Brise légère. Celle du matin qui m’amène mon lot de frisson quotidien. Oui, je n’aime pas le froid. Mais en l’état, je ressens le besoin de rester sous cet air glacé qui ne l’est que pour moi. Alors j’attends, là. Seule sur le pont. Et seule je resterai car les matelots savent qu’il ne faut pas m’approcher. Ils savent que je ne suis pas d’humeur…
Après tout, sur ce navire, je ne l’ai jamais été.
Red m’a tout raconté. Tout ce qu’il savait de Tahar. Ces rencontres avec lui, et aussi ce qui se disait de lui dans les journaux.
Un criminel.
Un sanguinaire.
Un fou. Le chien Fou.
Et ce serait pour ça qu’il est parti. Ce serait pour ça qu’il m’a laissé derrière. Finalement, lui aussi à honte de ce qu’il est. Alors il veut changer pour pouvoir me regarder.
Pourtant, il n’en avait pas besoin.
Moi, je l’aurai accepté, lui et son passé. J’aurai accepté ses erreurs, ses absences, ses meurtres et sa violence. Car tout cela fait parti de lui, de sa nature, et il est mon père… Ma chair, mon sang. Alors en temps que fille, je dois l’accepter. L’accepter tel qu’il est pour mieux pouvoir l’aimer comme je le devrais.
Et puis, moi aussi, j’ai goûté au sang et à la violence. Moi aussi j’ai fait des erreurs. Je regrette ? Oui, un peu. Avant surtout. Car je ne savais pas pourquoi j’avais cette fougue en moi. Je ne savais pas d’où me venaient toutes ces envies de violences, toute cette énergie mal canalisée.
Mais maintenant, je sais. Ça vient de lui.
Car oui, je ne suis pas simplement tombée du ciel. Et malgré ses années loin l’un de l’autre, je me rends compte que je lui ressemble, au moins un peu.
Cette pensée me réchauffe le cœur au moins autant que le soleil qui perce enfin l’horizon.
Oui, Tahar Tahgel est mon père. Et je n’ai pas honte de le dire. Je n’ai pas honte de lui.
Mais de son côté, que pense-t-il de moi ?
Je ne sais pas.
Et je regarde ma main. Je regarde ce cercle de sang qu’il a tracé avant de me laisser.
Alors Tahar, que penses tu de moi ?
Bien entendu, je n’ai pas de réponse. La seule chose que je sais, c’est qu’il est là, quelque part, dans cette direction. Cette direction que je fixe régulièrement, sans même y faire attention. Je sais qu’il vit et qu’il ne se meure pas.
Et puis… Peut être même qu’il ne le sait pas lui-même, ce qu’il pense de moi.
Je continue de fixer cette partie de lui indélébile, observant le flux de sang tourner dans ce cercle à un rythme régulier. Sur le pont, l’équipage commence à arriver et à s’occuper des différentes tâches quotidiennes. Je sens quelques regards sur mon dos, mais aucun n’ose s’aventurer plus près. Après tout, la dernière fois, le courageux qui a tenté de me réconforter a failli finir en hachis.
Il n’y a qu’une seul personne sur ce navire que je supporte encore. Déjà parce qu’il est plus fort que moi et qu’il sait me remettre sur les rails quand mon calme lâche, et ensuite, parce qu’il arrive à me comprendre.
Et comme presque tous les matins, il ne va pas tarder à débouler dans mon dos.
Oui, Red, je sais que tu me surveilles. Je sais que tu es inquiet et que tu crains que je profite d’une inattention de ta part pour m’envoler jusqu’à celui qui devrait être avec moi à ta place. Mais en fin de compte, moi aussi, j’ai honte de moi.
Moi aussi, j’ai peur qu’il ait honte.
Mais contrairement à lui, je n’ai encore rien fait pour changer ça. Non, pour l’instant je n’ai fait que subir. Subir cette distance non désirée, subir ma solitude que je m’impose, subir la tristesse et la peur engendrées.
Je dois arrêter d’être une victime.
Je dois travailler pour ma fierté, pour sa fierté.
Des bruits de pas se font entendre dans mon dos. Au son assuré, c’est forcement lui.
Red.
Je me retourne pour lui faire face.
Je dois devenir forte.
Dernière édition par Izya le Dim 10 Nov 2013 - 14:35, édité 1 fois