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Au coeur de la mêlée - la bataille :
« Quel est le rapport de la situation ? »
« Les citadelles résistent, mais trop peu. La garde royale se rassemble. Nous nous battons à dix contre un. »
« Vous avez sécurisé le port ? »
« Inutile, il n’y avait rien. »
« Rien ? »
« Nous n’avons pu localiser la flotte de Mendoza, ils ont fui. »
« Fui ? Comme ça ? Qu’en disent les taupes ? »
« Ils vont chercher de l'aide ... avec le Prince Eirikr. »
« ... »
« ... »
« Nous devons nous préparer à une contre-attaque au plus vite. Ils sont allé chercher les renforts. »
« Nous devrions fuir, nous ne résisterons pas à un buster call. »
« Et les bandits ? »
« Nous peinons à les juguler, ils ... ils pillent et tuent sans vergogne. Nous essayons de les contenir, mais le rythme des combats faibli. Sans Mendoza, nous aurons pris la ville basse dans moins d’une heure. »
« Il nous faut un plan de secours. »
« Ils sont partis avec le Prince, l’héritier en titre. Tout est fini. »
« Faisons d’une pierre deux coups, en ce cas ... »
« ... ? »
« Bô, je te laisse le soin de t’emparer des citadelles. Je m’occupe du reste. Je ne serais pas un bon As sans carte dans ma manche. »
*clac*
Une table au milieu des décombres, un assassin avec un escargophone blanc. Un sourire trônait sur ses lèvres, alors que les flammes dévoraient les bâtisses aux alentours. Des cris, des pleurs. De la souffrance et de la mort tout autour de lui. Ses généraux sur le champ de bataille. Un plan fait de fumée trônait sur la table, représentant l’évolution de la ville de Goa. Les différents rapports concordaient. La ville basse était pratiquement acquise. Le port était désert. Les citadelles ne se rendraient pas de si tôt. Mais ils ne sortiraient pas les prendre à revers : ils étaient en sous-nombre à cause de la trahison de Mendoza. Une nation si pourrie que le serpent s’en mordait la queue. Mais serpent il y avait. D’un geste, l’assassin dissipa la maquette et grava dans sa mémoire les avancées de ses pions. Venait le moment tant redouté, celui où la survie du peuple ne tiendrait qu’à un fil. Le moment où il lui fallait mater les fortes-têtes. La bataille faisait rage, sous le déluge de cette triste mâtinée. Les baraques fumaient, et les murailles étaient percées de centaines de trous. Ce royaume ne se remettrait jamais de cette terrible bataille, et encore fallait-il la gagner. Rassemblant ses effets, l’assassin se leva tranquillement et entreprit de marcher vers le coeur des combats. À l’odeur des cendres se disputait celle du sang et de la chair brûlée. Des cadavres gisaient un peu partout, des citoyens honnêtes pour la plupart. Des enfants recroquevillés sur le sein flétri de leur mère, des pères qui tenaient les restes de leur famille entre les mains. Un jour de deuil pour un massacre éhonté.
L’assassin marchait au milieu de l’héroïque boucherie, la main sur son arme. Il contemplait de ses yeux ce que ses actions avaient engendré et gardait en son âme le compte de ses victimes. Il serrait les dents, réprimait ses hauts le coeur. C’était au-delà de la dimension d’une guerre. Un génocide, une tuerie infâme. Les frères se retournaient contre les frères, et les enfants contre les parents. C’était une bataille fratricide qui saignait à blanc la nation. La purge de Goa. Etait-ce ainsi que l’on décrirait cet évènement dans les livres d’histoire ? Cela dépendait du vainqueur. Seul le vainqueur écrivait l’histoire. Il trouva le premier bandit. Avachi sur une femme qui se vidait de son sang. Affairé à satisfaire ses besoins primaires, il éructait comme une bête. Noirci par la crasse et le sang, il ne pouvait prétendre à plus. L’assassin s’avança vers lui, suivi par le regard absent de sa victime. Elle n’était même plus là, il l’avait brisée dans tous les sens du terme. Il attrapa le bandit, s’empara de son épaule. L’homme se débattit, bestial. Rafael raffermit sa prise et l’envoya rouler contre une fontaine délabrée. Il s’y brisa, faisant chanceler la sculpture. Le temps se suspendit, alors qu’il offrait un répit inespéré à la pauvresse. Se relevant, les mains pleines du sang de la victime, il toisa les bandits qui s’affairaient ça et là. Une haine sans nom cognait dans sa poitrine. Tout ça, c’était de sa faute après tout. Il y avait toujours le choix. Valait-il mieux que ces tyrans qu’il essayait de renverser ? Certainement pas. Tout cela n’était qu’une question de camp après tout.
