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Engagez-la, rengagez-la, qu'elle disait...

Yoko. Tenue traditionnelle chignon apprêté, maquillage façon archipelienne. Ton un peu hautain :
 
-         Mes hommages Colonel. Je suis Yoko Akitsu, princesse héritière de Koneashima et prêtresse des Dieux du Volcan. Je viens vous proposer un marché. Je rentre dans la Marine et m’engage à mettre mes exceptionnels talents d’artificière à votre service en échange de la protection des Koneashimiens par la Marine. 
 
La jeune fille regarde l’occupant du fauteuil qui la dévisage l’air abasourdi.
 
Changement de tactique. Salopette de travail, austère chignon, grosses lunettes, attaché-case à la main, elle dépose un document sur le bureau. Voix assurée :
 
-         Bonjour Colonel. Je suis Yoko Akitsu, héritière de Koneashima. Voici mon CV. Vous rêviez d’un artificier de génie pour la Marine : ne cherchez plus, vous l’avez devant vous. Expérience confirmée, références avérées, exigences modérées.
 
L’occupant du fauteuil regarde Yoko avec plus d’intérêt cette fois. Il saisit le curriculum, l’examine attentivement puis le mâchouille brièvement avant de le recracher, visiblement mécontent.
Yoko vire les lunettes et détache ses cheveux.
 
Elle passe en mode désespéré. Cheveux ébouriffés, yeux mouillés. Voix emplie de sanglots :
 
-         Colonel… Je voudrais m’engager dans la Marine… je vous implore de m’accepter parmi vous. (Gémissement). Ma vie vous appartiendra, je vous servirais jusqu’à la mort mais vous devez protéger les pauvres Koneashimiens des manigances perfides d’ignobles manipulateurs qui s’en prennent à d’innocents enfants et à leurs parents qui ploient déjà sous le lourd fardeau du dur labeur quotidien…
 
Le vis-à-vis de Yoko reste de glace.
 
Quelques instants plus tard… Yoko, talons aiguilles, cheveux au vent, maquillage de vamp, robe largement décolletée et tout autant fendue, à demi allongée sur le bureau, la cuisse provocante. Ton de gorge terriblement sensuel :
-         Colonel… Je voudrais m’engager dans la Marine… voyez-vous, ces uniformes maaagnifiques m’ont toujours fait… frissonner… vibrer... Les Marines… des hommes, des vrais… Je serais…
 
L’interlocuteur de la jeune fille louche vers sa poitrine avantageuse. Il bondit et extirpe les paires de chaussettes qui rembourrent le corset de Yoko. La jeune fille lui envoie une énorme claque qui le fait valdinguer à deux mètres du bureau.
 
-         Mais pourquoi faut-il que je n’aie qu’un Sciuridé Koneashimien abruti à qui parler ? Tu t’en moques bien, crétin de bestiole… Essaie de comprendre : il y a d’abord eu ce funeste « accident » survenu à Goa, lors du spectacle pyrotechnique donné à l’occasion de la grande fête annuelle, qui aboutit à l’exécution de père.  Les autorités étaient convaincues que la fusée folle était volontairement dirigée vers le Dragon Céleste ! Coup monté, accident… je ne sais pas, pas encore. Mais depuis ce jour tragique, Koneashima est dans la ligne de mire du GM et il n’y a que moi qui puisse faire quelque chose pour limiter les dégâts. Oncle Hikaru croit que le GM peut encore nous oublier et tante Hanoyo est en admiration béate devant cette outre d’ambassadeur. Moi je sais que le temps de l’indépendance de Koneashima est terminé. Il ne me reste plus qu’à amorcer le changement du mieux que je peux en assurant à mes chers Koneashimiens le meilleur avenir possible. En entrant dans la Marine, je saurais mieux les protéger et obtenir leur protection en cas de besoin.
 
Scratty détricote une paire de chaussette.
Yoko pointe un index accusateur vers Scrattty qui devient le réceptacle tout trouvé du ressentiment de la jeune fille :
 
-         Quoiqu’un obscur fonctionnaire du GM ait décidé, quoiqu’en pense l’ambassadeur Perry, quoiqu’un noir conspirateur ait comploté, et même si ça fait dresser les poils du lieutenant Drake qui me considère comme une gamine – et peut être encore plus à cause de ça – et même si tu t’en fous comme de ta première noisette, je suis l’héritière de Koneashima et j’en suis res-pon-sa-ble ! Mais si j’explique ça à ce foutu colonel avec lequel Drake m’a obtenu une audience, il est certain que ma motivation va lui sembler bien mince.
 
Scratty lâche sa chaussette et se focalise sur l’index.  
 
Engagez-la, rengagez-la, qu'elle disait... Paragr10
 
Yoko entre dans le bureau du colonel. Elle a viré l’écureuil dans le couloir avant d’être introduite dans l’impressionnant bureau par un grand gaillard de Marine.
 
-         Mes respects Colonel. Je suis Yoko Akitsu, héritière de Koneashima, artificière d’art de mon état. Je viens postuler pour un emploi dans la Marine.
 
Voila, elle est allée à l’essentiel. Elle croise les mains dans le dos, l’index droit orné d’une jolie poupée blanche.
 

Engagez-la, rengagez-la, qu'elle disait... Yoko_210
-         AÎE  entend t-on derrière la porte. Yoko rougit, danse sur un pied, hésite, et finalement sort une boite de pansements de sa poche qu’elle tend au colonel.

