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Tel est pris qui croyait prendre - Conclusion

Cela fait déjà quelques heures que nous avons quitté le port de Goa. Il n’en aura fallu que deux pour que des voiles se profilent à l’horizon de nos six heures. Avec tout le ramdam qu’on a du causer cette nuit dans ce coin du Grey Terminal, ça m’aurait étonné qu’on nous lâche si facilement. On file à une allure assez rapide pour que seuls les meilleurs navires pirates puissent nous suivre facilement. On évite ainsi les loosers avec leurs barcasses pourries qui auraient voulu tenter leur chance sur la rumeur qui a du se propager. Pour vérifier qu’on était bien suivis, j’ai fait changer deux fois de cap dans la matinée. Ce n’est pas un bateau de la Marine et il suit la même route que nous, si c’est pas bizarre ça ? Pas sûr que ce soit les fameux détrousseurs de marchands qui opèrent par raids mais ça n’a pas l’air amical en tout cas. Je descends de la dunette tranquillement pour aller voir le quartier-maître qui gère les équipes de gréeurs.

- Réduisez encore un peu l’allure sans que ce ne soit trop visible. Notre ralentissement progressif de ce matin porte ses fruits, ils ne tarderont plus à nous rattraper. Vérifiez l’état des fusils perchés aussi, il ne faudrait pas qu’ils s’enrayent au mauvais moment. On aura besoin d’eux tout à l’heure…
- Bien mon lieutenant ! Diminution de la voilure selon vos ordres !

Même les hommes assignés aux manœuvres font du zèle, j’aime ça. Je continue la revue des troupes pour les derniers réglages. Les suivants sont les braves soldats qui mèneront l’assaut avec moi lors de l’abordage. Tous entassés sur le pont inférieur en une colonne centrale pour ne pas gêner l’équipe d’artilleurs. Il y a de tout : petits, grands, minces, costauds, bruns, blonds… Je lis de l’impatience sur les visages, celle d’être dans le feu de l’action mais aussi celle de voir cet épisode se finir. Tous ne sont pas faits pour aller au devant de la mort même s’ils sont épris de justice. Ils feront juste de leur mieux au moment fatidique.

- Notre lever de rideau viendra dans une heure tout au plus, camarades. Notre mission touche à son but alors ça va être le moment de tout donner. Je vois de la peur chez certains d’entre vous. Qu’ils n’aient pas honte, la peur est nécessaire pour vaincre. Celui qui n’a pas peur de la mort est un idiot avec lequel on boira un saké sur sa tombe. Celui qui surmonte sa peur de la mort, la domine sans l’oublier, celui-là est de ceux qui rentreront chez eux en vie, avec les honneurs et le sentiment du devoir accompli. Patience mes amis, patience. Notre heure arrive.

Le moral fait toute la différence dans un affrontement direct incertain. Le talent ne peut pas indéfiniment surpasser le nombre et je ne pense pas qu’il y en ait plus chez les pirates que la Marine. Notre plus grande peur vient de l’intérieur. Nous sommes nous-même notre propre ennemi. Nous avons tous vu ce qui s’est passé à Enies Lobby… Mais nous ne pouvons pas nous permettre de douter, sans quoi ce n’est pas une bataille que nous perdons, mais la guerre. Je termine mon tour du navire, il n’est pas si grand et nous ne sommes qu’une vingtaine après tout. Mais nous auront bientôt un vrai navire, gagné avec notre sang et notre sueur, je leur ai promis à tous depuis qu’ils sont sous mes ordres.

La poignée de pièces d’artillerie que nous avons a été positionnée selon mes ordres. Les roues et les supports ont été démontés pour permettre une inclinaison quasi verticale des fûts de canon. Dans cette position, ils auront l’angle idéal pour remplir leur œuvre, immobiliser le navire adverse. L’inconvénient majeur de la mesure est qu’elle rend impossible tout rechargement puisque la charge se fait par la gueule et que les canons sont quasiment inamovibles maintenant. Le plan est en place, je commanderai le groupe au corps à corps, le sergent Reyne - Lisa - les tireurs dans les huniers et le sergent Armstrong – que Yoko a affectueusement surnommé Biscoto - supervisera l’artillerie.

*****

Ca y est, les deux bateaux sont quasi bord à bord. Quelques coups de semonce de leur part et quelques boulets exagérément foireux du nôtre auront eu raison de notre combativité apparente. J’ai fait hisser le drapeau blanc pour acter notre reddition. La lice de leur navire est un poil plus haute que la nôtre, ce qui confère un sentiment de supériorité physique illusoire à cet équipage pirate. Leur petite bande s’affiche au grand complet sur leur pont principal. La majorité de mes hommes ne sortiront qu’au dernier moment, c'est-à-dire au premier feu. Nous devons jouer la carte de la surprise puisque le nombre n’est pas pour nous. Le brouhaha d’une meute beuglante de pouilleux à la gueule cassée monte quand leurs grappins crochètent notre bord. A ceci je ne crie qu’un mot pour toute réponse:

- Pourparlers !

L’assistance se calme légèrement et leur capitaine se montre à la passerelle. Je fais semblant de ne pas reconnaître ledit Filow qui nous avait observés la veille au soir dans ce rade minable de Grey Terminal. Son regard ne me dit rien de très jouasse, du moins ce que je peux en voir puisqu’il porte un cache-œil que je ne me remets pas dans mon souvenir. Le baladin qui nous a tirés d’affaire lui aura sûrement laissé un cadeau. Il hésite à entrer dans la conversation, ne pas faire de quartiers serait tellement facile… Finalement il joue le jeu.

