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La mort de Pludbus Céldèborde

Le noir. Le vide.
Puis reprendre ses esprits.
Première impression ?

Un mal de crâne. Un putain de mal de crâne. Le pire mal de crâne que j'ai dû avoir de toute ma vie. Ça me ronge. Ça s'insinue dans toutes les parties de mon cerveau. Une colonie de rataupes se fait les dents sur ma boite crânienne. Des rataupes ? Qu'est ce que c'est ça ? Je tente juste un instant de réfléchir. Pas le truc à faire. Ça me pourrit encore plus l'esprit. Rah. J'ai pourtant pas le souvenir de m'être pris une cuite hier... Un coup sur la tête ? Des pirates que j'aurais traqués avec courage et qui me seraient tombé dessus, en traître ? Les vils. Je voudrais bien me rendormir, mais ça serait abandonner. J'suis pas fait de ce bois. Pourquoi ?
Parce que je suis Pludbus Céldèborde.

Et puis, j'suis où en fait ? Sous la tête, je sens la douçâtre texture d'un oreiller. Et dans le dos, ce qui semble être un matelas. Et même sur le torse, ça doit être un drap. Un lit ? La théorie des pirates vacille. Qu'est-ce qu’on est bien dans un lit. Mon lit à bord du passeur, sans doute. Une cuite ? Eh bah, on a dû fêter un truc important.

Bizarre, je sens pas le roulis caractéristique d'un bateau. Dans un effort surhumain ; encore un ; je me tourne vers la droite. Mon hublot ? Pas là. Une fenêtre. Y a pas de fenêtre sur le passeur. Enfin, pas dans ma chambre. Réfléchir. Douleur. J'aime pas les maux de tête. On roule vers le côté gauche dans la souffrance. Sers les dents Pludbus. Sois fort, comme d'habitude. À gauche, une porte. Y a aussi un meuble avec un miroir. Enfin, le meuble classique. Un instant, je me dis que je pourrais aller voir la gueule que je tire. L'autre instant, je me dis que le meilleur remède à ce mal de crâne, c'est sans aucun doute de rester au lit et de flemmarder. Lutte entre les deux idées. J'mâchouille l'intérieur de ma joue en méditant la question.

On est un ex-amiral en chef ou on l'est pas ?

Avec d'infimes précautions, je me décale sur le côté du lit et je sors mes jambes de la protection bienfaitrice du drap. Du coup, je relève un peu le buste et ça m'élance à nouveau dans ma caboche. Encore serrer les dents. Pieds sur le plancher, c'est encore une prise décision terrible que de se lever. Les jambes tremblent, mais j'suis habitué. La vieillesse, c'est pas nouveau. Un dernier coup de pression et je me lève. Maintenant, marcher. Quelques pas maladroits, les mains tendues vers l'avant pour se reposer le plus rapidement possible sur la commode. Le mal de crâne revient avec davantage d'intensité. Ça en devient lassant. Et j'arrive finalement à me tenir à cette foutue commode. Voyons voir la gueule que j'ai. Après les cuites, on peut en déduire le degré d'alcool que j'ai bu en voyant la gueule que j'ai. Le miroir est là.

Waouh.

J'voyais un peu flou, mais c'est terrible. Je me vois complètement différent. Quelqu'un d'autre en fait. C'est drôle. Ça a été une sacrée cuite et la douleur augmente encore d'un degré dans ma caboche. Comme si ça pouvait être possible. Je ris. Je ris faussement. Je rigole plus. Ce visage. Il me dit quelque chose. Des souvenirs vieux. Très vieux. Des souvenirs que j'ai enfouis sous des mètres de sénilité. Un passé que j'ai oublié. Moi. Moi. Jeune. Moi.

C'est moi devant moi. Un moi du passé.

Je tremble. De tout mon corps. Et je regarde ce corps. Mes mains. Mes pieds. Ils sont jeunes. Ils ne sont plus comme avant. Je ne regarde pas le reste de mon corps, j'ai l'intime conviction ; une conviction terrible ; qu'ils ont subi le même sort. Entièrement jeune. Des bouffées de chaleur me viennent. Ma vue se trouble. La nausée me vient. Je ne comprends pas. Je ne comprends rien. Qu'est-ce qui se passe ? Pourquoi suis-je comme ça ? Et pourquoi je réagis comme ça ? Ça doit s'expliquer. Une farce. Une facétie de cette infâme Trovahechnik. Mes jambes ne me portent plus et c'est seulement mes bras accoudés à la commode qui m'empêchent de tomber au sol, même si au fond de moi, je sombre. Très loin. Incompréhension. Total. Ça n'énerve. C'est indescriptible. Je ne sais pas ce que je veux. Je ne sais pas ce que je fais. Je craque.

