Je n’ai jamais dit au revoir.
A personne.
Je n’en ai peut-être jamais vu la nécessité. Je ne me suis jamais dit que ça pourrait être important. Je n’ai jamais pensé que je n’aurais jamais plus l’occasion de le faire. Dire ça, à quelqu’un, c’est comme poser un point final à une énième rencontre. Mais quand cette rencontre a été un moment délicieux, pourquoi vouloir qu’elle s’arrête… « Au revoir », c’est un point. Final. Un point. Comme une lame qu’on abat sur un cou. Comme un point mort. Ça n’a pas de sens. C’est vide de sens. Vide. Un instant sans symbole, qui ne trouve d’écho nulle part. Il n’y a jamais de fin et toujours un après. Il n’y a jamais de fin et on verra demain.
Bientôt futile.
Il n’y a pas de demain pour aujourd’hui. Il n’y en aura plus.
Demain, c’est vide.
Je me sens vide. Comme si une partie de moi s’en était allée, sans que je ne sache d’où ça vient. Je ne saurais en dire l’endroit. Peut-être là, à côté du foie. Ou là, derrière les poumons. C’est peut-être un os qui manque, un rein qui ne répond plus. Ou c’est peut-être tout, tout ce que j’ai à l’intérieur, qui ne veut plus fonctionner parce que finalement à quoi ça sert... Je ne sais pas comment j’arrive encore à marcher. A me tenir debout. A me lever le matin. Mécanique, oui. C’est le mot. Je suis comme une machine qui n’avance que parce qu’il le faut. Mais ces mouvements sont vidés de sens, vides de tout, et vide de moi, et je ne sais pas où je vais, ni d’où je viens.
Je n’entends rien, je ne vois rien, je ne suis rien.
Il n’y a qu’un bourdonnement à mes oreilles, inlassable, qui résonne encore et encore, et qui jamais ne s’arrête. Ça n’a pas de besoin répit, pas besoin de souffle. J’ai cette impression de marcher sur du coton, d’avancer avec de la neige jusqu’aux genoux. Qu’il n’y a devant moi qu’une étendue blanche, et que je n’ai aucune boussole pour savoir où aller. Une traversée du désert où personne ne me tient la main. Un bandeau sur les yeux qui masque la vue. Je ne vois que des formes qui ne me disent rien, et quand elles me parlent, je n’y comprends rien. Tout ce qui faisait sens hier n’en a plus aujourd’hui. N’en aura plus jamais peut-être. Ou plus jamais le même qu’avant.
Peut-être que c’est moi qui suis morte. Peut-être que j’ai arrêté de vivre et je ne m’en rends pas compte. C’est sûrement pour ça que je me sens vide et vidée. C’est pour ça que ça n’a rien d’évident. C’est pour ça que je suis ce fantôme qui erre sans jamais s’arrêter d’errer. Qu’il y a quelque chose d’éteint qui ne peut plus se rallumer. Peut-être qu’au fond je n’ai jamais vraiment vécu, ou j’ai trop vécu, et je ne peux plus continuer. Un poids. Un poids dans le ventre qui me cloue au sol. Un poids qui m’empêche de parler, de voir, d’entendre et de comprendre. Un poids dans le cœur qui ne veut pas me laisser parler. Un poids qui m’empêche de dire au revoir.
Dire au revoir.
J’en reviens au même point, un peu comme j’erre et je tourne en rond en allant ici et là sans jamais savoir si j’arrive. Si je peux y arriver. Un point. Encore un point. Un point qui ne se met pas de lui-même et qu’on me contraint de mettre par moi-même. On. Je. Je dois. Je devrais. Je ne peux pas. Je ne veux pas lui dire au revoir.
J’ai le droit de dire « non » ? J’ai le droit de dire « non ». Je pourrais. Peut-être qu’un non donnerait du sens à tout ça qui n’en a pas.
Non.
Silence.
Rien n’a changé. Rien. Pas un mouvement dans l’air, pas un retour en arrière. Pas de question, pas de réponse. A regarder autour, encore et encore en attendant que ça fasse. En se disant que ça doit faire. Que si je refuse alors il n’y aura rien. Mais on ne m’écoute pas et il y a.
Respiration lente.
Respiration douloureuse.
Comme des poumons à vif. Comme des yeux qui brûlent à trop retenir des larmes.
Et des heures encore à me dire que si je lâche, si je pleure, si je crie, si j’enrage, c’est que c’est vrai. Et tout repartira. Et rien ne changera.
Accrochée, encore. Accrochée. Du bout des doigts, à s’en éclater les phalanges.
Accrochée à ne pas comprendre pourquoi…
… L’horloge continue son cours, le temps ne s’est pas arrêté. A l’intérieur, il n’y a toujours pas de mouvement. Et à l’extérieur, il y a en a trop. Pourquoi est-ce que personne ne comprend ? Pourquoi est-ce que tout le monde vit ? Comment font-ils ? Pourquoi font-ils ? Parce que. Rien ne s’arrête et rien ne continue. Il n’y a pas d’après, ou peut-être pas. Ce non n’est pas un point. Je ne sais pas mettre des points.
Et je ne dirai rien. Pas d’au revoir. Parce que rien ne s’arrête et rien ne continue. Et il n’y a pas d’après, ou peut-être que si.
Ferme les yeux.
Dernière édition par Lilou B. Jacob le Dim 13 Oct 2013 - 19:54, édité 1 fois