Agent Kar H. Ansèth.

Physiquement, l'agent K. est parfait. Tout simplement parfait. Il a tout ce qu'il faut pour endosser le rôle du soldat sans défaut. Mesurant un mètre quatre-vingt-dix, pour un poids avoisinant les quatre-vingt-cinq kilos, l'agent K. est intimidant. Sa carrure lui offre un avantage psychologique sur les esprits les plus faibles et lui permet également de tenir le choc dans toutes les situations. Son corps peut endurer, pas éternellement cela dit. Vint le moment où le corps cède, comme tout le monde. L'Agent K. est endurant et agile, il est en mesure d'infiltrer n'importe lequel des bâtiments sans buter sur un obstacle à franchir. Il est rapide, neutralisant l'ennemi en perdant le moins de temps et ce silencieusement, afin d'éviter d'attirer les complications.

Son faciès est à l'image de ce que tous devraient être au sein du Gouvernement, n'exprimant rien et détenant un regard froid. Si seulement c'était vrai... Là-dessus, sa psychologie le rattrape. Kar n'a de cesse de plaisanter et d'afficher sa bonne humeur à qui veut bien la voir. Il est souriant et expressif comme personne. S'il le voulait, il pourrait communiquer avec les autres par ses seules expressions faciales. Autrement, difficile de ne pas fixer ce front proéminent qu'il affiche fièrement au grand jour. Le fait qu'il n'ait pas un cheveu sur la tête n'arrange pas la grandeur de son front. Le teint blafard, les yeux bleus, la peau glabre, à l'exception des sourcils bruns qu'il n'a jamais eu l'envie de raser, le tout se terminant par des joues creusées et quelques rides qui ne devraient pas être là.

Monsieur Ansèth est jeune, quoi qu'on en dise. Il a atteint la trentaine qu'il y a quatre ans et même s'il paraît en faire davantage, il n'en est rien. Sa tenue vestimentaire quant à elle, ne varie pas tellement selon les missions. Principalement, elle se compose d'un costume noir à chemise blanche, rayée. D'une paire de gants en cuir noir, afin de ne laisser aucune trace et de ne jamais se salir les mains. Enfin, pour terminer, la présence d'une cravate rouge. Rarement il quitte ce code vestimentaire, sauf cas de mission d'infiltration d'un groupe où il devra se fondre dans la masse. Question accessoire, il n'a que le strict nécessaire, un couteau de chasse pour la défense et un den den mushi afin de rester en contact avec ses supérieurs. On ne sait jamais.

Psychologiquement, l'agent K. est défectueux. Pas totalement au point d'en devenir incontrôlable, seulement il ne se rend pas la vie plus facile qu'il le pourrait. Il manque fatalement de concentration, tant lorsqu'il échange avec nos agents qu'en mission. C'est un fait constaté depuis son arrivée, il ne se focalise pas assez sur ses objectifs. Cela l'a déjà amené à devoir revoir ses plans, ou même a compliqué ses missions, sans drame heureusement. Il lui arrive fréquemment de ressentir le besoin de placer un jeu de mot, une blague ou encore tenter de détendre l'atmosphère par un quelconque moyen. Malheureusement, s'il était drôle, nous le saurions. Nous conseillons donc à l'agent K. de laisser tomber les pitreries futiles et de redresser la barre au plus vite.

Cela dit, Kar n'est pas un mauvais gars. Il suit un idéal qui lui est propre et dont il ne se détournera jamais, un idéal de paix. Il voudrait faire cesser les guerres, que le crime ne puisse plus se propager et changer la mentalité de tous ces malfrats sévissant sur le monde. Naïf, en quelque sorte oui. C'est pourtant ce qu'il souhaite, redresser le monde. Le remettre sur les bons rails. Que les nobles cessent de profiter de leurs positions pour priver des malheureux de liberté. Que les forces représentant la justice soit intégralement composée de braves hommes ayant à cœur de servir l’intérêt des populations et non la leur. Les ripoux sont pires que les nobles à ses yeux. C'est à cause d'eux que tout commence et par leur faute que le crime reste toujours aussi présent.

