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Kiyori mange un gâteau.

C’est MOCHE !
- Toi t’es moche !
Non c’est toi !
- Non c’est toi !
Moi je suis Impératrice ! Jamais je mettrai ça ! AAAHH !

Comme prévu la séance d’essayage tourne au vinaigre. Lionada s’éloigne de la cabine de la déesse-enfant après un dernier haussement d’épaules résigné. Elle prend bien soin de claquer la porte à en faire trembler le grand mât pour montrer son énervement. La fille qui a tiré la vigie au sort aujourd’hui en tombe de sa plateforme mais elle n’ose se plaindre et remonte tant bien que mal vers sa hune, le cœur un peu secoué. Les monstres marins qui entourent le navire salivent aussi, mais le bateau tient bon face à ce mouvement d’humeur qu’il a déjà bravé maintes et maintes fois. Dans les paumes de la première commandante qui regagne ses quartiers à elle, le dernier uniforme qu’elle proposera jamais à la grincheuse pourrie gâtée qui lui tient lieu de capitaine.

Plus jamais elle n’acceptera de l’aider, plus jamais. Un si bel uniforme digne de ceux qu’elles portaient toutes les deux à leur époque civilisée où elles allaient encore à l’école, si ce n’est pas malheureux de trouver ça laid…

- EST-CE QUE JE CRITIQUE TON KIMONO MOI ?!

Mais personne que le vent pour lui répondre, la concernée doit déjà avoir la tête au fond de son coffre aux trésors, celui empli des plus belles étoffes venues du monde entier. Des étoffes que même la famille Pah envierait et qui la rendent pareille à ces pauvres nobles mondiaux : sourde aux avis des petites gens.

Et d’un autre côté, plus jamais Kiyori n’aura dix-huit ans. Une bonne chose avec les anniversaires… Ils passent et ne reviennent jamais. Comme le temps… Lui non plus il ne revient jamais une fois qu’il est passé. Et ces jeunes années d’insouciance où elles ont tellement accompli passeront et ne reviendront jamais comme tout le reste. La mine de Lionada se fronce à ces idées moins gaies qui l’assaillent puis elle va s’abriter dans sa cabine à son tour. Le temps d’une sieste elle pourra s’abstraire des cris et des désirs inassouvissables de cette pimbêche qu’elle a choisi d’assister jusqu’au bout, quel qu’il soit. Pour la beauté du geste et pour toutes ces choses qu’elles ont vécues ensemble depuis le début. Et toute la matinée jusqu’au midi, faire la sieste.

Mais évidemment, dès les premiers rêves de liberté où elle se voit déposer le sabre pour emplir de savoir de petites têtes blondes et bouclées, forcément bouclées, un nouveau cri se fait entendre. Ç’aurait été trop beau. Le retour à la réalité est brutal, heureusement qu’elle est seule sur sa couchette. Plus haut, la porte déjà malmenée cède sous la poussée, les gonds vomissent le bois et Kiyori Tashahari est sur le pont de son navire dans une tenue pour le moins… insolite. Casquette noire ornée de l’insigne du club d’aviron du G5, chaîne en or à gros maillons autour du cou, jupe traditionnelle bleu-ciel sur les jambes par-dessus des talons aiguilles argent pailleté, lunettes de soleil cerclées d’écailles vertes, et pour haut, en bonne fille interrompue en pleine essayage, une simple brassière enfilée à la va-vite. Un mélange de styles à faire pâlir un miroir. Et, vu les reflets dans son dos, sans doute que sa glace n’a pas bien supporté le coup de fourreau rageur que la jeune femme lui a porté pour se défendre contre l’image d’elle qui lui était renvoyée…

LIONADAAA !
- Quoi ENCORE ?! Tu ne veux pas d’aide !
JE VEUX QU’ON AILLE FAIRE DU SHOPPING !
- … ENCORE ?! Mais on en VIENT, de la VILLE !
M’EN FICHE ! C’est ma journée c’est moi je veux c’est moi je dis alors on fait.
- Cours TOUJOURS.
CHANGE LE CAAAP !
- CHANGE LE TOI-MEME SI TU ES SI MALINE ! On n’y sera jamais revenues avant la NUIT, à la ville…
AAAAHHH
- Mais tu ne peux pas le tisser toi-même, ton vêtement, enfin ?!
MAIS JE NE SAIS PAS CE QUE JE VEUX !!!

Et Kiyori de fondre en larmes sur le plancher, là comme ça devant tout le monde.

- Nous voilà bien…


Croyez en moi et je vous exaucerai. Ou pas.

Kiyori mange un gâteau. Kiyori
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Les flots se sont calmés quand les pleurs se sont arrêtés. Deux des filles du bord sur trois sont tombées malades à cause de gros temps qui a secoué la mer pendant l’accès de désespoir de l’Impératrice, mais heureusement c’est terminé. Quand son amie est venue la prendre par-dessous l’épaule et l’a ramenée dans sa cellule, elle s’est encore un peu laissée aller, le déjeuner est passé sans qu’elle accepte d’ingérer autre chose que sa tristesse sur un lit de douceur, et puis enfin il a été possible de faire quelque chose. D’abord, manger du chocolat à n’en plus pouvoir, toutes les réserves qui devaient servir à agrémenter le repas d’anniversaire, puis décider de ce qu’elle allait mettre ce soir. Les deux jeunes femmes se sont rabattues sur un costume traditionnel efficace et toujours très tendance. Kiyori n’est plus vraiment autant l’enfant que les rumeurs décrivent encore, mais elle ressemble encore pour ce soir au portrait qui circule d’elle dans les journaux.