Puis on le reconnut. On arrêta de piller. Ils savaient ce que l’assassin avait dit, ils savaient que les révolutionnaires avaient tenter de les en empêcher. Mais ils étaient bandits dans l’âme. Ils avaient enduré tant de privations qu’il leur était légitime de se venger. Mais pas ainsi. Plus jamais. L’assassin avança parmi eux, alors que les pillage s’arrêtaient sur son passage. L’homme qu’il avait envoyé contre la fontaine eut un dernier soubresaut avant de mourir. Mais il n’en avait cure. Il descendit la route en silence, contemplé par ces ersatz d’humains. Il ne daigna pas leur concéder un regard. S’il le faisait, il ne pourrait se retenir de laisser libre court à sa colère. Contre lui, contre eux. Il gagna le coeur du groupe, l’Homme-Chien se plaisait à être au coeur de la bataille. Entouré par ses sbires canins, il ricanait en contemplant le spectacle. C’était pour lui une belle revanche. Sanglante et irraisonnée. Mais l’esprit des fous ne souffrait d’aucune limite. Il avait survécu en se réfugiant dans sa cruauté, dans sa folie. Un choix de faible. L’assassin écarta un malabar d’une main, l’envoya à terre plus violemment qu’il ne l’aurai voulu. Il faisait bien petit comparé à ces chiens et à la garde rapprochée de l’Homme-Chien.
« Auditore ! Waf waf waf ! Tout se passe à merveille ! Tu ne trouves pas ? » ricana le chef des bandits en montrant de ses deux mains le carnage qu’il avait causé.
« Nous avions un accord. Tu devais épargner la ville basse. » répliqua Rafael.
« Oh voyons, je ne peux prétendre à juguler tous mes hommes, je n’ai pas un oeil partout ... Waf. » répondit l’Homme-Chien, perdant subitement son ton enjoué.
Peut-être sentait-il venir la suite. Il lorgna l’assassin d’un oeil sagace. Puis il regarda ses hommes. La scène sembla soudainement s’arrêter. Tous se retournèrent, regardèrent leur chef. Il se dégageait quelque chose d’étrange de la confrontation des deux hommes. Rafael regardait leur leader droit dans les yeux, sans sourciller. La garde rapprochée de ce dernier fit un geste vers l’assassin. Geste qui se suspendit sous un regard de l’Homme-Chien. Un sourire amusé se peignit sur ses traits. Ce n’était pas déjà l’heure du combat fratricide, non ?
« Peu m’importe. Tiens les ou je le ferais. » grogna l’assassin, jetant un regard haineux aux sbires du bandit.
Le sourire de son interlocuteur perdit de sa superbe. Il y avait une différence entre jouer à l’insolent et risquer la colère de cet assassin. Il se lécha les lèvres, se recroquevilla légèrement avant de se rappeler qu’il était l’homme le plus puissant du Grey Terminal. Il n’avait pas à avoir peur d’un gamin qui se prenait pour un cador parce qu’il avait gobé un fruit légendaire.
« Tu le feras ? Et alors ? Waf. Tu as trop besoin de moi pour ta Révolution, Auditore. Ne t’avise pas de me donner des ordres ou ... » commença l’Homme-Chien en crachant sa salive à chaque parole.
En une fraction de seconde, la main de Rafael se referma sur la gorge de l’insolent. Sautant par-dessus sa monture, il l’envoya à terre et le maintint là d’une seule main. Il fit jaillit sa lame secrète de sa gaine, et l’appliqua contre la jugulaire de l’Homme-Chien qui laissa malgré lui échapper un couinement. Les bandits firent un mouvement vers l’assassin, rapidement stoppés par un geste de leur chef. Même la monture monstrueuse de ce dernier se figea. La lueur dans les yeux de Rafael était sans équivoque. Il était prêt à le faire.