Justice. Paix. Un monde pur. Plus de sang. Voilà ce que souhaiterait Ansèth. Pour autant, c'est un très bon élément. Il exécute les ordres, met tout en œuvre pour mener à la réussite ses missions. N'hésite pas à mettre sa vie en danger pour préserver celle des autres. Refuse purement et simplement d'ôter la vie, à qui que ce soit. Il pourrait avoir la pire ordure que cette terre n'ai jamais engendrée qu'il ne se résoudrait pas à le tuer. Il frappe, fort, dur, mais jamais ne tue. Pourquoi ? Simplement qu'il ne s'estime pas en droit de choisir qui doit vivre ou mourir. Si le tout puissant auquel il ne croit pas avait voulu placer ce pouvoir entre les mains d'une personne, ce ne serait certainement pas Ansèth qu'il aurait choisi. D'autant qu'il le sait, il ne supporterait pas de vivre avec un tel fardeau.

Mon histoire, je ne l'aime pas. Elle pue comme on dit. La faute à des cons qui me l'ont bouffé les uns après les autres. East Blue, Shell Town, c'est là-bas que j'suis né. Ici qu'a commencé ma vie, pas là-bas qu'elle terminera, m'enfin. Mon enfance fut merdique, car trop chamboulée par les guignols. En commençant par le paternel, qui, lors de la séparation avec ma mère, a eu la bonne idée de me rejeter. Du genre, j'suis plus son fils, il n'me connaît pas, il s'rait prêt à passer des tests sanguins pour le prouver. Connard. J'crois qu'il a connu la descente aux enfers après notre départ. Forcément, boire comme un trou et pas bosser, ça aide pas à réussir sa vie. Ma mère et moi, on n'a pas merdé. Elle a trouvée une petite maison pour y vivre peinard et là-bas, nous avons refait nos vies. Seulement voilà, les hommes sont partout. Et en voilà un autre qui embrasse ma mère, la rend heureuse. En apparence du moins.

C'type, j'peux pas m'le blairer. Mais vraiment pas. Entre lui et moi, c'est la guerre. La violence va que dans son sens, par contre. Il met des coups, je prends, je n'rends pas. C'pour m'punir quand j'fait des conneries qu'il raconte. Quand j'tente de me défendre, ma mère prend sa défense, alors je m'écrase et j'pleure dans un coin de ma chambre. Et les années passent. Moi, j'me renferme sur moi-même. Relation avec la famille compliquée, ma faute qu'on répète. Branleur, incapable, tête de con, raté, j'ai le droit à des surnoms sympas. Tous qui font tellement plaisir que je m'enfonce au lieu d'relever la tête. La question se pose, qu'est-ce qu'on va faire de moi ? Inutile d'me la poser à moi, j'suis perdu. Et les années défilent encore, la majorité approche. Un choix se cale au fond d'mon esprit sans vouloir en sortir, la marine. La justice. De vraies valeurs. Loin d'ici.

La marine ce sera donc. Dix-huit ans et engagé comme mousse. Il faut bien en passer par là si on veut apprendre le métier. On ne naît pas soldat, on le devient. Je le deviendrai, c'est la promesse que j'me suis faite avant de partir de chez moi. Personne de mon entourage ne croit en mon avenir. Trop de fois que je tente une chose pour l'abandonner des mois après, plus personne n'y croit. L'autre connard qui est avec ma mère encore moins. De quoi me motiver encore plus que je le suis pour réussir. Y'a que ma mère, encore et toujours elle, pour me laisser devant la base de la Marine de Shell. Un dernier adieu et j'entre. Je vais devenir un homme nouveau. J'suis devenu une gonzesse. J'en rigole encore rien que d'y repenser. Ces fringues, sérieusement... J'ai porté cet horrible uniforme tant d'années, j'ai dû dépasser la centaine de fois en insultes en m'regardant au matin dans la glace.

