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Le Tarot pour les nuls.

Le jour s’éteint paisiblement sur le vieux hangar désaffecté. Une mouette libre crie sa joie de vivre par-dessus la lande qui plonge dans la pénombre sans émettre un bruit pour sa part. Au loin, une ville pleine de gens qui luttent pour exister s’illumine comme un brasier, et bientôt la nuit est en feu là-bas à l’horizon. Isolées des regards comme de la part du monde qui voudrait leur perte, six ombres s’agitent autour d’un âtre creusé dans la terre et cerclé de quelques pierres piochées çà et là. Derrière dans l’entrebâillement de la porte du bâtiment, une septième silhouette les observe et s’amuse de leurs vaines tentatives pour allumer un feu au silex.

Vous n’y arriverez pas, rentrez…

Mais être la voix de la Révolution n’est parfois d’aucun secours pour se faire entendre de tous et la proposition d’Adam tombe dans l’oreille de sourds. Le froid tombe dans le froid où ils s’obstinent envers et contre tout. Ils sont le conseil du Dragon, que diable !

- Oui, qui m’appelle ?
La ferme Niklas, tu me déconcentres !

Duel de regard entre le Diable télépathe qui croit qu’un esprit l’a appelé alors qu’en fait c’est juste le narrateur omniscient et le Monde qui n’a pas sa langue dans sa poche et qui pense qu’on se moque d’elle à l’empêcher de bien taper comme il faut ces deux maudites pierres l’une contre l’autre. Quelques instants passent ainsi, dans cette fausse tension, puis Raven se remet à faire des étincelles trop froides pour faire prendre les brindilles et la mousse ramassées plus tôt. Trop froides, beaucoup trop froides et toujours plus froides à mesure que s’égrènent les étoiles dans le ciel clair tout au-dessus d’eux.

Je rentre.

Il n’a pas parlé de toute la réunion. L’homme de peu de mots, assassin à ses heures mais pour le moment simple piéton frigorifié sous sa carapace d’impassibilité, dirige son ombre vers Adam qui l’accueille en vieil ami.

Sage décision Balthar… Qui d’autre, pour un bon bouillon ? Sarioshi ? Emilie ?

Le concerné sort de la torpeur qui l’avait saisi et, sans un mot, rentre en courant se mettre au chaud tandis que sa voisine, habituée au froid comme peu hausse les épaules. A l’intérieur, jeté sur un des bancs de bois dont est flanquée la large table de bois autour de laquelle ils ont passé l’après-midi à débattre, le petit génie se réchauffe en calculant la trajectoire des étincelles, chaudes cette fois, qu’avale le conduit de la cheminée au-dessus des flammes généreuses. C’est Jonas qui cède ensuite, le ventre retourné par les bons effluves du pot en terre posé dans le feu, dans le vrai feu qui, lui, a été bien allumé par le maître en la matière.

Allons, Niklas, Raven, Emilie, rentrez.

Cette fois ils obéissent, vaincus par la voix impérieuse et pesante soudain sortie de sous le chapeau. Il est des moments pour se détendre et d’autres où ce n’est plus sage.

Mais je ne comprends pas, comment fais-tu pour y arriver à tous les coups !?
L’habitude de vivre seul, Raven. Certains talents deviennent indispensables.

La réflexion laissent pensifs les trois retardataires aux talons desquels la lourde porte se referme. Tous autant qu’ils sont, rassemblés là dans cette grande structure abandonnée de métal, ils sont êtres de terrains, capables de tracer leur voie et la voie de leurs hommes avec la plus grande facilité dans la pire des adversités. Tous peut-être sauf Sarioshi le frêle petit homme tassé sur son siège entre les montagnes de virilité Jonas et Ombre. Mais aucun d’eux n’a à vivre la solitude de l’emblème qu’est devenu leur meneur. Aucun d’entre eux n’a abandonné son nom et sa voix, abandonné autant de son individualité, pour que survive le mouvement.

