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Du Feu de Bengale aux Feux de Saint-Elme

Du Feu de Bengale aux Feux de Saint-Elme Image_10 Yoko marche de long en large dans la salle de réception de la demeure « seigneuriale », une résidence spacieuse et confortable mais sans luxe inutile. Yoko aime cette sobriété. Une résidence discrète pour une modeste seigneurie.

Hiromichi, maître de l’archipel  y exerçait davantage ses devoirs que ses prérogatives et se comportait en bon vassal respectueux du gouvernement. A ses devoirs de petit seigneur s’ajoutait sa charge de chef d’entreprise, là où il excellait, là où il aimait exercer son art millénaire et à partager ses connaissances et ses recherches avec sa fille. Yoko sourit tristement en pensant que ces moments privilégiés appartenaient désormais au passé.

Du Feu de Bengale aux Feux de Saint-Elme Image_10Du petit port jusqu’aux ateliers, de près ou de loin, les activités des habitants de la petite cité gravitent autour de l’art pyrotechnique de la famille Akitsu. Sans l’entreprise, Yoko sait que l’île sombrera rapidement dans la pauvreté. Et maintenant, il lui faut prendre la suite de son père.
La mélancolie fait place à la crainte, au refus.

    « Je ne suis pas prête. Je ne suis pas prête !»

Du Feu de Bengale aux Feux de Saint-Elme Image_10La jeune fille sort sur la terrasse qui surplombe l’agglomération où vit la majorité des habitants de l’île. Aujourd’hui Yoko l’observe avec une nouvelle acuité. Les maisons dessinent un tableau coloré sous le soleil levant. D’ici, Yoko ne voit pas le port, situé en contrebas, encore dissimulé dans les brumes matinales. Les fermes sont disséminées sur les étroites terres fertiles, entre la mer et la montagne d’où les bûcherons tirent le bois des quelques forêts tapissant les flancs inférieurs. Ici, trois mille personnes vivent en paix. La dureté du labeur quotidien est compensée par l’attention que le seigneur porte à sa population

Du Feu de Bengale aux Feux de Saint-Elme Image_10A la veille de ses seize ans, elle se sent décidément incapable d’assurer la responsabilité de tous ces gens. Sa première décision a concerné la punition d’un gamin de treize ans…  qu’en sera-t-il si la population vient à manquer de l’essentiel : de travail, de vivres, si la sécurité n’est plus assurée ? Il reste suffisamment d’or dans les caisses pour faire face quelques mois, mais ensuite ?

Du Feu de Bengale aux Feux de Saint-Elme Image_10 Son père la préparait à cette tâche. Le fonctionnement de l’entreprise, Yoko le connaît bien, la dynamique du village également, mais de là à en avoir la responsabilité…
Lors des longs exposés d’Hiromichi concernant ses futures responsabilités, parfois, à dessein, elle dissimulait à demi un bâillement et le maître interrompait la leçon ; lui aussi pensait qu’ils avaient le temps. On pense toujours qu’on a le temps…

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Du Feu de Bengale aux Feux de Saint-Elme Image_10La famille s’est rassemblée hier, les derniers Akitsu, un vieux garçon sans descendance, sa sœur Hanoyo qui a consacré sa vie à ses deux frères et Yoko.
Hikaru, pusillanime comme à son ordinaire, selon l’opinion de Yoko, s’est refusé à assurer la sorte de régence qu’elle sollicitait.
Ce qu’ignore la jeune fille, ce que personne ne savait en dehors de son frère, c’est qu’Hikaru travaille en secret depuis des décennies sur des applications défensives des poudres. Et qui dit défensives...
Une pensée toute neuve traverse l’esprit de Yoko qui en reste sidérée un instant.

    « Mais… nom d’un hippocampe… il ne reste plus que moi pour… pour… Je ne suis pas prête. Ah ça non,  je ne suis pas prête !»
    Plop  Yoko sursaute. L’écureuil chapardeur vient de sauter sur son épaule. Elle sourit.
    Tap tap tap  Et voilà qu’il tente de casser sa noisette sur la tête de Yoko !
     « J’ai la crâne dur mais pas à ce point, stupide bestiole ! »
    Craaaack, scratt, scratt, scratt.  L’écureuil grignote le fruit dont il a forcé la coque à coup de dents, et laisse tomber les débris dans le beau chignon de Yoko qui n’y prend pas garde.

Elle n’a rien fait pour apprivoiser l’animal, elle ignore pourquoi il a choisi sa compagnie… Elle sourit avec amertume.

    « Je  peux être responsable d’un écureuil… mais pas de trois mille âmes, pas d’une entreprise. Pourquoi mon fichu oncle ne semble t-il pas le comprendre ? Trop heureux depuis toujours de ne rien avoir à décider ou simplement incapable de le faire ? ».

Du Feu de Bengale aux Feux de Saint-Elme Image_10Le regard de Yoko est attiré par un mouvement inhabituel. Des soldats de la milice gouvernementale, reconnaissables à leurs uniformes bleus, remontent la grande rue. La jeune fille fronce le sourcil.
Que se passe t-il ? La milice reste habituellement cantonnée sur le port, seul point d’accès à l’île car Koneashima est entourée de hauts fonds dangereux qu’aucun navire ne peut franchir en dehors d’un étroit chenal. Les bâtiments qui veulent aborder doivent demander l’assistance d’un des pilotes du port pour être guidé jusqu’aux quais car ces fonds sont dangereux en raison de l’activité volcanique sous marine. Quant au chenal, seuls les « pilotes » qui le parcourent quotidiennement en connaissent le tracé capricieux et éphémère.

Du Feu de Bengale aux Feux de Saint-Elme Image_10La sécurité de l’île est assurée par cette milice gouvernementale qui procure à ses propres navires un point de ravitaillement et un abri sûr. Les dirigeants s’assurent ainsi, de façon plus ou moins dissimulée, de la neutralité des Koneashimiens et du respect de leur vassalité. Les Akitsu en sont bien conscients mais cet accord protège les intérêts des deux partis sans en léser aucun… pour l’instant.
Quelques canons pointent leurs fûts sombres vers la mer, à l’entrée de la rade et le long du chemin de ronde qui entoure l’île. A ce propos, Yoko n’a jamais compris pourquoi l’entretien de ces armes avait échu à Hikaru. Elle hausse les épaules. Peu lui importe, les abords marins, naturellement semés d’embûches valent bien mille canons.

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Du Feu de Bengale aux Feux de Saint-Elme Image_10La milice poursuit son chemin et semble se diriger vers les demeures hautes, vers elle.  Qui sont ces hommes que précède la milice, elle croit distinguer des officiers de la Marine mais aussi des civils… Yoko avale sa salive. « Je suis Yoko Akitsu, fille d’Hiromichi Akitsu, seigneur de Koneashima, enfin j’étais… qui suis-je aujourd’hui ? » . Elle se redresse, vérifie sa tenue et s’apprête à jouer le rôle qu’elle n’aurait dû prendre que dans de nombreuses années. Elle évince Scratty d’un revers de la main : il ne sied pas à la maîtresse des lieux d’accueillir des visiteurs avec une bestiole abrutie perchée sur l’épaule.


Dernière édition par Yoko Akitsu le Ven 13 Sep 2013 - 23:14, édité 1 fois
    Temps clair. Mer calme. Vent modéré. East Blue est réputée pour être la mer la moins dangereuse du globe et ce n’est pas moi qui dirais le contraire. Mes récentes affaires ont concerné des réseaux de criminalité plus que des attaques de piraterie à l’ancienne. Le côté positif de la chose reste que les dégâts collatéraux sont bien moindres sur les populations civiles. Du moins en théorie… Cette fois-ci, il ne semble pas y avoir beaucoup de méchants en vue. On m’a confié une mission d’escorte pour amener un représentant du Gouvernement Mondial sur l’île de Koneashima. Ce nom… déjà qu’il est assez difficile à se rappeler, le prononcer est tout aussi périlleux. On peut facilement s’en moquer mais moins quand il sort de la bouche d’une huile qui le bafouille. Heureusement pour moi, j’ai de la retenue.

    La majeure partie du voyage vers l’archipel est plutôt une promenade de santé. Quand on s’approche de ses côtes, la difficulté est toute autre. Entre les écueils et les courants, j’ai du redoubler de vigilance et même prendre en personne la barre pour être sûr d’arriver à bon port dans les derniers milles. L’assistance d’un pilote nous guidant pour suivre le chenal m’a bien aidé aussi je dois dire. L’intitulé de ma mission n’offre que peu de détails sur les raisons de ce déplacement. Après tout, je ne suis chargé que de protéger cet étrange individu envoyé par ceux qui régissent la plus grande partie du monde. J’ai juste cru comprendre que ça relevait d’une succession compliquée à l’exercice du pouvoir et que les autorités mondiales craignaient une prise de contrôle par des gens peu recommandables quand ça se saurait. Je doute qu’on y aille si ce n’est pas pour une raison majeure autre que notre bonne volonté.

    Certes nous représentons la Justice et l’ordre qui permet aux bonnes gens de vivre librement et en toute sécurité, mais il est rare que ce soit totalement gratuit. Je n’ai pas souvent eu l’occasion de me faire acclamer en héros, il ne faut pas se leurrer sur notre popularité. Notre mission est de plus en plus considérée comme un dû par le commun des mortels. Je plains celui qui cherche une reconnaissance dans ce boulot. Je préviens l’ambassadeur qu’on va débarquer d’une minute à l’autre. J’ai à peine ouvert la porte que les effluves de la cabine viennent déjà embaumer sur le pont. Je rends grâce d’avoir été conçu avec un faible odorat, ça pue quand même. Il a besoin d’un peu de temps pour se refaire une beauté vu qu’il n’a pas bougé de sa cabine du voyage.

    Notre émissaire est un homme autour de la soixantaine, visage un peu rougeaud et bouffi par les quantités impressionnantes d’alcool qu’il ingurgite. Il essaie d’arranger sa coiffure en broussailles avec ses rouflaquettes tombantes. Quelques minutes plus tard, le voilà qui sort engoncé dans son beau costume à épaulettes et boutons cuivrés. Si seulement il était sympathique au moins… mais il n’a pas daigné nous honorer de sa présence une seule fois ne serais-ce qu’à la table des officiers à un repas. Il ne s’est jamais caché que nous l’ennuyions au plus haut point avec nos histoires de marine. Il ne nous apprécie pas mais c’est vite devenu réciproque. De toute façon nous ne sommes pas là pour juger mais juste pour assurer sa sécurité lors de sa propre mission.

    Koneashima n’est pas aussi arriérée que je n’aurais pu le croire malgré son isolement géographique. Le ponton auquel nous avons accosté est non seulement solide mais bien ouvragé. Ces gens ont des coutumes un peu étranges pour nous qui sommes rôdés à une certaine norme mondiale et plutôt urbaine. L’esthétisme a pris le pas sur un aménagement du territoire linéaire dirait-on. Les maisons sont richement décorées et le bois semble être le matériau le plus utilisé pour les constructions. Les gens sont habillés comme ces guerriers du pays de Wano, sans distinction de sexe ou d’âge. Un silence un peu dérangeant s’installe à notre arrivée. Le moins qu’on puisse dire, c’est que les gens ne sont pas très causants même s’ils sont des plus respectueux. J’ai l’impression de débarquer dans un monde à part.

    Sans attendre, notre émissaire se présente et annonce les raisons de sa venue.

    - Je suis l’ambassadeur Perry, envoyé du Gouvernement Mondial pour traiter avec le dépositaire de l’administration de cette île, Monsieur…

    Il fouille dans sa sacoche de cuir remplie de paperasses pour retrouver le nom du chef local, ça promet… Il saisit une feuille un peu au hasard et rechausse ses petites lunettes rondes à montants fins pour y lire ce qu’il cherche.