-         Je m’entraîne au « lancer d’écureuil » mais mon projectile possède un caractère… instable. Pour votre sentinelle, mon Colonel…


 


Dernière édition par Yoko Akitsu le Mer 23 Oct 2013 - 16:43, édité 1 fois
    D’abord il y a le doute, cette incertitude qui ronge quand on ne sait pas quoi faire. Faire un rapport sur ses actes louches pour couvrir un vol paraît être la voie de la justice. Mais est-ce vraiment être juste de lui faire ça ? Un mauvais acte gâche les bons et une bonne action n’a jamais effacé tout le mal qu’on peut faire. Je reste persuadé qu’elle est coupable. Elle a trempé dans ce sale coup mais jusqu’où s’est-elle mouillée ? Elle m’a avoué avoir voulu renvoyer l’ascenseur à ce type pour son aide sur Goa. Etait-ce là toute la vérité ou juste celle qu’elle a bien voulu me faire entendre ? Après tout je suis resté un moment inconscient, elle a très bien pu convenir d’un accord préalable avec ce bellâtre… Tant de questions et si peu d’affirmations. Il faut que je me rende à l’évidence, Yoko Akitsu reste une mystérieuse étrangère pour moi.

    Et puis il y a cet indicible espoir teinté de quelques regrets. Elle a demandé à pouvoir s’entretenir avec un responsable de la base pour fixer son avenir. Cette histoire m’a mis dans un profond embarras qui ne pouvait se résoudre qu’ainsi. La mouflette a du comprendre qu’il valait mieux faire profil bas et regagner ses pénates. On lui arrangera un voyage retour pour Koneashima et mon bateau aura moins de problèmes d’explosifs à l’avenir. Je ne peux cacher une certaine déception tout de même. La miss a su montrer à plusieurs reprises qu’elle avait quelques talents et savait se rendre utile. Mis à part son caractère de cochon et son irrévérence face à l’autorité, je n’ai pas grand-chose à lui reprocher… C’est dommage de gâcher ses capacités en faisant des choix douteux entraînant la suspicion.

    Un grognement sonore me sort de ma réflexion à l’approche du bureau du colonel. Je vois un marine qui essaie de matraquer quelqu’un à coup de crosse de fusil. Enfin quelqu’un… vu qu’il frappe au niveau du sol en faisant des petits pas de côté à chaque fois qu’il rate… un animal ? J’attrape la casquette du planton pour y capturer la bête. Ça gigote, se débat puis se calme. J’entrouvre le couvre-chef dans mes mains pour observer l’agresseur.

    - Encore toi !

    Ce sale mangeur de noisettes rouquin sème la zizanie partout où il se trouve. Sa propriétaire doit être encore dans les parages. Le grand gaillard me file un mouchoir pour emmailloter la bestiole et je l’attache sur mon fourreau comme un baluchon. Le barouf a fait sortir le loup de sa tanière et le colonel vient voir ce qui se passe à la fin.

    - Veuillez faire un peu moins de bruit, je suis en entrevue… Ah c’est vous Drake, venez voir, ça vous concerne.

    J’entre à sa suite et referme la porte derrière moi. Mon sabre vient se poser dans le porte parapluie pour éviter qu’il ne tombe avec les gigotements de l’écureuil qui se tortille dans sa prison improvisée. Regard furtif à la mouflette, je m’attends à ce qu’on m’annonce qu’elle repart pour Koneashima.

    - Mademoiselle Akitsu a exprimé le souhait de rejoindre nos forces en intégrant nos rangs. Qu’avez-vous à dire à ce sujet ?

    Surprise totale. Elle avait bien mentionné cette envie quelques jours auparavant mais je pensais qu’elle l’avait exprimée alors qu’elle était dos au mur pour s’en sortir. Les événements récents me font douter de sa bonne foi et de son engagement. Est-ce sa façon à elle de prouver sa loyauté ou bien encore un stratagème pour servir ses seuls intérêts ? Que répondre à cette nouvelle inattendue ?  

    - Hé bien… L’ambassadrice de Koneashima, qui nous est détachée, a montré quelques prédispositions intéressantes mais je serais bien incapable de la recommander en l’état actuel des choses malheureusement.

    Il n’avait pas pu se résoudre à faire un vrai choix. La couler pourrait avoir de lourdes conséquences sur son avenir et celui de son île. Je ne peux pas me permettre de lui faire ça sans être sûr qu’elle nous mène en bateau avec son copain musicien. D’un autre côté, je ne peux pas non plus prendre le risque de nous mettre en danger en gardant le loup dans la bergerie. Si elle veut vraiment prendre sa place parmi nous, elle devra la gagner.

    - Je vois. Je reste donc sur mon idée initiale. Mademoiselle Akitsu, vous devez savoir qu’on n’entre pas dans la Marine comme dans un moulin. Cela prend des années de formation mais vous êtes encore bien jeune. Ce que je voudrais pouvoir évaluer ce sont vos capacités et leur étendue. Vous devrez donc passer un concours externe sur les prochains jours pour intégrer nos rangs à la place qui conviendra. Que ce soit sur un bateau, dans un bureau ou dans un labo, seules vos aptitudes vous en ouvriront les portes.

    Rien de bien extraordinaire dans le traitement, il ne lui aura pas fait de faveur même si les politiques verraient sûrement d’un bon œil de contrôler directement cette héritière. Il ne reste qu’à fixer les modalités de cette série d’épreuves, à moins qu’elle ne se fasse dans le cadre d’une promotion déjà prévue.

