Inu Town, 1620...
L’été, il ne devrait pas y avoir de pluie ! Sinon, on pouvait tout aussi bien rester au printemps. Et pourtant, depuis deux semaines, il pleuvait des cordes !
Bien sûr, dans ces cas-là, on pense d’abord aux pauvres vacanciers, comme le malheureux Mr. Takashi qui se retrouve condamné à jouer à la belote dans le bungalow qu’il a loué plutôt que d’aller se faire carboniser au soleil. On plaint aussi, plus par principe, les pauvres cultivateurs qui vont perdre une partie de leur labeur de toute une année. Enfin de toute façon, on les aurait aussi plaints s’il y avait eu trop de soleil.
En revanche, on oublie souvent les clochards. Parce que même en été, un sans-abri est content d’avoir quelque chose à se mettre au dessus de la tête, et la misère est nettement plus supportable lorsqu’elle n’est pas trempée ! Alors si on ne peut même plus compter sur l’été pour rester au sec… mais où va le monde ?!
C’était dur pour lui, mais Ange faisait partie de ces vagabonds. Il avait beau se prétendre "cambrioleur itinérant", un gars qui erre d’une île à une autre sans domicile fixe, qui dort ou il peut, mange ce qu’il peut, et qui porte la même veste usée depuis plusieurs années, c’est un vagabond. Ce qui aurait pu le sauver –au moins provisoirement- de son état, ça aurait été un bon gros cambriolage, dans une belle grosse baraque pleine de bons gros objets bien chers ! Hélas, ses deux dernières tentatives dans des maisons du coin s’étaient soldées par un échec cuisant, la faute au chien de garde pour la première, et à sa maladresse qui lui avait fait renverser une série de vases précieux dans la seconde.
Alors qu’il errait dans les rues en longeant les maisons pour recevoir un peu moins d’eau sur le crâne, tout en ruminant ses pensées et en méditant ses échecs, un homme l’interpella d’une voix râpeuse:
- Holà, mon frère, tu cherches un abri ?
Bien sûr, ce n’est jamais un homme de bonne situation qui va vous appeler "mon frère". Et celui qui venait de parler appartenait plus à la catégorie "vieille loque qui à passé sa vie à clocharder à côté d’une bouteille d’alcool, et qui compte passer l’autre moitié de cette façon". Mais d’un autre côté, il avait un air sympathique, il souriait à pleines dents, et il était effectivement au sec, à l’abri sous un petit porche. Et il avait une bouteille !
Êêrk, ce type est encore plus sale que moi !
Au point ou tu en es,… tu devrais voir ce qu’il veut.
Mais… ce n’est pas mon frère ! J’en suis sûr ! Il n’a pas la peau blanche, et ses cheveux ne ressemblent pas du tout aux miens ! D’ailleurs, je n’ai même pas de frère !
Eh bien s’il est prêt à partager de la nourriture avec toi, appelles-le frère, cousin, maître, roi, ce que tu veux ! Mais tu ne peux plus rester le ventre vide !
Euh… c’est vrai.
Ange fit un sourire aimable au vieil homme (enfin il avait l’air vieux, mais il était peut-être juste très sale). Cependant, en voyant la réaction de l’autre, il préféra arrêter de découvrir ses crocs et s’approcha simplement.
- Euh… mh’soir, mon, hum… frère.
- Gyahaha, installe-toi ! On est au sec ici !
- Super !
Arrêtes de sourire ! Il va finir par s’enfuir !
Bon, bon…
Alors maintenant, pense à la nourriture : c’est important.
Je ne risque pas d’oublier. S’il n’était pas aussi sale, je serai prêt à le manger, lui !
- Ahem… mon frère, tu n’aurais pas à manger, par hasard ?
Et ailleurs qu’en toi.
- Gyahaha, désolé p’tit gars ! C’est la dèche pour le moment. Par contre, j’ai de la gnole à volonté pour passer la nuit !