    - Hikaru Akitsu. Je viens voir cet homme alors annoncez-moi et conduisez-moi auprès de lui très rapidement s’il vous plaît.

    Nous avons le droit à un geste nous indiquant de suivre le comité d’accueil pour monter vers la partie haute de l’île. La milice n’a pas l’air de s’être battue souvent mais ces hommes semblent prendre leur rôle au sérieux. Je prends les devants avec leur chef tandis que le reste de la troupe suit en protégeant notre colis de tous bords. Deux belles lignes de marins sont en protection rapprochée mais je sens que si leur tête n’était pas en jeu, certains laisseraient ce sale type se faire agresser sans broncher vu comment il les traite. On ne sait jamais ce qui pourrait se produire même si j’ai de plus en plus l’impression que ces gens ne feraient pas de mal à une mouche. La population civile ne semble pas armée à première vue, seuls les réguliers ont des armes blanches mais surtout aussi des armes à feu. Je n’aurais pas cru ça d’une île aussi peu ouverte à l’étranger. Devant l’impassibilité de mon vis-à-vis, j’essaie de briser la glace en détendant l’atmosphère autant que possible.

    - Vu que tu ne me dis pas ton nom, je vais t’appeler Bob. J’ai connu un Bob une fois. La nature ne l’avait pas trop gâté, il avait vraiment une sale tronche… Tu es un homme à femme Bob ?

    Les habitations les plus imposantes sont déjà en vue. Je ne sais pas si on obtiendra grand-chose de ces gens, ni s’ils ont vraiment besoin ou envie de notre présence ici. Déjà que le temps est long en mer, si l’ambassadeur s’éternise dans des discussions stériles et que nos hôtes sont des tombes, je sens que je vais encore m’amuser… Enfin bon, j’ai une mission à remplir et je compte bien aller jusqu’au bout du plan si possible sans accrocs. Si ça se trouve ce Akitsu est un type des plus raisonnables qui ne fera pas d’histoire et ce soir on sera déjà sur le chemin du retour…
      Du Feu de Bengale aux Feux de Saint-Elme Image_10 Il tarde à arriver Monsieur l’ambassadeur. La bedaine précédant le nez turgescent, il oscille plutôt qu’il ne marche. Ne serait-ce son uniforme, dans lequel il ressemble plus à une saucisse qu’à un officier, on pourrait imaginer qu’on convoie un prisonnier, tant les miliciens l’encadrent de près.
      L’esprit moqueur de Yoko l’emporte quelques secondes vers des pensées espiègles. Elle pouffe en pensant que les hommes qui flanquent cette barrique asthmatique sont sûrement chargés de l’empêcher de débouler dans les rues pentues de Koneashima.
      La jeune fille se reprend… l’heure n’est pas à la plaisanterie.

      Le chef de la milice locale dirige la procession vers la demeure seigneuriale, là où se trouve la pièce qui sert de salle du conseil, là où Yoko les attend. Hanoyo entre discrètement par une porte latérale, le sourcil inquiet.     « Ma chère Hanoyo, toujours à se faire du souci. » Yoko ressent la même appréhension que sa tante mais se refuse à se l'avouer autant qu'à le montrer.

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      Les miliciens stationnent au dehors. Ymber, leur officier, pénètre dans la salle avec quelques Marins et salue Yoko et sa tante avec courtoisie, alors que la barrique suante s’écroule sur un siège sans marquer la moindre considération pour ses hôtesses. Yoko esquisse une discrète moue contrariée.  « Tu peux te brosser, gros cachalot, pour que je t’offre une boisson ou alors avec du piment… voilà qui te ferait le plus grand bien !» pense t-elle.
      Un doux courant d’air parcourt la salle mais Yoko, vicieuse, demanda à sa tante :

        « Ma tante, veuillez fermer ces fenêtres, je vous prie, notre invité risque d’attraper une fluxion de poitrine ».

      Le gros homme finit par retrouver son souffle. Un raclement rauque qu’il tente de rendre impératif sort de sa bouche aux lèvres cyanosées.

        « Je suis l’ambassadeur Perry, envoyé du Gouvernement Mondial, je veux parler à Hikaru Akitsu. »
        « Mon oncle doit se trouver dans son laboratoire… Ma tante peut l’avertir de votre présence… à moins que vous ne préfériez le rejoindre pour éviter d’avoir à l’attendre : il n’y a qu’une petite demi heure d’ascension».

      Aucune ironie perceptible dans la voix de Yoko, elle observe une posture soumise et déférente dans laquelle, seuls ses proches, pourraient discerner de la moquerie.

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      Du Feu de Bengale aux Feux de Saint-Elme Image_10Hikaru travaille parfois dans les ateliers proches du laboratoire de Yoko et de son père mais souvent il préfère s’isoler dans son laboratoire-cabanon situé à flanc de montagne, à distance des habitations. Yoko a toujours pensé que son oncle était si piètre artificier qu’il avait bien raison de s’éloigner pour pratiquer ses essais de feu d’artifice. Les détonations étranges et les poils grillés du vieux célibataire venant fréquemment attester que son opinion était fondée, Yoko était à mille miles de se douter de la vérité… Aujourd’hui encore, elle ignore tout.
        Quelque chose me dit que la suite va être folklorique. Je ne sais pas ce que cet Akitsu a dans le crâne mais ne pas venir accueillir un ambassadeur du Gouvernement Mondial est un manque de savoir-vivre. Perry a beau être un vrai con, lui envoyer une mouflette aux pourparlers, je redoute d’avance sa réaction à l’affront. Il n’y a pas bien longtemps à attendre pour que mes craintes se confirment. Le sang lui monte jusqu’à la pointe des oreilles et il va se remettre à beugler. Quand il est comme ça, il n’y a aucune discussion intelligente ou même intelligible à espérer. La règle est simple, si le gars en face de toi représente une puissance supérieure, ne fais pas de vagues. Là c’est courtois certes, mais ça ne change rien au fait que notre ambassadeur n’a pas les égards qu’il attend.

        - J’ai traversé les mers pour venir rencontrer Monsieur Akitsu au nom du tout puissant Gouvernement Mondial et vous me dites qu’il s’amuse avec des poudres plutôt que de m’accueillir comme il se doit ? Je peux connaître la prochaine étape ? L’enfant du comploteur va venir me cracher dessus, m’agresser ? Vous voulez notre drapeau pour le brûler ?

        Comme d’habitude, il monte sur ses grands chevaux au quart de tour. Je pense qu’on peut commencer une discussion de meilleure façon quand on vient parler sérieusement entre hommes. Déjà faudrait-il que l’homme en question montre le bout de son nez… Seul un inconscient ou un vieux fou serait aussi négligeant à propos de l’avenir des siens. Je me demande bien à quoi il ressemble cet artificier. Perry gigote dans son siège, fulmine et éructe ses conditions indiscutables. Il sera dur pour nos nouveaux amis de regagner ses faveurs s’ils continuent de le prendre dans le sens contraire du poil. Je remarque qu’il ne s’adresse même pas à la jeune fille quand il répond. Sans doute considère-t’il que c’est déjà désobligeant d’avoir une femme comme interlocutrice alors une enfant en plus…

        - Le Gouvernement Mondial a eu la bonté de prendre en considération la demande de protection émanant de Monsieur Akitsu. Je ne perdrai pas mon temps plus qu’il ne faut en ces tristes lieux alors j’exige sa présence immédiatement. Je ne tolérerai pas plus longtemps un tel affront et si je suis amené à repartir sans accord, la prochaine fois que vous nous verrez, vous serez traités comme les disciples du terroriste Hiromichi Akitsu. Nous étions prêts à croire que cet attentat était un acte isolé mais vous entretenez visiblement le doute sur le fait que cette île soit un bastion révolutionnaire ! Dépêchez-vous de ramener votre maître ici pour qu’il se justifie, femmes, ou vous en répondrez tous !

        Et voila, il s’est encore emporté et une simple négociation d’alliance se retrouve métamorphosée en menace de guerre imminente. Cet homme n’a aucune modération et pas plus de patience. Amusant qu’ils l’aient choisi comme représentant mais vu ce qui se dit, ils n’ont pas vraiment besoin de prendre les dirigeants de cette île avec des pincettes. Il suffit d’un moyen de pression, d’une erreur commise pour que les puissants vous tiennent sans avoir à faire attention aux apparences. J’ai l’impression que l’air est figé par la tension qui vient de s’installer dans la pièce. La femme semble plutôt gênée et pleine de retenue, je ne pense pas qu’elle bronche aux critiques. Je suis plus partagé pour la réaction de la gamine entre la répartie suicidaire ou les pleurs. Dans le premier cas, notre ambassadeur soupe-au-lait va finir d’exploser, dans le second la scène sera pathétique mais il n’en sera pas plus apitoyé. Il faut que je fasse quelque chose…

        - Je me présente, Lieutenant Drake. J’escorte le dignitaire Perry dans sa mission d’échange avec votre charmante île. Monsieur Akitsu semble avoir un léger contretemps mais je suis certain qu’il arrivera sous peu. En attendant je dois avouer que nous aimerions nous désaltérer et goûter à quelques spécialités locales. La mer creuse son homme et nous n’avons pas eu le temps de nous restaurer avant de débarquer. Je meurs d’envie de goûter à un thé ou un café préparé par les soins d’une ravissante femme de votre pays depuis que nous avons posé pied à terre. L’ambassadeur, quant à lui, est un fin connaisseur de liqueurs et spiritueux. J’ose espérer que votre terroir ne manquera pas de nous surprendre et le temps passe si vite à table. Nous n’aurons sans doute pas remarqué le retard de votre oncle et frère avec un tel accueil.

        Bon voilà, j’ai fait ce que j’ai pu. Le vieux grommelle toujours mais par chance j’ai pu sortir des mots magiques. Quand il a sa dose, il n’est pas si chiant. Mais bon notre hôte ne devra pas tarder sinon je ne réponds de rien. Passé deux ou trois verres, il y a des chances que toute discussion devienne compliquée puisque chaque action supplémentaire augmentera exponentiellement le degré de connerie du poivrot. Je lance un regard qui en dit long à nos interlocuteurs pendant que Perry agite toujours son mouchoir sous son nez à cause de la fumée d’encens qui l’irrite. J’en profite même pour esquisser un geste pressé, histoire de montrer qu’il ne faut pas traîner pour rattraper le coup. Tant pis pour les manières mais l’urgence est à la réussite de cette mission…
          Du Feu de Bengale aux Feux de Saint-Elme Image_10 Les idées fusent dans l’esprit de Yoko, bien plus rapides que les mots pour les exprimer, les pensées s’emmêlent dans le désordre…les questions surtout.
            « Nom d’un poulpe déshydraté, mais qu’est ce que mon oncle est allé demander une protection… nous l’avons déjà, que je sache. Une entrevue entre un babouin bouffi et un ours des cavernes, incapable d’aligner plus de deux phrases à l’heure et de prendre une décision à l’année, on n’est pas sortis du port ! Ce petit lieutenant semble plus futé que son patron… un bon point mais ça reste un militaire.».

          Yoko réalise que le silence ne doit pas s’éterniser davantage. « Par tous les feux, comment s’adresse t-on à un ambassadeur ?... hum, votre grandeur, votre éminence, votre excellence … allons y pour votre excellence ! ».
            « - Votre excellence, je me permets de vous présenter nos excuses pour cet accueil indigne d’un si haut personnage mais nous n’avons pas été prévenus de votre arrivée. Croyez que si nous l’avions su, nous vous aurions accueilli dès votre débarquement au port, avec toutes les marques de respect et le témoignage sincère pour la joie et le bonheur que votre présence apporte dans le cœur de tous les Koneashimiens ».