    - Le lieutenant Drake sera l’arbitre chargé de surveiller le bon déroulement des tests d’aptitude. Chaque épreuve donnera lieu à une évaluation qui déterminera votre classement. Vos aptitudes physiques, intellectuelles et mentales seront rudement sollicitées pour que vous puissiez nous montrer le meilleur de vous-même. Je vous laisse trois jours pour vous mettre dans la peau d’un vrai marine, en apprendre les codes, vous entraîner sur nos parcours d’obstacles ou préparer votre matériel. Usez de ce temps comme bon vous semble pour vous préparer au mieux. Rompez !

    Je salue sobrement le colonel en le remerciant de l’insigne honneur de faire partie du jury et de la confiance qui m’est donnée de surveiller les dispositifs liés aux épreuves.

    - Je ferai tout mon possible pour que ces manœuvres d’entraînement se déroulent du mieux possible, mon colonel. Je vais de ce pas préparer le programme pour prévenir des besoins nécessaires aux exercices. Si mademoiselle Akitsu a des questions qui lui viennent à l’esprit, je pense qu’il serait de bon gré qu’elle les pose maintenant. Si non, bon courage pour sa préparation et je reste à sa disposition ainsi que nos camarades en cas de besoin dans la limite des choses possibles ou acceptables.

    Trois jours, ça passe vite. La mouflette n’a pas la fibre militaire de naissance et ne connaît aucune hiérarchie. Là où elle passe, il ne reste que le chaos. Je ne suis pas très confiant sur la suite des événements mais bon j’ai appris à ne pas la sous-estimer au fil des semaines. Qui sait ce qu’elle réservera encore… Elle reste plutôt intelligente pour son âge alors les épreuves de connaissance couleront de source si elle s’en donne la peine. Pour le physique c’est moins évident par contre. Restera à voir comment elle s’en sortira quand il faudra se sortir de la vraie épreuve en bout de course. Wait and see…
      JOUR UN :
       
      Entraînement au parcours du combattant avec Karl Off. Le lieutenant Drake lui a confié Yoko Akitsu en ces termes :
       
      -         Vous avez 24h pour la familiariser avec les épreuves de base des Marines. Demain à la même heure je reviendrais voir ce qu’elle est capable de faire.
       
       
      Karl Off, sergent dans la Marine depuis vingt ans, orchestre les jeunes recrues avec maestria. C’est là qu’il excelle. Il sait d’un coup d’œil juger celui qui deviendra un bon Marine et Drake fait confiance à son jugement.
       
      -         Allez mes petits loups. On commence adagio. On marche en rang deux par deux. Un deux, un deux…
       
      Il agite sa baguette. Les sept jeunes recrues et Yoko  marquent le tempo, docilement. Elle serait belle, la colonne, si Yoko ne déparait pas cette belle brochette de mâles athlétiques par sa silhouette fragile.
       
      -         Et maintenant andante. On se met en muscles. Cent pompes…
       
      Yoko tire la langue avant le quart de l'épreuve... et s’affale à plat ventre à mi-chemin. KO décide de ne pas commenter mais son regard en dit long.
       
      -           Vous voilà réveillés maintenant. On passe en allegretto. Le parcours du combattant.
       
      Il se frotte les mains, la baguette sous le bras. Il jubile visiblement. Yoko aussi… pour une fois qu’elle va pouvoir se traîner dans la boue, escalader des trucs et sauter sur des machins sans se préoccuper de se saloper de la tête aux pieds et sans essuyer les remontrances de Tante Hanoyo !
       
      -         Après le repas : épreuve d’endurance, histoire de digérer. Puis presto, épreuve de natation et tir !
       
      Engagez-la, rengagez-la, qu'elle disait... Paragr10
       
      MATIN DU JOUR 2 :
       
      Drake a rejoint Karl Off et observe les épreuves.
       
      Les pompes se passent presque impeccablement… jusqu’à la cinquante deuxième. Moment où Yoko stoppe, annonçant qu’elle a réalisé son quota. Elle dépose dans la main de Karl Off  un mémo bourré d’opérations incompréhensibles.
       
      -         Compte tenu de mon age, de mon sexe, de ma masse corporelle, de mon taux de glycémie, du décalage horaire, de mon signe astrologique, de mon cycle menstruel, du poids de ma masse capillaire, de la pression atmosphérique et appliquant les bonus/malus ad hoc y afférant, je crois pouvoir affirmer que je viens de réaliser l’équivalent de la performance demandée… si ce n’est plus !
       
      Suit le parcours du combattant. Yoko y excelle. Non seulement elle saute, grimpe et rampe rapidement, aidée en cela par sa taille et sa légèreté, mais visiblement elle y prend plaisir.
       
      Le groupe se dirige vers l’espace aquatique.
      Huit lignes d’eau. Sept malabars et une frêle jeune fille. Plongeons… la surface de l’eau ondule à peine. Les hommes nagent, presque en rythme, laissant Yoko largement en arrière… petit crawl, nerveux et efficace mais rien qui puisse égaler l’abattage d’abattis bodybuildés. Yoko émerge du bassin alors que ses compagnons, dont l’anatomie est sublimée par la brillance de l’eau, se dirigent vers les vestiaires. Elle suit, la langue pendante, l’œil brillant.
       
      -         Une minute mon lieutenant. Elle me refait le coup…
       
      Karl revient avec Yoko coincée sous le bras. Elle s’agite, contrariée.
       
