Pourquoi Tombe-ton ?
Ce matin là, un talon singulier battit les dalles d'Enies Lobby, et bien que le concept même de matinée passa bien au-dessus de la tête de l'île de la justice, les gardes d'astreintes pour ce qui s'apparentait -au-dehors- à la nuit furent surpris de voir débouler devant eux une jeune femme toute de noir vêtue, sabre au côté et coiffure visiblement arrangée à la va-vite. A peine l'eurent-ils remarquée, à peine l'eurent-ils reconnue, qu'elle disparaissait à un autre coin de ces longs couloirs impersonnels qui faisaient la fierté de l'île de la justice. Ça ne les empêcha pas d'entendre encore longtemps ses pas résonner dans l'édifice comme un métronome réglé sur un rythme en trois temps. Ils se regardèrent un instant, et sans parler, ils se comprirent. Ce pas, ils ne l'avaient pas entendu depuis une bonne semaine. Et aujourd'hui, si un léger sourire étira fugacement leurs lèvres comme ils reprenaient leur ronde avant que la relève des heures décentes n'arrivent, c'est qu'ils tendirent l'oreille et perçurent dans ce claquement sec la détermination qu'il avait manqué au Commandant d'élite depuis son retour d'Impel Down. Il foulait au pied cette tristesse qui l'avait anéantie et la peine qui l'avait étreinte. Et il leur sembla que ce pas rapide, ce martèlement , se voulait le plus énergique possible, comme si l'écho qui rebondissait sur ces murs blancs et ces dalles de marbres pouvait expulser toute la frustration et toute la colère d'avoir perdu une semaine à sa morfondre. Une nouvelle fois. À n'avoir pas bougé pour aller rattraper Red. À n'avoir pas agi pour rattraper ses erreurs. À avoir laissé ce navire couler sans tenter de le réparer. Alors le pas est brusque, le pas est vif, le pas est rapide. Ça faisait trop longtemps qu'elle n'avait pas marché avec un but.
Les jambes sont lourdes, pourtant. Lourdes d'être restées inactives certes, enfouies sous des draps lourds comme des chapes de béton et nourries d'un simple fruit quotidien. Mais surtout lourdes de devoir bouger en plus d'un faible corps à la peau d'albâtre le poids des remords et des regrets. Elle avait conscience avec une cruelle froideur de tout ce qu'elle avait perdu. C'était un fait. Un équipage, une arme-sœur, un amour devenu impossible, un rêve brisé. Et à un nouveau détour au coin d'un couloir identique aux vingt précédents elle peinait à compter ce qu'il lui restait d'une vie entière construite sur des bases qu'elle croyait solides et qui venaient de s'écrouler en deux petites semaines. Que lui restait-il ? Elle avait du mal à répondre à cette question. Se refusait d'y répondre. Elle savait que si elle faisait l'inventaire, il ne lui resterait guère que des médailles, ses souvenirs et Salem qu'elle n'avait plus contactée depuis longtemps. Et pourtant, même sans y répondre, elle sentait les larmes lui monter aux yeux et manquer de les embuer comme ses pensées la hantaient et la tourmentaient. Elle les endigua avec une volonté qu'elle se découvrait étrangement forte. Elle s'en étonna un instant avant de se dire qu'elle avait pleuré toute la semaine durant et que ses glandes lacrymales ne devaient plus fonctionner aussi bien qu'avant. Que restait-il d'elle ? Ses galons. Et il était terrible de se dire qu'elle n'avait réellement plus rien. Qui savait si cette affaire des Sea Wolves n'allait pas en plus les lui faire perdre, ses galons ? Il ne lui aurait plus resté qu'à aller se blottir contre un feu de cheminée dans une petite bourgade de South et de s'y laisser dessécher. Pourquoi attendre, d'ailleurs, qu'on la raie de la liste des meilleurs éléments de la marine de Grand Line pour se retirer du devant de la scène ? Pourquoi ne pas simplement abandonner toute cette mascarade ? Que lui restait-il à accomplir ?