L'truc réconfortant, c'est que c'était la même chose pour les autres, mes camarades engagés. Sauf Doo-Little, lui ça lui allait à ravir. Tout comme les boucles d'oreilles et talons haut qu'il porte en dehors du service... On commence à dix-huit ans et on part sur deux mois de formation et on en sort en tant que Matelot deuxième classe. Jeune, motivé, on en veut, on percute bien, on ferait un bon soldat. On marche au pas, on connaît son fusil. Mais jamais une mission. Que des simulations. L'année se termine, on passe première classe. Rien ne change. Marcher au pas, chanter, prendre soin de son fusil, entraînement, entretien des locaux. Jusqu'à ce jour tant attendu. Cela m'aura pris trois ans, mais j'y suis parvenu. A rentrer chez les sous-officiers. Caporal, c't'un cap à franchir. La fierté est là, on prend de l'ampleur à la base, on devient quelqu'un.

A la tête de cinq bonhommes à qui on fait la misère si on s'le sent, j'y étais bien. Patrouille en ville, s'assurer que tout reste en ordre et que personne ne merde, c'était tranquille.  N'importe quel abruti pouvait assurer dans ses fonctions de Caporal. Et généralement, on reste pas bien Caporal longtemps, juste le temps d'prouver à nos supérieurs qu'ils ont pas fait de conneries. C'est ce qui m'est arrivé. Alors, pour me récompenser d'mes services, on m'a passé Sergent. Le parfait petit soldat. Comme disait mon supérieur, pour faire un bon sergent, assure-toi d'avoir trois de ses qualités. Discipliné comme pas deux. Obéissance aveugle. De la gueule. L'dernier point étant pour remuer les fesses de nos hommes. En apparence, j'avais tout pour réussir dans la marine. J'aurais pu et j'aurais dû monter une nouvelle fois en grade, au moins jusqu'à atteindre le poste d'Adjudant.

Seulement voilà, arrive un moment où l'on se rend compte que ce système est pourri. 

Année 1623, quatorze ans de service à servir la justice et voilà qu'elle me crache à la gueule. Enfin, pas directement. J'vais plutôt dire que j'me suis frotté au mauvais poisson. Ouai, c'est ça. La noblesse, y'a que les trous du cul qui en font partie. Il se trouve qu'avec mes sections, on enquêtait sur une affaire d'esclavagisme. Une des choses dont j'ai le plus horreur en c'monde. L'esclavage. Comment un être humain peut-il accepter ou se croire en droit d'user d'autre être humain comme de vulgaires marionnettes ? J'en ai la gerbe rien que d'y penser. L'enquête avance bien, mes hommes sont motivés, moi encore plus, on touche au but. On a coincé quelques criminels, des types s'occupant de trouver la marchandise comme ils disent, puis de les revendre à un marchand d'esclave. Ce marchand, on l'a coincé aussi. Sa mâchoire s'en souvient encore. On en vient au point où tout a merdé. 

On a fait parler le marchand, qu'il donne un nom au moins, d'une personne à qui il revendait les esclaves. Pauvres personnes. J'voulais vraiment les sauver. J'ai empiré la situation. Putain. Il a fini par le lâcher, c'nom. Seulement voilà, c'était Henrieux de Bellford. Pour un étranger, ça dit rien. Pour quelqu'un d'East Blue, ça lui parle. Moi encore plus. J'peux pas m'blairer les nobles. Encore moins ceux qui jouent avec la vie d'autrui. L'enfoiré trempe dans l'esclavagisme depuis que les poils lui poussent dans l'caleçon. Papa et maman Bellford ont engendré un beau salaud. Les gars étaient pas chauds pour aller l'voir. Lui mettre les menottes et l'ramener à la base, encore moins. Et quand j'en ai parlé à mon supérieur pour obtenir son accord, j'cru qu'il allait me déchirer en deux à la seule force des mains. Forcément qu'il était pas d'accord, c'tait pour mon bien qu'il faisait ça. Pour préserver ma carrière. 