« Ou ? » fit l’assassin, resserrant sa prise.
Un sourire se dessina sur le facies du chef des bandits. Il toussa, étouffé par la poigne de fer de Rafael, mais conserva son sourire. Le révolutionnaire rengaina sa lame et se redressa, laissa l’Homme-Chien dans la boue et le sang. Il offrit un regard sévère à l’assemblée.
« C’est bien ce que je pensais. » lâcha-t-il, en regardant le bandit à ses pieds.
« Je suis venu récupérer Anthony. Je vais avoir besoin de lui sous peu. » annonça-t-il, toisant l’Homme-Chien.
Ce dernier se releva péniblement du fait de son infirmité, puis se massa la gorge en toussant. L’humiliation était une chose qu’il souffrait peu, comme pouvait en témoigner l’air renfrogné qui se peignait sur ses traits déformés. Il se tenait courbé, prêt à mordre.
« Je ne veux pas, tu avais donné ta parole. » grommela le bandit en levant la tête vers l’assassin.
« Tu n’avais qu’à être sage, Homme-Chien. Fais attention ou ta part du gâteau pourrait encore se réduire. » répliqua ce dernier sans même le regarder.
« Tu n’oserais pas ... waf ... » grogna-t-il, montrant presque les dents.
« Tiens donc. » ricana Rafael en se retournant.
Cette fois c’en était visiblement trop. Alors que l’assassin s’éloignait de quelques pas, l’Homme-Chien fit un signe de la tête à ses hommes. L’un d’entre eux porta sa main à son arme, levant vers Rafael une arbalète tandis qu’un autre dégainait une lame courbe. Le premier tira sur l’assassin. Ce fut le signal de la débandade. Tous les bandits convergèrent vers celui qui osait nuire à leur chef. Rafael leva alors le bras, attrapant le carreau en plein vol. Un sourire mesquin se dessinait sur ses traits. Il s’était battu contre Envy, la vitesse d’un carreau d’arbalète n’était rien face à lui.
« Pointe en granit marin ? Amusant. » fit-il, avant de craquer le carreau entre ses doigts.
Les bandits eurent un mouvement de recul, surpris par les réflexes de leur adversaire. Pas l’Homme-Chien. Il s’y attendait, seulement Rafael était venu trop tôt le voir, toutes les mailles de son filet n’avaient encore pu se refermer.
« Tu veux vraiment te risquer à ça ? Tu veux vraiment m’affronter ici et maintenant ? » répliqua Rafael en faisant de nouveau face à l’Homme-Chien.
« Tu as trop besoin de moi pour mener mes hommes, Auditore, tu ne me feras rien. » contesta le bandit en se léchant les babines.
Ses hommes assistaient à la scène, ne sachant réellement que faire. Leur chef leur avait donné l’ordre de s’occuper de l’assassin, mais il leur semblait hors d’atteinte. Même le carreau spécialement réservé à son attention n’avait pu atteindre sa cible. De tels réflexes n’étaient pas humains, d’autant plus qu’il n’avait pu le voir : à peine entendre la détonation. De plus, on disait de lui qu’il voyait tout et entendait tout. Une légende savamment entretenue par la pléthore d’assassin qui revêtaient l’habit de la Confrérie. Des tueurs impitoyables, implacables. On craignait cet homme dans toutes les blues. Il avait réussi à faire chanceler Goa. Et il ne semblait même pas avoir peur de venir les voir seul pour menacer leur chef. L’Homme-Chien menait ses sbires par la force et la peur. Combiné à son puissant intellect. Mais vraisemblablement, Auditore était plus fort que lui.
« Oh, tu sais ... je commence à penser que tu ne m’es plus trop utile. Je pensais te laisser vivre pour te remercier de ton aide ... mais finalement ... » fit Rafael en faisant un pas vers lui.
« Tuez-le ! » ordonna l’Homme-Chien en reculant d’un pas.
Sa bête, dressée à la perfection, obéit immédiatement à l’ordre. S’effaçant d’un pas, l’assassin dégaina une dague et l’enfonça dans sa gorge. L’animal roula sur lui-même et rebondit sur le sol avant de mourir en se vidant de son sang quelques mètres plus loin. Les bandits firent à nouveau un pas vers lui.