      -         Les douches des femmes sont de l’autre côté. Que je n’aie pas à le redire !

      -         Mêêê, heu !
       
      KO explique ensuite à Drake …
       
      -         Elle est plutôt douée au lancer de poignard et de shuriken. Je n’en dirais pas autant pour sa précision avec les armes de poing. Il y a du travail à faire. Maintenant nous allons passer à l’endurance. Là c’est un fiasco total : elle n’a pas même réussi à décoller le sac du sol… voyons aujourd’hui.
       
      La large piste de terre battue court sur près de 500 mètres. A vue de nez, un tour complet doit approcher du kilomètre. Huit sacs chargés de pierres attendent les postulants. Yoko arrive, confiante malgré son expérience de la veille.
       
      -         Allez les jeunes. Trois tours complets avec le sac sur le dos.
       
      Les sept hommes endossent le fardeau et entament laborieusement le parcours. Dos courbés sous la charge, fronts plissés sous l’effort.

      Yoko va les rejoindre un peu plus tard en petites foulées tranquilles. Elle dépasse le gros du troupeau, rejoint les leaders, des bestiaux baraqués, avant de les laisser dans son sillage. La jeune joggeuse s’interrompt quelques minutes pour ramasser des boutons d’or poussant sur le terre plein central, histoire de souffler un peu. Elle reprend sa ballade en chantonnant et boucle son dernier tour, les fleurs savamment piquées dans sa queue de cheval.

      Les deux gradés la regardent l’air sévère :
       
      -         Ben quoi, je les ai bien fait les trois tours complets avec le sac sur le dos !
       
      Elle dépose le sac qui pendouillait sur son épaule et recharge les pierres qu’elle avait déposées au sol.
       
      -         Peut être que je n’ai pas autant de muscles que vos troufions mais j’ai un peu plus de cervelle.
        Amusant, je me doutais bien qu’elle allait donner du fil à retordre à nos bonnes vieilles traditions. Je me fends la poire en croquant dans ma pomme. Assis en tailleur sur le rebord de la piste, j’analyse et je décrypte. Mine de rien elle n’a rien fait qui alimente mes soupçons depuis l’incident de la Marie Céleste. La mouflette joue le jeu même si elle instaure ses propres règles à partir du moment où les nôtres sont lâches. Il n’y a rien d’étonnant à cela d’après l’expérience que j’ai de sa mentalité. Dire que je commence à pouvoir la lire comme un livre ouvert est un peu prématuré voir même fantaisiste. J’ai d’ailleurs été un peu surpris de son comportement auprès des hommes suite à l’incruste dans les douches. Le numéro de charme de ce sale voleur à Goa aura réveillé ses hormones peut-être…

        Karl est furieux. Il n’aime pas trop qu’on se foute de lui avec un détournement sémantique des consignes. Il en a cassé sa baguette et ça va barder pour le matricule de la gamine. La veine qui gonfle au niveau de la tempe et les bottes qui piquent dans le sol, ça me rappelle des souvenirs cuisants. Combien de coups de pieds dans le derche j’ai pu prendre à vouloir jouer au plus malin. J’ai bien envie de lui laisser ce plaisir mais faudrait pas qu’il nous l’amoche trop. Le plus mauvais c’est que les gars rigolent de ce bon tour qu’elle vient de réaliser. Ils sont beaux joueurs, même si les derniers qui peinent avec leurs sacs, ont le rire un peu jaune. Essayons de détendre un peu tout ça.

        - Sergent, je crois qu’elle vous a bien eu sur ce coup-là.
        - Mais elle a triché ! C’est une entorse au règlement !
        - D’un point de vue moral ce n’est pas très net je l’accorde…
        - Il vaut réprimer l’impertinence ! Cela donne le mauvais exemple aux hommes, monsieur !
        - Hum j’ai une idée, envoyez moi tout ce beau monde d’ici une heure en salle commune.
        - Elle s’est moquée de moi lieutenant ! Laissez-moi la mater !
        - Tant que je les ai dans une heure et si possible entiers… Le reste ne me regarde pas.
        - Pas de problèmes monsieur ! Dans une heure, y sont à vous !

        Sourire carnassier sur le visage du sergent, je sens qu’il y en a qui vont en baver sévère. Je lui dois bien ce petit plaisir, sinon y a plus de justice. Ça ne lui fera pas de mal à la mouflette de se faire rappeler au respect de l’autorité. C’est avec des comportements comme le sien que la discipline fout le camp après tout. D’un autre côté, elle marque des points sur le fait qu’un ordre ne doit pas toujours être pris au pied de la lettre. Réfléchir un peu, ça a du bon parfois… Enfin bon, puisqu’elle se croit si futée et que le bon sergent se charge de leur fatigue physique, on va faire un test.

        Le sergent revient me voir au bout de cinquante minutes, tout fier de lui.

        - Je crois qu’ils ont compris la leçon mon lieutenant. Je les ai fait tellement rampé qu’ils auraient fait de belles statues en les laissant sécher au soleil.
        - Heureusement qu’il y a des douches à la sortie de vos entraînements…
        - Oh bah je ne garantis pas qu’ils nous chieront pas des poteries sur trois jours avec ce qu’ils ont bouffé de glaise !
        - On verra bien... on fera une exposition d’art moderne ou ça donnera du travail au doc si ça coince quelque part.