- Et pourquoi je vous ferais ce plaisir ?
- Parce qu’on a hissé le drapeau blanc, c’est la coutume !
- On est des pirates !
- Et alors ? Vous voulez quoi au juste ?

Il me regarde une poignée de secondes, incrédule. Puis il éclate de rire suivi de ses larbins qui l’imitent.

- Tout ! Tout ce qui peut être chargé à notre bord. Vivres, poudre, or, berries… On veut tout !
- Ah oui, quand même. Ce sera tout ? On vous l’emballe ?
- Et elle aussi. La garce qui a tué Gus, mon petit frère.
- Vous pouvez préciser, je ne vois pas de qui on parle là.

Un colosse derrière lui lève le bras et lance un poignard sur le mât principal. Je le retire pour regarder le papier qui est planté avec.

- Hé ! Joli coup de crayon. Belle plante en tout cas, si elle était à bord je pense que je m’en souviendrais ! Et vous les gars ?

L’espace d’un instant, il me semble apercevoir le colosse rougir. Je fais passer le dessin au reste de l’équipage qui donne des variantes de « Connais pas » à chaque passage dans une nouvelle paire de mains. Finalement c’est Lisa qui fait redescendre l’information en ayant découpé le dessin. Je récupère le bout de papier et c’est la (fausse) révélation.

- Aaaaah ! Yoko. Ouais mais en même temps si vous lui faites un corps de pin-up, comment je suis sensé la reconnaître moi ? Une minute, je l’appelle.

Je descends de la dunette pour arriver à l’accès au pont inférieur. Je passe la tête dans l’escalier en me penchant.

- Yoko ! Il y a encore un de tes prétendants qui te cherche. Un marin c’est une femme dans chaque port. Tu es soumise à la même contrainte sinon on ne s’en sortira pas ! Pour une fois ça passe mais c’est la dernière fois hein !

Je reprends ma place sur la passerelle arrière en attendant la réponse avec un sourire satisfait. Comment ça décontenançant ?
    Yoko avait fait du zèle. Après le rangement, elle avait fait les poussières et tiré les draps de la couchette avant de regarnir la réserve que Scratty avait pillée. Le lieutenant ne pouvait que constater la bonne volonté de la jeune fille et avait fini par autoriser les tests.
     
    Deux heures d’expériences plus tard et quelques poils roussis, Yoko assiste Biscoto sur le pont de batteries. Drake a déplacé trois de ses assistants sur le pont supérieur et Bis’ l'a embauchée pour les ultimes préparatifs... lorsqu’elle entend les appels.
     
    Tel est pris qui croyait prendre - Conclusion Paragr10
     
    - Yoko ! Il y a encore un de tes prétendants qui te cherche.
     
    Mais qu’est-ce qu’il a encore à hurler comme ça ?
     
    La tête de Yoko apparaît par l’ouverture de l’échelle de pont. A raz du sol, elle évalue rapidement la situation, conforme au plan de Drake.
    Le vaisseau pirate est remonté au vent de la Marie-Celeste, et a affalé une partie de sa grand-voile pour copier son allure. Les navires sont au près et les sabords se font face à moins de deux mètres maintenant. Drake est persuadé qu’ils ne tireront pas les premiers car ils veulent récupérer la marchandise intacte.
    Les pirates ne vont pas tarder à lancer les grappins pour s’arrimer à la caravelle en évitant que les deux bateaux se heurtent brutalement.
     
    Pas question de répondre à ce sinistre personnage. La jeune fille n’a pas bien compris ce que racontait Drake et puis elle n’a pas de porte voix, elle ! Et d’ailleurs le briquet qu’elle tient entre les dents lui ôte toute possibilité de faire partager son humour incisif. De petites bombes pendent à sa ceinture et elle porte une sorte de carquois d’où émerge un bouquet de fusées.
    Elle se glisse discrètement derrière la rampe où les fusées sont préparées pour la mise à feu.
    Elle modifie légèrement l’axe de tir. Chacun est prêt à exécuter la tâche qui lui a été assignée. Elle n’a pas peur. Une excitation inconnue a remplacé la crainte du combat. Elle attend le signal.
     
    Malgré les rodomontades de Filow et les plaisanteries de Drake, l’imminence de l’assaut, de la mort qui peut être au bout, tend les nerfs des marins plus puissamment que les haubans maintiennent les voilures. Et…
     
    -         Feu !
     
    La bâche qui dissimule les canons du pont, laissant croire à du fret ordinaire, se désintègre au passage des projectiles qui filent vers les mats du pirate. Les perroquets s’en sortent indemnes  mais le grand fixe est emporté par le boulet, arrachant vergues et drisses au passage. Le grand mat échappe au tir mais le grand hunier se brise net dans un craquement sinistre, s’abattant sur les marins sidérés qui ne s’attendaient pas à une telle résistance.
     
    Le recul inattendu d’un canon vertical a surpris un des aides artificiers de Biscoto. Ses compagnons s’empressent autour de lui pour dégager sa jambe écrasée par le lourd chariot de la pièce. Le lieutenant ne peut s’y attarder…
     
    -         Feu !
     
    C’est le tour de Biscotto et de ses servants. Les canons tonnent. Les sabords cachés volent en éclats. Les cinq bouches vomissent leurs boulets. L’air tremble. La muraille de bordé bâbord du pirate encaisse la salve en éclatements et craquements sinistres qui couvrent les cris des artilleurs adverses, piégés dans leur pont.
     