          Du Feu de Bengale aux Feux de Saint-Elme Image_10Hanoyo s’était éclipsée sur un signe d’assentiment de Yoko, elle avait préparé la collation la plus fastueuse possible après avoir libéré une mouette messagère à Hikaru. Le message glissé dans le cylindre lui brossait brièvement la situation et l’enjoignait de rejoindre la résidence au plus vite.
          « Il va falloir qu’on lui fasse une réception du feu de Dieu ce soir à cette baudruche imprégnée. »
          Du Feu de Bengale aux Feux de Saint-Elme Image_10 Yoko avait éteint le long bâtonnet d’encens dont la fumée un peu acre semblait gêner le gros bonhomme plutôt que de lui procurer la zénitude recherchée. En hôtesse accomplie elle avait disposé des tables basses devant les convives. Elles furent rapidement garnies. Une imposante théière ventrue offrait aux convives un thé d’importation de bonne qualité… Une grosse jatte en terre conservait la fraîcheur d’un jus de fruits, nettement plus exotique aux papilles des marins.

          Du Feu de Bengale aux Feux de Saint-Elme Flacon11
          Et bien sûr les alcools n’avaient pas été oubliés. Une bouteille de saké traditionnel voisinait avec un flacon, dans lequel un serpent trempait dans un liquide transparent – « pratiquement de l’alcool pur, voilà qui devrait convenir à Monsieur le connaisseur » . Une sorte d’amphore contenait de la bière, elle aussi d’importation. Des fruits, des gâteaux, complétaient la collation improvisée.
          Yoko se demanda si l’ambassadeur allait trouver son bonheur dans ce choix d’alcool et surtout assouvir son addiction que sa trogne infiltrée dénonçait à qui n’était pas totalement aveugle… encore que l’odorat pouvait pallier à cette déficience tant l’haleine s’accordait avec la mine du ventripotent individu. Yoko détourna le regard de ce spectacle répugnant et s’adressa à Drake :

            « - Lieutenant Drake, je suis enchantée de faire votre connaissance. Vos hommes qui sont à l’extérieur doivent avoir besoin de se désaltérer également. Vous pouvez les inviter à se rendre aux cuisines où Amaté, notre cuisinière leur servira une collation… Personne n’a rien à craindre ici, notre archipel vit en paix. »
          Du Feu de Bengale aux Feux de Saint-Elme Image_10Yoko tentait de prouver par son attitude responsable qu’elle était bien l’héritière présomptive de Hiromichi et que ses « presque seize ans » n’enlevaient rien à sa capacité à prendre la succession de son père et que celui-ci avait bien fait son éducation… « Curieux comme je rejetais cette idée il y a encore quelques heures et maintenant qu’on vient peut être me l’enlever, je suis prête à démontrer le contraire. Mon esprit de contradiction sûrement comme dit père… comme disait père.»

          Du Feu de Bengale aux Feux de Saint-Elme Paragr10

          Du Feu de Bengale aux Feux de Saint-Elme Alchim10
          Dans la retraite où Hikaru mène ses recherches secrètes sur les applications militaires de la poudre de Koneashima, une mouette jaune et bleu, typique de l’archipel, vient de délivrer son message. Elle attend impatiemment sa récompense, criant et sautillant dans tous les sens. Hikaru perplexe, manquant à ses devoirs, le volatile interrompt son « tee-er tee-er » exaspérant et se sert directement dans le seau en bois où frétille son salaire potentiel et en profite pour s’enfiler une triple ration de poisson.
            « Un ambassadeur… Mais que vient-il faire ici ? J’ai envoyé un simple message d’allégeance après la mort de mon frère pour renouveler notre soumission au Gouvernement Mondial, au nom de tous les miens. Yoko aurait elle raison ? La mort d’Hiromichi ne serait elle pas un accident ? Le gouvernement chercherait-il à s’approprier Koneashima et ses poudres. … y a-t-il un complot ? Non je ne vais pas sombrer dans la paranoïa, mes recherches n’ont pas pu filtrer. Ils souhaitent simplement vérifier que tout se passe bien et que l’archipel ne risque pas de sombrer dans le chaos… oui, ça ne peut être que ça.»

          Hikaru ferme sa cabane à double tour, non que quelqu’un puisse découvrir ce qu’il y fait - car sauf pour un artificier émérite, ses recherches s'apparentent à celles d’un artificier d’art – non : il pense surtout à la sécurité d’un visiteur imprudent.
            « Voyons, ma tenue de travail conviendra t-elle ? Hum, ma sœur semble dire que l’hôte est de mauvaise humeur… je vais prendre le temps d’enfiler un vêtement plus décent pour l’honorer. »


          Il ne fallut pas longtemps à Hikaru pour dévaler la pente, enfiler la tenue locale et se présenter à leur hôte.

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          Du Feu de Bengale aux Feux de Saint-Elme Image_10

            C’est qu’elle serait un peu faux-cul sur les bords la gamine ! Elle enrobe ça joliment pour l’amadouer dans les règles notre ambassadeur. Je ne pense pas qu’il soit dupe mais bon vu que c’est ce qu’il aimerait entendre, il va faire comme si c’était sincère, je présume. Si j’avais été aussi conciliant et prompt à me laisser marcher sur les pieds pour m’attirer les faveurs des bonnes personnes à son âge, je ne serai sans doute pas ici. Elle est plutôt intelligente pour son âge. C’est une jeune pousse qui promet pour son île, dommage qu’elle soit encore si jeune. A tout hasard je devrais lui demander si elle a des grandes sœurs ou des cousines dans la vingtaine tiens… On verra plus tard, pour le moment rendons les civilités comme l’exige la politesse et la courtoisie élémentaire.

            - Je vous remercie pour votre accueil et l’attention que vous avez portée à mes hommes. Ils seront ravis de pouvoir manger quelque chose d’un peu original comparé à la cuisine du bord. Ma mission ici est d’assurer la protection de Monsieur Perry mais si je peux faire quelque chose pour vous, qui ne contrevienne pas à cet ordre, je serai ravi de vous aider Mademoiselle Akitsu.

            Que de déférence envers une mouflette ! Tu te surpasses mon bon Spike ! Si encore c’était pour obtenir ses faveurs… Tu es vraiment rentré dans le rang, que c’est moche d’être aussi carriériste… Enfin bon, tant que tu n’oublies pas le pourquoi… Après tout c’est une sorte de princesse que tu as en face de toi, même si elle en a le verbe mais pas vraiment l’allure. Bon certes c’est une héritière mais ce n’est pas non plus le super luxe autour de nous. Le mobilier est de belle facture mais plutôt sobre. J’espère que ça ne va pas durer trop longtemps, je commence à fatiguer à rester assis. Le siège n’est pas très confortable mais les gâteaux sont bons par contre. Perry s’est accaparé la plus grande coupelle possible pour siffler du saké. Il y a intérêt que ça s’active côté diplomatie de l’île…

            Les portes s’ouvrent sur ce que je devine être l’oncle Akitsu. Nice timing. Les choses sérieuses vont enfin pouvoir commencer. L’ambassadeur se retourne tant bien que mal dans son siège qui est un peu juste pour lui. Il a bu juste assez pour se désinhiber comme il faut, j’espère que ça ne dérapera pas.

            - Mister Akitsu, nous vous attendions pour discuter de nos accords ! Venez vous asseoir et je suis sûr que nous pourrons rapidement trinquer à notre future collaboration. Je dois vous avouer que je me sentais un peu seul, homme au milieu de vos femmes… Vous arrivez à pic !

            Et moi je suis quoi ? Un panda ? Ça fait toujours plaisir de se sentir considéré… Enfin bon, ce n’est pas comme si j’accordais de l’importance à son avis non plus. Tonton Akitsu s’installe en face de nous. Je me demande s’il y voit à travers ses lunettes avec les dépôts de combustion restés dessus. Il a du se presser d’arriver mais a pris le temps de se changer quand même vu la propreté de sa tenue. En dehors de son antre, il a l’air d’une personne tout à fait normale et responsable. Maintenant que le chef de famille est arrivé, on devrait pouvoir passer au cœur de la mission diplomatique. Perry fait semblant de s’éclaircir la voix en toussant comme si il avait un chat dans la gorge. Bien entendu, il s’agit juste d’une manœuvre pour qu’on lui redonne à boire avant qu’il ne commence.

            - Le Gouvernement Mondial a bien reçu votre message suite aux fâcheux événements ayant conduit à la mort de votre frère. Conscients que le ver n’avait pas atteint tous les fruits de votre maison et que sa haute trahison n’engageait que lui, il a été décidé de vous transmettre une offre des plus généreuses. Koneashima est une petite île avec des richesses qui attireraient plus d’un pirate si des bruits venaient à circuler sur ses ressources. Pour le moment vous avez été épargnés mais nos dirigeants éclairés ne sont pas du genre à laisser le destin ou le hasard décider à leur place. C’est pourquoi je viens ici vous proposer notre protection en échange d’une collaboration mutuellement profitable.

            Il s’arrête le temps que son accroche fasse son petit effet. Il en profite pour finir son saké mais c’est un jeu pour lui, je le sens. Refuser une offre du Gouvernement Mondial pour une si petite île, c’est se tirer une balle dans le pied dans le meilleur des cas. Akitsu doit se retourner la tête pour essayer de trouver comment traiter la situation sans que ça ne leur soit préjudiciable maintenant. Moi je sais pertinemment qu’il n’y a pas de bonne solution dans ce cas, juste une moins mauvaise que l’autre. Ce qui m’inquiète c’est que je reste persuadé que ce n’est que le sommet de l’iceberg qui vint d’être présenté. Les exigences vont commencer à s’accumuler et ça ne tarde pas. Rien n’est jamais gratuit dans ce monde…

            - Vous resterez à la tête de l’île mais le Gouvernement Mondial sera libre de désigner un de ses représentants à vos côtés pour veiller à ce que vous respectiez bien les lois. Il sera par exemple interdit de vendre vos produits à un ennemi de notre institution, c’est l’évidence. De même la moitié de votre production de poudre sera réservée à la Marine pour son usage personnel et ses propres expériences. Le prix que vous en tiriez habituellement sera versé en compensation, nous ne sommes pas des tyrans ou des voleurs. Enfin vous serez libre de choisir si vous préférez garder votre propre milice ou si une garnison de nos hommes s’installera pour les remplacer. La deuxième solution est bien entendu fortement suggérée, mais nous ne voudrions pas forcer la main d’un partenaire…

            Tout ceci ressemble fort à une mise sous tutelle de mon point de vue. Une production qui peut être tournée en usage militaire attire forcément les convoitises et c’est le premier qui met la main dessus qui peut en gagner les bénéfices. Après tout c’est la loi du plus fort et il vaut mieux pour ces gens qu’ils aient le soutien du régime de l’ordre plutôt que de se soumettre à des pirates. Akitsu demandera sûrement un délai de réflexion pour la forme mais il n’a pas trop d’échappatoire possible. Le compromis ne semble pas si terrible à première vue et puis je ne connais même pas ces gens, pas de raison de m’en préoccuper…
              Du Feu de Bengale aux Feux de Saint-Elme Image_10 Hikaru laisse peser un silence lourd.

                « Normal, c’est son habitude. Chez mon ours d’oncle toute réflexion prend des allures de méditation profonde, même lorsqu’il s’agit de choisir un cure-dent. Là on lui demande de prendre une décision qui engage l’avenir de Koneashima. On va pouvoir faire une sieste en attendant une réponse ! ».