        Qu'est-ce qu'on se marre dans la Marine ! Les premiers entrent dans la salle, pas très frais. On dirait qu’ils sont contents de pouvoir s’asseoir tranquillement. Manque de chance, je n’entends pas vraiment les laisser se reposer tout de suite. C’est une bonne occasion de tester leurs aptitudes intellectuelles après un effort physique important. Au combat ça fera la différence et ça va me permettre de faire un premier tri dans les profils de ces gens. Les plus malins gagneront vite du galon. Des gens fiables sur lesquels on peut se reposer, c’est le rêve de tout bon commandant après tout. Une fois que tout le monde est arrivé et installé à table, je fais passer les feuilles. On va commencer doucement, par des petites questions de culture sur la Marine et ses attributs. Normalement c’est simple pour celui qui connaît un minimum son sujet. Premier test pour Yoko sur son intégration de l’entité. Les regards parcourent en vitesse les questions à mon top.

        1/ Quelle est la devise de la Marine ?
        2/ Qui sont les trois amiraux de la Marine ?
        3/ Qu’est-ce qu’un Buster Call et comment s’exécute t’il ?
        4/ Quelles sont les trois branches de la Marine ?
        5/ A combien se monte la solde d’un colonel ?
        6/ Quelles sont les attributions d’un lieutenant ?
        7/ Combien d’hommes peuvent servir au maximum sur un croiseur ?
        8/ Quelles divisions sont stationnées à Logue Town ?
        9/ Qui sont les trois personnes les plus recherchées par la Marine par ordre de prime ?
        10/ Comment est récompensé un marin pour la capture d’un pirate primé à 24 millions de berries ?


        - Vous avez dix minutes pour les dix questions. Bonne chance parce que l’échec n’est pas une option ! Je m’occuperai personnellement de la punition des recalés !

        Je fais des petits passages au pas lent derrière les rangs pour vérifier qu’il n’y ait pas de tricherie. J’aime bien mettre un petit coup de pression pour le plaisir sur des gens déjà épuisés physiquement. C’est grave docteur ?
          Yoko avait lu le questionnaire et restait le nez en l’air pendant que les hommes griffonnaient nerveusement. Certains arboraient le sourire satisfait du bon élève qui a tout appris, d’autres hésitaient en jetant des regards à la dérobée vers leurs compagnons.
           
          Yoko souriait béatement, trop heureuse de pouvoir détendre un peu ses muscles fatigués.
          Mais elle était encore à l’age où le corps récupère en moins de temps qu’il faut à un Marine pour se mettre au garde à vous.

           
          Cher Lieutenant,
           
          Je vous remercie d’avoir eu l’obligeance de m’adresser ce questionnaire. Je ne répondrais cependant qu’à la première question.  La devise de la Marine est "Justice absolue" que vos hommes braillent à tout moment et en toutes circonstances.
           
          A ce propos est-il JUSTE d’attendre des réponses à des questions avant d’avoir enseigné la matière ? Me viendrait-il à l’idée de questionner  votre colonel sur les sciences pyrotechniques afin de savoir si la Marine mérite que je mette mes compétences à son service.
           

          Le visage de Yoko est devenu sérieux maintenant. Son front se plisse. Elle ne doute pas que sa décision de rentrer dans la Marine soit la meilleure… ou tout au moins la moins mauvaise, mais le doute l’envahit.
           
          Ils sont formatés ces bonshommes, formatés et obtus. Vais-je pouvoir rentrer dans ce moule et y rester ?
           
          Elle se lève et rend sa copie.
           
          Après tout, ils me prennent comme je suis ou pas… alea jacta est.
            Bruissement des stylos qui noircissent le papier, tout le monde avance consciencieusement ses réponses. Au bout d’une minute ou deux, Yoko a déjà fini d’écrire. Je ne doute pas de sa rapidité mais plutôt de la validité de ses réponses. Elle remet sa copie et pour tout dire il n’y a pas grand-chose à évaluer. Je me doutais qu’elle ne serait pas capable de tout remplir mais je m’attendais à un peu plus quand même. Une part de moi est déçue mais je relativise un peu. A son âge, je n’en savais pas plus qu’elle, peut-être moins même. La différence majeure c’est qu’on n’attendait rien de moi, que je voulais qu’on reconnaisse mon existence alors qu’on voulait déjà m’enterrer pour m’oublier. Elle, porte en elle de grands espoirs de sa famille et la responsabilité de ton un peuple.

            Moment de réflexion personnelle, comment lui faire comprendre la portée du choix qu’elle fait ? Il n’y a pas de mauvais combats, juste de mauvaises manières de défendre sa cause. Les différentes options qui s’ouvrent à elle, impliquent pour la grande majorité qu’elle renonce à sa liberté, qu’elle se sacrifie. Mais rien ne l’y oblige quelle que soit la responsabilité qui lui incombe. Je laisse le sergent finir de surveiller le test et récupérer les copies. Ce sera une formalité pour la plupart des aspirants. Il fallait que je montre à la mouflette l’écart entre une vocation et un choix par résolution. Je la suis et l’interpelle avant qu’elle ne disparaisse je ne sais où.

            - Il faut qu’on parle, suis-moi.

            Je privilégie le côté informel du parc au confort sévère d’un bureau. A cette heure, plus personne ne court sous les chênes de l’enceinte de la base. Le climat est encore assez agréable pour prendre l’air et l’heure n’est pas trop avancée non plus. On marche tranquillement.

            - Je ne m’attendais pas à ce que tu saches tout. D’ailleurs, je préférais que tu voies que même des choses simples ici ne te sont pas acquises.