    -         Feu !
     
    Le troisième feu est pour Yoko : en six battements de cœur, sa rampe expulse six fusées. Yoko, les yeux rivés sur ses projectiles maîtres marmonne sa litanie qui aujourd’hui devient une chanson de mort. Elle ne parvient pas à diriger toutes ses « filles » mais deux d’entre elles obéissent parfaitement à son esprit et viennent déverser leur contenu incendiaire sur la grand-voile. Impact, explosion, crépitement puis embrasement attisé par le vent. La flamme mord la voile et se propage rapidement aux espars. D’autres engins incendiaires fusent. certains ratent leur objectif, d’autres ne parviennent pas à enflammer les voiles qui crépitent brièvement sous l’impact avant de s’éteindre. Quelques unes embrasent de nouvelles voiles.
     
    Feu, fumées et cris se mêlent.
     
    -         Hissez les couleurs !
     
    Le pavillon des marines se déploie, bleu sur fond gris, en haut du grand mat et sur le mat de poupe.
     
    Fylow a compris, compris que la situation lui échappe, que son navire est inutilisable, que la fuite ne représente plus une option envisageable.
    L’artillerie du pirate ne tonnera pas, il a besoin d’un navire manoeuvrable. Il lui faut se rendre maître de la Marie-Celeste coûte que coûte.
     
    -         A l’abordage
     
    Les grappins sont lancés, les bouts se tendent, les vaisseaux se rapprochent. Les deux ponts ne seront bientôt plus qu’un seul champ de bataille. Les hommes crient en brandissant leurs armes. Ils braillent du plus fort que leurs gorges le peuvent, histoire de bien montrer à l’adversaire qu’ils n’ont pas peur, histoire de s’en convaincre eux-mêmes.
     
    Yoko se réfugie prestement dans les voilures alors que le combat s’engage. Le corps à corps n’est pas son domaine. À mi chemin du mat de trinquette, elle se positionne, partiellement dissimulée par la voilure. Elle va participer à sa façon au combat : à coup de mini-bombes et de shurikens. Elle compte bien faire autant de dégâts que les tireurs de Lisa, cachés dans les huniers.
      Comme disait l’autre, j’aime l’odeur de la poudre au petit matin. Enfin un truc du genre… Quelques secondes et c’est l’apocalypse sur quelques mètres carrés de bois et de charpente au milieu d’une mer qui ne finit pas à l’horizon. Entre deux détonations, les cris de notre premier blessé qui devra attendre que le tumulte cesse de gronder pour que mon attention s’y porte. On savait tous que ça arriverait. Sans doute pas avant la riposte de l’ennemi, sans doute pas de cette manière, mais les incidents ça te tombe dessus quand tu ne t’y attends pas. Sinon ça n’arriverait jamais.

      Bras levé, sabre qui s’abaisse, une première salve de balles s’abat sur les pirates depuis les huniers. Aujourd’hui c’est nous qui ne faisons pas de quartiers. La salve dans la ligne ennemie a du bien endommager ses canons. Les éclats de bois arrachés de la coque ont fait office de shrapnel contre les servants. Il n’aura pas fallu longtemps pour que le premier sang soit versé de part et d’autre. Maintenant, la charge. Sabre au clair, nous fonçons sur l’ennemi comme une meute de chiens enragés. J’aime bien les chiens, c’est fidèle et dévoué. Même si tu ne les récompenses pas à la hauteur de leur affection, ils ne se détourneront pas de toi. Le chien est un bon soldat mais la réciproque est vraie aussi. Sauf que la Marine ne peut plus se contenter d’aboyer pour tenir en respect les détracteurs de son maître…

      Première morsure. Un coup propre, vertical, qui entame les chairs et découpe le mal. Le chien a un croc d’acier qui châtie le vilain. Le pauvre pêcheur n’a pas le temps de cracher sa vie qu’un autre a déjà pris sa place. Nombreux, ils devaient bien être à deux pour un. Les coupes se multiplient mais l’odeur du soufre et du salpêtre se dissipe déjà au gré d’une brise marine. Tirer dans la mêlée c’est décimer le chaos mais surtout risquer de tuer son frère. Quelques détonations se font entendre pour les plus éloignés, privilège du ciel que de foudroyer ceux qui restent dans un champ libre de toute contrainte. Les bruits s’intensifient, signe d’un tympan qui se remet du tonnerre de la canonnade. Hurlements, gémissements, cris de fureur, tout se mêle au son des lames qui s’entrechoquent.

      J’esquive autant que faire se peut. Seul un fou userait de son katana pour parer des sabres à peine dégrossis. Le gros de la troupe n’a rien d’un Lagardère. Tuer proprement est un art, eux ne réussiront qu’à m’avoir exsangue des suites d’entailles superficielles si le combat dure trop longtemps. Chronique d’une mort annoncée après un service exemplaire sous les drapeaux : adieu buandier, bonjour chiffonnier. Il faudra que je rende visite au magasinier au retour à la base, les rosses m’ont taillé un costard. Petit à petit, la bulle assourdissante qui m’entourait se distend, jusqu’à éclatement. Le monde retrouve une voix mais il n’a pas plus de sens. J’entends la vermine haranguer ses sbires.

      - Tuez-les ! Massacrez-les jusqu’au dernier mais ne touchez pas à un cheveu de la garce qui a tué mon frère ! Je veux m’en occuper personnellement ! 50 000 berries à qui me la ramène vivante !