J'ai pas apprécié, je l'ai eu mauvaise comme on dit. Mes poings et mes dents se sont serrées si fort que j'ai cru que tout allait lâcher. Et malgré que l'envie d'aller apprendre la vie à Bellford me déchirait, je n'ai rien fait. Je suis allé ruminer dans mon bureau, maudissant ce système merdique qui ne me convenait pas. J'ai pas daigné bouger d'la journée, pas reçu un appel, un homme pour le rapport quotidien, rien. Ils savaient tous qu'il ne valait mieux pas venir faire chier. J'ai dormi dans mon bureau, sur la chaise inconfortable et qui m'a cassé le dos. Le lendemain, quand j'ai quitté la pièce, j'affichais une tête d'enterrement. Ou plutôt, la tête d'un mec qui s'apprête à faire une grosse connerie. Mon supérieur l'a remarqué, il a préféré intervenir. Il m'a amené en dehors de la base, à l'extérieur de tout. Dans un quartier pourri de Shell, si pourri que même un clochard n'y dormirait pas.

Rempli de criminels, forcément. Meurtriers, violeurs, voleurs, racailles, tout. Tous condamnables à des années de prison. Et pourtant tous en liberté. J'ai immédiatement compris pourquoi nous étions ici. J'ai confié mon arme à mon supérieur et j'ai été me perdre dans le quartier. Une. Deux. Trois. Quatre heures plus tard, j'en suis ressorti, l'supérieur était toujours là, à m'attendre. Lorsque ma silhouette s'extirpa de l'ombre et qu'il pu observer mon visage, il acquiesça de la tête et fit demi-tour, direction la base. Je revenais couvert de sang, pas que le mien, les mains rougies voir entaillées par endroit, la tête amochée, un oeil fermé, mais l'esprit clair. Plus aucun désir de rendre visite à Bellford m'animait. En revanche, brûlait ardemment en moi la flamme de la justice. Tout était parfaitement clair dans ma tête. Si je voulais combattre le crime sans injustice, il me fallait évoluer.

Après avoir longuement discuté avec mon supérieur de la suite, lui ai fait part de mes ambitions, lui m'a renseigné sur mes possibilités. Une seule a retenue mon attention, Cipher Pole. Organisation directement rattachée au Gouvernement Mondial. Agent du Gouvernement Mondial. Rien que le nom faisait classe. Il m'a dit que j'm'habillerai classe, terminé l'uniforme des mouettes . J'ai aimé. Que chaque Cipher Pole avait sa spécificité, que celui qui conviendrait le plus à mon profil était le trois. Celui qui vulgairement, castagne sans relâche la criminalité. Un peu c'que j'ai fait jusqu'à présent, quoi. Qu'il se chargerait de prendre contact avec eux et ainsi soutiendrait ma candidature. J'ai accepté, normal. Et ma vie a pris un autre tournant. On commence par une nouvelle formation. Différent, plus complexe, plus complète, plus intéressante, plus perfectionnée, plus centrée. Le tout, sous les ordres d'un superviseur gui gère.

J'ai pas directement intégré le Cipher Pole 3 dès mon arrivée, forcément que non. D'abord, en tant que recrue, j'ai reçu l'enseignement de ce type mémorable, Mister Tea.  Un gars qu'il est robuste, qu'il est bling bling, qu'il est affublé d'une coupe improbable. Le style punk, qu'on dit. J'crois. Ce fanatique du thé, qu'est-ce qu'il m'en a fait baver. Pas qu'à moi, à tous. Toutes les nouvelles recrues jetées en pâture à un homme frustré d'avoir été contraint de se retirer du combat. L'apprentissage fut rude, mais valait le coup, encore une fois. L'endurcissement à la fois du corps et de l'esprit, rien de mieux pour devenir un soldat d'exception. Car il faut bien cela pour intégrer un Cipher Pole, être le meilleur. J'en ai bavé, mais j'ai triomphé. Et j'ai finalement intégré le Cipher Pole 3...