« Allons messieurs : qui veut mourir en premier ? » ricana Rafael sans prendre la peine de se mettre en garde.
Les hommes hésitèrent, ne bougèrent pas. L’assassin avança vers l’Homme-Chien. Celui-ci recula d’un pas, cherchant quelqu’un pour le défendre. Si ses hommes étaient fidèles et obéissaient habituellement à ses ordres, ils ne les gouvernait pas par adoration. Ils n’étaient pas prêts à vendre leur vie pour la sienne, ils étaient jugulés par une férule de fer mais plaçaient leur vie au delà de ça. Ils obéissaient pour la conserver après tout. Alors lorsqu’ils voyaient un adversaire qu’ils ne pourraient mettre à bas sans y laisser leur vie ... il était logique de penser qu’ils ne feraient rien. Surtout s’ils voyaient là une échappatoire.
« Wouaf ! Tuez-le !! » aboya le bandit en trébuchant sur un cadavre.
Il s’étala de tout son long et se releva en se mettant à quatre pattes. Comprenant par là qu’il n’avait pas d’échappatoire, il se rua sur l’assassin, tentant de le griffer de sa main mutilée. L’assassin s’empara de son bras et le lui tordit en le maintenant à terre. De son poing, il lui brisa le coude avant de le faire tomber sur le dos en lui collant un coup de genou. Un des bandits trouva alors son courage pour attaquer l’assassin, faisant fi de toute logique. Ne comprenaient-ils pas qu’ils pourraient mieux vivre ainsi, débarrassés de la férule de ce porc ? Ceux qui étaient dans ses petites papiers ne voudraient assurément pas retourner au bas de la chaîne. Tant pis pour eux. Au moment où il allait abattre son arme sur l’assassin - chose plutôt inutile en soi - Rafael leva le bras pour l’en empêcher. Or le coup ne vint jamais. Le bandit était violemment reparti dans le sens contraire, emportant ce qu’il restait de la fontaine au passage.
« Bouyachaka. » ricana un homme revêtu d’une tenue d’assassin un poil trop petite.
Judas tenait encore dans sa main un morceau de la tunique du type qu’il venait d’envoyer valser dans le décor. Il regarda l’assemblée d’un oeil torve puis revint vers Rafael qui secouait la tête de dépit. Le plan ... Donner à Judas un ordre et vous pourriez être sûr qu’il ressortait de l’autre côté de la tête. Rester dans les ombres, à regarder : c’était pas si compliqué. Les deux hommes en tenue d’assassin se mirent côte à côte, contemplant la cohue qui s’assemblait autour d’eux. L’Homme-Chien se relevait en se tenant le bras, reculant derrière ses sbires. Mais il était trop tard, ils avaient hésité et il l’avait vu. L’arrivée d’un second homme du côté de Rafael semblait leur redonner du poil de la bête. Comme si le fait qu’ils fussent deux signifiât qu’ils avaient assez peur d’eux pour appeler du renfort. Hélas, ce n’était pas exactement ça.
« C’était pas vraiment ce qui était prévu ... » grogna l’assassin.
« Et moi je t’avais dit de faire le Lion. Histoire de renvoyer le chienchien à la niche. » ricana Judas d’un rire gras , tout sauf obséquieux.
Le Lion. Tsss. Il lui donnait le rôle de l’appât et voilà qui jouait dans les hautes strates ? Sans blague. Plutôt que le gusse était comme ça. Franc, sans arrières pensées. Il lui gardait les pieds sur terre. C’était la méthode brutale, celle qui marchait malheureusement le mieux. Lorsque les plans de l’assassin tombaient à l’eau, que restait-il d’autre après tout ? Entrant dans le rôle du révolutionnaire servile, Rafael secoua la tête et fit un pas vers l’Homme-Chien. Rassérénés, ses hommes lui barrèrent le passage. Le premier leva la main. L’assassin s’arrêta, lui tordit le poignet puis l’envoya à terre d’un coup de genou. Il bloqua le coup du second de son bras libre puis le frappa du plat de la main, le faisant tomber et rouler plus loin. Il se releva doucement, manière de montrer à tous que cela ne lui avait coûté aucun effort. Qu’il était encore capable de les mater d’un seul revers de la main. Du moins, c’était là l’impression qu’il devait leur donner. Et Judas restait là, les bras croisés. Il se régalait du spectacle, alors qu’il aurait du jouer l’ombre imposante derrière l’assassin. Du moins, c’était ainsi que les choses auraient dû se dérouler. Qui avait vraiment mordu à l’appât de l’As Révolutionnaire ? Tss. Ainsi donc il devrait revendiquer sa prise de pouvoir. Avançant vers le chef des bandits, Rafael le toisa de toute sa taille.