      La vengeance est un plat qui se mange froid mais qui rend aussi aveugle. Le capitaine pirate envoie, à la mort, les plus cupides et les plus idiots de ses subordonnés. La meilleure solution pour nous est de ne pas trop créer d’opposition à leur passage. La mouflette s’est réfugiée sur les hauteurs, malheur à celui qui court au devant d’un canon de fusil. Cette erreur stratégique rééquilibrera un peu les forces mais ce n’est pas pour cela que la victoire nous est acquise. Il nous faudrait plus que ça. Je dois m’occuper au plus vite de leur chef. Sa reddition ou sa mort pourraient nous valoir d’écourter cet affrontement et peut-être d’épargner quelques vies. Mes hommes valent la peine que je fasse le maximum pour eux.

      Les deux navires sont bord à bord. Il reste toutefois un écart entre les deux qu’il me faut enjamber et toute la difficulté est d’atteindre cette dunette si haute. Impossible de se frayer un chemin au travers de cette mêlée, il va falloir que je contourne depuis notre propre barre jusqu’à la leur. Un pirate passé derrière nous pour chercher Yoko voit une occasion de me tuer et d’obtenir une prime moins évidente que celle que tous ses prédécesseurs convoitent. Le face à face ne dure qu’une ou deux secondes. Son coup d’estoc passe juste sous mon bras tandis que je l’embroche. Son visage haineux et couvert de sang se crispe puis se détend. On peut y lire une certaine détresse le temps d’un instant, celui où il réalise qu’il va mourir. Enfin il expectore le trop plein de sang qui gagne ses poumons dans un de ses derniers souffles. Je retire mon sabre en dégageant le corps d’un coup de botte. Ce n’est pas passé loin mais je mérite mieux que d’être planté par un minable. Je dois m’économiser pour réserver mes forces et mon sang pour le vrai affrontement.

      Arrivé à mon poste de commandement, j’élimine les résidus de sang sur ma lame d’un geste vif avant de la rengainer. J’ajuste mon saut en fonction du tangage et je me lance. Mes bras se raccrochent à la rambarde de bois entourant leur dunette tandis que mes pieds cherchent désespérément un appui. Rien à faire, je dois remonter à la seule force de mes bras. Je me demande si les autres s’en tirent mieux que moi. Je l’espère sinon me laisser tomber et écraser entre les deux bateaux reviendrait à peu près au même. J’ai à peine commencé mon effort que je la vois. Une grosse tête avec un faciès un peu idiot apparaît au dessus de la lice. Le colosse, qui accompagne le capitaine pirate, est resté pendant tout ce temps à ses côtés et il semble avoir envie de s’amuser lui aussi.

      Il serre son poing et frappe sur le rebord pour pulvériser ma main droite. Je la retire au dernier moment pour éviter le massacre et la plonge vers mon katana pour tenter de me défendre. La lutte est trop inégale mais j’arrive à me retenir avec un seul bras pendant que l’autre essaie de trancher ou pointer dans ce bras hostile qui va revenir à la charge. Le coup porte mais n’a aucun effet tangible. Du métal, les poignets de cette brute sont recouverts de métal. Cette fois-ci c’est la fin, mes forces me lâchent. Et puis un cri surpasse le brouhaha ambiant. Je n’entends pas ce qu’il dit mais je sens que ça m’est destiné. Une voix lourde, forte, imposante, il s’agit d’une voix que je n’entends que trop peu mais qui est rassurante de savoir à mes côtés.

      Un sabre se plante dans la coque du vaisseau pirate pour me fournir un appui et une ombre gigantesque bondit au dessus de moi et fond sur le demi-géant adverse. La force de frappe de l’équipage en avait marre de traîner à fond de cale sans rien faire après la canonnade initiale. Le sergent Armstrong vient faire parler ses poings. Je remonte péniblement en me laissant glisser sur le rebord. Filow m’attend gentiment, un pistolet à la main. Je n’ai pas le temps de réagir, le coup part et mes paupières se ferment l’espace d’un instant sous l’effet de la douleur. L’instant d’après, je rouvre les yeux sur un Filow se tenant l’avant-bras en balançant des jurons. Je sens mon sang ruisseler aussi mais je ne suis pas mort. Son tir n’a fait qu’effleurer mon bras. Une détonation, deux balles. Mon ange gardien ne m’a pas abandonné et je dois la vie à deux de mes subordonnés en moins d’une minute. Il y a de quoi rester humble, lieutenant…

      Le face à face que je désirais tant est arrivé, on verra bien qui de nous sort vainqueur de cet affrontement. Main sur la poignée de mon sabre, je lance le défi pour de bon.

      - Il m’aura fallu du temps et la précieuse aide de mes subordonnés, mais je suis enfin arrivé jusqu’à toi crapule. Tes vêtements d’emprunts, issus de tes rapines, ne font pas de toi quelqu’un de meilleur. Je lis en toi comme dans un livre ouvert. Je ne te le dirais qu’une fois, rends-toi et c’est la prison, résiste et c’est la mort. Edicte ton choix maintenant.

      D’une manière ou d’une autre, ça se réglera vite. Je ne suis plus en état de mener un combat en longueur et il est aussi blessé. Advienne que pourra.
        Yoko est perchée tranquillement et personne ne semble s’occuper d’elle. Scratty est venu la rejoindre et joue l’équilibriste fou dans les haubans.
        Yoko n’est d’aucune utilité à cette distance du gros du combat où les hommes se battent au corps à corps : ses tirs de bombes risquent d’atteindre des marines. Quant à ses shurikens, la distance rend leur efficacité aléatoire. Les hommes de Lysa sont bien plus efficaces avec leurs armes à feu. Yoko observe… la victoire est loin d’être assurée et les pirates se battent comme des forcenés contre les hommes de Drake.
         