RAAAAAAAAAAAH !


D'un bras, je repousse tout ce qui reposait sur la commode. L'ensemble vient se briser sur le sol. Puis je regarde le miroir avec une haine totale sans que je sache pourquoi. Il n'y a pas de pourquoi. Il n'y a pas de réponse à pourquoi. C'est juste que c'est trop. Mon poing serré, je le balance dans le miroir qui se brise sous l'impact. Ça fait mal. Ça saigne, mais je m'en fous. Je décroche le cadre et je le balance au sol. Je crie. Encore. Il me faut quelque chose à détruire. La commode ? Je veux la renverser, mais je ne suis pas assez fort. Certaines choses n'ont pas changé. Je suis toujours le vieux Pludbus. Ce n'est qu'une illusion que je vois.

TROVAHECHNIK !


C'est forcément le seul responsable. Je vois déjà son petit visage misérable. Me hanter avec des fantômes du passer, c'est bien assez vil pour lui. Comme une réponse à mon injonction, la porte s'ouvre. Ce n'est pas le commandant maudit, non, c'est juste un illustre inconnu. Qu'est ce qu'il déblatère ? Me calmer ? ME CALMER ?! Il s'approche comme si j'étais un animal dangereux. J't'en foutrais de tes précautions. De qui se moque-t-on ? Je le charge et je perçois un autre détail ; même complètement relevé, j'ai plusieurs têtes de moins. Ça ne suffit pas à me calmer. Pire, ça m'insupporte encore plus. Je veux des réponses ! Et alors qu'il me ceinture, je relève la tête brutalement pour venir percuter le bas de son menton. Il doit se mordre dans l'action et il recule, se tentant la bouche d'où sort un filet de sang.

Mais déjà, d'autres viennent. Trois hommes plutôt solides entrent et me maîtrisent avec une facilité déconcertante. Je me débats avec toute l'énergie que j'ai en stock, mais c'est une goutte d'eau dans l'océan de testostérone qui me maintient. Je mords. La première main lâche. La deuxième main me maintient le crâne bien hors de portée des autres. Je rage. J'insulte. Je hurle.
Et puis il arrive.

Trovahechnik.

J'arrête aussitôt de me débattre, entièrement concentré sur ce petit être ridicule. Il semble toujours aussi indifférent, toujours aussi inhumain. Son regard sans émotion me fixe. On dirait qu'il est un peu différent. Comme affecter par quelque chose. Comme si Lou Trovahecnik pouvait être affecté. Je m'en moque. Je veux des réponses. Et c'est probablement sa faute.


TROVAHECHNIK ! J'exige des explications !


Il ne répond pas. Juste un instant. Je vois sa pitié. Ça me met en rage. Encore plus. Ça me met encore plus hors de moi. Du fond de ma gorge, je lui crache au visage tout mon dédain.

RÉPONDS !

Mais ce n'est pas lui qui répond. Un homme en blouse blanche apparaît. Un médecin. Il semble gêné par la scène qui se déroule sous les yeux. Et tandis que Lou se nettoie sans une once d'émotions. Le médecin assène la terrible vérité.

Le commandant Trovahechnik n'y est pour rien dans votre… changement, monsieur Céldèborde. Vous êtes totalement devenu jeune. Plus exactement, vous avez rajeuni de près de soixante-dix ans. Vous… êtes revenu à l'âge de quinze ans...


Il continue à parler, mais je ne l'écoute pas. Je le regarde sans le voir, la bouche entrouverte. Je n'oppose aucune résistance. Je suis là, telle une marionnette dont on aurait coupé les fils. Moi ? Jeune ? Je cherche mes mots. Je cherche à structurer ma pensée. Je cherche quelque chose. Mais qu'est-ce que je pourrais penser à ce moment ? Et puis la douleur revient. Terrible. Elle révèle enfin sa nature. Mon rajeunissement. L'éveil d'une conscience longuement enfoui qui se bat contre l'ancien propriétaire. C'est moi. Le vrai Pludbus. Je reprends vie dans mon être. Je ne suis plus cet être méprisable, cet avatar de la sénilité et de l'inutilité. Je ne suis plus ce marine abject. Je ne suis plus ce Pludbus Céldèborde qui a été la risée de toute la marine pendant des décennies. Je redeviens moi. L'être qui a été éduqué par ses parents. L'homme qui a grandi avec sa fierté et son honneur. L'individu qui n'était pas le Pludbus Céldèborde que j'ai été il y a encore quelque temps.