Mais ces pensées sérieuses ne font pas longtemps le poids face à la chaleur retrouvée. Les discussions d’adultes sont pour la vraie réunion. L’après est l’occasion de se détendre et de renouer les liens distendus par les missions et les distances autour d’un bon repas plein d’authenticité préparés par Adam.

Bien, avant de repartir… Un petit tarot, mes amis ?
    Un quoi ?
    Un tarot il a dit.
    - C’est quoi ?
    - Ben c’est un outil, on en utilise souvent dans nos labos.
    Non ça c’est un taraud, Niklas…
    - Ah, je me disais bien aussi…
    Et c’est quoi du coup ?
    Un jeu de cartes, Jonas.

    Et Adam de tenter d’expliquer sa découverte et le rapport entre elle et les derniers noms de code qui ont fleuri ces derniers mois pour assurer l’imperméabilité et l’anonymat des conversations au plus haut niveau du mouvement. Les cartes défilent, les valeurs, les points, les atouts, leurs noms, les bouts, les…

    Mh.
    Tu m’as l’air bien perplexe, Balthar.
    J’ai rien compris.
    Ben moi non plus, bienvenue au club, Ombre !
    Ne m’approche pas.
    Oh ! Tranquille ! Tout doux la bête, tout doux…
    - Mais enfin, bourrins sans cervelles, c’est pourtant si simple !
    Moi aussi je crois que j’ai compris.
    - En même temps c’est pas bien compliqué, une souris pourrait comprendre…
    Ah, merci Niklas, Raven…
    - Mh…
    Toi non plus, Emilie ?
    - Désolée Adam, j’essaie…
    Bon, je recommence…

    Dans son coin Sarioshi reste silencieux, impassible. Un crayon imaginaire dans la main gauche et une feuille de rien dans la droite, il est déjà en bonne voie d’avoir calculé et exploré toutes les combinaisons, toutes les possibilités, toutes les parties possibles, quand des éclats de voix lui font louper une addition et le forcent à sortir de sa réserve. Emilie veut bien qu’on lui réexplique une troisième fois mais les deux brutes veulent abandonner et Jonas menace de casser la table du poing pour évacuer la fumée frustrée qui lui sort des oreilles, et les deux intelligents du lot veulent jouer tout de suite. Le ton est montée mais pas que. Quand Ombre baisse la main sur ses genoux sous la table, le silence se fait. Tout le monde sait ce qu’il y a sous la table, sur les genoux d’Ombre. La mort. Et qu’aujourd’hui elle soit revêtue d’un costume de dague ou d’un pistolet ne change pas grand-chose. C’est sa décision qu’on respectera.

    Mais l’homme est troublé, lui voulait juste se gratter la cuisse pour faire comme si le débat lui était indifférent. Et Ataké voit dans sa caboche de grand timide tourner les rouages de ses pensées : comment faire pour expliquer tout ça sans passer pour l’attardé du groupe une fois de plus ? Et Ataké aime bien, Ombre. Il lui a souvent servi d’escorte, quand Adam jugeait que sa position n’était plus assez sécurisée et qu’il fallait déménager. Alors tant pis, le tarot semblait un jeu intéressant mais ce ne sera pas pour ce soir.

    Sinon un poker, comme d’habitude…
    Ouais, un poker, voilà un jeu simple ! Bien parlé le nain !
    Je mesure six pieds…
    - Un poker c’est bien aussi.
    - Bah. Me va.
    Comme Niklas…
    Bon ben…

    La tension redescend. Ombre remercie d’un regard triste le comptable de la révolution. Il sait ce qui suit.

    Mais si on fait un poker, après ce qui s’est passé la dernière fois tu ne peux pas jouer, Sarioshi…
    Ah, vous vous en souvenez ? Hmf. Tant pis. Allez-y quand même…

    Dur d’être né compteur de cartes et d’avoir été démasqué, très dur… Mais l’amitié vaut bien ça.
      Les cartes défilent sur le bois sec de la grosse table en chêne. Les flammes se sont calmées dans la cheminée mais une main volontaire trouve toujours à s’extraire de la mêlée pour aller remettre du bois et leur éviter de s’éteindre. La partie va bon train, et Ombre continue d’appliquer depuis derrière son masque illisible la tactique qu’il a décidé d’adopter voilà quelques séances maintenant. Imparable.