        La jeune fille est trop éloignée pour entendre la mise à prix de sa tête. Le premier imprudent qui s’approche de son mât se fait tirer comme un lapin.
        Quelle idée de s’attaquer à l’escalade d’un mât à découvert… et quel intérêt ?


        Mais l’homme est suivi par un autre, puis une douzaine de fous se précipitent en groupe sur l’échelle de corde. Quelques uns tombent sous les balles des mousquets. D’autres se rapprochent d’elle.
        Mais c’est à moi qu’ils en veulent …

        L’artificière ne prend pas la peine de chercher la raison soudaine de leur intérêt pour sa petite personne.
        Prends ça.
         
        Tel est pris qui croyait prendre - Conclusion Shurik10 Fiiiiiiit, le premier shuriken siffle et vient se ficher dans l’épaule de l’homme qui, sous le coup de la douleur, lâche l’échelle de corde et s’écrase plusieurs mètres plus bas, accompagnant sa courte chute d’un ahhhhh dégressif. Le suivant interrompt son ascension, constate que son compagnon est hors service, tout désarticulé qu’il est au bas du mât. Il lève le nez vers le haut pour évaluer la source du danger.
         
        Tel est pris qui croyait prendre - Conclusion Shurik10 Fiiiiiiit, le second shuriken vient se ficher entre ses deux yeux. L’homme semble loucher brièvement sur l’arme, l’air un peu surpris, avant de suivre la trajectoire de son collègue, en silence cette fois.
        Voilà un homme qui sait se montrer réservé… ces malfrats ne sont pas tous des goujats.

         
        Tel est pris qui croyait prendre - Conclusion Shurik10 Pan, pan, deux tirs de Lisa and Co font mouches.
         
        La proie est bien gardée et se défend farouchement. Les pirates reculent. Mauvaise surprise pour eux : plusieurs Marines ont pris le groupe d’assaillants à revers. Ce mouvement a déplacé une partie de la mêlée vers le centre du pont de la Marie-Céleste, offrant ainsi des cibles plus sûres aux tireurs des huniers.
         
        Yoko retrouve une paix relative. La priorité de ses agresseurs vient de changer : il pensent maintenant à rester en vie. A ses pieds, l’issue de l’affrontement tourne rapidement au bénéfice des marines. Le cœur principal du combat est désormais sur le pont du bateau pirate.
         
        Au milieu du chaos de voiles et de bois, entourés de feux qui crépitent encore, menaçant de se propager et de fumées qui s’enroulent en volutes noirâtres, Drake et le canonnier affrontent des adversaires bien plus dangereux. Une poignée de marines les assiste, les pirates sont bien plus nombreux et les tireurs dans les huniers sont trop éloignés pour être précis.
         
        La poitrine de Yoko se serre. Ce sont ses amis qui sont là bas.
        « MES » amis… Elle fronce les sourcils à cette pensées : ce pluriel mental l’interpelle.
          Un sourire malfaisant se dessine sur le visage marqué du capitaine pirate. Il est touché mais rien qui ne puisse l’empêcher de combattre. Je me prépare à l’assaut, je ne vais pas rester à regarder mes hommes se battre seuls. A moi de faire que son rire soit aussi jaune que ses dents. J’évite une première fente, la lame me passe sous le nez. Je dégaine pour porter un coup direct dans la foulée mais il se baisse. On reprend nos distances. La fureur des combats autour de nous diminue de volume sans que je puisse dire si elle augure la victoire d’un camp ou si mon esprit fait abstraction de tout ce qui ne concerne pas mon duel. On s’observe. On tourne en cercle avec des petits pas de côté. Chacun cherche la faille pour gagner en un coup. Rien à faire, on ne pourra pas vaincre à l’économie.

          L’échange de coups reprend avec une suite de frappes courtes mais appuyées. Notre espace d’affrontement se restreint par moments, coupé par le duel de titans entre Armstrong et le colosse pirate. Leur combat tourne à la compétition d’endurance. Ils n’essaient pas vraiment d’éviter les coups de l’autre mais simplement de lui faire le plus mal possible en contrepartie. Cette façon de se battre est vraiment des plus barbares et irréfléchies. Je répugnerais à m’abaisser à ce genre de pratique. A peine le temps de laisser passer les deux mastodontes qui se chargent que la lame de Filow fonce vers moi. On dit que tout passe au ralenti quand on voit la mort arriver. Pour moi, elle a choisi de faire une avance rapide.

          Le combat est rude, épuisant. Il ne faut pas seulement parer, éviter ou frapper mais aussi se plier aux contraintes de notre environnement. Un seau devient un projectile, la barre, un bouclier improvisé. Je manque de trébucher sur un cordage laissé à la traîne mais je bute contre un mur. Un mur sur un bateau ? Un mur qui respire ? Je suis dos à dos avec Armstrong qui est aussi légèrement à court de souffle. Mes muscles me font un mal de chien, les efforts répétés ont raison de ma résistance. Il faut en finir rapidement. Nos adversaires ne sont pas vraiment en meilleur état mais ils ricanent quand même.