J'ai immédiatement compris que c'est ce qu'il me fallait, dès les premiers jours en tant que véritable agent. Désormais sous les ordres de Félicia Elcat, leader du CP3, cela fait quelques mois que j'vais sur l'terrain. Et j'aime ça.

East Blue - Royaume de Goa, 1625.

Henrieux de Bellford, sale chiure de merde.

Les mots sont lâchés la rage au ventre, les dents serrées, le sang bouillonnant. Bellford, il m'a rendu comme cela, violent, implacable, accroc à ce désir de rendre ce monde juste. Il a ruiné ma carrière dans la marine, a failli me coûter ma vie, déchiré mon âme. Et aujourd'hui que j'ai les choses en mains, vouant ma vie à oublier cette injustice en lavant ce monde de toutes ses impuretés, le voilà qu'il fait parler de lui. Alors comme cela connard, t'es un putain d'traître ? Tu te revendiques noble, mais en réalité tu vaux pas mieux que la dernière des merdes. Tu sympathises avec la révolution et la piraterie, tu oses gagner du fric de cette manière ? Acheter tes esclaves avec de l'argent sale ? Grave erreur du con. La seule chose qui me retenait d'te casser les os, c'était ton statut. Celui-ci s'est déchiré à l'instant même où tu t'es fait griller.

Tu devineras jamais qui est chargé de t'annoncer la nouvelle ?

J'traverse sans encombre Edge Town et Town Center. La Marine Royale emmerde pas les Agents du Gouvernement, la Milice n'est pas plus con. Ceux qui vont poser problème, c'est la Garde Royale. Ces guignols sont dévoués aux nobles et à personne d'autre, j'crois pas parvenir à discuter avec eux pour qu'ils me foutent la paix. Encore que, j'vais la jouer discret. Pas de vague jusqu'à la demeure de Bellford, pas un coup, une gifle, une parole ne sortira d'ma personne jusque-là. Et si on me suspecte à mon allure étrange, qu'on me fouille, ils trouveront seulement un poignard sur moi et un escargophone, pas de quoi inquiéter. J'ai l'emplacement du terrier du pourri bien en tête, j'ai jamais oublié où qu'il habitait cet enfoiré. Savoir que j'vais enfin pouvoir m'entretenir avec lui me met dans un état bizarre.

Le genre qui m’inquiète un poil, j'veux pas perdre la tête dans cette mission. Elle est beaucoup trop importante. Si je merde, j'suis foutu. Les ordres ? Floues et parfaitement claires à la fois.

Je m'en vais le briser.

J'suis à quelques dizaines d'mètres du massif portail bloquant l'entrée principale de sa maison. Bellford a les moyens de se payer ce qu'il veut, la sécurité en fait partie. Si j'étais pas au courant qu'il trempait dans des histoires louches avec la révolution, j'imaginerai qu'avoir placé deux types devant le portail est dû à une paranoïa. Sauf que c'est pas le cas, il a peur. Il veut pas qu'un Agent du Cipher Pole s'ramène subitement au beau milieu de la nuit, par exemple. Raté. J'suis là. Maintenant, j'suis pas con. J'vais pas défoncer ces gars et risquait d'alerter les autres. Henrieux en profiterait pour me filer entre les doigts. Pas moyen. J'contourne le mur entourant la pelouse et observe, à la recherche d'une faille. Rien. Y'a que dans les films qu'un arbre est planté à même pas un mètre du mur et que le héros grime à ses branches pour sauter par-dessus.