              Pour meubler le temps, Yoko propose à la baudruche galonnée un nouveau verre de saké. Elle se montre soumise, respectueuse, presque timide. Elle fait le tour de l’assemblée proposant les alcools puis le plateau de gâteaux qui commence à s’alléger sérieusement. Amaté vient à point apporter des munitions fraîches.

              La tête baissée, Hikaru lisse sa barbe grisonnante d’un air pénétré. Yoko croise le regard bleu au dessus des lunettes. Sur le coup, elle suspend son mouvement. Il brille étrangement ce regard, comme lorsqu’il lui prépare un coup tordu aux échecs…

              A la grande surprise de sa nièce, Hikaru prononce une phrase, pas un balbutiement, un grognement nécessitant un décryptage… non non, une vraie phrase avec un verbe et un sujet et ceci dans le respect d’une étiquette qu’elle doutait qu’il connaisse. Elle reste la bouche ouverte deux secondes de trop… Scratty vient d’enfiler une noisette dans le bec offert, une noisette avec sa coque « J’ai l’air de quoi, moi ? ». Elle prend la bestiole par la peau du dos et la balance au hasard… plif spoke, spoke… elle saute sur les genoux du lieutenant qui se tortille comme si il avait des hémorroïdes.

              Yoko fulmine avant de se rendre compte que cet intermède a un peu détendu l’atmosphère.

                « - Votre seigneurie, permettez vous que je m’entretienne un instant avec ma nièce puisqu’elle est l’héritière présomptive de Koneashima et détient certaines connaissances que je n’ai pas ?» »

                « - C’est nouveau ça ! Des connaissances… quelles connaissances ? Il finasse mon nounours d’oncle. Qu’est-ce qu’il mijote ? Un gambit du roi ? Hum…»

              Yoko ne laisse rien paraître de ses pensées et montre un minois mignon de jeune fille bien respectueuse, un doux sourire aux lèvres.

              L’ambassadeur, sûr de sa position de force, joue les grands seigneurs et d’un geste de la main fait signe aux intéressés qu’ils peuvent aller. D’ailleurs une nouvelle bouteille de saké venant de remplacer la précédente, il pense avoir quelques devoirs impérieux à son égard.

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              L’oncle et sa nièce prennent place face à face sur deux bancs en bois aux lattes colorées. Au centre, un échiquier est dessiné par une marqueterie de bois jaune et marron. Des pièces en bois sculpté sont disposées de part et d’autre : petites barques et grandes canonnières côtoient des poulpes et des escargots.

              Hikaru saisit doucement le roi jaune et le place au centre de l’échiquier.

                « - Voilà bien la pièce la plus vulnérable du plateau, la plus fragile, la moins puissante et la plus attaquée. Qui voudrait être le roi ? Pas toi n’est-ce pas ! On nous propose un postulant, il serait dommage de refuser. Dommage et dangereux. »

                « - Mais mon oncle, vous ne pouvez pas… »

                « - Ce que ton père et moi redoutions depuis longtemps vient d’arriver. Tu ne sais pas tout Yoko et le temps est venu que tu apprennes que les poudres de notre archipel peuvent être utilisées à des fins militaires. Mais ne t’inquiète pas pour ça. Voilà vingt ans que je travaille là-dessus et ton grand-père avant moi et nous n’avons pas réussi à obtenir des résultats totalement stables dès que ce n’est pas un des nôtres, un Akitsu, qui les prépare… mais cela je te l’expliquerais plus tard. Nos poudres sont capricieuses et je doute que les canonniers de la marine s’y essaient bien longtemps. »

              Devant la mine sidérée de Yoko,  Hikaru se met à rire franchement… Ce n’est pas souvent que la jeune fille reste sans voix !

                « - Nous allons accepter leurs conditions, d’ailleurs cela nous arrange puisque nous n’avons plus de commandes pour nos feux d’artifices… un peu d’argent rentrera dans les caisses le temps qu’ils se rendent compte du danger qu’ils courent et qu’ils renoncent. A ce moment là tu auras atteint ta majorité et tu pourras reprendre la succession de ton père sans opposition car je doute que le GM se soucie d’une île qui sera redevenue sans intérêt.»

              Yoko découvre un oncle inconnu, celui qui semblait si effacé, marginal prenait une stature bien différente. Le frère effacé était le combattant et le seigneur n’était que le chef d’entreprise. Allait-elle devoir assumer les deux rôles à l’avenir ? Elle sauta sur les genoux d’Hikaru et l’enlaça.

                « - Oh mon oncle, restez avec moi le plus longtemps possible. Donnez des enfants aux Akitsu. Je ne pourrais jamais assumer cela toute seule ».

                « - Par tous les feux, voilà Yoko qui retombe en enfance. Allons ma belle, ton devoir t’appelle. Laisse moi parler à l’ambassadeur, je crois que c’est mieux.»

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              Les Akitsu sont de retour. L’attente n’a pas duré longtemps.

                « - Votre excellence, nous sommes honorés et reconnaissants de votre proposition en dépit du regrettable accident survenu à Goa. Nous sommes prêts à vous vendre nos poudres mais je me dois de vous avertir qu’elles ne sont destinées qu’à un usage artistique. Leur manipulation est extrêmement délicate et les Dieux de Koneashima n’autorisent que les Akitsu à les utiliser. Je conseille donc la plus grande prudence à vos chercheurs car les accidents sont vite arrivés avec nos divines poussières de lave.

                Quant à la milice, je vous rappelle qu’il s’agit déjà d’une de vos troupes qui assure la sécurité portuaire. Nous avons devancé vos désirs tant nous avons de respect et de confiance dans le Gouvernement Mondial.».
                J’ai failli faire mon premier mort sur cette île. La gamine m’a envoyé son animal de compagnie qui m’a sauté dessus. J’ai fini par l’attraper et j’ai essayé de le jauger en le regardant droit dans les yeux. Finalement il n’avait pas l’air bien méchant alors j’ai voulu le caresser pour faire ami-ami avec lui avant de le relâcher. Ce foutu rongeur m’a mordu le doigt et ça fait mal. Du coup j’ai relâché instinctivement mon emprise et il est reparti se planquer dans les jupes de sa maîtresse. Pas question de montrer que j’ai été contrarié par cette sale bête, les gars se moqueraient de moi pendant des semaines. Prenons un air détaché, concentré sur la conversation et sûr de soi. Raaah je saigne, il faut éponger. Tant pis pour leurs beaux napperons brodés, celui qui m’étais alloué va payer l’addition. J’y pense, manquerait plus qu’il ait la rage. Je me demande quel goût ça a l’écureuil…

                Alerte rouge, nos hôtes prennent congé quelques instants. Perry n’aura de seule occupation que de boire. Contre toute attente c’est lui qui m’invite à converser. Enfin comprenons-nous, il m’invite à l’écouter parler surtout…

                - Vous avez entendu comme moi, Lieutenant Dan ? C’est cette jeune femme qui est l’héritière de l’île et de ses secrets…
                - Il semblerait Monsieur mais c’est Drake mon nom, pas Dan.
                - Peu importe. La situation peut rapidement tourner à notre avantage avec cette nouvelle information. Avec une petite manœuvre, il serait facile de se placer dans la succession, vous voyez ?
                - Je ne m’occupe jamais de politique Monsieur. Chacun à un rôle à jouer et ce n’est pas le mien.
                - Ah oui, j’oubliais qu’il ne fallait rien demander d’autre à un militaire que sa mission. On se demande à quoi vous servez…

                Je pourrais lui répondre que j’assure sa sécurité, que je l’ai conduit à bon port, que je m’assure qu’il soit ramassé quand il se met minable avec une bouteille afin d’éviter le scandale. Pourtant je ne dis rien. Toute vérité n’est pas bonne à prononcer malheureusement. De même, toutes ses questions sont pour la plupart de purs exercices de rhétorique qui n’appellent pas de réponses. On se complaît dès lors dans un silence entendu qui satisfait tout le monde. Le mauvais côté de la chose c’est que notre ambassadeur se remet à boire en contrepartie. Une partie de moi est satisfaite parce qu’il s’inflige avec l’alcool ce qu’il m’infligerait par le verbe. L’autre moitié déplore déjà la corvée pour récupérer l’épave une fois qu’il se sera échoué. Brusquement Perry se tortille dans son siège pour finalement s’écrouler par terre en criant.

                - Aaah il y a une bête dans mon alcool !

                Je réfléchis à l’éventualité de lui dire que le serpent a toujours été dans cette bouteille depuis qu’elle avait été apportée. Il a eu le temps de se faire resservir trois fois avant de s’en rendre compte. Le temps d’un instant, j’ai un phoque qui se tortille par terre devant moi, ou une limace, au choix. Malgré moi je sais que je ne couperai pas à une nouvelle discussion de dingue.

                - Le reptile fait partie intégrante de la boisson Monsieur. Je pensais que vous l’auriez remarqué.
                - Ah parce que vous le saviez qu’on cherche à m’empoisonner en plus ! Vous faites partie du complot ! Débarrassez moi de cet animal et en vitesse !
                - Mon arme ne passera pas par le goulot de la bouteille, je peux la trancher mais…
                - Et gaspiller ce merveilleux breuvage en le laissant se répandre sur le sol ? N’y pensez pas malheureux ! Puisqu’il faut bien la faire sortir, je me dévouerai pour vider le liquide qui bloque le passage…

                J’abdique, il n’y a vraiment rien à en tirer quand il se met dans des états pareils. De toute façon c’est la faute des Akitsu. Ils n’auraient jamais du s’absenter si longtemps d’abord. Quand ils reviennent enfin, le mal est fait. Vu qu’il tenait plus sur son siège, on s’est posés par terre sur la natte. Assis en tailleur avec mon katana sur l’épaule, je le soutiens tant bien que mal pour écouter la décision de nos hôtes. Par chance, ils acceptent sans concessions. On n’aura pas à subir un essai de conversation à trois grammes. Je me lève pour les remercier en les saluant comme il se doit mais j’oublie que j’étais le seul support de l’ambassadeur qui s’étale de tout son long et se met à ronfler. Je n’ai plus qu’à improviser un truc…

                - Je vous suis gré de votre acceptation des conditions d’alliance sans renégociation. Je parle en notre nom à tous puisque l’ambassadeur Perry est tombé de l’épuisement accumulé du voyage pendant votre délai de réflexion.

                Là franchement je n’avais pas beaucoup de marge de manœuvre pour inventer une excuse bidon. Tant pis, tout le monde s’accordera à dire qu’il s’agira de la version officielle si on nous demande…

                - Monsieur Perry a besoin d’un peu de repos pour le moment. Je propose de remettre la signature définitive du traité à ce soir. En attendant, si nous pouvons nous rendre utiles à quelque chose, n’hésitez pas à nous le demander. Nous allons marcher d’un même pas maintenant après tout. Sans demande de votre part, je donnerai quartier libre à la plupart de mes hommes et c’est moi qui vous demanderais la faveur de me faire visiter votre île et de m’en conter son histoire si possible.

                Je pense que je peux difficilement faire plus poli et avenant. Quand le pochard aura cuvé, on pourra boucler l’affaire et retourner à nos pénates. On va pouvoir profiter quelques heures du coin et passer une bonne soirée. Autant en profiter tant qu’on le peut, on ne sait pas quand la prochaine pourra se faire…
                  Yoko regarde sa tante glisser doucement un petit coussin sous la tête du gros alcoolique. Elle glisse doucement :
                    « - Quelle idée ma tante, ce pourceau ne s’en rendra même pas compte. Vous vous abaissez ainsi dans quel but ? Pour obtenir sa clémence vis-à-vis des nôtres ou est ce encore votre fichue manie de venir au secours des faibles et des déshérités ; il en fait un drôle de « faible » ce… ce… cette outre pitoyable. » »

                  Hanoyo a un petit sourire doux.
                    « - Comme tu le dis Yoko, cet homme mérite notre pitié.»