          - Alors matelot, tu es déjà à court de jus ? Si tu me supplies, peut-être que je t’épargnerai et que je t’autoriserai à faire partie de mon équipage… Je t’écoute… Tu n’as qu’un mot à dire…

          Je me laisse éclater de rire même si ce dernier me laboure les côtes. Il se communique au sergent qui couvre facilement le mien de sa voix forte et grave. Aucun mot n’aurait pu mieux résumer la façon dont je prends cette « offre ». Mes paroles, je les réserve pour Armstrong en bloquant ma respiration un moment pour retrouver mon calme. L’ennemi nous fonce dessus pour faire payer l’affront.

          - On tourne et on ouvre chacun pour l’autre. Maintenant !

          Demi-tour sur soi pour changer d’adversaire. Le géant en face de moi n’a pas anticipé et balance son coup de poing au moins trente bons centimètres au dessus de ma tête. Armstrong me surpasse largement d’autant à la toise, il ne faut pas chercher plus loin. Je plante verticalement ma lame dans la botte de mon adversaire. Grognement de douleur. D’un geste vif, je la retire aussitôt pour frapper, de la tsuka de mon katana, son menton laissé à découvert. Il vacille. De son côté, Armstrong a paré le coup du capitaine et lui a frappé violemment les avant-bras pour qu’il lâche son arme.

          - On termine le boulot !

          On pivote une nouvelle fois pour retrouver nos adversaires initiaux. Ma lame se pose sur le cou de Filow tandis que le colosse déstabilisé se prend une droite monstrueuse en pleine poire de la part d'Armstrong. Un capitaine pirate sur le cul et à ma merci, son second dévale les escaliers en roulé boulé pour finir à fond de cale. Je crie pour annoncer notre victoire et mettre fin aux derniers combats des survivants:

          - C’est fini, votre capitaine a perdu. Jetez vos armes et rendez vous.

          Le bruit de sabres qui tombent au sol remplace celui des accrochages entre eux. Les mines dépitées des quelques pirates restant font plaisir à voir. Ils maudissent leur sort mais la prison vaut mieux que la mort. Les acclamations et les cris de victoire montant des huniers et du pont de la Marie Céleste couvrent bien vite les gémissements et les jérémiades. On l’a fait, on a gagné !

          *****

          A quelques mètres de Spike, un homme savoure lui aussi sa victoire. Finalement les pirates peuvent servir quand il s’agit de faire diversion contre leur gré. Il a eu tout le loisir de monter à bord de la caravelle par un sabord pendant que tout le monde avait rivé son attention sur l’autre flanc. Il avait trouvé ce qu’il cherchait en très peu de temps, les sortir avait été un peu plus compliqué mais dans la confusion générale… Martin chargeait maintenant à bord de son petit sous-marin les tonnelets de poudre qu’il avait pu dérober à la Marine. Bien calfeutrés, il les avait laissé flotter jusqu’à sa propre embarcation et avec l’aide d’un de ses acolytes, les hissait à bord.

          Cette poudre servirait grandement la cause dans ses œuvres contre le tyran. L’ironie que la Marine lui fournisse les armes dont il avait besoin contre ses maîtres, lui était bien douce. Il n’avait rien laissé derrière lui, la revendication n’était pas toujours utile. Ils s’apercevraient bien assez tôt de ce vol et constateraient les dégâts de leur imprudence. Sûr de lui, il chargeait les derniers barils quand il la vit. Une femme le visait de son fusil, ou plutôt son tonneau de poudre… Echouer si près du but, c’était trop injuste après tous ces efforts. Bien sûr, elle pouvait le manquer mais il ne fallait pas compter sur la chance pour lui faire une fleur de plus…
            La victoire est acquise pour les marines.
             
            L’étau  autour de la poitrine de Yoko se desserre. Ses amis sont saufs. Son regard balaye les ponts accolés et elle mesure les dégâts, compte les hommes à terre, ressent la souffrance du sang versé… La Marie Céleste a peu souffert du combat. Son regard en fait le tour pour s’arrêter sur… son ange, oui c’est LUI !
            Il serre un tonnelet de poudre contre son cœur. Mais pourquoi reste t-il figé là, comme paralysé ? Yoko suit la direction du regard hypnotisé. Regard hypnotisé planté droit vers une des servantes de Lisa, nichée dans les haubans.
             
            Tel est pris qui croyait prendre - Conclusion Shurik10 La femme prend le temps pour bien assurer sa position.
             
            Les pensées filent plus vite que la lumière dans la tête de Yoko. Une explosion de réflexions afflue en une seconde. Martin doit être sauvé… la tireuse ne doit pas être blessée… Yoko ne peut s’interposer. Elle est proche et loin à la fois car elle ne peut sauter la courte distance qui sépare les deux mâts.
             
            Tel est pris qui croyait prendre - Conclusion Shurik10 Le canon du fusil s’abaisse inexorablement, comme au ralenti, vers sa cible. La tireuse est experte, Yoko le sait, elle ne manquera pas le voleur.
             
            Yoko saisit Scratty par la queue. Dessine un premier cercle avec l’écureuil qui piaille et hop, elle lâche son projectile !
            Yiiiiiiiiiii. Le rongeur décrit une courbe élégante pour atterrir avec sa grâce habituelle, quelques mètres plus loin : nombril contre bouche, yeux rieurs dans yeux furieux, pattes supérieures bien accrochées dans la chevelure soyeuse. La femme secoue l’intrus dans l’espoir de s’en débarrasser rapidement. Scratty savoure la situation inédite, il mord ce qu’il trouve à portée d’incisives, histoire de vérifier une éventuelle comestibilité - simple réflexe chez le rongeur boulimique.
             
