Yoko marche de long en large dans la salle de réception de la demeure « seigneuriale », une résidence spacieuse et confortable mais sans luxe inutile. Yoko aime cette sobriété. Une résidence discrète pour une modeste seigneurie.
Hiromichi, maître de l’archipel y exerçait davantage ses devoirs que ses prérogatives et se comportait en bon vassal respectueux du gouvernement. A ses devoirs de petit seigneur s’ajoutait sa charge de chef d’entreprise, là où il excellait, là où il aimait exercer son art millénaire et à partager ses connaissances et ses recherches avec sa fille. Yoko sourit tristement en pensant que ces moments privilégiés appartenaient désormais au passé.
Du petit port jusqu’aux ateliers, de près ou de loin, les activités des habitants de la petite cité gravitent autour de l’art pyrotechnique de la famille Akitsu. Sans l’entreprise, Yoko sait que l’île sombrera rapidement dans la pauvreté. Et maintenant, il lui faut prendre la suite de son père.
La mélancolie fait place à la crainte, au refus.
La jeune fille sort sur la terrasse qui surplombe l’agglomération où vit la majorité des habitants de l’île. Aujourd’hui Yoko l’observe avec une nouvelle acuité. Les maisons dessinent un tableau coloré sous le soleil levant. D’ici, Yoko ne voit pas le port, situé en contrebas, encore dissimulé dans les brumes matinales. Les fermes sont disséminées sur les étroites terres fertiles, entre la mer et la montagne d’où les bûcherons tirent le bois des quelques forêts tapissant les flancs inférieurs. Ici, trois mille personnes vivent en paix. La dureté du labeur quotidien est compensée par l’attention que le seigneur porte à sa population
A la veille de ses seize ans, elle se sent décidément incapable d’assurer la responsabilité de tous ces gens. Sa première décision a concerné la punition d’un gamin de treize ans… qu’en sera-t-il si la population vient à manquer de l’essentiel : de travail, de vivres, si la sécurité n’est plus assurée ? Il reste suffisamment d’or dans les caisses pour faire face quelques mois, mais ensuite ?
Son père la préparait à cette tâche. Le fonctionnement de l’entreprise, Yoko le connaît bien, la dynamique du village également, mais de là à en avoir la responsabilité…
Lors des longs exposés d’Hiromichi concernant ses futures responsabilités, parfois, à dessein, elle dissimulait à demi un bâillement et le maître interrompait la leçon ; lui aussi pensait qu’ils avaient le temps. On pense toujours qu’on a le temps…
La famille s’est rassemblée hier, les derniers Akitsu, un vieux garçon sans descendance, sa sœur Hanoyo qui a consacré sa vie à ses deux frères et Yoko.
Hikaru, pusillanime comme à son ordinaire, selon l’opinion de Yoko, s’est refusé à assurer la sorte de régence qu’elle sollicitait.
Ce qu’ignore la jeune fille, ce que personne ne savait en dehors de son frère, c’est qu’Hikaru travaille en secret depuis des décennies sur des applications défensives des poudres. Et qui dit défensives...
Une pensée toute neuve traverse l’esprit de Yoko qui en reste sidérée un instant.
Elle n’a rien fait pour apprivoiser l’animal, elle ignore pourquoi il a choisi sa compagnie… Elle sourit avec amertume.
Le regard de Yoko est attiré par un mouvement inhabituel. Des soldats de la milice gouvernementale, reconnaissables à leurs uniformes bleus, remontent la grande rue. La jeune fille fronce le sourcil.
Que se passe t-il ? La milice reste habituellement cantonnée sur le port, seul point d’accès à l’île car Koneashima est entourée de hauts fonds dangereux qu’aucun navire ne peut franchir en dehors d’un étroit chenal. Les bâtiments qui veulent aborder doivent demander l’assistance d’un des pilotes du port pour être guidé jusqu’aux quais car ces fonds sont dangereux en raison de l’activité volcanique sous marine. Quant au chenal, seuls les « pilotes » qui le parcourent quotidiennement en connaissent le tracé capricieux et éphémère.