            J’écarte sur mon passage les feuilles tombées au sol pour déceler quelque trésor caché. L’occasion est un peu facile pour laisser traîner les bottes.

            - Je dois t’avouer que je suis déçu. Depuis que tu as quitté ton île, tu n’as pas profité de cette ouverture au monde et tu attends encore qu’on te serve tout sur un plateau.

            Les mots sont durs mais elle a besoin de se confronter à la réalité. On a connu quelques moments un peu chauds déjà mais ce n’était pas si méchant en fin de compte. Il faut croire que mon apparente arrogance est communicative et il faut que je corrige le tir pour la remettre à sa place.

            - Tu es fière de tes connaissances, c’est bien. Mais tu étais un gros poisson dans un petit bocal, ne l’oublie pas. Ton univers s’agrandit et tu ne prends même pas la peine de le découvrir.

            Elle aurait pu apprendre quelques noms en lisant les journaux. Elle aurait pu s’informer un peu sur cette base ou au moins remarquer qu’il y avait plusieurs compagnies de marins en faction ici. Elle aurait pu retenir quelque chose de mes activités depuis le temps qu’elle m’accompagne. Mais rien. Rien n’était sorti sur cette maudite fiche et ce n’était pas bon. Non pas qu’elle serait recalée pour une broutille de ce genre, c’était l’attitude qui était mauvaise. Elle se croit unique, elle l’est sans doute, comme chacun d’entre nous. Mais personne n’est irremplaçable et les poudres de Koneashima ne changeront pas le monde. La petite princesse a besoin de descendre de son piédestal et de s’apercevoir dans quoi elle s’engage.

            - Dans la Marine, tu ne seras qu’un pion. Je sais que tu espères tirer avantage de ce choix et tu n’es pas la seule. L’important c’est de ne jamais oublier qui tu es, tout en étant un bon chien du GM, fidèle, loyal, obéissant…

            Il n'est pas tous les jours facile de se sentir fier d’appartenir à la Marine. Tout n’est pas parfait, loin de là. Toutefois la grande majorité d’entre nous font ce qu’ils peuvent et on supporte les reproches et les trahisons pour servir encore et toujours. Comme dans toute organisation, il existe des pourris, des égoïstes, des profiteurs, des monstres, des incapables ou des glandeurs dans nos rangs. Ceux-là nous déshonorent mais ils ne mettront jamais en péril l’institution. Nous sommes le rempart contre l’anarchie, les garants de l’ordre, les défenseurs de la Justice. J’aimerais qu’elle voie ce bon côté des choses avant tout mais la mouflette a déjà été pervertie par la notion de marchandage politique. C’est triste de voir une enfant verser dans le cynisme sans en comprendre la portée. Elle croit pouvoir se jouer du monde alors qu’elle n’est qu’un pion sur un échiquier, la plus petite pièce, celle qu’on sacrifie en premier…

            - A partir de demain, on fera quelques exercices pratiques sur le terrain. Vous serez par petits groupes de quatre, je te laisse t’intégrer à ta convenance. La Marine ce n’est pas une somme d’individualités. La question n’est pas de savoir ce que Yoko Akitsu possède et qui intéresse la Marine mais plutôt comment les deux peuvent se grandir mutuellement. Réfléchis à ça cette nuit. Je pense qu’il est l’heure de rentrer…

            Je lui tends une poignée de glands ramassés au cours de notre déambulation. Je doute qu’elle en mange mais elle a une connaissance qui devrait s’en remplir la panse. Je mets ça sur un moment de faiblesse ou alors j’achète une paix avec cet animal pour qu’il reste tranquille pendant la soirée. Il me faut du calme pour préparer les exercices du lendemain. Je ne sais pas encore trop bien ce que je vais proposer, sans doute pour évaluer le niveau de collaboration, d’organisation et de partage des savoirs. Un groupe qui doit monter un camp et le tenir pendant que les autres devront le saboter/piller une fois établi, ça me paraît être un début. Un escorte de personnalité peut aussi faire un scénario analogue, tout comme une traque de prisonnier évadé… Les opportunités sont multiples et la nuit portera conseil. J’espère que la mouflette va réussir à se trouver une place dans tout ça, sinon elle sera forcément déçue…
              Yoko suit Drake. Il marche d’un pas nonchalant ce qui n’est guère son habitude. Il parle sans vanité ce qui l’est encore moins.
              Yoko n’a pas envie de discuter. Pas l’envie, pas la force.
               
              L’automne salit la vaste cour entourée de tristes bâtiments gris, leurs centaines de fenêtres comme autant de regards vides tournés vers eux. Au sol, les feuilles mourantes qu’on ne verra pas pourrir : la Marine ne tolérant pas le désordre, on s’empressera de les balayer dès l’aurore.
               
              L’ordre… Yoko regarde autour d’elle cet ordre qui la désespère: allées rectilignes se coupant à angles droits, arbres plantés avec une régularité métrique. Constructions symétriques, parallélépipèdes fonctionnels et sinistres. Pelouses au carré, rasées de près. Ici on domestique tout, la nature et l’homme. Tout le monde au pas, tout le monde dans le moule. Pas de fantaisie, interdit d’exister, sauf à devenir plus compétent à dompter l’individualité, à traquer la fantaisie… comme Drake tente de le faire. Il le fera avec succès, sûrement. Yoko n’a qu’à plier, c’est si facile de plier, si reposant. Plus besoin de penser, plus besoin de se battre. Obéir, simplement.
               