      Niklas s’est couché

      Je me couche.

      Tour suivant. Raven a renchéri.

      Je renchéris.

      Tour suivant. Emilie a demandé deux cartes.

      Deux cartes aussi.

      Tour suivant. Jonas s’est couché.

      Je me couche.
      Mais ! T’avais deux rois, imbécile !
      Et… ?
      Non rien

      Pendant un moment la tactique paie ni trop mal ni trop bien et les cinq joueurs tiennent la banque. Aucun ne perd, aucun ne gagne trop. Entre deux donnes, Adam propose du thé à ceux qui veulent.

      C’est à la levée suivante que tout commence. D’abord un enchaînement de couleur qui donne à tous les autres un air surpris et ébahis. Il a gagné le gros lot. Comment ? Impossible à dire, il n’a rien fait. Ni changé ses cartes, ni rien du tout. Il paraît que c’est une suite royale. Epoustouflant pour ceux qui savent ce que ça veut dire. Pas pour lui… Il ramasse ses jetons avec peine quand Emilie le taquine.

      - Tu m’en prêtes ?
      Si tu veux… Lesquels tu veux ?
      - Les gros !
      D’accord, tiens, les voi…
      Emilie…
      - Bon. Non, garde-les, garde-les, je plaisantais.
      Mh.

      Encore ce sentiment d’être passé pour la buse de service. Ombre se renfrogne et sa tactique en pâtit. Son jeu aussi, forcément. Si jusqu’ici il parvenait à donner l’impression de savoir ce qu’il faisait, désormais c’est avec la plus grande négligence qu’il manipule ses cartes. Parfois à se coucher, parfois à suivre, parfois à renchérir, mais jamais selon la série habituelle, en total désaccord avec les autres. Le freelance, ce n’est pas son dada.

      Accroche-toi, Ombre !

      Et voilà qu’il a si peu de jetons que vient le temps des encouragements… Sarioshi est gentil, mais c’est peine perdue. Décidemment il n’est pas fait pour ce genre de loisirs. Il n’est pas fait pour grand-chose. Lui en fait ce qu’il aimerait c’est recommencer à se balader par les chemins de campagne comme il faisait quand il était plus jeune, il y a bien une ou deux décennies. Par les campagnes et croiser des gens qui ne se moquent pas de lui, qui n’osent pas parce qu’il ne les connaît pas. Des gens comme Adam, gentils. Ou des enfants. Des créatures bizarres, les enfants, mais qui pour ce qu’il en a connu ne savent pas ce qu’est la vraie méchanceté.

      Dans le monde d’Ombre, il y a beaucoup de naïveté.

      Désolé Balthar, mais tu as perdu…


      Maintenant, tu sais.
      • http://oprannexe.onepiece-forum.com/t370-les-atouts-de-la-revolu
      - Je relance de vingt mille !

      Dans celui de Niklas c’est très différent. Il y a beaucoup d’assurance dans le regard du Diable, et pas beaucoup de considération en revanche pour son imposant collègue qui va prendre l’air alors que la partie continue.

      - Je suis !
      Moi aussi…
      Moi aussi.

      Ils sont si prévisibles, tous les trois. Jonas d’abord, bien sûr, dans le jeu duquel un singe de Banaro pourrait lire. Mâchoires contractées quand tout va mal, œil luisant quand tout va bien, toujours porté vers l’avant, toujours la jambe agitée nerveusement sous la table. Et son esprit si facile à lire, si… primitif. Le regard des deux hommes se croisent un instant et le Diable n’a pas peur de la Force, oh non, bien sûr qu’il n’a pas peur.