Le mur, j'le passe à la force de mes bras et de mes jambes. Comme lors de la formation, parcours d'obstacle, passer le mur. Un jeu d'enfant. Me v'là d'l'autre côté, jambes fléchies, tête basse, en mode infiltration. Je cours discrètement jusqu'à la zone d'ombre la plus proche. Jette un coup d’œil à la baraque, repère d'éventuels ennemis. Rien. Il a pas autant la frousse que je l'imagine, le traître. Alors j'me faufile jusqu'à l'arrière du domicile, repère une porte et tente ma chance. Fermé. Dommage. L'infiltration est terminée, place à l'action pure et simple. D'un coup sec, ma semelle claque sur la porte qui saute et s'ouvre dans la volée, claquant contre le mur qui la retient. C'est bruyant, mais tant pis. J'suis entré et l'sort de l'autre crevure est scellé.

Pièce plongée dans l'obscurité, j'progresse doucement. Il semble que personne n'a remarqué mon intrusion. Tant mieux. V'là le hall d'entrée. Immédiatement, mes yeux trouvent l'escalier qui permet d'grimper à l'étage. Un détail attire mon attention. Une lumière s'dégage d'un des couloirs d'ce fameux étage. Minute mollusque, 'va pas me dire que y'a du monde qu'en haut et rien en bas ? Alors quoi, ça campe d'vant la piaule du patron, c'est ça ? Si vous me mâchez l'job les gars... En même temps, le guss a pas une centaine d'hommes sous ses ordres, ils font avec ce qu'ils ont. J'me plains pas. Prudemment, tentant d'faire l'moins d'bruit possible, j'grimpe les marches une à une. Bien, maintenant, prendre à droite. Avant, s'coller contre le mur et passer une tête furtive dans l'allée afin de s'assurer qu'c'est dégagé. Normalement, non.

Eh bah si. C'quoi c'tte embrouille ? Y'a un truc qui coince.

J'réfléchis rapidement. Un corridor totalement vide qui mène directement à la chambre de l'ami fortuné, y'a un hic. Ou alors, il s'doute vraiment pas qu'son petit manège a été grillé. Des portes de droite et gauche de l'allée, quatre de chaque côté. J'me lance. Sens en alerte, j'marche droit et m'tient prêt à réagir au moindre bruit. S'ils savent que j'suis là, alors ils attendent quoi pour m'sauter à la gorge ? La porte est à portée d'main, mais c'mon pied qui l'ouvre une fois d'plus. Et voilà sur qui j'tombe. Henrieux de Bellford, rose calée entre les mâchoires, en slip léopard, jouant des castagnettes sous le regard amusé de la belle demoiselle nue dans son lit. Bordel. Tu t'y attendais vraiment pas à c'que j'déboule hein ? T'aurais quand même pu m'éviter une vision pareille, là j'en ai pour des mois d'cauchemars.

La scène reste en suspend. Moi, sourcil droit surélevé par rapport au gauche, la bouche déformée par une expression faciale témoignant de l'incompréhension totale à ce qui s'trame sous mes yeux. Bellford, gêné comme jamais, qui tente de couvrir ses bourses avec ses castagnettes. Et la gonzesse, les seins bien en évidence, qui n'a pas l'air pudique pour un poil de cul. Sans déconner Bellford, t'auras été un sacré phénomène jusqu'au bout toi. C'd'ailleurs lui qui trouve la force de briser le silence gênant qui s'est installé.

Mais... qui êtes-vous ?!
Le livreur de pizzas connard, ça s'voit pas ?
Vous... que me voulez-vous ?!
Darling, qui est-ce ?
Ne t'en fais pas Isobel, ce doit être un malentendu, je vais arranger cela.
Arranger le merdier dans lequel tu t'es fourré en marchandant avec la piraterie et la révolution ? Non, tu fais erreur l'ami. C'est moi qui vais arranger ça. A c'propos, elle ferait bien de déguerpir si elle ne veut pas assister à un massacre.

Avec la tronche que j'affiche, la façon que j'ai d'pas lâcher le noble du r'gard, elle comprend qu'effectivement, elle ferait mieux de vider les lieux.

Oh mais non mais... t'avais quand même l'temps d'enfiler quelque chose sur les épaules hein !