                  Yoko lève les yeux au ciel… puis se reprend de peur que le lieutenant Drake ne surprenne le bref échange.
                    « - Lieutenant Drake, c’est avec plaisir que je vais vous faire visiter notre modeste île. Si vous le voulez bien je vais changer de tenue car celle que je porte ne se prête guère à la randonnée que je vous propose. »


                  Au cours de la brève attente Hanoyo revient avec un sac à dos agité de soubresauts. Devant le regard étonné de Spike elle croit nécessaire d’expliquer :
                    « - Ce sont des lapereaux… nous sommes à la saison de la ponte ».

                  Elle ne prend pas la peine d’éclairer davantage la lanterne de Drake qui semble de plus en plus interrogateur et s’emploie à tamponner doucement le front de Perry à l’aide d’un petit linge imbibé d’eau de lavande.

                  Un pantalon, un pull, des chaussures de marche, les cheveux ramassés en queue de cheval, un coutelas à la ceinture avec une gourde d’eau… la transformation est étonnante et rapide. Drake a une petite seconde d’hésitation. Sans discuter, Yoko se charge du sac, sur lequel Scratty vient s’asseoir. C’est bien la même gamine, mais le temps dévolu à la tradition est bouclé, au moins pour l’instant.
                    « - Suivez moi Lieutenant. »


                  Du Feu de Bengale aux Feux de Saint-Elme Paragr10

                  Le chemin sinue à travers les champs. De petites fermes se partagent les espaces cultivables. De modestes vergers et des cultures céréalières s’accrochent sur le flanc de l’ancien volcan.
                  Le chemin de ronde où sont disposés les canons d’Hikaru reste très praticable. Mais de là Drake commence à voir la difficulté qu’il y aurait à essayer d’aborder par les côtes de Koneashima. Les nombreux écueils et hauts fonds ainsi que les geysers bouillants deviennent visibles.
                  Yoko commente sobrement le paysage que le lieutenant découvre à mesure qu’ils progressent.
                  Le chemin devient pentu et pénètre dans la partie boisée. Aux arbres aux essences riches, succèdent les épineux qui se contentent des sols plus pauvres. Puis la végétation se fait plus rare et basse. Le sentier se perd parfois un peu. Ils croisent de petits troupeaux de chèvres et de moutons qu’accompagnent des bergers tranquilles.
                    « - Nous n’avons pas de risque de nous perdre, il n’y a qu’un sentier ».

                  Drake est attiré par des sortes de perles disposées de manière à conduire jusqu’à une étroite ouverture. Cela ressemble à l’entrée d’un gros terrier. Il ramasse la première perle mais Yoko le dissuade de continuer :
                    « - Ce sont des appâts de la salamandre de Koneashima. Un curieux animal, peu dangereux si on est prudent. Elle chasse les rongeurs, les oiseaux et parfois elle pêche au bord du rivage. Mais nous sommes à l’époque de la couvaison, elle ne chasse pas et doit attirer des proies plus volumineuses dans son antre. Sentez l’odeur des perles. Étrange n’est ce pas ? En tout cas ça fonctionne très bien et ça fait tomber nombre de victimes dans son piège. Elle les arrose d’un venin qui les paralyse presque instantanément. Elle peut dévorer des proies de grande taille comme des être humains ou des moutons… mais il suffit d’être attentif. Ici tout le monde connaît le danger et personne ne se risquerait à rentrer dans son nid quand elle couve… ni jamais d’ailleurs… »

                  Yoko rit de bon cœur. Elle sort un lapereau de son sac et projette l’animal dans le trou. Quelques bruits furtifs, un craquement bref et plus rien.
                    « Nous allons continuer pour rejoindre le flanc du volcan : vous aurez une vue exceptionnelle de notre archipel mais ne ramassez plus ces petites perles, on ne sait jamais.. ».

                    Il fait beau, le ciel est bleu et le soleil se reflète sur la mer aux alentours en des milliers de petits miroirs. Il ne faut pas se tromper, la nature est aussi sauvage que belle à regarder ici. Si je m’écarte du chemin, je peux glisser sur des roches instables et dévaler la pente jusqu’à un méchant précipice. En bas, les vagues s’écrasent contre des rochers acérés. En dehors du ressac et du chant de la nature, aucun bruit à l’horizon. Le volcan semble calme depuis assez longtemps pour qu’il n’ait que des avantages pour cette île. La faune et la flore sont plutôt riches et diversifiées mais je ne suis sûrement pas le meilleur observateur pour en attester. Venant de Logue Town, n’importe quel coin un peu vert fait office de parc naturel à mes yeux.

                    La montée est assez sportive, moi qui m’attendais à une promenade de santé… La gamine avance à bon train tout en parlant de son pays. Petite pensée pour l’ambassadeur qui n’aurait pas pu faire ces efforts de toute façon. Il doit ronfler encore à l’heure qu’il est. Je n’ai pas de soucis à me faire puisque nos hôtes prennent soin de lui sous bonne surveillance. Quelque chose vient faire disparaître cette pensée en m’interpellant. J’ai failli marcher sur des œufs. Ils sont petits mais il y en a partout, des centaines, peut-être des milliers même. Je n’avais encore jamais vu ça de toute ma vie. Quel genre d’animal peut pondre autant ? Salamandre, je ne connais pas bien cet animal. Enfin bon, on me dit de ne pas toucher, je ne suis pas contrariant. Je préfère éviter les problèmes avant qu’ils ne nous tombent dessus. On ne sait jamais avec les animaux sauvages.

                    Sauvage. C’est un peu comme ça que m’apparaît cette île au fond. Elle semble si reculée, comme en dehors du temps et de ce qui se passe là au dehors. On ne voit aucune île à l’horizon depuis ce spot. Pourtant, nous sommes montés déjà sur les hauteurs et nous jouissons d’une vue bien dégagée, nullement voilée par des nuages bas. Il n’y a tout simplement rien d’autre dans cette partie du monde. Tout juste peut-on voir un signe plutôt macabre d’une autre « civilisation ». A quelques milles d’ici, les restes d’une épave résistent encore aux assauts de la mer sur l’arête rocheuse qui lui aura été fatale. Je prends une bouffée de cet air pur et violent qui me brûle les poumons autant qu’il me revigore. Aujourd’hui, j’ai pu voir des gens vivre et travailler selon leurs propres lois et coutumes. Il n’y a pas que Grand Line, les Blues ne nous sont pas tous dévolus aussi… Moment de calme dans un havre de paix inattendu, je profite juste du moment présent.

                    De là-haut la vue est imprenable, on peut voir quasiment tout ce qui se passe en contrebas. Les gens travaillent dehors, le village est animé mais se meut d’une manière presque millimétrée. Chacun s’active à sa tâche, d’ici on dirait un vivarium de fourmis. L’échelle me rappelle la distance que nous avons parcourue et qu’il faudra refaire. Par chance, le retour se fera sur de la descente en grande partie. L’endroit est un très bon poste d’observation en tout cas, peut-être un peu trop proche du volcan mais ça… A part quelques volutes brumeuses au sommet, il n’y a pas de raisons de s’alarmer. Ça doit être normal pour une cheminée, enfin je crois… Plus on avance, plus le sol s’appauvrit et la végétation disparaît peu à peu. A part les petits terriers que nous avons déjà pu rencontrer, nulle trace d’animaux ne résiste à cet environnement. Une forte odeur de soufre se dégage des fumerolles qui se multiplient à chaque pas.

                    J’entends déjà tousser. Il ne me semble plus nécessaire d’aller plus loin. Les abords d’un cratère ne sont pas un lieu touristique à prendre à la légère et il n’y a pas grand-chose à y voir. Nouvelle quinte de toux, je distingue une silhouette titubant derrière le voile ocre des émanations de gaz. D’instinct, ma main se dirige vers la tsuka de mon sabre alors que je demande à l’ombre de s’identifier. Qui a bien pu s’aventurer jusqu’ici avant nous ?

                    - Qui est là ?

                    Pas de réponse, je retente ma chance alors que je perds patience. L’individu s’empresse vers nous d’une démarche erratique mais forcenée. J’ai fait reculer tout le monde derrière moi, prêt à nous défendre au cas de nécessité. Ma lame est sortie d’une dizaine de centimètres de son fourreau lorsque j’interromps mon geste. L’inconnu s’est effondré de tout son poids à quelques pas de nous. J’avance prudemment, pas après pas. La visibilité est vraiment réduite à cette hauteur et dans cette zone. J’entends le râle perceptible d’une respiration difficile et bruyante. En général ce n’est pas bon signe pour celui qui en est à l’origine. Ma mâchoire se resserre un peu plus quand je distingue finalement une vareuse de marin sur cet inconnu. C’est un des nôtres.

                    Le malheureux a mis ses dernières forces dans sa fuite désespérée vers nous. Ceux qui lui ont fait ça ne sont sans doute pas loin. Ce qui est curieux c’est que je ne distingue pas de blessures par balle ou de lacérations. Il n’y a pas de sang sur notre homme, juste quelques larges tâches mauves sur les avant-bras du matelot. Alors que nous lui conseillons de préserver ses forces, il insiste pour parler.

                    - Kagawa avait entendu cette histoire de monstre au village. Il disait que des légendes pareilles c’était pour protéger les choses de valeurs que ça se racontait dans des communautés comme ça. Du coup on a voulu aller voir ce qu’ils cachaient. Je vous demande pardon lieutenant.

                    Ce n’est encore qu’un gosse, pas beaucoup plus vieux que la mouflette qui nous sert de guide. Sa respiration devient de plus en plus bruyante et difficile, il faut faire vite. Il doit se faire soigner au village, ici nous n’avons ni les moyens, ni les compétences nécessaires. Il m’attrape la main dans un dernier effort et éructe ses derniers mots avec une bile peu ragoûtante.

                    - Les… les autres… sauvez-les. La grotte…derrière. Attention aux…

                    Et puis plus rien. Il a tourné de l’œil et je devrai me contenter de l’endroit où chercher ce qui est déjà mieux que rien. Pour les détails, repassez un autre jour. Par nécessité scénaristique, le danger ne doit pas être révélé avant la fin du film sous peine de gâcher le suspense. Mauvaise blague mais je ne rêve pas. Pas la peine de me pincer, dans mes rêves il y a une île paradisiaque avec des filles à moitié nues sur la plage, pas une gamine et un volcan qui pue. Je crois que je n’ai pas trop le choix, je vais devoir jouer au héros. Je n’aime pas ça, les héros ça meurt souvent jeune et moi ça me ferait chier d’avoir cotisé à la caisse de retraite de la Marine pour des prunes depuis dix berges.

                    - Ramenez au plus vite ce matelot au village. J’espère qu’il tiendra jusque là. Il le faut. De mon côté je vais en éclaireur pour essayer de retrouver les autres. Vous ne serez pas trop de quatre pour le porter, j’irai donc seul. Tâcher de revenir à la charge avec du renfort pour m’aider. Allez filez !