      Le duel d’œils dure longtemps, très longtemps. De quoi ennuyer les deux demoiselles qui les observent et attendent que l’un ou l’autre prennent une décision. Emilie, digne impératrice à l’entrain incessant, un peu une Jonas féminine, tiens, maintenant qu’il y pense. L’impulsivité de son sexe en plus et les cicatrices moches en moins sur le visage, peut-être, mais le parallèle est flagrant. Un peu moins facile à lire peut-être, comme la neige fraîche du matin qui donne l’impression d’être tassée quand en fait elle ne fait que couvrir les crevasses…

      Le Diable sourit et jette ses cartes. Il n’aurait pas gagné cette fois.

      Et c’est donc Jonas qui l’emporte.
      Pahh ! Prends-toi ça dans les dents le Diable !

      Arrogant, comme tous les combattants. Fiers, imposants, imposés aux gens plus subtils. Toutes leur caste n’est qu’un mal nécessaire, un mal dont l’esprit devrait triompher et triomphera sans mal. Qu’à cela ne tienne. Pour seule réponse Niklas sourit de toutes ses dents intactes car il sait qu’il gagnera car ça ne peut pas se passer autrement. Et dans une caresse à son bouc, lui-même toute en suffisance, le scientifique attend son heure.

      Youpi !

      Et elle, la troisième, Raven. Etonnant vu son domaine, mais si facile à lire, trop spontanée pour bien jouer au poker. Si prévisible elle aussi avec sa coiffe blonde et son piaf qui hulule au plafond ! Tous prévisibles !

      Tous sauf Adam, peut-être. Un regard en coin au chef qui tient la banque calme les ardeurs du Diable et il retient son rire. Reprend ses cartes en sachant que cette fois c’est la bonne. Et un de moins à la table, un de plus à aller jouer aux billes avec l’autiste et l’idiot.

      Qu’as-tu en main, Niklas ?
      - Deux as ! Je vous possède tous !
      Un carré pour toi, donc… Et vous autres ?
      Peuh. Rien.
      Moi j’ai une couleur…
      - Moi je n’ai rien non plus.
      - Hahaa ! Allez, ouste Jonas, ouste !
      Toi, tu la fermes.
      Jonas…
      - Comment tu disais déjà ? Pahh, dans tes dents Jonas, dans tes dents !
      La ferme j’ai dit ! Ou je te…
      - Ou tu me quoi ? Que peux-tu me faire avec ta paire de six, hein, que veux-tu me faire Jo
      Je…
      Hum, Niklas ?
      - Quoi ?
      Comment sais-tu que Jonas avait une paire de six… ?

      Un de moins à la table, un de plus à aller jouer aux billes avec Ombre et Sarioshi en effet. Un qui ne l’avait pas prévu, qui avait oublié qu’il n’était pas question d’utiliser ses pouvoirs pour jouer ce soir…


      « Moi aussi, je suis en train de te lire, Invité.»
        - Salut les gars, je peux vous rejoindre… ?
        Mh.
        Alors comme ça tu as perdu aussi, toi Niklas ?
        - Ouais. Qu’est-ce que vous faites ?
        Il m’apprend à jouer.
        - Ha !
        Tu veux suivre le cours aussi ?
        Il explique bien, tu verras.
        - Han. Lâchez-moi la grappe, bande de nazes !

        Meurtri dans son égo, le Diable s’en va comme un prince et fuit dans la nuit sans lune. Ces impudents ne perdent rien pour attendre, il trouvera bien quelque chose pour les humilier la prochaine fois. Laissant les deux hommes dans le coin de la pièce d’où ils observent sans la perturber la partie qui se poursuit, il sort du hangar et disparaît en peu de temps du champ de perception totalement ouvert de Raven. Une chouette le suit sur quelques centaines de pas mais elle se sent bien vite seule et tant pis pour lui s’il dort mal.

        Bah…Nul …

        Quand l’oiseau revient auprès de sa maîtresse, c’est pour mieux voir que celle-ci ne sait toujours pas retenir ses émotions à voir les cartes, bonnes ou mauvaises, que lui tend Adam depuis sa chaise imperturbable.