- Tu es magnifique !
Toi t’es magnifique.

Dans un échange de bons procédés elles se sont réconciliées parce que l’heure approche. Lionada, elle, n’a pas quitté l’uniforme. Et maintenant que le soleil tombe et que la mer prend ce noir typique des belles nuits, maintenant que les vagues se calment, c’est l’effervescence. Chacune tente de faire passer sa migraine pour faire bonne figure. Les quelques garçons de l’équipage stressent parce que quand même, l’Impératrice dansera bien ce soir, alors forcément ce sera avec lui, lui, et lui aussi. Mais pas lui avec ses boutons de fièvre et ses cheveux gras, tant pis sa vie est finie. Les jeunes imbéciles croient toujours que ce sera eux.

Puis le silence tombe, et jusqu’à la nuit et jusqu’au repas d’anniversaire plus personne ne fait rien. Le bateau flotte sur l’eau et de loin on le croirait fantôme. Il y a des lampions un peu partout mais d’activité nulle part, les voiles sont repliées et la brise ne fait que passer dans les cheveux de l’équipage. C’est bientôt l’heure.

La table est dressée comme par magie, les assiettes fusent à leur place comme aimantées par la table, les couverts et les verres les rejoignent sans plus d’écarts. Depuis la cantine, Shoti Shota la seconde commandante de l’Impératrice les lance et travaille sa précision légendaire. Pas un bris de vaisselle, pas une coupe à saké qui n’arrive là où elle devait être. L’assassin, désormais toute convertie à la grandeur de destin de Kiyori, fait ce qu’il faut pour émerveiller celle-ci, qui regarde le miracle depuis les fenêtres de ses appartements.

Dis, qu’est-ce qu’il y a à mangeeer ?
- Tu ne sauras pas…
Dis, qu’est-ce qu’il y a à mangeeer ?
- Tu ne sauras pas…

Elles ont retrouvé le sourire et minaudent depuis le grand salon en attendant que l’heure tombe. Et quand la cuisine est prête la cloche tinte, et quand la cloche tinte l’immense navire devient comme une ruche ou une fourmilière. Prise d’un dernier sursaut de panique à l’idée de devenir majeure, la reine se fait désirer et ne paraît devant ses sujets qu’une fois ceux-ci tous sortis sur le pont. Ils sont tous là le long de la gigantesque table dressées de la proue jusqu’à sa porte et ils l’applaudissent tous et c’est un rêve devenu vrai. Son rêve, le premier qu’elle a réussi à garder sien si longtemps. Trois ans maintenant. Sa progression, leur progression avec Lionada.

Impératrice.

Un sourire mesquin fend le visage si doux qu’elle s’efforce d’afficher depuis qu’elle a remis Lionada, justement, de son côté avec sa crise d’angoisse exagérée tout à l’heure. Elle est impératrice ! LA SEULE IMPERATRICE. Et capable de tenir assez tête aux trois autres pour que même le gouvernement mondial la respecte. Toutes les filles de son âge ne pourraient pas dire la même chose, sûrement. Elles, elles remercieraient leurs parents pour les avoir emmenées dans la petite vie tranquille et minable qu’elles auraient et resteraient niaises devant l’assistance mais pas elle, non, pas elle.

Ou alors juste pour ce soir parce que quand même ? Le sourire niais, pas les parents. Jamais les parents, les parents sont morts.

Les plats succèdent les uns aux autres et le saké coule à flots mais pas trop. Il y a tout ce qu’elle aime dans le désordre où elle l’aime. Du canard, des gâteaux, des fruits au sirop, des gâteaux, du poisson, le gâteau… Il n’est pas encore minuit et donc elle n’a pas encore vraiment son âge et c’est pour ça qu’il n’y a pas de bougies à souffler encore, mais il faut quand même partager ce moment avec l’équipage avant d’être seule avec ses amies. Alors elle coupe la magnifique œuvre d’art faite par la cuisinière et toutes elles le mangent et tous ils le mangent, même celui-là bas qui ne dansera pas avec elle ce soir à cause de ses boutons.

Et puis après c’est la fête et on danse pour faire passer le festin, et dans des grands sourires et même avec des larmes de bonheur. Kiyori n’est pas celle qui pleure cette fois, mais les plus sensibles ne peuvent qu’être contentes de la voir ainsi rayonner. La reine-enfant qui n’est plus et qui savoure ce dernier instant.

Et en silence alors qu’il n’est toujours pas minuit ici mais que peut-être il est minuit là-bas, une barque apparaît sur la mer qui accoste doucement au flanc du bateau. Dans cette chaloupe il y a des humains mais pas que.