                    Regards échangés, réticence affichée mais ils savent bien que je ne laisserai personne derrière. Ils savent aussi que le matelot ne s’en sortira pas si nous restons tous là. Il n’y a pas à tergiverser. J’ai ordonné, ils exécutent. De mon côté, je noue un foulard autour de mon visage pour respirer le moins possible de gaz et je fonce sabre au clair. J’arrive finalement à l’entrée de la grotte. C’est étroit, les parois sont sales et de l’air bien chaud s’échappe de la cavité. J’espère que j’aurai un peu plus de place pour me défendre contre la menace mystère une fois à l’intérieur. J’ouvre le haut de mon uniforme pour supporter un peu mieux la température et je me lance. C’est donc à ça que ressemble l’enfer ?
                        - Et ça donne des ordres, et ça s’agite ! Je préfère ne rien dire pour ne pas casser l’autorité de ce petit lieutenant dont je peux avoir besoin. Mon ami Zaza, la fille du tavernier, a bien raison quand elle dit :« les jeunes officiers de la Marine sont faciles à reconnaître, ils ont des couilles à la place du cerveau, les hauts gradés, c’est le contraire »... Celui là commence à prendre de l’age pourtant, c’est presque un vieillard, même si il a encore fière allure dans son uniforme, mais question discernement, il n’est pas encore au point.

                        Maintenant que les marines sont partis avec leur blessé je vais pourvoir lui expliquer, sans qu’il ait l’air d’une truffe…

                      Yoko en est là de ses réflexions lorsque Drake commence à s’engager dans une étroite cheminée. Elle le rattrape par le col.
                        - Ne croyez vous pas qu’il serait bon que je vous explique quelques bricoles avant que vous décidiez si vous voulez ou non vous suicider ?

                      Drake s’interrompt et s’extrait de l’étroit boyau pour écouter Yoko. Sur son visage la gamine lit l’inquiétude et la détermination. Elle le regarde avec une pointe d’ironie.

                        - Prenons cinq minutes pour faire le point voulez-vous ? D’abord votre marine ne craint plus rien, si il avait dû mourir ce serait fait. Il suffisait de l’éloigner du cratère et d’attendre que l’effet du venin de la salamandre s’estompe. Par contre je ne donne pas cher de la peau de ceux qui ne sont pas ressortis.

                        Vous savez ce que vous allez affronter ? Non, sûrement pas ! Et moi je ne le sais que partiellement.
                        Les salamandres ouvrières, on les connaît bien, c’est celles qu’on voit le long des flancs du volcan et qui récoltent la nourriture et couvent les oeufs. Elles n’attaquent avec leur venin que pour se défendre ou lorsqu’elles sont affamées. Dans le cratère, là où vous voulez aller, se trouvent les guerrières, elles ne sortent pas du cratère et sont nourries par les ouvrières, mais elles empêchent toute intrusion dans leur domaine. De mémoire de Koneashimiens, personne n’est ressorti vivant d’une exploration de ces grottes volcaniques et on n’a vu les guerrières que de loin.
                        La légende dit que ces salamandres guerrières protègent une puissante reine volante et que parfois, alors que l'ile était attaquée, on l’a vue voler pour arroser la flotte ennemie de jets de venin mortel. Mais ce n’est qu’une légende, pas un Koneashimien vivant ne l’a vu de ses propres yeux. Mais la légende demeure dans notre tradition et nous nourrissons les salamandres quand nous en avons l’occasion.

                      Yoko regardait Drake qui semblait la prendre pour une illuminée… Elle comprit que ce fou de marine était trop pragmatique pour écouter ses avertissements et trop inconscient pour renoncer. Elle lui tendit son sac à dos.
                        - Essayez de ne pas vous montrer agressif si vous rencontrez une salamandre, offrez lui un lapereau. Ah et prenez ça… les salamandres sont dangereuses mais pas plus que les vapeurs toxiques du volcan.

                      Là dessus Yoko arrosa le visage voilé de Drake à l’aide de sa gourde. C’est donc un valeureux guerrier, la tête dégoulinant d’eau, un lapereau à la main qui s’enfonça dans l’étroit boyau. Yoko avait décidé de ne pas le suivre. Inutile d’être deux à mourir. Elle ajouta :
                        - J’espère que vous courrez vite.

                      La jeune fille s’assit en tailleur. Elle avait humidifié le col roulé de son pull et l’avait remonté sur le bas de son visage. Le lieutenant ne pouvait voir que ses yeux… que pouvait-il y lire ?
                        Ces cinq minutes peuvent être fatales pour ceux qui attendent de l’aide. Pour qui elle se prend cette gamine ? Elle est là à m’asséner des conseils et des idées toutes faites, me raconter des légendes… Comme si j’avais du temps à perdre à écouter des salades. J’accepte quand même son sac et son mode d’emploi des salamandres mais c’est bien pour lui faire plaisir. La douche froide est la goutte d’eau qui a rempli le vase à ras bord.  Finalement je relativise devant l’effet de la manœuvre qui rend le gaz moins irritant. Le fait qu’elle se soit plus ou moins infligée le même traitement finit de me calmer. On n’est pas passés loin de la rafale de phalanges quand même, j’en ai encore des fourmillements dans la main. Il est temps d’y aller, ça me gêne de la laisser en retrait mais c’est sans doute le plus sûr pour elle. A mon tour de ramener un peu ma science pour remettre les compteurs à zéro.

                        - Tu es une jeune fille intelligente, je le concède. Toutefois, tu n’es un gros poisson que parce que tu évolues dans un tout petit bocal. Ce qui fait de toi quelqu’un de supérieur ici, ne veut pas dire que tu sois apte à tout assumer dans le vrai monde. Méfie-toi de tout mais apprends à faire confiance et à te reposer sur les autres pour pouvoir avancer. Surtout ne doute jamais de tes capacités même si il faut savoir se remettre en question parfois et surtout fie-toi à ton instinct. On ne peut pas toujours prendre cinq minutes pour réfléchir quand l’urgence nous rattrape. On se revoit dès que j’ai récupéré les autres. Fais attention à toi.

                        Elle doit me voir comme un irréfléchi mais c’est surtout elle qui est naïve. Elle voit encore le monde de son regard d’enfant. On aurait pu croire qu’elle ait acquis une certaine maturité avec la perte de ses parents mais l’influence fantaisiste du reste de sa famille et l’isolement de cette île lui sont préjudiciables. Je ne voudrais pas qu’elle ressente la frustration de ne plus pouvoir progresser mais je ne lui souhaite pas non plus d’être bouffée par des requins. Si je n’avais pas été protégé par quelqu’un de bienveillant contre mon gré, qui sait ce que je serais devenu aujourd’hui. Je ne sais pas exactement ce que son père a fait, ni pourquoi, mais un enfant ne devrait jamais avoir à assumer et porter sur lui les actes de ses parents.

                        Je progresse prudemment dans le boyau de pierre. Il fait sombre mais l’obscurité n’est pas totale, ce qui me permet de progresser même démuni d’une torche ou d’une lampe. La proximité du volcan me fait m’interroger sur l’origine de la lueur qui me fait avancer comme un insecte vers une lanterne. Je suis en nage dans ce conduit qui finit par s’élargir sur une sorte de chambre au bout de quelques dizaines de mètres. L’espace n’est pas seulement plus large mais aussi plus haut, ça me permet de bien relever la tête. Un puit de lave rougeoyante illumine la caverne naturelle. Divers conduits communiquent en ce point, sûrement des sorties vers l’extérieur pour la plupart. Cela permet de ventiler un peu l’endroit même si les bestioles ne semblent pas souffrir de la proximité du magma ou des gaz. Un groupe dort même bien au chaud au plus près.

                        Il s’agit maintenant de ne pas faire de gestes brusques. Je sors un lapereau du sac et je vais le déposer à distance raisonnable du premier groupe que je croise. J’ai l’impression d’acheter mon passage, j’espère que j’aurai assez d’offrandes pour en revenir… Au fur et à mesure que j’avance, les reptiles gagnent en taille. Les plus petits servent les plus imposants en leur apportant leur nourriture principalement. Il y a des traces de sang au sol, j’espère qu’elles n’appartiennent pas à ceux que je viens chercher. Le dernier lapereau que je viens de laisser a été déchiqueté devant moi par une gueule bordée de petites dents acérées. Je ne donne pas cher de mes propres membres si jamais je passe au menu.

                        Je crois avoir passé le premier rideau de la colonie. Les bestioles sont moins nombreuses mais passent toutes allégrement le mètre de long. Elles sont plus agressives aussi et leurs cris stridents me vrillent les tympans avec la résonance de l’endroit pour les amplifier. Je crois qu’il s’agit des fameux guerriers dont la gamine m’a parlé, je ne compte pas les provoquer. Je vide le reste du gibier qu’on m’a confié. Tant pis pour le retour, il faut absolument les calmer et si je fais vite ça ne devrait pas poser problème. Les monstres se jettent déjà dessus avec un appétit qui semble insatiable. Au moins ils ont arrêté de crier après moi, mon ouïe apprécie et m’offre de nouvelles perspectives.

                        Le gémissement que j’entends maintenant est très probablement humain. Ils sont en vie. Je me dirige au son vers une cavité dans la paroi où je découvre trois hommes tassés les uns sur les autres. L’endroit sent vraiment très fort, si fort que j’arrive à en distinguer toute la puanteur moi qui suis dépourvu de qualités olfactives notables. L’odeur de la mort et de la chair en décomposition est inimitable. Cette « pièce » est leur garde-manger. Rapide état des lieux, il n’y a pas de sortie plus proche que celle que j’ai empruntée pour venir. Les autres sont obstruées par des paquets de salamandres qui campent devant ou dans la partie supérieure. J’interpelle mon groupe en parlant le plus doucement possible.

                        - Vous allez bien ? Je suis le lieutenant Drake, on est venus vous sortir de là. Vous pouvez marcher ?

                        Leurs yeux s’écarquillent comme pour s’assurer que je ne suis pas une hallucination due au gaz. Je dois retirer ma protection le temps d’un instant pour qu’ils soient définitivement rassurés par mon visage. Je peux le lire dans leurs regards, ces hommes s’étaient préparés à mourir sous peu mais l’espoir revient. Une voix faible mais déterminée me répond.

                        - Hawkins est blessé mon lieutenant. On lui a fait un garrot mais il a perdu beaucoup de sang quand une de ces bêtes lui a attrapé la cuisse. On devra l’aider à marcher mais on devrait pouvoir le soutenir jusqu’à la sortie.

                        Par chance le poison de la salamandre ne semble pas se transmettre par les crocs ou les griffes. Ces hommes sont amochés mais pas affaiblis par la toxine. Je me voyais mal devoir les sortir un par un. Il est temps de penser à notre exfiltration de l’antre de la bête. Hawkins soutenu sous chaque bras par un de ses collègues, nous progressons vers l’entrée. Il n’y a jamais qu’une cinquantaine de mètres à parcourir au milieu d’une meute affamée qui défend son territoire après tout. Au bout de quinze mètres, le constat est plutôt mauvais. J’ai beau essayer de créer des diversions en lançant des pierres  pour les attirer, cela ne semble pas vraiment marcher.

                        Moi qui pensais que tous les reptiles se repéraient au son à cause de leur mauvaise vue, ceux-là m’ont l’air sourds comme des pots. Pire, ils se rapprochent de nous et je crois comprendre ce qu’ils cherchent. La blessure d’Hawkins s’est rouverte et son sang les attire comme une traînée de poudre. Il va falloir agir vite ou nous serons très rapidement encerclés et servis au dîner.
                            – Gnagnagna… « apte dans le vrai monde » … quel niais, ce col bleu de mes deux… j’ai visité plus de cités fabuleuses qu’il n’en a jamais vues ce marin prêcheur, j’ai assisté à plus de spectacles grandioses qu’il n’en verra jamais… surtout qu’il n’est pas prêt de ressortir de là, ce suicidaire naval, ce donneur de leçon outrecuidant, ce tribun d’occase !