« Tu vas me laisser le commandement de tes troupes sur le champ, et cesser de me résister, Khal. » grogna l’assassin, surplombant son adversaire.
Le nom de l’Homme-Chien. Secret gardé depuis des temps immémoriaux. Une information qui n’avait de valeur que son plus grand secret. Une estocade destinée à faire tomber de son promontoire ce qui fut autrefois un homme. Les yeux de la créature se plissèrent. C’était une chose que lui-même avait oublié, disparu au fin fond des geôles du palais. Un secret que Vengeance avait arraché il y avait bien longtemps, sans même lui trouver d’intérêt. Mais l’art de la mise en scène et la duperie étaient de puissantes armes. Si l’Homme-Chien semblait à peine frémir, ses yeux s’écarquillèrent et son statut en prit un coup. C’était fissurer l’image qu’il s’était établie. Devant quelques hommes, certes, mais cela suffirait pour jouer au Lion.
« Waf waf ... à peine tu m’auras pris mes hommes qu’ils te mordront la main, Auditore : c’est ça le fonctionnement d’une meute ... ne devient pas l’alpha qui le veut. » couina l’Homme-Chien, en tenant le bras.
« Justement, il se trouve que si. Merci à toi d’avoir aussi bien structuré ta tanière. Mais la chute du mâle alpha à celui de mâle omega est la plus dure. » fit Rafael en tirant lentement son épée.
Le bandit recula de nouveau, puis regarda ses hommes avec un regard empli de haine. Il était trop tard, ils ne viendraient pas l’aider. Fou était ce révolutionnaire que de penser qu’il pourrait juguler une armée de bandits. Ce n’était pas lui qui les avait unis sous une férule de fer, les avait martelés et domptés à ses souhaits. Non, il ne méritait pas ça. Ce n’était pas son oeuvre. Il n’était qu’un sale profiteur. Un voleur mesquin et cruel. L’Homme-Chien ouvrit la bouche et grogna en claquant des dents. Il se jeta sans prévenir sur Rafael, l’emportant avec son poids. Les deux individus roulèrent. L’assassin fit basculer son adversaire sur le dos et le maintint par la force. Les dents du bandit s’étaient refermées sur le gantelet métallique du révolutionnaire et s’acharnaient à le déchiqueter en vain.
« Tout aurait été plus simple si tu avais été un gentil chien ... repose en paix. » grogna Rafael en lui enfonçant sa lame secrète dans la gorge.
L’Homme-Chien se débattit quelques secondes puis rendit l’âme en frétillant dans tous les sens. L’assassin se releva lentement, toisant l’assemblée. Les bandits venaient d’assister à la mort de leur leader, sous la main de leur allié. De celui qui leur avait promis la moitié du port de Goa. Mais Rafael ne leur laissa pas le temps de douter. Il adressa un signe de tête à Judas, auréolé d’un sourire. Jouer au Lion, hein ...
« Vous avez le choix. Me suivre ou mourir. » commença-t-il, faisant reculer d’un pas les bandits assemblés autour de lui.
L’assassin monta d’un pas sur les gravats dominant la place où tous regardaient ce qu’il se passait à présent. Des centaines d’hommes qui venaient de voir un intrus anéantir leur chef. Il s’en fallut de peu pour que tout cela déborda. Le suivre ? Ou s’enfuir ? Il n’aurait pas le temps de tous les tuer, et le pouvait-il vraiment ? L’optique générale était à la fuite ou au combat. Mais ni l’un ni l’autre n’était satisfaisant.
« Vous avez le choix, habitants du Grey Terminal. » poursuivit l’assassin.