La sécurité de l’île est assurée par cette milice gouvernementale qui procure à ses propres navires un point de ravitaillement et un abri sûr. Les dirigeants s’assurent ainsi, de façon plus ou moins dissimulée, de la neutralité des Koneashimiens et du respect de leur vassalité. Les Akitsu en sont bien conscients mais cet accord protège les intérêts des deux partis sans en léser aucun… pour l’instant.
Quelques canons pointent leurs fûts sombres vers la mer, à l’entrée de la rade et le long du chemin de ronde qui entoure l’île. A ce propos, Yoko n’a jamais compris pourquoi l’entretien de ces armes avait échu à Hikaru. Elle hausse les épaules. Peu lui importe, les abords marins, naturellement semés d’embûches valent bien mille canons.
La milice poursuit son chemin et semble se diriger vers les demeures hautes, vers elle. Qui sont ces hommes que précède la milice, elle croit distinguer des officiers de la Marine mais aussi des civils… Yoko avale sa salive. « Je suis Yoko Akitsu, fille d’Hiromichi Akitsu, seigneur de Koneashima, enfin j’étais… qui suis-je aujourd’hui ? » . Elle se redresse, vérifie sa tenue et s’apprête à jouer le rôle qu’elle n’aurait dû prendre que dans de nombreuses années. Elle évince Scratty d’un revers de la main : il ne sied pas à la maîtresse des lieux d’accueillir des visiteurs avec une bestiole abrutie perchée sur l’épaule.
Hiromichi, maître de l’archipel y exerçait davantage ses devoirs que ses prérogatives et se comportait en bon vassal respectueux du gouvernement. A ses devoirs de petit seigneur s’ajoutait sa charge de chef d’entreprise, là où il excellait, là où il aimait exercer son art millénaire et à partager ses connaissances et ses recherches avec sa fille. Yoko sourit tristement en pensant que ces moments privilégiés appartenaient désormais au passé.
Du petit port jusqu’aux ateliers, de près ou de loin, les activités des habitants de la petite cité gravitent autour de l’art pyrotechnique de la famille Akitsu. Sans l’entreprise, Yoko sait que l’île sombrera rapidement dans la pauvreté. Et maintenant, il lui faut prendre la suite de son père.
La mélancolie fait place à la crainte, au refus.
« Je ne suis pas prête. Je ne suis pas prête !»
La jeune fille sort sur la terrasse qui surplombe l’agglomération où vit la majorité des habitants de l’île. Aujourd’hui Yoko l’observe avec une nouvelle acuité. Les maisons dessinent un tableau coloré sous le soleil levant. D’ici, Yoko ne voit pas le port, situé en contrebas, encore dissimulé dans les brumes matinales. Les fermes sont disséminées sur les étroites terres fertiles, entre la mer et la montagne d’où les bûcherons tirent le bois des quelques forêts tapissant les flancs inférieurs. Ici, trois mille personnes vivent en paix. La dureté du labeur quotidien est compensée par l’attention que le seigneur porte à sa population
A la veille de ses seize ans, elle se sent décidément incapable d’assurer la responsabilité de tous ces gens. Sa première décision a concerné la punition d’un gamin de treize ans… qu’en sera-t-il si la population vient à manquer de l’essentiel : de travail, de vivres, si la sécurité n’est plus assurée ? Il reste suffisamment d’or dans les caisses pour faire face quelques mois, mais ensuite ?
Son père la préparait à cette tâche. Le fonctionnement de l’entreprise, Yoko le connaît bien, la dynamique du village également, mais de là à en avoir la responsabilité…
Lors des longs exposés d’Hiromichi concernant ses futures responsabilités, parfois, à dessein, elle dissimulait à demi un bâillement et le maître interrompait la leçon ; lui aussi pensait qu’ils avaient le temps. On pense toujours qu’on a le temps…
La famille s’est rassemblée hier, les derniers Akitsu, un vieux garçon sans descendance, sa sœur Hanoyo qui a consacré sa vie à ses deux frères et Yoko.