                          Du Feu de Bengale aux Feux de Saint-Elme Image_10 Yoko marche de long en large, vexée par la leçon de Drake, elle donne des coups de pieds rageurs dans des cailloux qui dévalent les éboulis, comme autant de coups qu’elle aurait aimé donner à ce Drake, à ce Perry, à tous ces étrangers qui viennent l’embêter alors qu’elle a besoin de temps pour se construire. La grimpette avait duré deux bonnes heures et maintenant, à l’apogée de sa course, le soleil coiffait le volcan l’inondant d’une clarté midi-nette.
                            – Non, tu n’es pas prêt de remonter à la surface ou alors ce sera dans le ventre d’une salamandre. Bouffé par un amphibien, c’est un beau destin… bouffé, mangé… Manger… j’ai faiiiim… Mon sandwich au beurre de cacahuète ! Je l’ai laissé dans le sac à dos que j’ai donné à cet individu, le pot acheté à Goa est vide, je ne suis pas prête à m’en refaire un sandwich comme ça. »

                          Du Feu de Bengale aux Feux de Saint-Elme Index10
                          Yoko s’est immobilisée, l’urgence de la situation lui apparaît : il faut récupérer son sandwich au beurre de cacahuète.



                          Du Feu de Bengale aux Feux de Saint-Elme Sandwi10
                          Aussitôt elle se faufile dans la cheminée étroite, la dégringole avec une agilité surprenante puis trace son chemin dans un boyau en pente plus douce.

                          Yoko s’étonne que l’air soit plus respirable qu’elle l’avait prévu mais un courant d’air relativement frais atteste de la présence d’autres issues vers la surface. Elle parcourt ce conduit pendant quelques centaines de mètres de plus. Les crissements et grognements qu’elle percevait faiblement deviennent plus proches… très proches puis elle débouche dans une sorte de grotte naturelle. De la paille sur le sol, mêlée à des excréments et à des reliefs de repas en état de décomposition avancée… – pas bien pire que l’odeur du port à la saison chaude… j’ai FAIM !
                          Du Feu de Bengale aux Feux de Saint-Elme Image_10 Les hommes sont cernés par une vingtaine de salamandres de taille variées. Les fameuses salamandres guerrières sont imposantes et semblent dangereuses. Pour le coup Yoko oublierait presque qu’elle a faim. Par les mille feux de la Moor, les hommes sont vivants… elle n’aurait jamais imaginé cela possible.

                          Du Feu de Bengale aux Feux de Saint-Elme Image_10 Yoko ne veut pas attaquer les animaux car ce sont des salamandres de Koneashima, plus ou moins considérées comme espèce protégée. Mais en dehors de son souci pour la protection de la faune locale, une autre réflexion, plus pragmatique, lui recommande la prudence : elle imagine que le moindre geste agressif provoquerait la curée. Elle se décide à utiliser la ruse. Elle s’accroupit lentement, se roule dans la litière des salamandres, glisse d’énormes poignées de paille souillée dans son pull, se barbouille du mélange répugnant.

                          La manœuvre est lente, silencieuse. Elle n’attire pas l’attention des bestioles focalisées sur les hommes. Yoko se glisse à quatre pattes entre les animaux qui semblent ne pas prêter attention à l’intruse. Ainsi elle rejoint le cercle d’hommes et leur tend une première poignée de litière infâme.
                            Encerclés hum… Il va falloir que je prenne une pause réflexion là. Elles sont trop nombreuses pour espérer les combattre même si on était quatre valides. Les cris des salamandres guerrières couvrent mes pensées. C’est pénible mais je ne pense pas qu’elles s’arrêtent si je leur demande gentiment, ou pas d’ailleurs. On se lance dans un rapide inventaire pendant que le cercle autour de nous se réduit petit à petit. Il nous reste deux pistolets, un fusil, un peu de poudre mais plus de balles. Quelle belle résistance on va faire avec mon sabre et leurs crosses ! Il ne me reste qu’à voir dans le sac que m’a confié la gamine. Il ne doit plus rester grand-chose à l’intérieur, je l’avais presque oublié vu son faible poids sur mon épaule. Et le cadeau mystère qui nous sortira de là est… son goûter.

                            Je doute fort que ça puisse contenter les bestioles mais moi je réfléchis mieux le ventre plein. Avec un peu de recul ça ressemble à un signe de la providence… le dernier repas du condamné. Alors que j’estime la mangeabilité du truc, les regards émerveillés de mes fidèles subordonnés se posent sur la nourriture.

                            - Vous devez avoir faim… Ça ne fait pas beaucoup à partager mais ce sera toujours ça de pris…

                            Par chance il y a deux sandwichs, une moitié pour chacun. Alors que je vais enfiler ma part, une patte se tend vers moi dans un angle mort. Je m’arrête au dernier moment avant de la trancher et manque d’exploser de rire. Je sais qu’on est dans une situation critique mais là… La mouflette semble s’être transformée en mouffette. Quelle idée lui est passée par la tête ? Se rouler dans les excréments serait-elle une coutume étrange d’ici ? Je prends une brindille et lui titille le front.

                            - Etrange spécimen… Vous croyez que c’est un zoan ? Trop mignon d’être venus pour nous en tout cas. Tu veux que je fasse quoi de ta paille là ?

                            Trêve de plaisanterie, elle a réussi à se traîner jusqu’ici par ce moyen. Elle a plus de ressources que je n’aurais cru. Elle a l’air surprise qu’il y ait des survivants dans cette grotte, moi qu’il n’y ait pas plus de cadavres de salamandres avec toutes les balles qui ont du être tirées. Je crois bien qu’elle a les larmes aux yeux la gamine en regardant mes hommes en vie, s’empiffrer comme ils peuvent avec ce truc peu ragoûtant. Son regard se pose sur moi mais ses sourcils se froncent et ses pommettes se gonflent. Elle n’est pas venue pour nous. Je n’ai plus qu’à lui laisser ma part je crois…

                            - Tiens, je t’avais gardé ta part mais ils étaient affamés et vu la situation… Si je comprends bien ton idée, on doit se rouler dans le fumier pour sortir ? Je ne suis pas sûr que ce soit très hygiénique pour les plaies ouvertes ça… Et puis même si je survis à ça, qu’en sera-t’il de ma fierté…

                            Les salamandres s’approchent trop près et vite. Le temps nous est compté alors je ne peux que valider ce plan humiliant. Je couvre les autres pendant qu’ils se barbouillent, j’y passerai en dernier. Il suffit que je garde les reptiles à distance une poignée de minutes. En tuer quelques uns dans la première ligne devrait être suffisant pour ralentir les autres. Les coups tranchants semblent bien peu efficaces, je dois trouver une autre solution. Percer le crâne entre les deux yeux marche finalement plutôt bien. Ça y est c’est bon, la gamine commence à exfiltrer mes gars par le côté dans le désintérêt le plus total des bestioles.

                            Je continue le combat à coup de crosse sur la tête parce qu’on m’a gentiment rappelé que ces animaux étaient sacrés pour les locaux. Les trois premiers morts nous auront vengé au moins. Les cris de ces sales bêtes ont changé depuis quelques instants. Mon instinct me dit que je ne vais pas aimer la suite… Un cri similaire mais en beaucoup plus puissant résonne dans la caverne. Une ombre énorme se déplace vers nous dans le conduit principal à l’autre extrémité de la grotte. Je n’aurai pas le temps de m’emmerder avec tout ça, dans tous les sens du terme. Il va falloir que je fonce dans le tas. Les autres ont enfin rejoint l’entrée, c’est le plus important.

                            En parant au plus pressé, c’est comme si mon corps bougeait tout seul. Ces reptiles sont lents, il faut que je les prenne de vitesse en progressant par bonds entre eux. J’évite les premières morsures ou griffures mais manque de chance je rate une réception en posant le pied sur une salamandre. Sa peau visqueuse est pire qu’une savonnette et il m’est impossible de me rétablir sans chuter. Le contact avec le sol est rude mais avec l’adrénaline que j’ai dans le sang, ce n’est pas ça qui va m’arrêter. Douleur vive quand même, je sens les crocs fins de ma victime involontaire traverser ma botte gauche en représailles. Je frappe la bête à la tête avec mon fourreau et elle desserre son étreinte assez pour que je sauve ma jambe. Pas ma botte.

                            Me voici enfin à l’entrée, couvert de petites écorchures à cause de la roche affleurante, boitillant après la morsure mais toujours en vie. Le monstre qu’ils ont appelé en renfort avance toujours. Ma crainte de le voir apparaître surpasse ma curiosité pour le moment. Je suis les autres vers l’air libre. Pas sûr qu’ils arrêtent de nous pourchasser et je suis épuisé par ces efforts vifs et répétés en peu de temps. Le sac de poudre restant et le soufre qui s’est déposé sur les parois vont m’aider à couvrir notre retraite. Après avoir placé la charge, un bon coup de sabre crée l’allumette qui fait sauter une partie de la paroi et s’ébouler l’entrée. Je ressors couvert de poussière et de sang. Les autres m’ont précédé.

                            - Vous êtes vraiment dans un sale état.

                            Je m’étale au sol, j’ai besoin d’un petit temps de repos pour reprendre mon souffle…


                            Dernière édition par Spike L. Drake le Dim 22 Sep 2013 - 16:42, édité 1 fois
                                – Vous n’êtes qu’un sale…

                              Yoko a une envie irrépressible de gifler ce Drake qui vient de tuer des salamandres de Koneashima et gâcher ses derniers sandwiches au beurre de cacahuète.

                              Elle meurt d’envie de sauter à la gorge de Drake, alors elle file plus loin, pour éviter l’irréparable. Le laissant planté là dans son uniforme informe et avec sa tronche de cake, pas coquet du tout pour le coup.

                              Elle expose sa lame aux petits geysers de vapeur brûlante mêlés de résidu de lave qui crachouillent irrégulièrement.
                                – Allez bougez vous... amenez moi le blessé… Vous attendez qu’il se vide de son sang ?

                              Elle protège sa main par un tissu mouillé mais la poignée de la dague est à peine tenable.
                                – Mais mille feux, enlevez lui son pantalon et tenez lui les mains, j’vais pas le violer !

                              Scrichhhhh… elle applique fermement la lame sur la plaie de l’homme qui crie malgré sa faiblesse. Elle a vu sa tante faire ça de nombreuses fois… facile finalement.
                                – Voilà, cautérisé, désinfecté…

                              Elle s’adresse à Drake :
                                – Restez ici avec vos hommes, je vais à la rencontre des secours, ils ne devraient plus tarder, je vais leur expliquer où vous trouver…
                              Yoko a envie de s’éloigner de ces marins crétins qui ont provoqué la mort de ses salamandres, qui ont dévoré son sandwich et pour lesquels elle a dû se traîner dans le fumier répugnant. Je suis ridicule, puante, considérée comme une gamine par ces troufions minables et par-dessus tout, si la légende dit vrai, on va se payer la destruction de la flotte du port… et ils sont capables de dire que c’est de notre faute. Bande de …

                              Du Feu de Bengale aux Feux de Saint-Elme Paragr10

                              Yoko a croisé la colonne des secours, et l’a dirigée vers le cratère. Elle file maintenant à travers champs pour rejoindre la côte. Elle se déshabille et s’immerge dans l’eau glacée puis elle rince ses vêtements du mieux qu’elle peut. Se rhabiller n’est pas chose facile.

                              Elle ressemble à une loque dégoulinante lorsqu’elle se présente à la résidence. Et là, sur le seuil, elle reste figée, laissant s’agrandir la flaque à ses pieds. Sa tante caresse doucement le front de la bombonne ronflante. Dans le regard de la quinquagénaire Yoko lit un je-ne-sais-quoi parfaitement incongru.
                                - On peut toujours critiquer les ados ; les quinquas ne sont pas épargnés par la co… sottise. Contrôlez vos hormones ma tante, la situation ne se prête pas à ce genre de niaiseries ménopausiques dangereuses !
                              Hanoyo sourit doucement et ne semble même pas entendre les reproches peu courtois de sa nièce.