« Vous pouvez continuer à honorer le nom de ce traître. De ce bandit qui n’a pas hésité à vous menacer et à tuer vos frères : à poursuivre ses exactions. Ou alors ... Ou alors vous pouvez vous battre contre ceux qui vous ont forcé à le rejoindre. Pensez à ce qui a fait de vous ces hommes : le meurtre, le viol, le sang. Tout ça, c’est un tribut que Goa vous doit. Et vous pensez qu’il est légitime de vous rendre sur ceux qui parviennent à peine à respirer ?
Il y a cent ans, il y a un homme qui s’est dressé pour vous permettre de vivre. Un homme qui jette sur nous son ombre symbolique ! Un homme qui a fait un rêve. Un rêve que je partage : qu’un jour toutes les nations se lèveront et vivront le vrai sens de la liberté ! Car n’est-ce pas ainsi que vous avez vécu ? Vivre libre ou mourir : nul homme ne devrait vivre enchaîné. Voilà ce qui vous a poussé à devenir des parias, à tuer et à vivre au milieu de la vermine. Alors je vous le demande, pourquoi continuer à vivre comme ces hommes vous l’ont dicté ?
Que votre revanche soit votre survie, votre combat. Venez avec moi et marchons sur les ruines de cette ville ! Marchons pour reprendre votre dû. C'est en hommes libres que vous êtes venus vous battre, en hommes libres que vous êtes. Mais comment garder votre liberté ? Il faut se battre ! Oui, battez-vous ! Battez-vous et mourrez peut-être. Fuyez, et vous vivrez, quelques temps du moins. Et un jour, sur vos lits de mort, bien des années auront passé et peut-être regretterez-vous de ne pouvoir échanger toutes vos tristes vies épargnées à Goa pour une chance, une petite chance de revenir ici et tuer nos ennemis, car ils peuvent nous ôter la vie mais ils ne nous ôteront jamais notre liberté ! »
L’assassin leva haut son poing. Indécise, la foule se concerta. Puis le premier hourra retentit. Si ses mots ne résonnaient pas dans toutes les oreilles, la puissance de sa voix endoctrinait les plus braves d’entre eux. Fort nombreux étaient ceux qui n’avaient guère eu le choix. Et les autres suivirent. Lentement, une clameur assourdissante s’éleva des ruines de la ville basse. Rafael descendit de son promontoire, alors que plusieurs bandits ployèrent le genou devant lui. Ils n’étaient pas une majorité à le suivre de bon coeur mais le nombre faisait son effet. En quelques minutes à peine, les poches de violences générées par les bandits s’estompèrent, avec la rumeur de l’Homme-Chien et la promesse de vengeance fournie par Auditore. Il avait raison : il était trop tard pour reculer. Il ne restait plus qu’à défendre leur liberté et commencer une nouvelle vie après ces combats incessants. Une lueur d’espoir qui gonflait leur coeur et les galvanisait d’autant plus que les fouets de leur défunt leader. Alors que les hourras retentissaient, l’assassin s’approcha de Judas.
« Mon général. » fit celui-ci avec une courbette moqueuse.
Rafael secoua la tête en souriant, puis lui attrapa l’épaule.
« Je te laisse les gérer, je dois encore façonner un Prince. » lui glissa-t-il à l’oreille, avant de s’avancer au milieu des bandits.
« Toi, toi et toi. Menez-moi où l’Homme-Chien a planqué le Prince. » ordonna-t-il à ... ses hommes.
Les hommes acquiescèrent avec un soupçon de crainte.
« Judas, hésite pas à t’imposer. » lâcha l’assassin avant de passer au milieu des bandits, escortés par trois des anciens gardes de l’Homme-Chien.
Anthony était vraisemblablement hors de la ville, et il n’avait aucune idée de la façon dont les choses se feraient durant son absence. D’autant plus que plier ce Prince là, ce ne serait pas une mince affaire ... mais si le Gouvernement Mondial intervenait dans leur petite affaire, cela se finirait bien mal pour eux. Il fallait à tout prix prendre les choses de vitesse et forcer le Prince à prendre les rênes sous le contrôle de la Révolution. Il était temps de rendre compte à Bô. À peine eut-il passé la porte principal de la cité qu’il s’empara de son escargophone. Les alentours étaient encore en flammes et petit à petit les pillages isolés se stoppaient, sous le passage du révolutionnaire et l’intervention des hommes les plus convaincus par son discours. Il n’était cependant pas totalement naïf et prévoyait la défection d’un bonne partie de cette nouvelle force sous son contrôle.
