Logue Town, bureau du Colonel Bernstein.
- J’ai entendu dire que vous aviez ramené du monde de la nouvelle île.
- Oui, ordre de Perry.
- Une jeune femme de ce qu’on m’a rapporté…
- Les termes que j’aurais choisis ressembleraient plutôt à gamine immature.
- Vous n’étiez pas beaucoup plus vieux quand vous êtes arrivés ici…
- Je la laisse à vos soins alors, vos conseils m’ont été précieux.
- A-t’elle émis le souhait de rejoindre la Marine seulement ?
- … pas pour le moment. Maintenant arrêtez de détourner mon attention et jouez !
- Echec et mat !
Et merde, encore perdu. C’est déjà frustrant de se faire battre mais en plus par quelqu’un qui n’a pas l’air de jouer sérieusement… Le colonel essuie les verres de ses petites lunettes rondes avec un sourire de contentement habituel. Ce petit vieux grisonnant ne paye pas de mine avec son crâne dégarni mais s’il est resté sur les blues c’est seulement à cause de sa puissance physique limitée. Je pourrais sûrement le battre en duel, l’âge aidant, mais ses capacités intellectuelles sont toujours aussi affûtées et dignes d’un grand stratège. East Blue est assez calme comme mer mais ce n’est peut-être pas parce qu’il y a moins de pirates qu’ailleurs. Tous les bons marines ne sont pas partis sur Grand Line. Il rechausse ses montures, je sens encore son regard fermé essayer de me percer à jour.
Je sais qu’il s’attend à ce que je commente la mission de Koneashima et le voyage de retour mais je n’en ferai rien. Il a parfaitement accès aux rapports que je dois me farcir en revenant à terre. La prochaine fois, je ne devrais pas manquer de lui rapporter un souvenir. Est-ce qu’ils font des fers à friser pour sa moustache là-bas ? Je vois bien qu’il veut plus, mais je n’ai vraiment rien à déclarer. Que veut-il que je lui raconte de spécial, à part qu’on m’a obligé à jouer les baby-sitters avec une adolescente arrogante et imbue d’elle-même ? Je me lève de mon fauteuil pour aller voir par la fenêtre du bureau qui donne sur la grande cour de la caserne. Des cadets s’entraînent sous une fine bruine qui salit les carreaux. Le sergent les fera bientôt ramper dans la boue, il adore ça.
Finalement je me décide à briser le silence qui s’est installé.
- Vous ne m’avez pas convoqué ici pour parler d’une mission classée et réussie par-dessus le marché, je suppose.
- Convoqué, convoqué… Voilà un mot bien dur pour désigner une courtoise invitation…
- Arrêtez de tourner autour du pot, colonel. Je sais que vous ne faites jamais rien pour rien.
- Vous avez une bien triste opinion de moi, lieutenant. Toutefois dans le cas présent, je dois bien reconnaître que j’avais envie de vous entretenir d’un sujet qui me préoccupe ces derniers temps.
Il ouvre son tiroir et en sort une liasse de documents qu’il fait glisser sur le bureau dans ma direction. Il s’agit sans nul doute d’un rapport d’incident et vu son épaisseur, les ennuis commencent à se multiplier. J’ouvre le dossier pour en prendre connaissance. Il contient assez peu de choses en fait, juste des constats d’attaques de navires marchands par un pirate qui passe à chaque fois entre les mailles du filet. Les patrouilles n’ont encore jamais pu l’arraisonner puisqu’il semblerait qu’il possède un bateau de type brick-goelette. Trop rapide pour nos vaisseaux de guerre lourds et trop bien équipé pour se faire aborder aisément par les plus modestes, il enchaîne des pillages sans grande envergure pour le moment. Toutefois ses actions exaspèrent les marchands et impactent leur commerce, la colère gronde et on commence à médire sur la protection de la Marine. Il n’y a pas énormément de solutions à ce problème.
- Quelles sont vos suggestions à ce sujet ?
- Soit on met le paquet et on l’encercle avec une dizaine de navires…
- Hors budget.
- … soit on met en place un piège.
- Développez votre pensée.
- On déguise sobrement une de nos caravelles en navire marchand. On fait circuler le bruit en ville qu’une cargaison intéressante sera à bord lors d’un trajet en partance de Goa. On les laisse nous attraper sans trop de résistance et au moment de l’abordage, on sort l’artillerie pour les démâter et leur couper toute voie de repli. Le reste se fera à l’ancienne mais en laissant des fusils aux gabiers et à la vigie, nous aurons sûrement un avantage non négligeable… vous savez déjà tout ça.
- Bien, bien… il ne me reste plus qu’à trouver un officier capable de mettre sur pied un plan aussi risqué dans les prochaines heures… Vous me recommandez qui ?
La dernière petite phrase n’est pas sans ironie. Je sais pertinemment qu’il me l’a déjà assignée cette mission. Ce qu’il ne relève pas c’est que le risque zéro n’existe pas et qu’il reste assez élevé dans cette situation. Si jamais l’opération de démâtage vient à échouer ou si l’ennemi se décide à canonner à bout touchant, les dégâts seront sérieux. Nous devons compter sur notre rapidité d’action et sur l’effet de surprise avant tout. Il faut régler nos préparatifs rapidement mais avec le plus de soin possible alors je prends congé en saluant le colonel. Je referme la porte de bois sur son sourire hypocrite, il a encore obtenu ce qu’il voulait sans avoir à le formuler.