Je préférais "mon frère" à "p’tit gars".
Tu n’as qu’à essayer de l’appeler grand gars, ou gros gars, pour voir s’il change.
Bon, et… je vais devoir le manger, s’il n’a rien à me donner ? Je ne sais pas si j’ai envie…
Non. En plus il à l’air très poilu, et ça risquerait d’être super long de le dépecer. Et puis tu n’es pas un cannibale.
Un canni quoi ?
Oublies, c’est trop compliqué. Enfin tu ne vas pas le manger.
Tant mieux ! Alors, je fais quoi ?
Accepte l’alcool, ça sera déjà ça de pris. Et essaie de glaner quelques infos.
Boire à la bouteille de Ricky le clochard, c’était l’assurance d’avaler par la même occasion des millions de bactéries porteuses de maladies en tout genres restées sur le goulot (oui, il s’appelle Ricky. ‘Fin si ça ne plait à personne, on peut l’appeler autrement. Lui il s’en fiche). Sauf qu’en réalité, la boisson du clochard était tellement concentrée qu’ils mourraient probablement tous au passage de l’alcool !
Après une lampée qui lui décapa intégralement les intestins, le sauvage revint à la charge :
- Dis, grand g… euh… -hm- dis, tu ne saurais pas ou je peux trouver à manger ? Parce que l’alcool c’est bien, mais je vais mourir de faim moi !
Ricky se gratta la tête en se raclant la gorge. Visiblement, il était satisfait de la situation : l’homme aux dents pointues s’en remettait totalement à lui. Il se sentait important, et il aimait ça ! Il continua à remuer ses poux un moment avec un demi sourire, puis ce décida.
- Huuuum… il y aurait bieeeen…
A la lueur dans ses yeux, on pouvait deviner que voir le regard du sauvage scotché sur ses lèves tandis qu’il prenait son temps lui faisait ressentir une grande satisfaction.
- J’crois bien que ce soir, y’a une grande réception, organisée par un gros richard du coin pour d’autres gros richous, dans… dans cet espèce de grand trucmachin, là… le restaurant. Ça s’appelle le… le… "Majestueux – Restaurant étoile étoile étoile étoile étoile", où un nom de snobinar dans de goût-là. ‘Va y avoir tout le gratin du coin, avec des artistes célèbres qui vont se faire mousser tout en buvant et en mangeant.
- Et, laisse moi deviner… fit Ange, dubitatif … tu as un carton d’invitation que tu gardes caché dans ta poche ?
- Gyahaha ! Non, pas du tout ! Par contre, d’ici quelques heures, les poubelles derrière le resto’ seront pleines de restes. Et alors, j’te dis pas, mon pote : ce sera un festin !
Hm, ça me tente bien, moi.
Réfléchis mieux que ça, crétin !
Bah… c’est bon, j’ai presque trouvé à manger, non ?
Le clochard t’as dit que tous les riches du coin seraient au restaurant. Ça veut dire qu’ils ne seront pas chez eux !
Et… alors ?
Tu es vraiment bête ! Ça veut dire que tu pourrais, par exemple, rentrer chez eux en tout impunité.
Oh ! Mais c’est bien ça !
- Dis-moi, Roucou,…
- C’est Ricky, p’tit gars ! Ricky.
- D’accord. Alors Roucky, dis moi… quelle est la maison la plus riche, dans le coin ?
Un peu surpris par la question, le clochard oublia de prendre son temps pour répondre :
- Bah… ça doit être la maison des Grissac, un peu plus loin en bordure de la ville. Une grosse baraque, tu n’peux pas la louper. Mais… tu ne vas pas aux poubelles finalement, mon gars ?
Ange ne l’écoutait déjà plus. Les Grissac auraient une drôle de surprise en rentrant de la réception, cette nuit ! Et Ricky en aurait une aussi quand il se rendrait compte que le sauvage lui avait volé sa bouteille !