De grandes choses?
Il fallait se faire une raison, Rachel n'aspirait pas à moins. Qu'importe que Impel Down ait-été détruite, qu'importe que le pénitencier risquait de fermer ses portes au profit d'une prison moins connue, Rachel aspirait à la grandeur, à la reconnaissance, à l'admiration. À la crainte aussi, mais ce serait anecdotique. Pour l'instant, il lui faudrait remonter la pente, tout reprendre de Zéro. Car elle se relevait d'une chute qui l'avait précipitée aux pieds de tous. Et la pente qui s'annonçait se révélait plus abrupte et brumeuse qu'elle ne l'avait jamais été. Une difficulté supplémentaire, mais pas insurmontable. Rachel avait déjà fait tant et tant plus. Et elle ferait bien plus encore.
Les talons arrêtèrent de torturer le sol blanc pour faire face à une porte close qui aurait pu retenir un Ging enfermé tant elle était lourde et épaisse et dont même la voix de Scab n'aurait pu percer. Là, Rachel s'appuya contre le mur pour masser son genou qui se remettait trop doucement à son goût de ses dernières blessures. Elle prit une seconde pour maudire le destin qui la blessait toujours au même endroit. Ce genou devenu son point faible, à n'en point douter. Et lorsqu'elle releva le regard vers cette porte qui lui barrait la route et qui, en cet instant déterminant, marquait également la première épreuve de cette quête vers une gloire qui s'était éloignée d'elle si vite. Et elle eut peur des réponses.
Ça tombait bien, elle n'en aurait pas.
-Il faut arrêter de se tourner les pouces et appliquer une solution !
-Je...
-Ce n'est pas un cas anodin et il va vraiment falloir qu'on prenne une décision. Ensemble !
-Je sais bien que c'est un cas grave ! Tu me prends pour un con ? On ne sait déjà pas dans quel bourbier cette affaire nous jette alors si ces dames nous recouvrent un peu plus de purin, je peux t'assurer que j'aurais préféré avoir posé mes fesses dans une retraite méritée bien avant !
Arrivant de l'opposée d'où elle-même venait, le duo d'hommes -veste noire, porte-document rempli et cravate de travers- avalait les mètres qui les séparaient de Rachel avec une hardeur sans pareille. On eut dit qu'ils faisaient la course à qui arriverait le premier. Ils ne jetèrent aucun regard à Rachel et cette dernière se contenta juste de laisser trainer une oreille discrète sur ce que ces deux hommes du gouvernement se disaient. L'un semblait plus vieux et ses cheveux courts laissaient paraître quelques mèches blanches parmi leur brun naturel. Le second, lunettes haut sur le nez et petit bouc studieux traduisait par ses gestes un plus grand trouble et une anxiété plus vive que chez son comparse aux mains fermes et caleuses sur ses dossiers. Ils passèrent devant elle et tournèrent comme un seul homme vers cette large porte qu'ils franchirent presque sans s'arrêter. Et comme ils repartaient dans leur discussion mouvementée toujours sans prêter attention à Rachel, cette dernière se décolla vivement du mur et se glissa à leur suite. Probablement une erreur.
-Alors qu'est-ce qu'on choisit ? Vous prévoyez quoi ? Parce que pour l'instant, je crains pour les relations avec Amazon Lilly. On se doit d'intervenir, tout de même, non ?
-On n'est en rien obligé, garçon. Et c'est pas la diplomatie avec ton île de guerrières qui m'inquiète. A la limite, c'est juste une grognasse à la peau bleue qui veut se la jouer présidente et qui cherche à donner des ordres au gouvernement...
-C'est bien pour ça que je dis qu'il faut tout de même prendre en compte ce qu'elle raconte. Lust, c'est pas le genre de femme dont on ignore les dires et les envies.
-C'est elle qui les dicte, les envies, garçon. Et c'est pas nouveau. Et c'est pas parce qu'elle rend fou les hommes qu'elle croise que ça en fait vraiment une cador dans le genre.