            Tel est pris qui croyait prendre - Conclusion Shurik10 Le fusil dégringole du mât.
            Les yeux de la tireuse sont remplis de larmes, ses mains sont refermées sur son appendice nasal… Budain que z’est zensible le dez ! Balbutie t-elle.
             
            Les yeux de Yoko sont remplis de larmes, eux aussi. Martin est rentré dans son sous marin de poche A-t-il vu Yoko, a-t-il compris ce qu’elle avait fait ? Elle agite doucement la main dans sa direction, discrètement. Son ange s’en va avec une partie de sa poudre. Elle s’en fiche bien de la poudre. Son ange s’en va… voilà.
             
            Scratty a été éjecté dans la manœuvre. Il remonte aussi sec vers Yoko et lui fait comprendre, par des moulinets de son petit bras puis en imitant une mouette en vol, qu’il est prêt à refaire une seconde partie de ce nouveau jeu si rigolo. Yoko le saisit sans trop de rudesse et le plante sur son épaule. Tu as été utile pour une fois, stupide bestiole.
             
            Elle descend sur le pont. Si on lui demande des comptes elle expliquera qu’un coup de fusil aurait causé une grave explosion, que la poudre était mélangée à de l’accélérateur de combustion. Elle expliquera n’importe quoi. Bis’ ne sera pas dupe, Drake peut être pas, mais elle s’en moque. Tous ses nouveaux amis sont vivants : Biscoto, Drake et Martin…. Ah, Martin…
             
            Mais l’heure n’est pas aux rêves. Elle va rejoindre les marines qui s’affairent à soigner les blessés. Elle remonte ses manches, prend une profonde inspiration, rassemblant son courage pour s’occuper des chairs et des os malmenés, du mieux qu’elle peut, comme elle a vu si souvent sa tante le faire.
             
            Les explications seront pour plus tard.
              Les survivants se font soigner, en commençant par les nôtres bien sûr. Tous les pirates ont été ficelés à fond de cale. Le colosse dans les pommes a eu le droit à des chaînes. On n’est jamais trop prudent. J’ai demandé un premier rapport sur le bilan humain de l’opération. Ce n’est pas très glorieux. On a perdu le servant de canon qui s’est retrouvé écrasé sous un fût. Il s’est vidé de son sang par la fémorale avant qu’on ne puisse arrêter l’hémorragie. On a perdu cinq hommes de plus, un est entre la vie et la mort et douze sont blessés légèrement. Côté pirate l’addition est bien plus lourde. La canonnade et le premier champ de tir ont beaucoup contribué aux vingt-quatre morts et quatorze blessés. Le doc va avoir du pain sur la planche et un petit coup de main des collègues ne fera pas de mal. J’ai appelé du renfort par den den en précisant qu’on avait besoin de charpentiers et de médecins en priorité.

              C’est mon tour, on me passe à l’alcool et aux bandages. Déjà que ça pique et que ça serre, j’ai de la chance d’avoir évité les soins de la mouflette. Il paraît qu’elle a déjà utilisé la moitié du stock de pansements sur le premier blessé et que le deuxième a failli mourir étouffé après avoir été momifié vivant. On fait le tour de la Marie Céleste pour panser aussi ses blessures mais il n’y a pas trop de bobo. L’amarrage, au pas de course pour éviter la riposte de canon en se collant bord à bord, a causé quelques petits dégâts mais rien de bien méchant. Bizarrement c’est le gouvernail qui prendra le plus de temps à réparer sans que l’on sache vraiment l’origine des dégâts. Visiblement on serait plus sur un sabotage mais aucun pirate n’a été capturé avec des outils ou dans ce secteur du navire au moins. J’ai un peu plus d’informations avec le rapport de chacun sur ce qu’il s’est passé pendant le combat.

              - Convoquez-moi Yoko dans ma cabine une fois qu’elle aura fini d’achever des blessés. J’ai quelques détails à mettre au point et j’ai besoin de son aide.

              Je n’aime pas ce que j’ai appris. Ce n’est peut-être rien mais ce n’est pas mon genre de laisser des choses au hasard. Je finis mon tour des blessés et des hommes qui se sont remis au travail pour préparer notre départ. Les blessés les plus graves ne survivront sans doute pas à l’attente pour les transporter vers une vraie unité de soins. Les réparations sont en bonne voie, j’encourage ceux qui y sont préposés. Ne rien laisser paraître. Ils sont heureux de la victoire même si nous avons des morts à pleurer. Mon bureau m’appelle pour m’assister dans la lourde tâche d’écrire aux familles. Je remettrai ces courriers au vaisseau qui embarquera les corps pour qu’il fasse transmettre. Ma plume trace des mots que j’essaie d’être le plus personnel possible mais je ne connaissais pas bien tous ces hommes. J’ai essayé d’en apprendre un peu plus sur eux avant d’écrire auprès de leurs camarades pour compléter quelques anecdotes que j’ai vécues avec eux.

              On toque à la porte.

              - Entrez !

              Yoko, encore entachée du sang de quelque blessé, passe le seuil. Sans un mot je lui fais signe de s’asseoir sur le fauteuil libre en face de moi. Je termine ma dernière lettre toujours en silence et la cachette prête à être transmise. Je dois faire attention à ne pas la braquer, elle est susceptible et j’ai besoin de connaître la vérité sans suppositions. On va y aller par des moyens détournés.

              - Dure journée, on m’a dit que tu t’étais bien battue. Je suis content de voir que tu n’as rien en tout cas. Je n’aurais pas aimé devoir écrire une de ces lettres pour ton oncle et puis j’en aurais pris pour mon grade avec Perry.

