Le trois-mâts avançait à toute vitesse, projeté par les puissants vents de la région. Il traversait le monde, écrasant sur son passage l'immense étendu qui le portait. Rien ne semblait capable de l'arrêter, pas même le capitaine tenant fièrement le barre en observant l'horizon avec un léger sourire. Sous son large chapeau qu'il nommait sombrero, pas même le soleil ne pouvait l'atteindre, il se sentait aussi invincible que son bâtiment. L'homme vivait sur ce navire, passant le plus clair de son temps en voyage. Dans un sens le bateau faisait bien plus parti de son équipage -de sa famille- que l'équipe elle même. Cette dernière, dans une danse parfaitement synchronisée s'assurait que tout allait bien, se déplaçant dans toutes les directions. Le capitaine lui ne se souciait pas de tous ces détails. Tant que son véhicule avançait, le monde lui semblait parfait. A l'avant un homme, qui avait il y a bien longtemps compris que le monde ne l'était pas -parfait-, semblait être heureux pour quelques secondes. S'il y avait une chose que Canard pouvait apprécier, c'était se tenir sur un navire se déplaçant au grès des vagues. Seulement des vagues il n'y en avait pas. Et bientôt le soldat fut coupé de ses rares rêveries par du sable dans les yeux et des hennissements un peu trop bruyants. Notre héros aimait la tranquillité de l'océan. Pas le vacarme du désert. Si la plupart des déserts ont jugé bon d'être silencieux, certainement après une longue réflexion, les humains vivants sur Hat Island décidèrent eux d'y remédier. A coup de roues, de chevaux, de voiles et de grands amas de bois.
Lorsqu'ils découvrirent une île occupée à 95% par du désert, les colons se demandèrent bien ce qu'ils allaient foutre. L'histoire suppose qu'un certain Edgar Violetton lança en premier l'idée. Selon des sources il aurait été un homme courageux, sans terre ni famille et par la force de sa volonté, convaincu ses compagnons de s'installer sur l'île pour qu'ils puissent enfin avoir un "chez eux". Selon d'autres il aurait dit "Hé les gars, chiche de s'installer ici ?". Les gars en question, ne souhaitant pas être traités de poules-mouillées relancèrent alors avec un "Chiche de construire un pays ici !". Pour avoir le dernier mot Edgar ajouta "CHICHE DE VIVRE ICI JUSQU’À LA FIN DE NOS JOURS ET NOTRE DESCENDANCE AUSSI !". A ce jour personne ne sait laquelle de cette histoire est véridique -c'est la seconde- mais dans tous les cas on s'installa sur ce qui deviendrait Hat Island. Puis, quelques mois plus tard, les colons décidèrent de dompter le désert. Armés de leurs anciens navires et d'un troupeau de bétail gigantesque -amené comme nourriture- ils échouèrent en inventant le vélo. Si ce dernier n'était d'aucune utilité, les bâtisseurs n’abandonnèrent pas et se dirigèrent vers une toute nouvelle idée. Bientôt les bateaux furent modifiés, on y colla des roues, on y attacha des chevaux. Poussé par le puissant vent -soufflant continuellement dans ce désert- et la force des montures, les embarcations traversèrent l'aride paysage. On construisit de nouveaux villages sur les différentes côtes, reliés grâce à ces ingénieux véhicules.
- Ingénieux mon cul Ajouta Canard après avoir observé le navire tombant presque à la renverse en dévalant une dune. Si notre protagoniste était un aigri, il faut aussi reconnaître que c'était un peu couillon comme invention. Peu adaptés à la navigation terrestre, les carcasses pouvaient s'exploser contre des rochers -voir le sol en cas de mouvement trop brusque- au moindre instant et la forme d'un bateau ne convenait pas du tout à un déplacement efficace avec des roues.
Le lieutenant essaya d'oublier ces détails pour simplement admirer la beauté du paysage. Il se souvint malheureusement qu'il n'aimait pas admirer la beauté de quoi que ce soit et n'en avait même aucune notion -de beauté-. Le vieillard voyait ici le même environnement qu'il y a quatre ans : une île sacrement pourrie. Rien n'avait vraiment changé depuis le dernier passage de notre héros. La loi obligeait toujours le port de chapeau, la loi se résumait encore par un mot "pendaison" et les habitants se croyaient toujours dans un vieux western. L'île était presque exclusivement peuplée par des bandits ou des types s'occupant du bétail l'après-midi, se tapant dessus à la taverne le reste du temps. Les gens n'étaient pas particulièrement mauvais, ils appréciaient juste la violence -que ça soit les femmes, les enfants, les veuves ou les orphelins-. Canard quant à lui se tenait toujours proche de la proue, arborant un Stetson acheté au port. Très vite le capitaine lui expliqua qu'ils arrivaient à Exact Town, un patelin célèbre pour être entièrement composé de tavernes et d'étables. C'est ce qui causa le "Grand n'importe quoi de 1612" où l'on inversa les situations. Les habitants vécurent dans les étables et les vaches se bourrèrent dans les saloon avant que l'on remarque l'erreur -deux jours plus tard- dans un "MAIS POURQUOI JE BOUFFE DE L'HERBE MOI ?!" général. Aujourd'hui n'était pas un de ces jours.
Aujourd'hui c'était la fête de l'abstinence. Lorsqu'ils arrivèrent sur l'île, les colons décidèrent d'inscrire dans la loi un jour où les tavernes et établissements semblables étaient interdits d'entré. Ainsi au moins une fois par an du travail serait fait. C'était sans compter sur leur propre envie de boire et se taper dessus. Ce fut donc les inventeurs de la loi qui trouvèrent la faille : la non-mention des karaoké-bars. Sur la liste des établissements interdit -à savoir tout ce qui pouvait vendre de l'alcool- ces dernières n'étaient pas inscrits. On argumenta pendant un temps qu'ils n'existaient pas lors de la création du traité, puis on abandonna le débat pour aller boire quelque part. Ainsi des karaokés extérieurs étaient montés autour de la ville et l'on pouvait se rincer le gosier tout en ayant la légale obligation de chanter au moins une fois dans la journée -pour pouvoir boire-.
- Un karaok-quoi ? Lança Canard devant le karaokéman -équivalent du barman pour ce jour- lui souhaitant la bienvenue et lui expliquant qu'il n'allait pas pouvoir lui servir d'alcool pour l'instant.
- Un karaoké, il y a un groupe qui joue des instruments et vous devez chanter... On vous passe les paroles
- Non, t'as mal compris gamin, je veux juste un whisky, pas de votre chant de jeunes
- Hm, c'est, comment dire, obligatoire si vous voulez boire... loi sur l'île C'est à cet instant que notre héros commença à se poser la question. Pourrait-il supporter cette île sans boire un minimum ?
Le lieutenant se trouvait sur la scène aménagée, enfin un verre à la main, accompagné de deux autres vieillards. Il tentait tant bien que mal de chanter, tout en gardant son air le plus dévasté et mécontent possible. Chose peu difficile, c'était son air quotidien. Les deux vieux quant à eux étaient bien plus motivés. Pendant que leur capitaine Moncu Di Louffi s'occupait des affaires, ils pouvaient boire et chanter tranquillement.
Dernière édition par Canard Un le Sam 5 Oct 2013 - 19:33, édité 1 fois