Partie précédente: Nile Fellah
***
Le Nile Fellah, un des gros casinos du centre-ville de Rainbase, trône majestueusement dans sa rue, sa façade couverte de fresques resplendissant sous le soleil de plomb, dans un ensemble bien kitsch.
On retrouve monsieur Sakhap Hatath, propriétaire dudit casino, en train de faire les cent pas dans son bureau. Le petit homme était considéré par beaucoup comme quelqu’un de chanceux ; globalement, lui aussi se considérait comme tel. Mais ses mêmes personnes ne se faisaient pas d’illusions à propos son talent ; en fait lui non plus. Il y a quelques années encore, Sakhap n’était qu’un simple paysan que rien ne prédestinait à devenir patron de casino. Travaillant dans les champs depuis qu’il était en âge de marcher, il avait appris le métier, hérité du lopin de son père, s’était bataillé avec son frère qui le voulait lui aussi ; puis il s’était marié, avait eu des enfants qui avaient grandi. Vivant dans un petit village au bord du fleuve, où tout le monde connaissait tout le monde, et où il valait mieux faire comme les autres, Sakhap Hatah avait développé une attitude craintive, un fatalisme maladif et une capacité stupéfiante à se prosterner devant les grands seigneurs du coin ; d’ailleurs, il n’avait pas beaucoup évolué sur ce point. En fait, Sakhap Hatath était un paysan. Un mauvais, d’ailleurs.
Mais la vie de Sakhap Hatah fut bouleversée le jour où, après des années d’essais infructueux, il gagna 500 millions de Berrys au Loto Pharaonique de Rainbase. La tête tournante de tant d’argent, son premier geste avait été un vieux réflexe en prévision des mauvais jours : il avait creusé un trou (un gros) et avait enterré son magot. C’était sans compter un ami qu’il croisait de temps en temps au bar, Sasse Tamoha. Avec insistance, il lui avait expliqué que ce n’était pas une bonne chose de laisser dormir tout cet or, qu’il valait mieux l’investir,… Tiens, dans un casino à Rainbase ! Il se chargerait de l’aider. Absolument convaincu, des pièces de berry dans les yeux, Sakhap Hatath avait emmené ses affaires, sa famille et son ami à Rainbase.
Et cet ami se trouvait en ce moment assis en face de lui. Et bien que l’on soit dans le bureau du patron, c’était Sasse Tamoha qui était installé sur le fauteuil derrière le bureau, tandis que Sakhap tournait en rond sur le tapis.
C’était un homme grand, pâle, avec un visage sur lequel il était pratiquement écrit en grosses lettres rouges "je suis un type malhonnête". Et autant Mr Hatath avait la mine soucieuse, autant le gérant avait l’air détendu sur de lui qu’affiche l’homme qui sait qu’il est en train de s’en mettre plein les poches sur le dos d’un autre. Car si cet homme détestait le travail, en revanche il adorait les gros sous !
Sasse avait écouté son ami et patron lui raconter la scène qui venait de se dérouler, et comment le "puissant seigneur aux dents en or" avait, après avoir éventré une des machines à sous, les avait accusés haut et fort d’utiliser des machines défectueuses. Scoop qu’un journaliste présent dans la salle s’était empressé de rapporter.
- Mh, c’est ennuyeux, en effet…
Le gérant du casino avait déjà eu un rapport des deux hommes qui faisaient office de gardes et d’hommes de main, et qui avaient été présents sur les lieux en même temps que Sakhap. Ces deux-là, des costauds touts en muscles et en débardeur blanc, que l’on appelait Bad et Stupid, lui avaient résumé la situation d’une façon un peu différente. Mais en combinant les deux versions, en supprimant les "Terrible corsaire doré" de son patron, et les "Lopette en chemise de plage" des ses hommes de main, il était arrivé à ce qu’il estimait une version proche de la réalité. Ce type, Ange Del Flo, était venu semer la pagaille dans son casino. Alors que le frêle patron avait fait intervenir ses deux gardes pour arrêter le massacre, l’homme aux dents d’or s’était révélé être un corsaire –ou futur corsaire ; à en croire une information qui circulait ça pouvait être vrai-. Sakhap avait alors cédé à ses menaces, et la situation avait tourné en leur défaveur. Maintenant, ils se trouvaient avec une présomption de machines défectueuses –voire truquées- dans le casino. Pas brillant… D’autant qu’il avait fait vérifier : la machine éventrée par le perturbateur ne faisait même pas partie du lot des cinq appareils qu’il avait personnellement fait arranger pour qu’ils ne fassent jamais gagner !