              Mais Yoko pense, Yoko ressent, Yoko aime. Elle aime le cycle des saisons, celui de l’automne avec les feuilles qui crissent sous les pas, mêlant leur odeur de décomposition végétale, douce et acre à la fois, cette odeur particulière qu’offre la terre à l’aube du sommeil hivernal et que le vent mélange aux relents iodés et salins des vagues qui se brisent vigoureusement sur les côtes déchiquetées de Koneashima en de subtils panachages odoriférants, prééminence de la mer et de la terre alternant au gré des vents. Sa terre, sa mer, sauvages…
               
              Drake pontifie. Elle écoute vaguement. Il ne la comprend pas, ne sait pas qu’il est difficile de devenir adulte si vite, si brutalement. Elle est encore une enfant avec l’envie de s’amuser, de rire, mais aussi le besoin de se reposer sur quelqu’un lorsque la peine et la décision sont trop lourdes. Il oublie qu’elle a aussi la mission de veiller sur son troupeau.
              Elle hausse les épaules : ce Drake semble croire qu’elle se surestime, comme si elle n’avait pas conscience qu’elle n’était que la bergère d’une modeste île. Mais aussi modeste que soit son  village, elle ne se soustraira pas à ses engagements, à continuer la tâche de son père, à aider Koneashima à muter d’un monde fermé quasi médiéval vers une société mondialiste. Si la profondeur du concept idéologique lui échappe partiellement, en revanche les aspects concrets apparaissent clairement dans son esprit.
               
              Les paroles de Drake ronronnent.
               
              Réfléchis à ça cette nuit. Je pense qu’il est l’heure de rentrer…
               
              Mille bombes… de quoi parle t-il ?
               
              Drake lui tend des glands. Elle les prend, estomaquée, avant que Scratty, sorti de nulle part, les enfourne dans ses bajoues, sitôt surdimensionnées, façon super-hamster. L’écureuil bondit sur l’épaule de Drake et enlace son cou de ses petites pattes griffues tout en frottant une joue étonnamment gonflée, aussi douce qu’un tas de cailloux, contre celle du lieutenant.
               
              Yoko sourit. Soudain elle réalise qu’elle ne le connaît pas plus qu’il ne la connaît. Elle peut essayer, elle!
               
              Pourquoi êtes vous devenu Marine ?
                Je veux bien être plus gentil et compréhensif par moments mais y a des limites. Les questions personnelles, on verra dans une autre vie. Je lui cause sérieusement pour son avenir et mademoiselle veut m’installer sur un sofa. Est-ce que je lui tire les vers du nez sur son passé moi ? Trêve de plaisanterie, je dégage en touche et on retrouve nos pénates.

                - Pourquoi j’ai rejoint la marine ? Je ne sais plus, je crois que c’était pour la sécurité de l’emploi et le bien fondé d’aider les gens…

                Une réponse comme ça, ne mange pas de pain. Faudra bien que tu t’en contentes cocotte parce que t’en auras pas d’autres ! Je n’ai pas envie que tu me comprennes. Je n’en ai même pas besoin. Tu es une personne intéressante petite, mais tu es loin d’avoir gagné ma confiance aveugle. Ce qu’il s’est passé entre Goa et ici m’irrite. C’est comme une vilaine démangeaison qui ne s’arrêterait pas, la peur d’une gangrène qui s’installe pour commencer à te bouffer petit à petit.

                - Tu sais que si tu entres dans la Marine, tu seras obligée de nous aider à arrêter ton copain, le musicien voleur ?

                Pas évident de lui faire accepter ça. Elle n’a rien voulu entendre la dernière fois et a justifié le fait qu’elle l’aide à s’enfuir. Il faut que l’idée fasse son chemin et pour ça il faut qu’elle mette du sien.

                - Tu voles du pain, c’est que tu as faim. Tu voles de la poudre à canon, c’est rarement dans une optique pacifiste…

                Difficile de paraître sérieux quand un rongeur te ravage affectueusement la face en câlins. Je crois comprendre ce que ressent le naufragé qui se réveille sur la plage avec la tête dans les galets mouillés. La fraîche tombe, d’ici peu de temps la nuit en fera de même et à la saison il ne fait pas particulièrement chaud. Je n’ai juste pas envie d’avoir une discussion profonde avec une gamine que je connais à peine. Elle ne s’est pas beaucoup creusée la tête, je ne lui ouvrirai pas la mienne. Fin de cette discussion cérébrale. Point d’orgue du récital, je lui rends sa boule de poil trop entreprenante.

                - Je crois que tu as déjà un coéquipier désigné pour demain, à toi de t’en trouver au moins deux autres. Si tu ne réussis pas à t’intégrer par toi-même, on te mettra avec des volontaires désignés, mais c’est moins efficace…

                Je n’ai toujours pas spécialement d’idée sur la première épreuve que je compte donner aux bleus. A quel niveau leur collaboration a d’abord besoin de se révéler et se renforcer ? Réduire les groupes à quatre devrait déjà permettre de donner plus d’importance à chacun sans noyer la compétence individuelle dans le collectif. Si ils ne cherchent pas à améliorer leurs propres capacités, comment le collectif pourrait continuer à progresser sur le long terme ? Il faut revenir aux fondamentaux. La réponse est simple et me vient assez rapidement à l’esprit : nous sommes des marins.

                - Fais passer le mot auprès des autres. Demain matin, rendez-vous à 7 heures à la marina. La matinée sera consacrée à une régate. Préparez vos cirés, il risque d’y avoir un peu de mer.