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Kiyori mange un gâteau. Kiyori
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L’Impératrice et ses intimes se sont retirées et passent la fin de soirée et la fin de la nuit dans sa cabine. Il y a Kiyori bien sûr, cramoisie de chaleur dans son magnifique kimono de soie multicolore après le discours de remerciement qu’elle a adressé à ses sujets, affalée sur un pouf qui pourrait être un lit au milieu de la pièce. Il y a Lionada aussi, une coupe de saké aux lèvres et le visage moins sérieux qu’à l’accoutumée mais quand même, c’est toujours elle la moins insouciante. Et il y a Shoti Shota, la tueuse qui ne l’est plus et à qui on fait confiance. C’est moins la fête qu’on ne pourrait le croire, et les vraies amies sont moins nombreuses qu’elle ne l’aurait voulu. Kiyori est un peu triste d’être tellement entourée mais au fond d’avoir si peu de gens vraiment proches d’elle.

Et puis il y a un poney.

Un petit poney tout mignon qui trône dans sa paille juste devant les portes mais dont les filles sont en train de rendre compte qu’il fait pleurer rouge celle dont c’est l’anniversaire aujourd’hui. Elle est allergique, et pour un cadeau ça tombe mal. Et puis bon, un poney elle en voulait un quand elle avait six ans. A côté des tickets offerts par Lionada pour aller voir les Hours of Penance, c’est quand même… Zezen et Baizen Hour ! AHH !

MAIS QUI A APPORTE CA ?!
- Je ne sais pas, ils ne savent pas non plus qui les a payés…

Pulupulu !

L’escargaphone d’ordinaire si maniérée prend cette fois le faciès dur d’un homme que trop d’années dans l’illégalité ont déformé. Même pour les hommes il n’est plus vraiment homme. C’est un truand qui fait peur et qui menace, qui menace et qui fait tuer, mais ce n’est pas n’importe quel truand. C’est le seul truand qui pourrait jamais appeler une déesse par le petit surnom qu’elle avait quand elle est née, une éternité plus tôt.

-Perle de Jade ?
Oncle Gila ?
-Tu as bien reçu mon cadeau, Perle ?
C’était toi !
-Tu l’as bien reçu, donc. Tu pourras laisser partir mes hommes avec leurs vies. Il te plaît ?
Oui… Merci Oncle Gila !

Mais Oncle Gila n’est pas arrivé là où il en est arrivé, à diriger une bonne partie de la pègre de South Blue, et pas la meilleure partie, sans parvenir à déceler les intentions et les émotions derrière les mots. Un gangster qui ne ment pas n’est pas un gangster, et un gangster dont on ne sait pas lire le non-dit est dangereux.

Et ce qu’il perçoit dans la voix de Kiyori, là ce soir, c’est de la douleur et aussi de la déception. Celle qu’il a faite telle qu’elle est aujourd’hui, celle à qui il a donné tout ce qu’il pouvait quand il a dû s’en charger à la mort de ses parents, cette fille est déçue. Elle l’a déjà été, quand il lui a offert ce meitou merveilleux qui lui a couté si cher. Mais à ce cadeau-là elle a fini par s’y faire. Après tout quand on grandit et qu’on devient impératrice à quinze ans, c’est important d’avoir des armes qui valent le détour. Elle s’est aussi faite à ce fruit hors du commun des fruits extraordinaires qu’il lui a offert quand elle était toute gamine. Elle n’a pas eu le choix, et elle ne se souvient probablement pas d’avoir vécu en pouvant se baigner dans la mer. Toutes ces erreurs d’appréciation, elle s’y est faite. Mais ce poney, c’est la fin d’une époque pour lui. Celle où il était l’oncle responsable et toujours présent pour elle. Oncle Gila a mal au cœur, abrège la conversation avec un faux ton enjoué.

Gotcha !

Ca y est. A ce moment précis où la conversation s’interrompt, Kiyori Tashahari a dix-huit ans, la déesse-enfant n’est plus une enfant. Les cloisons de la cabine ne résistent pas au gâteau d’anniversaire explosif qui fait peur au poney. La pauvre bête effrayée par le bruit et la pluie de sucre s’enfuit en passant au travers du bois et tombe… à l’eau. La réaction allergique met un peu de temps mais disparaît. Celle qui est devenue femme savoure l’instant, savoure et puis repense à cet oncle qui l’a corsetée dans la soie et le luxe et la réussite.

Mais plus maintenant, plus maintenant qu’elle est grande. Plus jamais ! D’une enjambée elle a atteint son coffre aux merveilles et en a extirpé un jean noir, des bottes noires, un débardeur noir, une chaîne qu’elle accroche à son nez et une longue perruque… noire, bien sûr. Ce soir, c’est la fin d’une époque pour elle, Dark Kiyori est dans la place !

Lioanadaaa ?
- Oui ?
On va en viiille ? Je veux m’amuseeeer !
- Bien sûr Kiyori, regarde, on y est déjà.

Et comme par miracle elles y sont déjà.


Croyez en moi et je vous exaucerai. Ou pas.

Kiyori mange un gâteau. Kiyori
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