Hikaru, pusillanime comme à son ordinaire, selon l’opinion de Yoko, s’est refusé à assurer la sorte de régence qu’elle sollicitait.
Ce qu’ignore la jeune fille, ce que personne ne savait en dehors de son frère, c’est qu’Hikaru travaille en secret depuis des décennies sur des applications défensives des poudres. Et qui dit défensives...
Une pensée toute neuve traverse l’esprit de Yoko qui en reste sidérée un instant.
« Mais… nom d’un hippocampe… il ne reste plus que moi pour… pour… Je ne suis pas prête. Ah ça non, je ne suis pas prête !»
Plop Yoko sursaute. L’écureuil chapardeur vient de sauter sur son épaule. Elle sourit.
Tap tap tap Et voilà qu’il tente de casser sa noisette sur la tête de Yoko !
« J’ai la crâne dur mais pas à ce point, stupide bestiole ! »
Craaaack, scratt, scratt, scratt. L’écureuil grignote le fruit dont il a forcé la coque à coup de dents, et laisse tomber les débris dans le beau chignon de Yoko qui n’y prend pas garde.
Elle n’a rien fait pour apprivoiser l’animal, elle ignore pourquoi il a choisi sa compagnie… Elle sourit avec amertume.
« Je peux être responsable d’un écureuil… mais pas de trois mille âmes, pas d’une entreprise. Pourquoi mon fichu oncle ne semble t-il pas le comprendre ? Trop heureux depuis toujours de ne rien avoir à décider ou simplement incapable de le faire ? ».
Le regard de Yoko est attiré par un mouvement inhabituel. Des soldats de la milice gouvernementale, reconnaissables à leurs uniformes bleus, remontent la grande rue. La jeune fille fronce le sourcil.
Que se passe t-il ? La milice reste habituellement cantonnée sur le port, seul point d’accès à l’île car Koneashima est entourée de hauts fonds dangereux qu’aucun navire ne peut franchir en dehors d’un étroit chenal. Les bâtiments qui veulent aborder doivent demander l’assistance d’un des pilotes du port pour être guidé jusqu’aux quais car ces fonds sont dangereux en raison de l’activité volcanique sous marine. Quant au chenal, seuls les « pilotes » qui le parcourent quotidiennement en connaissent le tracé capricieux et éphémère.
La sécurité de l’île est assurée par cette milice gouvernementale qui procure à ses propres navires un point de ravitaillement et un abri sûr. Les dirigeants s’assurent ainsi, de façon plus ou moins dissimulée, de la neutralité des Koneashimiens et du respect de leur vassalité. Les Akitsu en sont bien conscients mais cet accord protège les intérêts des deux partis sans en léser aucun… pour l’instant.
Quelques canons pointent leurs fûts sombres vers la mer, à l’entrée de la rade et le long du chemin de ronde qui entoure l’île. A ce propos, Yoko n’a jamais compris pourquoi l’entretien de ces armes avait échu à Hikaru. Elle hausse les épaules. Peu lui importe, les abords marins, naturellement semés d’embûches valent bien mille canons.
La milice poursuit son chemin et semble se diriger vers les demeures hautes, vers elle. Qui sont ces hommes que précède la milice, elle croit distinguer des officiers de la Marine mais aussi des civils… Yoko avale sa salive. « Je suis Yoko Akitsu, fille d’Hiromichi Akitsu, seigneur de Koneashima, enfin j’étais… qui suis-je aujourd’hui ? » . Elle se redresse, vérifie sa tenue et s’apprête à jouer le rôle qu’elle n’aurait dû prendre que dans de nombreuses années. Elle évince Scratty d’un revers de la main : il ne sied pas à la maîtresse des lieux d’accueillir des visiteurs avec une bestiole abrutie perchée sur l’épaule.
Dernière édition par Yoko Akitsu le Ven 13 Sep 2013 - 23:14, édité 1 fois