              La petite introduction banale. Détendre la personne. Lui faire baisser ses défenses.

              - Je voulais te voir parce que nous avons un problème d’inventaire. Figure-toi qu’il nous manque une quantité non négligeable de poudre par rapport au registre. Même en comptant large pour tes expériences récentes, ça ne colle pas du tout.

              Prendre le temps d’imposer des silences. La faire réfléchir, douter. La laisser cogiter sur les informations qu’elle peut laisser filtrer.

              - On m’a rapporté une autre chose étrange. Une histoire de sous-marin, de jeune bellâtre qui part avec des tonnelets et d’écureuil volant de mât en mât pour atterrir depuis toi jusqu’au visage d’une marines. Je me dis que tu as peut-être quelque chose à me raconter. Tu as du voir quelque chose alors j’aimerais ta version des faits. Nous avons eu des morts, c’est important…

              Enfoncer le clou. Laisser la culpabilité la ronger. Lui donner une chance d’avouer et de me prouver sa fidélité. De sa réponse dépendra sa place parmi nous.

              - La description qu’on m’a faite de ce jeune homme me rappelle étrangement quelqu’un. Elle me fait penser à quelqu’un que nous avons croisé récemment. Je ne suis pas un farouche partisan des coïncidences alors quand on m’a dit que tu t’étais impliquée dans cet incident…

              Parle, il est temps. Dernière couche, rajouter la menace.

              - Nos pertes ne sont pas si importantes. Je crois que mettre le cap sur Goa pour avoir le cœur net serait une bonne chose. Je me demande s’il vaut mieux que je te laisse rejoindre le QG avec les blessés et nos morts. Peut-être que tu n’es pas en état de bien réfléchir aux choses, de faire des choix justes… A toi de me dire…

              Je suis déçu. Quoi qu’elle réponde, je sais que je serai déçu. J’avais fait confiance et je me sens trahi. J’avais cru que briser la distance et la solennité arrangerait les choses. On l’avait accueillie parmi nous, dans notre famille. Tu as choisi l’ennemi Yoko, qu’as-tu à répondre à cela ?
                Il me convoque ! C’est bien du militaire ça… pas capable de déplacer son derrière pour me dire ce qu’il a à dire.
                 
                Yoko se doute bien de ce qu’il a à dire. Elle a eu le temps de s’y préparer en pansant les blessés… avec une certaine étourderie, ceci expliquant cela.
                 
                -         Je voulais te voir parce que nous avons un problème d’inventaire.
                 
                Ben tiens, j’y crois que tu as demandé un inventaire des poudres, t’as pas d’autres choses à faire en ce moment…tu me prends pour une idiote.
                 
                -         Je me dis que tu as peut-être quelque chose à me raconter.
                          
                Vas mon gars, cause, j’adore tes monologues !
                 
                -         on m’a dit que tu t’étais impliquée dans cet incident…
                 
                On y vient !
                 
                -         Peut-être que tu n’es pas en état de bien réfléchir aux choses
                 
                C’est gagné, il a fini par accoucher. Prenons l’air innocent… non offusqué, voilà je suis o-ffu-squée !
                 
                -         Ah « ON » vous a rapporté ça ! J’espère qu’ « ON » vous a TOUT expliqué. Oui, un voleur a piqué de la poudre.  Et « ON » a voulu tirer dessus. De la poudre incendiaire ! Une balle dans le tonnelet et hop, la proue du navire explose en propageant le feu à tout le bateau. Je ne vous demande pas de remerciements pour mon action… parce que je ne suis pas en état de bien réfléchir sûrement !
                 
                La jeune fille laisse passer quelques instants, comme si elle faisait des efforts pour se calmer… elle aussi sait jouer avec les silences. Elle reprend, calmement cette fois :
                 
                -         Pour identifier le voleur… difficile à dire avec certitude si je le connais. à cette distance. Mais vous, vous me semblez bien imaginatif pour savoir de qui il s’agit sur une simple description.
                 
                Yoko laisse Drake réfléchir.
                 
                -         Mon avenir… j’avais envisagé de proposer mes services dans la marine pour étudier les poudres. Mais je vous laisse décider… d’ailleurs je ne suis certaine de rien.
                 
                Elle tourne le dos à Drake, ouvre la porte, va pour sortir, hésite, se retourne et dit doucement :
                 
                -         Il y a un bellâtre à qui nous devons la vie, j’ignore si vous l’avez déjà oublié… pas moi.
                 
                Elle s’éloigne dans la coursive.
                 
                Yoko s’enferme dans son étroite cabine. D’une pochette de velours rouge, elle extrait un sachet renfermant une poudre grise, finement pulvérisée. Yoko ne va pas inhaler la poudre comme elle le fait exceptionnellement pour retrouver le calme.
                Avec des gestes précautionneux elle verse quelques pincées de la précieuse poussière dans une minuscule coupelle pourpre. La poudre est tellement légère qu’un minuscule voile cendré s’élève au dessus du récipient malgré l’infinie délicatesse des gestes cérémoniels.
                La jeune fille rabat les bords de la trousse sur les instruments nécessaires à la suite du rituel.
                Assise en tailleur, le dos bien droit, elle inspire lentement les particules. Son sang charrie la cendre, son esprit se libère de la réalité, vole vers son île. Son esprit pénètre les cratères de Koneashima, s’y enfonce lentement. Elle prie les Dieux de feu de lave et de cendre. Elle parle à ses Dieux.