L'un s'en va, disparaissant comme les marques de la vieillesse. L'autre revient. Se réveille. Se relève.

Laissez-le.

On me lâche, c'est à peine si je tiens sur mes jambes. Hagard, je fais quelque pas. Devant moi, le mur. Et je m'effondre contre celui-ci, presque assis contre la façade froide et sans vie. Comme moi. Je me sens vide. Je me sens  inexistant. On me regarde. On me fixe. Je n'en ai cure. Je suis juste là. Le médecin fait sortir les hommes de la sécurité. Lou a disparu.

Je regarde sans voir, devant moi. J'ai l'esprit en miette. Des questions se bousculent. Que ? Quoi ? Pourquoi ? Quand ? Qui ? D'autres questions. Un ensemble d'interrogation sans queue ni tête. Le médecin s'approche et m'aide à me relever. C'est à peine si je m'en aperçois. Avec des gestes pleins de gentillesse, il me ramène à mon lit. Je m'affale dessus, comme un cadavre. Il vérifie un instant ma température et mes réflexes. Je suis là. Encore. Malheureusement.

Dormez.

Après s'être retourné trois fois, il finit par sortir.
Seul.
Seul avec moi-même.

Mon esprit est un océan dans la tempête. Des creux et des vagues. Une cacophonie sans nom. Et je suis un naufragé au milieu de tout ça. Une idée me vient. Mon phare dans cet océan. Me fixer à cette idée. Une évidence. Mais accepter cette évidence.

Je suis redevenu jeune.
Le chaos s'atténue. Mon égarement s'efface. Dans mon lit, je me recroqueville sur moi même. La chaleur de mon jeune corps m’imprègne. Un sourire se dessine.
Qu'il est bon d'être jeune. Ces sensations étaient des souvenirs. Agréable au final. La jeunesse, cette époque bénie. Mais j'efface ses souvenirs de mon esprit. Tout cela, c'est du passé. Ce passé ne doit pas être mon présent. Je suis jeune. Je dois vivre cette nouvelle jeunesse sans penser à l'ancienne.

Une idée me vient. Subitement. Si je suis jeune, je peux peut-être refaire tout ce que j'ai fait ? Mon entrainement. La marine. Les promotions. Avec une expérience de cinquante ans, ça sera plus facile. Et je sais que mon corps est capable des plus grandes prouesses physiques. Je peux redevenir le marine que j'étais ! Je peux redevenir amiral en chef !

Mais.

Est-ce que je le veux ?
Est-ce que je veux revivre cette vie ?
Est-ce que je veux à nouveau tout sacrifier pour une organisation qui a cherché, un jour, à me destituer ? À m'écarter ?

Et surtout. Une autre chose.

Est-ce que je veux redevenir la loque humaine que j'ai été. Je l'ai été une fois. Je peux le redevenir. Je peux retourner à cette déchéance humaine, à cet état inhumain. Moins qu'humain. Cinquante ans d'une belle vie pour quarante ans de sénilité ? Est-ce un bon deal ?

Non.
Et j'ai la ferme intention de ne pas retenter l'expérience. Je pourrais mettre fin à mes jours avant. Mais qui sait comment ça se passerait. Je pourrais être faible. Croire que je suis capable de ne pas retomber dans ce travers. Je me connais. Trop. Non. Je serai faible. C'est une évidence. C'est ma nature.

Amiral en chef ? Non. Tirer un trait dessus.
La marine ? Je ne sais pas encore.
Mais recommencer sa vie. Une nouvelle vie. Une vie amère ? Pourquoi ? Parce que je devrais tirer le boulet de Pludbus Céldèborde. De ses travers. De ses bassesses. Être Pludbus Céldèborde, c'est vivre ça. Mais peut-on vivre avec un tel poids ? Veut-on vivre ?

Non.
Et une évidence. Encore une qui me vient à l'esprit. L'aboutissement de tout cela.
Je ne veux plus être Pludbus Céldèborde. Je ne le serai plus. Je serai quelqu'un d'autre. Je profiterai de cette nouvelle chance que le destin m'a donnée. Une nouvelle vie. Sans aucun lien avec la précédente. Et si je ne suis plus Pludbus Céldèborde. Personne d'autre le peut.

Oui.
Pour vivre. Il doit mourir. Et je mets un terme à sa vie. Sans une larme. Sans un regret. C'est juste une libération. Je le libère de sa vie misérable.
Oui. Adieu.
Pludbus Céldèborde est mort.
  • https://www.onepiece-requiem.net/t2303-fiche-du-vieux-pludbus
  • https://www.onepiece-requiem.net/t2255-toujours-pas-six-pieds-sous-terretermine-meme