                              Yoko claque des dents et la porte de sa chambre simultanément. Elle se sèche enfin et se vêt confortablement. Elle s’installe sur un pouf et inhale un peu de poudre grise… le calme revient.

                                - Dès que ce Drake sera revenu je lui conseillerais de faire appareiller la flotte pour qu’elle s’éloigne des côtes durant la nuit… le légende doit être prise au sérieux… le mieux serait qu’ils partent tout de suite… voilà, ils doivent partir et ne pas revenir et me laisser en paix.

                                La cavalerie finit par arriver en renfort mais la guerre est déjà finie. Il est temps d’évacuer nos blessés sur civière jusqu’au village en contrebas du volcan. La gamine a piqué sa crise et a pris la poudre d’escampette. Aucune reconnaissance pour lui avoir permis de sortir de là saine et sauve, les jeunes maintenant… Mauvaise foi mise à part, elle a bien aidé. Si elle m’avait laissé le temps de la remercier, je crois bien que je l’aurais fait. Sur le chemin du retour, le soulagement de s’en être sortis sans trop de dommages est gâché par le récit des événements pour que je comprenne et connaisse la totalité de l’histoire. Ils étaient neuf à être entrés dans cette grotte. Ceux qui s’en sont sortis n’ont du leur salut qu’au prix du sang des autres qui auront couvert leur présence. Le médecin ne sait encore pas si le blessé grave pourra s’en sortir ou garder sa jambe dans le meilleur des cas. Je n’ai pu en sauver qu’un tiers à peu près et il faut que je rende compte de tout ça dans mon rapport à Perry…

                                Le temps de me laver et de me changer, je le retrouve là où je l’avais laissé, en compagnie de la tante Akitsu. A mon annonce, il relève prestement la tête de ses genoux et lui donne congé. Il arbore un grand sourire niais tout en réajustant sa tenue et sa coiffure pour retrouver un peu de sa prestance. Je préfère oublier ce que je viens de voir, ça ne me regarde pas. Lui en profite pour aller faire un tour du côté de la fenêtre en tapotant négligemment son ventre rebondi puis en remontant son col. Je me demande s’il est encore dans la même réalité que moi.

                                - Monsieur, nous avons perdu six hommes, peut-être sept suivant les conséquences à venir. Ils se sont rendus dans une zone dangereuse peuplée d’animaux sauvages mortels qu’ils ont sous-estimé en espérant découvrir un quelconque secret.
                                - Vous avez vu lieutenant Dredd ? Mon charme fait déjà effet sur cette île. Je ne mettrai pas longtemps à l’avoir à mes bottes.
                                - Nous avons perdu une demi douzaine d’hommes, je vous signale une menace que j’ai à peine réduite malgré mes efforts et vous me parlez de vos exploits galants ? Et c’est lieutenant Drake au passage…
                                - Oh suffit, ces pertes sont minimes. Il suffira d’officialiser la restriction de la zone à une poignée de gens et on m’a assuré qu’il n’y aurait pas de débordements de ces lézards. On me nomme gouverneur ici, alors ne commencez pas à chercher les complications.
                                - Je ne peux qu’exprimer mon désaccord avec votre considération légère de la chose monsieur. Nous ne pouvons nous permettre de laisser un danger exister sans plus de contrôle. Parquer ces animaux serait un moindre mal…
                                - On ne vous demande pas votre avis. Votre mission d’escorte est terminée, vous êtes attendu au QG pour débriefing donc vous partirez dès demain. J’ai ouï dire que vous avez tué quelques unes de ces bêtes sacrées ici. Je fais taire la rumeur mais vous devez impérativement présenter vos excuses à la famille Akitsu.
                                - Alors maintenant je dois m’excuser d’être en vie avec les rescapés de cette attaque ? C’est une plaisanterie ? Où sont les den den cameras ?
                                - Calmez-vous Blake ! Contrôlez vos élans d’insubordination où ça finira mal pour vous ! Vous embarquerez la jeune Yoko Akitsu dans le cadre du développement des poudres de l’île à des fins militaires. Son oncle s’occupera de la majeure partie du travail mais il faudra des tests en conditions réelles dans divers environnements. Il m’a dit qu’il se chargerait de la prévenir lui-même. Tâchez juste d’être poli et aimable avec cette enfant. Leurs connaissances nous sont précieuses.
                                - Baby-sitter moi ? Je vous la laisse et j’embarque l’oncle plutôt.
                                - Impossible Cake, il est agoraphobe.
                                - Et bien nous le laisserons dans sa cabine.
                                - Voyons Dwayne, il a le mal de mer.
                                - Je suis sûr que nous avons des médicaments pour ça.
                                - Réfléchissez Doowie, il fait exploser son labo en moyenne une fois par mois.
                                - Comment elle s’appelle la jeune fille déjà ?
                                - Yoko. Yoko Akitsu.
                                - Vous l’avez rencontrée depuis beaucoup moins longtemps que moi et vous connaissez son nom mais pas le mien… C’est lieutenant Drake, D-R-A-K-E ! C’est pas compliqué bon sang.

                                Son visage ahuri me dit clairement qu’il trouve disproportionnée ma réaction à son comportement. Il se fout complètement du monde qui l’entoure tant que ça n’altère pas son petit univers. Quoi qu’il en soit, mon séjour dans cette maison de fous arrive à son terme. Il ne me reste plus qu’à enterrer la hache de guerre avec la gamine. Si ça se passe mal avec son oncle et qu’elle ne veut pas suivre le mouvement, je ne me plaindrai pas de ne pas l’avoir dans les pattes. Mais bon si j’encourage en ce sens, je vais me faire taper sur les doigts pour ne pas suivre les ordres… Elle est assez tête de mule pour pourrir la situation toute seule comme une grande. Moi je serai celui qui a tendu la main en signe de paix héhé.

                                Après un petit tour dans la cambuse, je trouve le futur outil de ma réussite. Je fais préparer par le cuistot de bord un sandwich à partir du pot de beurre de cacahuète que je viens de dégoter. On lui laisse sur un plateau gentiment avec un petit mot d’excuse de ma part à propos des salamandres et que nous sommes à sa disposition au besoin pour ses préparatifs. Je n’ai plus qu’à frapper à la porte de sa chambre et prendre la tangente. Elle me causera déjà assez de problèmes à bord. Je ne sais pas trop où on va pouvoir la caser. Cette sordide histoire au volcan a fait un peu de place dans les couchettes mais je me vois mal laisser une gamine au milieu d’une bande de marins transpirant la testostérone. D’ici qu’elle ne réclame pas elle-même ma cabine… Pourquoi il faut toujours que ça me tombe dessus ces corvées ?

                                Je n’ai pas encore eu le temps de frapper à la porte que ça gigote entre mes bottes. C’est l’écureuil de ce matin qui tape dans les sandwichs pour casser la graine. Il me regarde avec ses grands yeux ronds en penchant la tête. Je suis sûr que c’est de la provoc’.

                                - Hé laisse ça ! C’est pas pour toi rongeur de malheur ! Rends-moi ça tout de suite !

                                Bien évidemment, le voilà qui se carapate avec son butin et moi qui cours après dans le couloir pour le rattraper. Finalement il n’y avait pas besoin de frapper à la porte avec tout ce boucan…

                                  - Quel est ce raffut encore ? Marre de cette journée, marre de ces intrus. Marre, marre, raz le boshi.
                                  Yoko ouvre la porte à la volée, prête à rentrer dans la couenne du responsable de ce vacarme.

                                  - Il faudra bien que quelqu’un paie l’addition !
                                  Elle ne voit que les talons du fauteur de trouble et une assiette vide.

                                  - Il se fout de moi en plus, il veut la guerre, il va l’avoir !


                                  Alors qu’elle va se lancer à la poursuite de Drake, Hikaru apparaît au détour du couloir, évitant de peu le lieutenant.
                                    - C’est toi que je viens voir Yoko.
                                    - vous semblez bien soucieux mon oncle. Entrez et expliquez moi ce qui se passe.

                                    -Je viens de m’entretenir avec l’ambassadeur Perry et notre situation est délicate. Il est clair que le GM souhaite mettre la main sur nos poudres à des fins militaires. C’est une chose que nous redoutions depuis longtemps mais nous n’avons pas les moyens de les en empêcher.

                                    - Mais si ils ne découvrent pas le secret de notre poudre, elle ne sera qu’une poudre comme une autre et, étant données les faibles quantités que nous produisons, ils nous oublieront rapidement.

                                    - C’est précisément là que nous devons être attentifs.

                                    - Alors il n’y a pas de problème, nous sommes les seuls à savoir l’utiliser et sûrement à POUVOIR l’utiliser. Tout va bien, le tonneau repartira chez lui quand il en aura assez, ce qui ne devrait pas tarder. Surtout si on lui fait quelques « accidents » qui lui roussissent la moustache. Et boom ! Il faudra bien qu’il admette que notre poudre n’est pas faite pour les canons.
                                    Yoko danse quelques pas guerriers, satisfaite de son raisonnement.

                                    - Ce n’est pas le seul problème, hélas. Cet ambassadeur est moins stupide qu’il ne le parait et il veut que tu partes pour participer à une mission de développement des poudres de l’île à des fins militaires. Il argumente que tu atteindras ainsi ta majorité, nouant des liens privilégiés entre les Koneashimaiens et le GM, dans le respect de notre peuple et de ses traditions…

                                    - … Et blablabla. Je crois avoir déjà entendu ce refrain, mon oncle !

                                    - Je ne me fais pas d’illusions mon enfant. Notre seul espoir c’est que le GM et Perry ne voient pas d’avantage à nous utiliser et ainsi notre atoll retrouvera sa tranquillité. Et pour ça il faut jouer leur jeu et les décourager. Je me fais fort de rater mes expériences avec opiniâtreté. Mais toi tu vas devoir partir.

                                  Du Feu de Bengale aux Feux de Saint-Elme Paragr10

                                  Du Feu de Bengale aux Feux de Saint-Elme Shurik10 Yoko sait que son oncle a raison et qu’elle n’a pas le choix. Et puis l’aventure ne lui déplait pas, à bien réfléchir. C’est assez sereine qu’elle rejoint leurs hôtes

                                    Votre excellence, je ne peux refuser votre généreuse offre. Je fais mes bagages et mes adieux aux miens et suis sur le navire dès ce soir. Ha oui, j’oubliais… vous ne croyez probablement pas à nos légendes mais je vous conseille cependant de ne pas laisser de bateaux dans les environs de l’archipel cette nuit : votre lieutenant a dérangé notre « dragon ». La prudence ne coûte rien ; il serait dommage que les navires soient coulés pour rien… enfin si on estime que la mort de nos salamandres ne soit « rien ». Coup d’œil furieux vers Drake

                                    Vous embarquerez donc avec le lieutenant Strake dès ce soir.
                                  Perry désigne Drake d’un geste fatigué. Yoko remarque que le lieutenant semble de mauvais poil, de très très mauvais poil. Elle reste en apnée quelques secondes.
                                    Avec ce… ce… cet énergumène là ?

                                  Perry semble amusé par la réaction de Yoko et il pouffe, faisant tressauter ses triples mentons adipeux et sa bedaine de vache prête à mettre bas. Drake s’assombrit encore. Yoko se reprend. Ses antipathies personnelles ne doivent pas nuire aux intérêts de Koneashima. Yoko prend son air le plus hautain en s’adressant à Spike :
                                    Vous pourrez enlever mes bagages en fin d’après midi et les faire déposer dans ma cabine.
                                  Et elle tourne les talons, le menton haut, l’air outragé.