Tout bien réfléchi, cette histoire l’agaçait. Décidément, la vie de gérant de casino était pleine d’évènements indésirables. Et puis… tout ça ressemblait trop à du travail ! Et le travail, ça n’était pas fait pour lui ! Le moment venu, il faudrait qu’il plante tout, et qu’il aille voir ailleurs. Quand il aurait assez d’argent,… voilà, quand il en aurait suffisamment de côté…
Dans l’immédiat, il avait un autre problème. A savoir son patron et ami, son pigeon, qui le regardait et s’adressait à lui comme à un messie.
- A… alors, Sasse mon ami, que doit-on faire ?
S’il était feignant et malhonnête, au moins il savait être efficace. Il fallait juste ne pas en exiger trop de lui. Et pas trop longtemps. Il soupira, puis, parla, accompagnant ses mots de grands gestes, sur un ton qui n’admettait pas la contradiction.
- Tu dois déjà faire remplacer cette machine, et vite. Une machine en moins, c’est de l’argent perdu. Il va falloir faire venir un technicien. Ça coûtera de l’argent, bien sûr, mais on n’a pas le choix n’est-ce pas ?
- Euh… oui, oui. Tu as raison.
- Et puis, il y a ce journaliste dont tu m’as parlé. J’ai déjà envoyé Bad et Stupid pour l'arrêter, mais je ne crois pas que ces deux lourdauds réussiront à le rattraper. Tu vas devoir verser un pot de vin à son journal, pour éviter qu’un article gênant ne soit publié.
- Encore de l’argent ? Mais…
- Imagine un peu la réputation que tu aurais si l’affaire s’ébruitait ! Les clients nous fuiraient ! Ce serait la ruine ! Il faut à tout prix corriger ça !
- C’est vrai… tu dois avoir raison.
- Très bien. Puisque tu es d’accord, il faudrait…
-…Bien sûr. Je te donne la clé des coffres. Prends ce qu’il te faut ! Tu as toute ma confiance.
En regardant son ami partir, Mr.Hatath soupira. Que c’était dur, la vie de patron de casino ! Il avait bien de la chance d’avoir un ami comme Sasse à ses côtés !
Un sourire en coin, le gérant descendit jusqu’au sous-sol, où étaient les coffres. Son "ami" était bien naïf s’il croyait un seul instant qu’il allait donner de l’argent à de pauvres scribouillards ! Le pot-de-vin, il le garderait pour lui. Il méritait bien ça, vu tous les efforts qu’il déployait à réfléchir ! Et si ses prévisions à propos des effets de l’article se révélaient exactes, eh bien tant pis. D’ailleurs, ce serait une bonne occasion de prendre sa retraite !
Devant la grosse porte blindée qui protégeait le coffre-fort, Sasse eut la désagréable surprise de voir un inconnu, tranquillement adossé contre un mur, en train de prendre des notes sur un petit carnet. A son arrivée, c’est à peine si l’autre esquissa un regard dans sa direction. D’un ton agacé, le gérant véreux demanda :
- On peut savoir qui vous êtes, vous ?
- Moi ? Je me nomme Numérobis ! Je suis un grand mathématicien, un penseur, et aussi un membre de l’équipage des Tru… enfin, je suis un génie, quoi.
- Et… qu’est-ce que vous fichez ici ?! Ou sont les gardes ?
- Bad et Stupid ? Oh, ils doivent s’occuper de virer des intrus je suppose. Ou alors ils surveillent l’entrée, peut-être. C’était bien pratique pour passer ici. Quant à moi, je… me suis égaré. Tout à fait, je suis un client, et je me suis égaré.
- Vous êtes dans un accès privé, ici ! Alors déguerpissez, ou j’appelle la sécurité !
Avec le même ton calme et agaçant qui l'avait fait détester par tout son équipage, le pirate répondit :
- Très bien, mon bon monsieur. Inutile de vous énerver. J’avais fini, de toute façon.
Sasse Tamoha le regarda partir en fronçant les sourcils, puis effaça cet évènement de sa mémoire. Il avait bien plus important à faire pour le moment !
Le coffre-fort était vaste, mais son contenu était déjà bien entamé. En partie à cause des erreurs de gestion du patron, il était vrai, et des difficultés que pouvait connaitre un casino ; mais aussi et surtout en grande partie à cause de la rapacité de Sasse ! Celui-ci récupéra plusieurs liasses de billets qu’il rangea soigneusement dans une valisette, puis referma la porte blindée. Après une hésitation, il la rouvrit, et récupéra une liasse de plus. Puis il retourna à son bureau mettre les comptes à jour l’esprit tranquille.
En chemin, Bad & Stupid lui rapportèrent qu’effectivement le journaliste leur avait filé entre les doigts. Ils savaient cependant qu’il travaillait au Rainbase Soir, et demandaient des instructions. Sasse leur répondit de laisser tomber l’affaire, et d’aller plutôt surveiller le coffre-fort.