C'est malin, j'me concentre comment moi maint'nant ? Avec l'image de ses courbes gravées dans la mémoire, dur. Heureusement que j'supporte la gueule de fouine de l'Henrieux. Immédiatement, il m'donne envie d'le cogner. Très fort. Il m'regarde. J'le mire. Il m'zieute. On s'toise. Personne n'bouge. L'temps s'fige. L'premier qui bouge lancera les hostilités. Avec son corps de crevette façonnée dans du polystyrène, il sait qu'il a aucune chance. Il va choisir la fuite. Pour ça, il va falloir m'passer sur l'corps. Goutte de sueur qui perle le long de son front, témoin d'son anxiété. Comme l'impression qu'il comprend enfin pourquoi j'suis là. Et finalement, l'mouvement. Il a l'intelligence d'me feinter. Faux départ à gauche, crochet vers la droite. Mon g'nou droit lui éclate le flanc en plein élan.

Plié en deux, la tronche ravagée de douleur, il va s'écrouler en fond d'pièce, sous la fenêtre. C'que j'entends m'fait halluciner. Roulé en boule, genoux pliés et mains entourant ces derniers, l'ordure sanglote. Il implore la pitié, le pardon. Lui ? Se permettre ce genre de chose ? C'est mort. Ma main l’agrippe par la tignasse et lui rabat le pif sur l'plancher. Une fois. Deux. Trois. Craaak. Un nez brisé. Il hurle qu'il a mal, me supplie d'arrêter. Tu veux que j'arrête ? Mais pourquoi ? Pour que tu recommences à anéantir des vies ? Arracher le cœur des pauvres gens que tu réduis en esclavage ? Non. Un crochet du droit direction la mâchoire. Un second du gauche. Et l'geste se répète jusqu'à ce que... Craak. La mâchoire se brise, l'autre est bord de l'évanouissement. L'avantage, c'est qu'il ne l'ouvre plus.

Y'a du bruit qui m'parvient aux oreilles, l'déboulement de gorilles en colère. Toutes les lumières s'allument et des voix appellent le patron. C'était prévisible qu'elle préviendrait la sécurité. Ils accourent dans cette direction, j'marche tranquillement à leur encontre. Impact dans l'couloir. L'premier est sèchement bloqué dans sa course par la paume d'ma main qui l'froisse comme une feuille et l'repousse plusieurs mètres en arrière. Son collègue fend l'air de ses grosses mains, mes phalanges lui arrangent la rotule, c'qui l'met à genou et me laisse le soin de l'achever d'un gauche dans la tempe. Un mélange de deux styles de combat qu'j'utilise. Pourquoi pas un seul ? Parce qu'il ne mérite pas d'voir l'art de mon maître en action. Ils sont trop faibles.

Ces types, ils surveillaient l'portail. Personne d'autre va venir m'emmerder dans mon travail donc. J'retourne tranquillement vers le traître. Toujours à terre, pleurnichant, souffrant, regrettant. Il a presque compris la leçon. Pour achever la mission, j'lui brise les jambes. Au maximum. L'craquement sinistre des os s'fait entendre plusieurs fois. A tel point qu'on s'imagine pas qu'il pourra marcher de nouveau un jour. Parfait. Il n'ira pas trouver les révolutionnaires sans ses jambes. Observant la chiure à mes pieds, j'décide tout de même d'm'expliquer. Juste au cas ou il n'aurait vraiment rien compris. J'm'assure que le message soit complètement passé.

Henrieux de Bellford. La prochaine fois que tu te ties d'amitié avec une personne, assures-toi qu'elle soit du bon côté de la justice. Sinon, le Gouvernement Mondial auquel tu ne peux rien cacher m'enverra de nouveau te rencontrer. Et j'ai horreur de punir deux fois le même criminel...

Il semble saisir la menace. J'me retire aussitôt. Pas la peine de s'attarder plus ici, ma mission est terminée.