        Mais comment tu fais, sans blague, quand on t’envoie en mission ?
        Ben, je ne sais pas, c’est différent, les missions… Moins important.
        Moins important ? Mais non, pareil ! Le poker c’est la jungle, comme la vie !
        Et c’est toi qui dit ça, Jonas…
        Et qu’est-ce que tu veux dire, là, le nain ? Que je ne sais pas me contrôler peut-être ?
        Non, rien, rien…
        - Tu devrais te focaliser sur autre chose, Raven…
        Comment ça ?
        - Quand tu retournes ton jeu, tu devrais le regarder du coin de l’œil en te concentrant sur autre chose.
        Tu crois ?
        - Oui, ça t’aiderait peut-être à nous éviter de connaître ton jeu…
        Je vais essayer…

        Et à la donne suivante, après sa défaite prévisible, prévue et inéluctable, Raven essaie.

        Quand Adam lui donne ses cartes, c’est sur lui, la banque, que l’espionne se concentre. Sur son chapeau au cuir tanné par les ans, sur son haut col de laine et sur chacun des poils de sa barbe d’homme mûr. Il y en a trente-deux mille deux cent cinquante-sept sans compter les oreilles ni les quelques-uns qui remontent du poitrail à travers le col entrouvert. Elle peut les entendre pousser et…

        J’ai réussi !
        - Bravo ! Tu vois ?
        Tu peux arrêter de me fixer le torse, par contre, Raven, s’il te plaît ? C’est dérangeant…
        Oh, pardon !
        Ha², ha², ha² !
        Il n’y a pas de mal…

        Il y a un peu de mal, en réalité. Sarioshi a arrêté de rire sous la pression sur son épaule de la main de son ami Ombre, parmi les plus empathiques de la compagnie attablée, mais il n’a pas arrêté assez tôt. Dans la demi-lumière venue du feu et malgré son bronzage naturel, Raven rougit jusqu’aux oreilles. La partie continue car, le Diable parti, il n’est pas besoin d’être plus méchant et personne n’insiste.

        Ah, trop bien !

        Et perturbez le naturel, il revient au galop. Cinq moins trois, encore deux. Entourés de leurs amis, seuls restent bientôt à s’affronter Emilie et Jonas. Seuls ? La chouette hulule. N’a-t-elle pas entendu quelqu’un ? Niklas ?!
          -Mais non, mais non, je ne suis pas là, vous ne m’avez pas vu…
            Personne ne l’a vu en effet, juste senti. Heureusement pour lui. La queue entre les jambes, Kez Mafaele est déjà reparti bien loin de la zone dans lequel il est bien trop dangereux de s’aventurer avec tous ces empathes aux aguets. Sa couverture révolutionnaire est bétonnée mais il n’en demeure pas moins censé tout ignorer de cette petite réunion entre initiés. Et maintenant n’est pas le moment de se faire éliminer.

            - Allons, c’est passé, reprenons !
            Un instant, Emilie. Raven ? Balthar ?
            … Je ne sens plus rien…
            Rien non plus.
            Très bien…
            Parfait. Prête à perdre, Knox ?
            - Prêt à perdre, Jonas ?

            Les adversaires se jaugent du regard. Capables des plus grandes prouesses associés l’un à l’autre sur un champ de bataille, l’heure n’est plus à la camaraderie. Comme l’a assené Mandrake plus tôt, le poker, c’est la jungle.

            Face à l’homme au visage nervé de granit, Emilie se mord la lèvre. Elle doit avoir une mauvaise main.

            Tu bluffes, Knox.
            - Crois-tu ?
            On fait un vote ?
            Moi je dis qu’elle ne bluffe pas…
            Toi le nain on s’en fout de ce que tu penses…
            Pareil.

            Jonas et Ombre se jaugent, le premier cherchant à déterminer dans les yeux illisibles de son vis-à-vis s’il est bien pertinent de lui dire que lui aussi on s’en fout de ce qu’il pense. Pas sûr, pas sûr…

            Pareil !
            Toi tu sais pas bluffer.

            Voilà, une cible facile. Merci Raven de t’être exprimée. Mais ça fait quand même trois voix qui lui disent qu’elle ne bluffe pas… Et Adam qui reste toujours aussi impassible alors qu’il sait sans doute la vérité.