On retrouve monsieur Sakhap Hatath, propriétaire dudit casino, en train de faire les cent pas dans son bureau. Le petit homme était considéré par beaucoup comme quelqu’un de chanceux ; globalement, lui aussi se considérait comme tel. Mais ses mêmes personnes ne se faisaient pas d’illusions à propos son talent ; en fait lui non plus. Il y a quelques années encore, Sakhap n’était qu’un simple paysan que rien ne prédestinait à devenir patron de casino. Travaillant dans les champs depuis qu’il était en âge de marcher, il avait appris le métier, hérité du lopin de son père, s’était bataillé avec son frère qui le voulait lui aussi ; puis il s’était marié, avait eu des enfants qui avaient grandi. Vivant dans un petit village au bord du fleuve, où tout le monde connaissait tout le monde, et où il valait mieux faire comme les autres, Sakhap Hatah avait développé une attitude craintive, un fatalisme maladif et une capacité stupéfiante à se prosterner devant les grands seigneurs du coin ; d’ailleurs, il n’avait pas beaucoup évolué sur ce point. En fait, Sakhap Hatath était un paysan. Un mauvais, d’ailleurs.
Mais la vie de Sakhap Hatah fut bouleversée le jour où, après des années d’essais infructueux, il gagna 500 millions de Berrys au Loto Pharaonique de Rainbase. La tête tournante de tant d’argent, son premier geste avait été un vieux réflexe en prévision des mauvais jours : il avait creusé un trou (un gros) et avait enterré son magot. C’était sans compter un ami qu’il croisait de temps en temps au bar, Sasse Tamoha. Avec insistance, il lui avait expliqué que ce n’était pas une bonne chose de laisser dormir tout cet or, qu’il valait mieux l’investir,… Tiens, dans un casino à Rainbase ! Il se chargerait de l’aider. Absolument convaincu, des pièces de berry dans les yeux, Sakhap Hatath avait emmené ses affaires, sa famille et son ami à Rainbase.
Et cet ami se trouvait en ce moment assis en face de lui. Et bien que l’on soit dans le bureau du patron, c’était Sasse Tamoha qui était installé sur le fauteuil derrière le bureau, tandis que Sakhap tournait en rond sur le tapis.
C’était un homme grand, pâle, avec un visage sur lequel il était pratiquement écrit en grosses lettres rouges "je suis un type malhonnête". Et autant Mr Hatath avait la mine soucieuse, autant le gérant avait l’air détendu sur de lui qu’affiche l’homme qui sait qu’il est en train de s’en mettre plein les poches sur le dos d’un autre. Car si cet homme détestait le travail, en revanche il adorait les gros sous !
***
Sasse avait écouté son ami et patron lui raconter la scène qui venait de se dérouler, et comment le "puissant seigneur aux dents en or" avait, après avoir éventré une des machines à sous, les avait accusés haut et fort d’utiliser des machines défectueuses. Scoop qu’un journaliste présent dans la salle s’était empressé de rapporter.
- Mh, c’est ennuyeux, en effet…
Le gérant du casino avait déjà eu un rapport des deux hommes qui faisaient office de gardes et d’hommes de main, et qui avaient été présents sur les lieux en même temps que Sakhap. Ces deux-là, des costauds touts en muscles et en débardeur blanc, que l’on appelait Bad et Stupid, lui avaient résumé la situation d’une façon un peu différente. Mais en combinant les deux versions, en supprimant les "Terrible corsaire doré" de son patron, et les "Lopette en chemise de plage" des ses hommes de main, il était arrivé à ce qu’il estimait une version proche de la réalité. Ce type, Ange Del Flo, était venu semer la pagaille dans son casino. Alors que le frêle patron avait fait intervenir ses deux gardes pour arrêter le massacre, l’homme aux dents d’or s’était révélé être un corsaire –ou futur corsaire ; à en croire une information qui circulait ça pouvait être vrai-. Sakhap avait alors cédé à ses menaces, et la situation avait tourné en leur défaveur. Maintenant, ils se trouvaient avec une présomption de machines défectueuses –voire truquées- dans le casino. Pas brillant… D’autant qu’il avait fait vérifier : la machine éventrée par le perturbateur ne faisait même pas partie du lot des cinq appareils qu’il avait personnellement fait arranger pour qu’ils ne fassent jamais gagner !
