfléchir à ce futur qui se ferme sur nous ?
Penser, c’est ce qu’il fait de mieux. Penser au passé.
Dernière édition par Kyoshi Okabe le Sam 24 Aoû 2013 - 13:58, édité 1 fois
Posté Sam 24 Aoû 2013 - 13:55 par Kyoshi Okabe
À ce passé qui l’a forgé. Au fil des réactions de trop, des interactions, des événements. À cette enfance, loin de tout, loin des autres enfants de son âge. Loin des autres. Comme Étranger sur une plage sous une cohorte d’étrangetés. Ce monde empli d’autant d’étrangetés qu’il y avait de choses à observer. C’était bon de pouvoir se laisser aller à l’observation et au dessin. Un plaisir enfantin qui devait mener à d’autres plus tard. Toujours en marge. À observer, lire, écrire, relater. En marge parmi les marginaux. À son aise nulle part longtemps, il se rappelle comme les amis qu’il avait cru trouver s’étaient finalement toujours éloignés.
Comme avec Will Hidixon. Son pote d’adolescence. Celui qui avait fait sa crise, contrairement au physicien. Celui qui avait passé les étapes normalement, qui avait fait des conneries. Celui qui avait eu des conquêtes amoureuses, qui avait parfois doublé aussi. Celui qui avait malgré tout l’envie de mener ses proches à être bien. Sincèrement. Et dire qu’il était si loin d’y arriver. Et qu’il n’y pouvait rien. Il l’avait perdu, retrouvé, puis perdu à nouveau. Et maintenant, il ne pouvait plus rien faire pour lui.
Comme avec ce maître qui avait pu être un ami. Mais un homme qui avait un goût pour le risque qui s’était éloigné et qui avait finalement péri. Impuissant. C’est ce que Kyoshi avait été. Impuissant à le raisonner.
Comme avec cette demoiselle rencontrée autour d’un thé. Cette jolie rousse, trop jeune pour lui, ailleurs, d’un autre monde. Ils auraient pu être proches, ils auraient pu devenir de bons amis, discuter de choses intéressantes, de choses moins intéressantes. Mais non. Ils auraient pu partager des connaissances. Mais non. Il s’est avéré impossible de ne pas la regarder s’éloigner.
Et maintenant, quand ces amis sont dans le besoin, dans le besoin de se retrouver, simplement, dans le besoin de vivre… Il est encore impuissant. Il n’a rien contre. Mais il n’en a pas la force, le pouvoir. Il n’est même pas bien sûr de vouloir. Alors il ne le fait pas. Il reste là, à les observer faire leur vie, extérieur à tout. Étranger.
Observer, impassible… Finalement, c’est peut–être ça qu’il fait le mieux.
Dernière édition par Kyoshi Okabe le Sam 24 Aoû 2013 - 13:58, édité 1 fois
Posté Sam 24 Aoû 2013 - 13:56 par Kyoshi Okabe
Alors il se relève de son lit, avec une nausée qui ne lui est pas étrangère. La tempête qui fait rage dehors n’y est pour rien. La dernière nuit, par contre… Il passe une main dans une déchirure de son matelas, et en sort une bouteille. C’est l’une des dernières qu’il a pu cacher. Qu’est-ce donc ? Il n’en a pas la moindre idée. C’est fort. C’est bon pour ce qu’il a. On parle d’alcoolisme lorsque la boisson vous fait perdre la vie sociale, mais est-ce qu’être poussé vers l’alcool à cause de la perte de sa vie sociale porte le même nom ? La question est fugitive.
Il est déjà dehors.
Là où les éléments se déchainent. Mais il aime les sentir. Se sentir immuable et imperturbable face à ces éléments. Se sentir faible et sentir qu’ils peuvent à tout moment s’emparer de lui. Il passe discrètement sur l’arrière du pont. Un coin où les hommes ne passent pas. Leurs cris semblent tellement lointains sous le tintamarre de la pluie, dissipés par le vent.