L’été, il ne devrait pas y avoir de pluie ! Sinon, on pouvait tout aussi bien rester au printemps. Et pourtant, depuis deux semaines, il pleuvait des cordes !
Bien sûr, dans ces cas-là, on pense d’abord aux pauvres vacanciers, comme le malheureux Mr. Takashi qui se retrouve condamné à jouer à la belote dans le bungalow qu’il a loué plutôt que d’aller se faire carboniser au soleil. On plaint aussi, plus par principe, les pauvres cultivateurs qui vont perdre une partie de leur labeur de toute une année. Enfin de toute façon, on les aurait aussi plaints s’il y avait eu trop de soleil.
En revanche, on oublie souvent les clochards. Parce que même en été, un sans-abri est content d’avoir quelque chose à se mettre au dessus de la tête, et la misère est nettement plus supportable lorsqu’elle n’est pas trempée ! Alors si on ne peut même plus compter sur l’été pour rester au sec… mais où va le monde ?!
C’était dur pour lui, mais Ange faisait partie de ces vagabonds. Il avait beau se prétendre "cambrioleur itinérant", un gars qui erre d’une île à une autre sans domicile fixe, qui dort ou il peut, mange ce qu’il peut, et qui porte la même veste usée depuis plusieurs années, c’est un vagabond. Ce qui aurait pu le sauver –au moins provisoirement- de son état, ça aurait été un bon gros cambriolage, dans une belle grosse baraque pleine de bons gros objets bien chers ! Hélas, ses deux dernières tentatives dans des maisons du coin s’étaient soldées par un échec cuisant, la faute au chien de garde pour la première, et à sa maladresse qui lui avait fait renverser une série de vases précieux dans la seconde.
Alors qu’il errait dans les rues en longeant les maisons pour recevoir un peu moins d’eau sur le crâne, tout en ruminant ses pensées et en méditant ses échecs, un homme l’interpella d’une voix râpeuse:
- Holà, mon frère, tu cherches un abri ?
Bien sûr, ce n’est jamais un homme de bonne situation qui va vous appeler "mon frère". Et celui qui venait de parler appartenait plus à la catégorie "vieille loque qui à passé sa vie à clocharder à côté d’une bouteille d’alcool, et qui compte passer l’autre moitié de cette façon". Mais d’un autre côté, il avait un air sympathique, il souriait à pleines dents, et il était effectivement au sec, à l’abri sous un petit porche. Et il avait une bouteille !
Êêrk, ce type est encore plus sale que moi !
Au point ou tu en es,… tu devrais voir ce qu’il veut.
Mais… ce n’est pas mon frère ! J’en suis sûr ! Il n’a pas la peau blanche, et ses cheveux ne ressemblent pas du tout aux miens ! D’ailleurs, je n’ai même pas de frère !
Eh bien s’il est prêt à partager de la nourriture avec toi, appelles-le frère, cousin, maître, roi, ce que tu veux ! Mais tu ne peux plus rester le ventre vide !
Euh… c’est vrai.
Ange fit un sourire aimable au vieil homme (enfin il avait l’air vieux, mais il était peut-être juste très sale). Cependant, en voyant la réaction de l’autre, il préféra arrêter de découvrir ses crocs et s’approcha simplement.
- Euh… mh’soir, mon, hum… frère.
- Gyahaha, installe-toi ! On est au sec ici !
- Super !
Arrêtes de sourire ! Il va finir par s’enfuir !
Bon, bon…
Alors maintenant, pense à la nourriture : c’est important.
Je ne risque pas d’oublier. S’il n’était pas aussi sale, je serai prêt à le manger, lui !
- Ahem… mon frère, tu n’aurais pas à manger, par hasard ?
Et ailleurs qu’en toi.
- Gyahaha, désolé p’tit gars ! C’est la dèche pour le moment. Par contre, j’ai de la gnole à volonté pour passer la nuit !