« Bô. Situation stabilisée avec l’Homme-Chien. Tout bandit qui ne se soumet pas est un dissident. » lâcha l’assassin, comme la brève du matin.
« Tu l’as tué ? » lui demanda la voix soucieuse du Roi des Ordures.
« Je n’ai pas eu le choix. Je leur ai donné un but et j’ai fait de mon mieux, peux-tu t’assurer qu’ils soient bien guidés ? J’ai laissé de quoi leur mettre du plomb dans la cervelle. Il saura gérer les fortes têtes. » répondit Rafael, empruntant un sentier bordé par les cadavres des bandits qui avaient mené le premier assaut.
C’était un charnier à l’odeur insupportable. Rien à quoi il ne fut pas habitué cependant. Il inspira profondément, rangea son escargophone blanc dans sa tunique puis demanda à ses guides d’accélérer le pas. La cage d’Anthony était au sommet de la colline de déchets, sous bonne garde. L’Homme-Chien tenait à ce qu’il voit sa cité tomber en ruines. Ils arrivèrent rapidement en vue d’une petite troupe montée qui montait la garde autour d’une esplanade aménagée dans les ordures. Au centre de celle-ci, un homme trônait. Le regard vide, les joues creusées. Il avait vécu ses pires journées entre les mains d’un expert en matière de souffrance. Il ne l’enviait pour rien au monde. Mais le travail avait été mâché, en somme ... Il s’avança vers les gardiens du Prince. Les gardes arrivèrent face à eux, s’expliquèrent. On refusa de les croire, tira les épées et les mousquets.
« Laissez-moi passer, et aucun mal ne vous sera fait. Vous feriez mieux de rejoindre vos frères sur le champ de bataille : nous allons bientôt mener l’assaut final contre le second rempart. La brèche et faite, et nous menons le combat. Cheminez avec moi, et vous pourrez vous venger, mes frères. Continuez à arborer le nom de l’Homme-Chien et vous le suivrez dans la mort. » les menaça Rafael.
Les gardes hésitèrent, puis baissèrent leurs armes. L’assassin soupira puis s’avança vers la cage de sa cible. Il s’accroupit devant Anthony. Ce dernier releva la tête, dodelina en gémissant de souffrance. Rafael soupira, contrit de devoir l’utiliser lui et non son frère. Il déverrouilla les loquets puis tira le Prince hors de sa cage. Celui-ci essaya de se débattre mais il était bien trop affaibli pour lutter. Sans nourriture, à peine d’eau. Il n’était déjà plus que l’ombre de lui même. En à peine quelques jours. Il présentait de nombreux stigmates de torture ... pauvre créature. Pauvre ? Pas vraiment. Tout cela n’était que trop mérité. Ainsi, l’assassin appuya sans vergogne sur ses stigmates et le leva à sa hauteur.
« Tu as perdu Anthony. Ton père est mort, ton frère en bonne voie. Ne reste que ta mère pour voir la citer brûler. » grogna l’assassin en le secouant.
« Tu as vu ce dont je suis capable, ces quelques jours entre les mains de l’Homme-Chien t’auront, je l’espère, servi de leçon. Sache que je l’ai supprimé. Il représentait une menace pour cette nation et son peuple. Tout comme toi. Hors, à ta différence, lui se présentait plus utile mort que vif. Ce qui te fait un avantage. Alors je vais te proposer un marché simple. Tu vois ces feux au loin ? À travers la pluie et les éclairs ? C’est ton palais. Tous ceux que tu as jamais chéri sont rassemblés là-bas. Et entre eux et toi se dressent vingt mille âmes en colère. » lui expliqua Rafael, en montrant la ville de sa main libre.
« Que me veux-tu, Auditore ? *kof* Tu m’as déjà pris celle que j’aimais, tu m’as déjà pris ma famille ... mon honneur. Ma vie ... Tu n’auras rien de plus, sur mon honneur je le j... ARGH ! » tenta-t-il de contester avant que l’assassin ne le fasse taire en enfonçant son pouce dans ses blessures.