-Mais voyons... !
-Moi ce qui me gêne plus, c'est que la Valkyrie s'en mêle. Et ça, c'est jamais bon signe.
-Je suis navré, mais je vois pas en quoi ça pose vraiment souci. C'est normal qu'elle coure après le Malvoulant, non ?
-Jusque là, oui, mais elle avait pas encore pris un tel parti dans une affaire. Elle ne s'était pas encore impliquée avec autant d'ardeurs dans aucune autre. Et je t'avoue que je redoute de la voir se ramener ici, elle et ses cauchemars, comme elle semble le sous-entendre. Qu'elle veuille faire justice elle-même...
-C'est peut-être pas la période...
-Harf Harf Harf !
-...
-Ouais, c'était pas drôle mais faut déstresser des fois.
La marche continue. Tout droit. Les deux hommes ne s'embarrassèrent d'aucun virages et ne regardèrent pas même les bureaux qu'ils croisèrent sur leur route. Beaucoup étaient vides, et s'il n'y avait pas le bruit de leurs pas sur le sol nacré des bureaux, les trotteuses des aiguilles de toutes les horloges de chaque table auraient empli la pièce d'une atmosphère oppressante qui aurait convenu à Rachel. Parfois, un bureau était masqué par des piles de dossiers et une tête brune dépassait parfois de ces monticules de papiers. Rachel eut un rictus dédaigneux. Elle ne savait pas comment ils pouvaient ainsi se perdre dans des tonnes de dossiers sans jamais voir la lumière du soleil. Elle était bien heureuse d'être à l'air libre et sous les embruns marins.
-Et cette Nazca, on a vraiment aucune info à son sujet ?
-pas grand chose, je te dis. Elle avait déjà fait des petites vagues. Assez pour se faire remarquer par Teach. Jamais au point de ravager une île.
-C'était peut-être la période.
-...
-J'aurais essayé.
-Tu devrais essayer de la fermer parfois, garçon, ça vaudrait mieux.
-Ouais. Mais faut bien déstresser des fois, non ?
-Ah ça t'as pas tort.
Rachel s'enivrait de toutes ces informations qu'elle ne comprenait pour la plupart qu'à moitié. Mais des informations qui n'auraient peut-être pas du tomber dans n'importe quelles oreilles. Peut-être aurait-il mieux fallu qu'elle n'écoutât pas... Mais elle n'en avait cure. Et puis de toute façon, personne ne lui avait dit qu'elle n'était pas à sa place. Les deux qu'elle suivait et qui ouvraient la voie ne l'avaient pas remarquée, et les autres qu'ils avaient croisé l'avaient crue avec eux. Pourquoi donc s'embêter.
Et tandis que les deux hommes s'immobilisaient soudain devant un bureau un peu plus gros et un peu plus décoré que les autres, Rachel se raidit comme tout bon soldat pour que l’œil scrutateur de la femme derrière le bureau ne s'inquiète pas plus de sa présence. Et pourtant Rachel n'avait que rarement vu un regard aussi perçant. Surtout venant d'une femme en conversation via den den. Les deux hommes restèrent silencieux, le garçon lissant son bouc dans un geste nerveux et le plus ancien restant plus immobile d'une photo. La femme prit deux notes, acquiesça à deux questions et mit finalement fin à la discussion. Elle lissa ses ongles dans un geste mécanique et invita les nouveaux arrivants à parler.
-Nous sommes du Cp 1 et 4 et nous venons vous faire part des nouveautés concernant l'affaire d'Amazon Lilly.
-Joie... Et vous, qui êtes-vous ? Demanda-t-elle en fixant Rachel avec insistance
-Plait-il ?
-Je suis le Commandant d'Elite Blacrow et je serai l'officier de la marine en lien avec cette affaire.
-QUOI ?!?
La chance sourit aux audacieuses.
Dernière édition par Blacrow L. Rachel le Jeu 12 Déc 2013 - 1:51, édité 1 fois