Tout bien réfléchi, cette histoire l’agaçait. Décidément, la vie de gérant de casino était pleine d’évènements indésirables. Et puis… tout ça ressemblait trop à du travail ! Et le travail, ça n’était pas fait pour lui ! Le moment venu, il faudrait qu’il plante tout, et qu’il aille voir ailleurs. Quand il aurait assez d’argent,… voilà, quand il en aurait suffisamment de côté…
Dans l’immédiat, il avait un autre problème. A savoir son patron et ami, son pigeon, qui le regardait et s’adressait à lui comme à un messie.
- A… alors, Sasse mon ami, que doit-on faire ?
S’il était feignant et malhonnête, au moins il savait être efficace. Il fallait juste ne pas en exiger trop de lui. Et pas trop longtemps. Il soupira, puis, parla, accompagnant ses mots de grands gestes, sur un ton qui n’admettait pas la contradiction.
- Tu dois déjà faire remplacer cette machine, et vite. Une machine en moins, c’est de l’argent perdu. Il va falloir faire venir un technicien. Ça coûtera de l’argent, bien sûr, mais on n’a pas le choix n’est-ce pas ?
- Euh… oui, oui. Tu as raison.
- Et puis, il y a ce journaliste dont tu m’as parlé. J’ai déjà envoyé Bad et Stupid pour l'arrêter, mais je ne crois pas que ces deux lourdauds réussiront à le rattraper. Tu vas devoir verser un pot de vin à son journal, pour éviter qu’un article gênant ne soit publié.
- Encore de l’argent ? Mais…
- Imagine un peu la réputation que tu aurais si l’affaire s’ébruitait ! Les clients nous fuiraient ! Ce serait la ruine ! Il faut à tout prix corriger ça !
- C’est vrai… tu dois avoir raison.
- Très bien. Puisque tu es d’accord, il faudrait…
-…Bien sûr. Je te donne la clé des coffres. Prends ce qu’il te faut ! Tu as toute ma confiance.
En regardant son ami partir, Mr.Hatath soupira. Que c’était dur, la vie de patron de casino ! Il avait bien de la chance d’avoir un ami comme Sasse à ses côtés !
***
Un sourire en coin, le gérant descendit jusqu’au sous-sol, où étaient les coffres. Son "ami" était bien naïf s’il croyait un seul instant qu’il allait donner de l’argent à de pauvres scribouillards ! Le pot-de-vin, il le garderait pour lui. Il méritait bien ça, vu tous les efforts qu’il déployait à réfléchir ! Et si ses prévisions à propos des effets de l’article se révélaient exactes, eh bien tant pis. D’ailleurs, ce serait une bonne occasion de prendre sa retraite !
Devant la grosse porte blindée qui protégeait le coffre-fort, Sasse eut la désagréable surprise de voir un inconnu, tranquillement adossé contre un mur, en train de prendre des notes sur un petit carnet. A son arrivée, c’est à peine si l’autre esquissa un regard dans sa direction. D’un ton agacé, le gérant véreux demanda :
- On peut savoir qui vous êtes, vous ?
- Moi ? Je me nomme Numérobis ! Je suis un grand mathématicien, un penseur, et aussi un membre de l’équipage des Tru… enfin, je suis un génie, quoi.
- Et… qu’est-ce que vous fichez ici ?! Ou sont les gardes ?
- Bad et Stupid ? Oh, ils doivent s’occuper de virer des intrus je suppose. Ou alors ils surveillent l’entrée, peut-être. C’était bien pratique pour passer ici. Quant à moi, je… me suis égaré. Tout à fait, je suis un client, et je me suis égaré.
- Vous êtes dans un accès privé, ici ! Alors déguerpissez, ou j’appelle la sécurité !
Avec le même ton calme et agaçant qui l'avait fait détester par tout son équipage, le pirate répondit :
- Très bien, mon bon monsieur. Inutile de vous énerver. J’avais fini, de toute façon.
Sasse Tamoha le regarda partir en fronçant les sourcils, puis effaça cet évènement de sa mémoire. Il avait bien plus important à faire pour le moment !
Le coffre-fort était vaste, mais son contenu était déjà bien entamé. En partie à cause des erreurs de gestion du patron, il était vrai, et des difficultés que pouvait connaitre un casino ; mais aussi et surtout en grande partie à cause de la rapacité de Sasse ! Celui-ci récupéra plusieurs liasses de billets qu’il rangea soigneusement dans une valisette, puis referma la porte blindée. Après une hésitation, il la rouvrit, et récupéra une liasse de plus. Puis il retourna à son bureau mettre les comptes à jour l’esprit tranquille.
En chemin, Bad & Stupid lui rapportèrent qu’effectivement le journaliste leur avait filé entre les doigts. Ils savaient cependant qu’il travaillait au Rainbase Soir, et demandaient des instructions. Sasse leur répondit de laisser tomber l’affaire, et d’aller plutôt surveiller le coffre-fort.