Il le poussa en avant, le forçant à avancer sur ses pieds lacérés. Le Prince tomba à genou en piaillant de douleur. Dire qu’il s’était moqué de son jeune frère pour avoir agi de la sorte quelques jours plus tôt ... La vie était une chienne. Il se contint avec bien plus de dignité que lui. Un homme de fer. Mais même le fer connaissait son point de rupture.
« Je te propose de te rendre, d’ordonner à la Reine régente de cesser les hostilités et de nous remettre le royaume. Elle vivra, tu vivras. Ton oncle vivra. Mieux encore, tu deviendras Roi. » proposa Rafael.
« Marionnette, oui ... plutôt mourir que vivre ... ARGH ! » tenta-t-il à nouveau de répondre, avant que l’assassin ne le fasse taire en appuyant sur son dos.
« Vivre enchaîné ? Le quotidien des esclaves. Ironique, tu ne trouve pas ? Alors dis moi, Prince-héritier. Dois-je te remettre dans ta cage et t’envoyer dans les mines de sel ou obtempèreras-tu ? Réfléchis une seconde ... Sur le trône que tu as toujours désiré, sans concurrence. Seulement nous derrière, les gouverneurs dans l’ombre. Nous ne voulons que peu de choses : la paix, la justice et la liberté. Cela sera difficile si le Gouvernement profite de cette occasion pour rayer ce royaume de la carte et le faire sien, tu ne penses pas ? » lui fit Rafael, tendant au Prince une flasque d’eau en guise de symbole de réconciliation.
« J’accepte ou je vis un enfer pire que la mort. L’enfer que tu me proposes est au delà de ça, Auditore : je n’aurais plus de vie, j’aurais ta lame sur la gorge en permanence ... » grogna le Prince, s’emparant toutefois de la flasque.
« Libre à toi d’être un bon roi digne de confiance. Nos rapports n’ont certes pas bien commencé, mais sache qu’Uther t’a vendu sans vergogne et va tenter d’utiliser Eirikr pour s’emparer du Trône avec Mendoza. Alors dis-moi, laquelle de ces versions préfères-tu ? Libre à nous de réviser nos accords par la suite ... mais si tu veux que j’épargne à ta famille, à ta ville, la probabilité d’un buster call ou le passage d’une foule en colère : libre à toi. Vois ça comme l’amnistie royale ... Un nouveau départ pour un monde plus juste. Certes, tu y perdras mais tu y gagneras bien plus. Alors, tu as plus peur de la mort ... ou de ma proposition ? » lui proposa l’assassin en reprenant sa flasque.
Inutile de nier qu’Anthony ferait tout pour nuire à l’assassin. Qu’il ferait tout pour le trahir et retourner son plan contre lui. Il leur suffisait juste de mener leur barque le temps de doubler Mendoza. Rafael ne savait pas si ses ennemis avaient connaissance de la survie d’Anthony, mais il comptait bien utiliser cela à son avantage. Avec la parole du Prince, ils pourraient peut-être arrêter les hostilités plus rapidement que prévu. Il faudrait seulement trouver un moyen pour que le peuple l’accepte. Peut-être le montrer comme de leur côté, leur faire penser qu’il était là depuis le début comme il comptait le faire avec Eirikr ? Trop risqué ... ils verraient bien en temps voulu. Il était venu le temps de rassembler les différents chefs pour établir un sommaire conseil de guerre. Le fait que la flotte de Goa se soit échappée n’augurait rien de bon, et il fallait absolument statuer sur cela. Tant pis si cela donnait l’occasion à la Reine de rassembler ses forces. Cela donnerait aussi l’occasion à la résistance de rassembler les siennes.
« On verra ... » répondit Anthony, essayant de cacher au mieux l’étincelle de haine qui trônait au fond de son regard.
Rafael avait tué sa soeur, après tout. Son aimée. Dire qu’il en était réduit à utiliser un tel être comme bouclier ... Tout cela sentait le merdier à plein nez. Il lui fallait en discuter avec des hommes plus sagaces que lui. Il ne voyait pas l’ombre d’une lumière au bout de ce couloir. L’assassin soupira en secouant la tête.
« Bien. Allons donc siéger au conseil de guerre de ce pas. » répliqua-t-il, avant de faire signe aux gardes de faire avancer Anthony.