Et il s’assied, et observe. L’horizon se perd complètement. Est-il ici ? Ou là ? Y a-t-il un horizon ? Son veston, son chapeau, son pantalon sont déjà trempés. Et il sent le froid engourdir ses muscles progressivement. Adossé à une caisse, il observe le premier éclair déchirer le ciel. Où est-il tombé ? Pas la moindre idée. Le temps semble une notion bien vague et l’arrivée du tonnerre ne l’aide pas. Il ne cherche de toute manière pas à savoir. Il continue d’observer la foudre traverser le ciel dans des trajectoires complexes et multiples. Et à chaque fois, il est ébloui. Cette sensation est tellement douce. Un peu effrayante au début. Mais les choses se passent, et il n’y peut rien, alors autant ressentir la chaleur relative de cet environnement lorsqu’il s’illumine de toutes parts.
Il reprend une goulée.
Et observe la pluie tomber, inarrêtable, sublimée, magnifiée par les éclats de lumières. Toutes ces gouttes qui à aucun moment ne craignent de retourner dans les limbes où elles sont nées. Balayées par le vent, elles continuent de filer, d’aller de l’avant, sans la moindre hésitation. Ces gouttes qui pourraient coalescer, se rassembler, devenir plus importantes, mais qui n’en font rien. Elles se repoussent. Se repoussent jusqu’à finalement rapetisser et s’évanouir en en créant mille autres au contact d’une vague qui passe sur leur chemin. Quelques gouttes dont la vie ne sera que plus brève encore.
Et enfin il observe les ténèbres. Les coins du ciel et de la mer que même la foudre ne parvient pas à illuminer. Les coins sur lesquels se détachent les silhouettes de toutes ces gouttes. Ces ténèbres immuables qui ne changent pas, qui ne décident même pas de leur essence. Aucun choix. Aucun changement. La nature elle-même, dans toute sa splendeur et toute sa décadence.
Quel diable se cache au fond de cette obscurité sans fond, pleurant toutes les larmes de son corps, incapable de retrouver la lumière, terré dans sa fange. Seul.
Dernière édition par Kyoshi Okabe le Sam 24 Aoû 2013 - 13:58, édité 1 fois
Posté Sam 24 Aoû 2013 - 13:56 par Kyoshi Okabe
Un éclair frappe encore. Plus fort que les autres. Plus proche. Alors il sort de sa rêverie, l’espace d’un instant, et termine la bouteille qui part rouler sur le plancher. Il la fixe lorsqu’elle cogne contre la rambarde, qu’elle pivote, et qu’elle tombe à la mer. Une bouteille à la mer, sans message, sans but, vouée à couler sans avoir rempli aucun office.
Que penserait Hiroko de tout cela ? Il n’en sait rien. Ou plutôt, il sait, mais ne veut pas se le représenter. Il chasse l’image d’Hiroko de sa tête. Elle revient. Il la rechasse. Mais encore une fois, il est impuissant. Peu à peu, elle s’impose. Elle a toujours eu le caractère pour s’imposer. Et alors il ressasse encore les événements passé. Il repense à son inutilité lorsqu’il aurait dû être là. De l’aide aurait-elle suffit à éviter la situation actuelle ? Peut-être pas. Et puis, c’est tellement plus facile d’être lâche. Quand on ne compte pas pour les gens, qu’ils ne comptent pas pour vous… Qu’eux sont voués à s’éloigner et vous à couler… C’est tellement plus facile d’être lâche. Une statue. Un élément du décor, balloté parmi tous les disciples de la nature, soumis à ces réactions de trop, emporté par de petites interactions.
Au fond, il l’a toujours su. Il a toujours su qu’il était inutile. Aussi utile aux autres qu’il n’est utile de lutter. Fut un temps où il luttait, et rien ne changeait. À l’apogée de ce temps, il était au plus mal, souffrant et ressentant la solitude à chaque instant, comme ce diable aux fonds de son obscurité, privé par la nature de toute lumière, criant sa douleur à ce monde sourd. Il vit qu’autour de lui, des gens s’élevaient, d’autres étaient encore plus pitoyables. Il voulut aider les pitoyables, refusa de voir les mains tendues de ceux qui s’élevaient. Mais certains diables sont voués à rester dans les abymes, alors il se recroquevilla sur lui-même, abandonnant le combat, refusant l’aide. Refusant le combat.
Et il observe le monde depuis son antre.
Finalement, c’était peut-être ça la solution. Penser, il savait le faire, oui. Mais bien penser ? Alors autant ne pas penser. Autant s’oublier. Et ainsi, les éléments pourraient se déchaîner, encore et encore, le temps pourrait passer, et il pourrait rester là, immuable, comme les ténèbres, comme la nature. Observer. Régresser et observer.