- Hinu Town, il y a un an de cela...
Et il y a toutes ces couleurs. Et il y a tout ce bruit. Des visages passent au-dessus de toi. Et tu ne vois que ce qu'il y a au-dessus de toi. On traverse la rue, on traverse une cour. Et on arrive dans un bâtiment aux murs blancs. La lumière devient jaune pour toi. Les sons t'arrivent déformés. Et toi, tu ne peux plus bouger. Tu attendsla mort. Ta libération. L'odeur de désinfectant te prend à la gorge et tu te cabres sur le brancard. C'est insoutenable. Tes sens sont troublés, tu vois mal, tu entends mal et tu respires mal. Que c'est beau de mourir en de pareilles circonstances. Alors que tu suffoques, que tu cherches à demander de l'aide, une larme coule doucement sur ta joue. Tu ne sais pas toi-même pourquoi tu pleures. Peut-être parce que tu regrettes certains de tes actes, certains passages de ta vie. Un quart de siècle presque, ce n'est pas énorme !
Et tu repenses à la dernière personne que tu as croisée sur cette terre. Un ange. Peut-être fallait-il prendre ce prémice au sérieux. L'angoisse te noue la gorge. Cette même et terrible peur qui t'a enveloppée, onze ans de cela. Peur de mourir. Tu sens ce froid, cette encre noire, qui parcoure ton corps tout entier. Tu ne sens plus rien et tu ne peux que prier le bon Dieu pour qu'il te laisse la vie sauve.
Tu rassembles alors tes souvenirs et tu vois l'image de James, un sourire débile sur les lèvres, qui sautille, voltige et frappe ces monstres. Foutus scorpions. Il avait fallu que le venin soit encore plus terrible encore que ce que tu pensais. Maintenant, tu étais à l'hôpital d'un petit village côtier. Et tu ne savais pas si demain, tes yeux s'ouvriront pour voir ce grand ciel bleu. La faucheuse attend son heure dans l'ombre. Elle ricane et se frotte certainement les main d'avoir bientôt à couper les derniers fils qui te lient à la vie.
***
- -Doucement ! Faîtes très attention mademoiselle !
Ahah. Comme si j'allais tenter le diable aujourd'hui. Il fallait être franchement suicidaire. Moi, je n'avais plus ces pulsions macabres. Depuis qu'un scorpion avait bien failli avoir ma peau, merci bien ! Je posais un pied sur le sol de pierre. Je savourais cet instant avec délice. Un an. Trois-cent soixante-cinq jours exactement pour se remettre du venin. Un temps qui m'avait paru terriblement court. Je devais « planer » comme on dit. Un petit réveil, complètement amorphe, la langue pâteuse et incapable d'articuler quoi que ce soit, avant de retomber dans un sommeil de plomb. J'en garde très peu de souvenirs. Heureusement. Un séjour dans un hôpital. Savoir ce que les médecins avaient fait pour me garder en vie durant cette durée qui avait dû leur paraître interminable ?... Non. Très peu pour moi. Je n'y connais rien en soins. C'est plutôt moi qu'on soigne. Vous me traiteriez de menteuse, si je vous listais le nombre d'histoires complètement folles dans lesquelles je m'étais retrouvée par « pur hasard »... Je précise, hein. Parce qu'il y a des petits malins qui ne vont jamais me croire.
Je ne sais pas ce qu'ils ont fait de mes affaires. A vrai dire, ce n'est pas ma première priorité. Je suis occupée à faire bouger mes doigts et observer avec délice qu'ils fonctionnent parfaitement. C'est stupide à vos yeux ? Retrouvez-vous paralysé alors que vous êtes en train de passer les portes de la ville. Vous verrez si voir avec émerveillement votre pouce se lever et se baisser paraît toujours aussi bête.
C'est étrange de reprendre le contrôle de son corps après tant de temps écoulé. La vie s'était arrêtée là où on l'avait laissée. On reprend alors, tout doucement, ce rythme calme qu'est l'existence. Pourtant, des choses ont changé autour de moi. Des personnes ont été enterrées. Des enfants sont nés. Des familles se sont créées. Un nouveau tavernier s'est installé au coin de la rue. Ce sont des anecdotes futiles, qui n'ont pas d'importance à mes yeux normalement. Je ressentais une nette différence chez moi.
Je me décidais enfin à me lever pour faire quelques pas. Mes muscles sont engourdis par ce long sommeil et je titube un peu. Le médecin en face de moi avait un mouvement en avant. Je retrouve mon équilibre avant de grogner :
- -C'est bon. Je n'ai pas quatre ans non plus !
Je pose un pied devant l'autre. Instant unique. Moment magique. Je refoule l'émotion qui envahit ma poitrine. Cette fois-ci, c'est certain. Je suis guérie. je suis en vie. Les prières y sont peut-être pour quelque chose. Bien sûr que je vais continuer à voyager. Il y a le monde à voir, des personnes à rencontrer, avec qui combattre, avec qui rire ou pleurer. Avec qui vivre, tout simplement.
Pour ceux qui ne savent pas qui je suis. Pour ceux qui ont dû m'oublier. Pour ceux qui n'ont jamais entendu parler de moi. Je suis Honaka Suzuke. Une sabreuse originaire du pays de Wa, mais exilée depuis bien longtemps... Voilà un bon moment que je n'ai pas revu les côtes du royaume où je vivais. J'ai un rêve que je souhaite à tout prix réaliser. Devenir la plus grande manieuse de sabres au monde pour prouver que les femmes ne sont pas des faibles. Mais à ceci s'ajoute une nouvelle règle. En rencontrant James, un ange un peu idiot, mais rudement fort, j'ai appris une chose. Tant que l'on ne respecte pas l'autre, il ne nous respectera pas. Je vais me battre dans les règles de l'art et avec le respect qu'il se doit pour les hommes. Cependant, ça ne m'empêche pas de ne toujours pas supporter les machos. Eh oui. Toujours fidèle à elle-même. Que croyez-vous ? Que j'allais devenir une bonne sœur et marcher sur le droit chemin ? Vous vous fourrez le doigt dans l'œil. Je ne suis peut-être pas une âme lavée de tous péchés, mais j'ai mes convictions. Si vous ne souhaitez me suivre dans cette aventure, restez chez vous. Il y a d'autres êtres humains qui font la même chose que moi après tout. Exister.