            Bon, je me couche.
            - Hihihi ! Je t’ai eu, je t’ai eu ! Je vous ai tous eus !
            RAHHH !

            La pression est trop forte, la table glisse de quelques pouces sous l’impulsion des poings contractés du Libérateur. Mais, alors qu’elle aurait dû s’effondrer sur ses quatre pieds brisés, c’est comme si une force avait réduit la force du coup porté par le guerrier en colère. Perdu, il a perdu ! Ou presque, il lui reste cet unique jeton de cinquante… La dernière chance, la dernière marche, le dernier effort.

            - Tu ne lâcheras pas, hein ?
            Jamais !

            Un soldat ne renonce pas, regarde et affronte toujours le danger en face, fût-il mortel. Alors une poignée de cartes, même fendant l’air à la vitesse de la lumière, ce n’est pas ça qui va le mettre mal à l’aise.

            Quel suspens…
            Chuuut ! Sarioshi !

            Oui, chut Sarioshi. Tapis. Jonas a un carré, c’est la victoire assurée. Emilie fait la moue, hésite. C’est fini !

            Elle change une carte. Elle retourne l’autre. Non ! C’est fini ! Elle n’aura pas cette suite ! Trop de pression !

            RAAAAAAAHHHHHH


            Hasta la victoria siempre.
            • http://oprannexe.onepiece-forum.com/t370-
            Et alors, tu l’avais ?
            - Peut-être que oui, peut-être que non…

            Tous rient de bon cœur sauf Jonas. Emilie jette au feu la carte qu’elle a changée, seule survivante à l’accès de colère de son adversaire disqualifié pour mauvaise conduite. La table, ses jetons, le reste du paquet, tout est répandu au sol sur la totalité du hangar tellement Mandrake n’a pas su se modérer.

            Adam a le regard pesant mais ne dit rien. C’est l’heure, sans doute.

            L’heure est venue.

            Confirmé. Les six membres du Conseil s’étreignent ou se serrent la main. La prochaine réunion n’est pas pour tout de suite, alors comme toujours il n’est pas certain qu’ils seront tous là à la prochaine. Une inconnue devenue traditionnelle pour ces parias mais une inconnue toujours douloureuse.

            Douloureuse car dehors, quand ils seront sortis, le chaos du monde fera rage de nouveau.

            Et cette soirée qu’ils ont partagée, et cette journée avant à discuter, c’est si fragile au final. Si fragile.

            Et si proche de s’effondrer. Les mesures prises par Adam pour éviter ça sont nombreuses, aussi précautionneuses que possible, mais l’ennemi est partout autour. Partout et nulle part. Et retors. Et malveillant. Le lot du héros de l’ombre, auquel rien ne garantit que l’accueil favorable par une population ne cache pas un piège odieux tendu par le gouvernement mondial. Héros de l’ombre qui, masochiste et seul, très seul, doit aussi foncer envers et contre tout au cœur du complot pour sauver l’âme pure qui peut-être s’y abrite, qui peut-être s’y cache, qui peut-être y est retenue prisonnière.

            Emilie a un soupir et tous ils sortent. Ca y est. Le chaos du monde se lève avec l’aube.

            Les bruits de la ville qui s’éveille, portés par les vents tournés.

            La poussière qui balaie la contrée déserte.

            Le désert, bientôt hostile.

            J’aurai ma revanche, Knox.
            - J’y compte bien.

            Et de un.

            Adieu.
            Mh.

            Et de trois.

            Bonne chance Emilie.
            - Bonne chance Raven. Adam.
            Emilie.

            Balayé du regard par le Guide, le hangar s’effondre sans un bruit. Il ne doit rester aucune évidence de leur passage à tous. Aucune, pour personne. Il faudra acheter un nouveau jeu de cartes…

            Accompagné du Monde, l’homme sans vie s’en va. Vers où ? Pas sûr que lui-même soit au courant.

            Emilie reste seule, puis elle aussi doit y aller. Le soleil se reflète dans les flocons recouvrant les débris.

            - Merci à tous…


            - Notre monde vaut la peine qu'on se batte pour lui !