Je préférais "mon frère" à "p’tit gars".
Tu n’as qu’à essayer de l’appeler grand gars, ou gros gars, pour voir s’il change.
Bon, et… je vais devoir le manger, s’il n’a rien à me donner ? Je ne sais pas si j’ai envie…
Non. En plus il à l’air très poilu, et ça risquerait d’être super long de le dépecer. Et puis tu n’es pas un cannibale.
Un canni quoi ?
Oublies, c’est trop compliqué. Enfin tu ne vas pas le manger.
Tant mieux ! Alors, je fais quoi ?
Accepte l’alcool, ça sera déjà ça de pris. Et essaie de glaner quelques infos.
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Boire à la bouteille de Ricky le clochard, c’était l’assurance d’avaler par la même occasion des millions de bactéries porteuses de maladies en tout genres restées sur le goulot (oui, il s’appelle Ricky. ‘Fin si ça ne plait à personne, on peut l’appeler autrement. Lui il s’en fiche). Sauf qu’en réalité, la boisson du clochard était tellement concentrée qu’ils mourraient probablement tous au passage de l’alcool !
Après une lampée qui lui décapa intégralement les intestins, le sauvage revint à la charge :
- Dis, grand g… euh… -hm- dis, tu ne saurais pas ou je peux trouver à manger ? Parce que l’alcool c’est bien, mais je vais mourir de faim moi !
Ricky se gratta la tête en se raclant la gorge. Visiblement, il était satisfait de la situation : l’homme aux dents pointues s’en remettait totalement à lui. Il se sentait important, et il aimait ça ! Il continua à remuer ses poux un moment avec un demi sourire, puis ce décida.
- Huuuum… il y aurait bieeeen…
A la lueur dans ses yeux, on pouvait deviner que voir le regard du sauvage scotché sur ses lèves tandis qu’il prenait son temps lui faisait ressentir une grande satisfaction.
- J’crois bien que ce soir, y’a une grande réception, organisée par un gros richard du coin pour d’autres gros richous, dans… dans cet espèce de grand trucmachin, là… le restaurant. Ça s’appelle le… le… "Majestueux – Restaurant étoile étoile étoile étoile étoile", où un nom de snobinar dans de goût-là. ‘Va y avoir tout le gratin du coin, avec des artistes célèbres qui vont se faire mousser tout en buvant et en mangeant.
- Et, laisse moi deviner… fit Ange, dubitatif … tu as un carton d’invitation que tu gardes caché dans ta poche ?
- Gyahaha ! Non, pas du tout ! Par contre, d’ici quelques heures, les poubelles derrière le resto’ seront pleines de restes. Et alors, j’te dis pas, mon pote : ce sera un festin !
Hm, ça me tente bien, moi.
Réfléchis mieux que ça, crétin !
Bah… c’est bon, j’ai presque trouvé à manger, non ?
Le clochard t’as dit que tous les riches du coin seraient au restaurant. Ça veut dire qu’ils ne seront pas chez eux !
Et… alors ?
Tu es vraiment bête ! Ça veut dire que tu pourrais, par exemple, rentrer chez eux en tout impunité.
Oh ! Mais c’est bien ça !
- Dis-moi, Roucou,…
- C’est Ricky, p’tit gars ! Ricky.
- D’accord. Alors Roucky, dis moi… quelle est la maison la plus riche, dans le coin ?
Un peu surpris par la question, le clochard oublia de prendre son temps pour répondre :
- Bah… ça doit être la maison des Grissac, un peu plus loin en bordure de la ville. Une grosse baraque, tu n’peux pas la louper. Mais… tu ne vas pas aux poubelles finalement, mon gars ?
Ange ne l’écoutait déjà plus. Les Grissac auraient une drôle de surprise en rentrant de la réception, cette nuit ! Et Ricky en aurait une aussi quand il se rendrait compte que le sauvage lui avait volé sa bouteille !