                Je pense que ça devrait être une bonne leçon pour commencer. Il me suffit de préparer ce soir le matériel à la base et les petits voiliers de 8m au port. Je sens que je vais m’amuser un peu et leur donner une leçon de navigation…
                  Les deux quillards sont bord à bord ou presque. Les huit occupants échangent des plaisanteries un peu salaces. Yoko ne s’en offusque pas. Elle tient la barre de l’esquif sous le vent pour ne pas pénaliser son « adversaire » désigné. Il lui est plus facile de corriger le manque de vent qu’à Alex, le capitaine de l’autre bateau.
                   
                  Les coquilles de noix proposées par Drake ont laissé perplexes les sept hommes, habitués à des vaisseaux d’une toute autre taille. Yoko a été désignée capitaine à l’unanimité car elle est la seule qui sache manœuvrer des dériveurs ou des embarcations de faible lest – nécessité absolue pour naviguer autour de l’archipel de Koneashima, peuplé de hauts fonds.
                   
                  Parfois elle vire légèrement pour remonter au plus près et ne pas se laisser gagner de vitesse par ses compères. Hick, leur chef, connaît un peu la navigation sur scute mais se trouve un peu désorienté par l’absence de dérives latérales. Qu’importe, Yoko reste à leur portée de voix et explique ce qu’ils doivent faire. Les manœuvres les plus difficiles à coordonner restent les passages de bouées. Au premier virage lof pour lof, le bateau d’Alex rate son empennage et la baume envoie un marine à la baille. Les deux bateaux affalent les voiles le temps de le récupérer. Il en sera quitte pour une bosse ; c’est ainsi que rentrent les leçons !
                   
                  Hissez les voiles… et c’est reparti jusqu’à la bouée suivante.
                   
                  De bouée en bouée les deux embarcations incertaines louvoient sur une mer, heureusement peu agitée. Les manœuvres s’améliorent, les hommes habitués aux galions, caravelles et autres superstructures navales, assimilent rapidement les réactions des petits bateaux.
                   
                  L’arrivée sur le ponton flottant désigné comme débarcadère se passe dans un certain désordre, le bateau d’Alex Hick n’ayant pas affalé assez rapidement, il heurte assez violemment la jetée. La coque protégée par les sacs de chanvre ne subit pas d’avarie mais Drake manque d’être projeté à l’eau.
                  Yoko aborde en douceur et saute sur le ponton qui n’a pas encore retrouvé sa stabilité. Elle est joyeuse Yoko et demande :
                   
                  Ça va mon lieutenant ? Pas de bobo ?
                   
                  Elle dépose Scratty sur le ponton…
                   
                  Désolée, on voulait arriver synchro mais on n’a pas réussi au petit poil. Ça va quand même l’esprit d’équipe ?
                   
                  La bestiole s’agite follement.
                   
                  Vous avez vu comme il a été sage ?
                   
                  L’écureuil tire désespérément sur sa muselière improvisée.
                    Ce n’est pas encore ça mais on commence à voir du progrès. Mieux mais pas suffisant. Ce n’est pas comme si je ne le savais pas d’avance. Il va falloir qu’on aborde les choses sous l’angle de sa spécialité finalement, sinon Yoko ne sera pas des nôtres.

                    - Vous avez bien travaillé, ramenez les bateaux à la cale et quartier libre pour le reste de la journée. Vous prendrez vos ordres ce soir auprès de vos supérieurs directs.

                    Il est temps pour moi d’avoir une discussion sérieuse avec plus gradé aussi. J’ai eu l’occasion de voir les atouts et les limites de tout ce beau monde. Ceux de la mouflette étaient les plus importants de cerner. L’heure est au débriefing, le colonel m’attend déjà dans son bureau pour évoquer le résultat de mes observations.

                    - Alors ?
                    - Elle n’a pas le niveau.
                    - A ce point là ?
                    - Il lui faudrait une bonne année à l’académie pour en être sûr…
                    - Mais du haut de ses 45 kgs toute mouillée, ce sera dur…
                    - Je pense surtout qu’elle ne se ferait pas à la vie militaire que lui promet l’académie.
                    - Problématique ça… donc on la renvoie chez elle faute de solution ?
                    - J’ai pensé à une alternative pour la garder à mon bord…
                    - Dites toujours.
                    - Peut-être qu’elle pourrait être détachée de la Brigade Scientifique.
                    - Hum. Ils ne font rien à la légère, c’est une élite dans leur genre.
                    - Je pense que si elle s’en donne les moyens, elle peut y arriver.
                    - Le seul moyen pour que le GM en tire quelque chose hein…
                    - C’est elle qui veut s’imposer et tirer autant profit de cette situation je crois…
                    - Soit, vous lui trouverez bien une affectation qui satisfasse les pré requis j’imagine.
                    - Elle sera en charge de l’artillerie, du moins de préparer la poudre, faire des tests sur les siennes, créer de nouveaux boulets… ce genre de choses.
                    - Hum ça devrait pouvoir se faire… Je fais le nécessaire et je vous tiens au courant. Rompez.
                    - Merci mon colonel.

                    Claquement de talons, salut militaire et demi-tour, le rapport est terminé. La mouflette aura son affectation très vite et il faut déjà que je pense à la mienne. Ce soir je m’endors des idées plein la tête, rêves de nouveaux galons, équipage et navire. La mouflette en fait partie avec mes petits habitués, je ne sais pas si c’est un bon ou un mauvais présage…