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Un Monstre au pays des rêves.

Un bordel comme les autres, Logue Town.


http://cellar-fcp.deviantart.com/art/two-prostitutes-106774403

Elles étaient là, toutes les deux. Assises au milieu de ce long couloir tout orné, de crasse, salissures, vieux tableaux défraichis par le temps. Elles étaient là, toutes les deux, le regard vide, à ne faire rien d’autre qu’attendre le prochain client. Parce que c’était ça, leur vie, attendre le moment où elles devaient se lever, écarter les jambes et éteindre leur pauvre cerveau le temps d’une passe. Se faire baiser, frapper, violer, pour quelques pièces qu’elles n’avaient plus la force de dépenser. Elles n’entendaient pas les coups de feu voler à l’extérieur, elles n’entendaient plus cette violence qu’elles avaient déjà trop vu. A quoi bon tenter de réfléchir, si ce n’est pour orner leur pauvre têtes d’une autre violence, d’autre sang, d’autres morts, qu’elles pouvaient oublier là, le corps amolli et les yeux rougis de drogues et de larmes cachées.

Alors lorsque la porte au bout du couloir s’ouvrit sur cet étrange homme, immense, immonde, elles écartèrent leurs jambes toutes amaigries.

_Hmm. Marc est mort, c’est moi maintenant, le patron.

Elles levèrent les yeux, comme surprises. Il y avait une lueur de vie qui suinta un moment, avant de disparaître.

_Hmm… Vous êtes malheureuses ? Alors partez.

Elles ne bougèrent pas, restant inerte, là, sur leur pauvre banc, sans même sembler comprendre.

_Alors vous êtes heureuses. Souriez.

Elles sourirent.

_Plus de drogue, plus de larmes. De la joie et de l’amour pour les clients. Ou je vous jette à la rue sans plus personne pour vous nourrir. Sans plus personne pour vous protéger.

Sa main vola dans la joue de la première.

_Réveillez-vous, donnez-vous des claques jusqu’à ce que toute cette foutue drogue foute le camp.

A l’autre bout du couloir, une femme observait. Les joues plus grosses, le teint plus alerte. La peau vieilli par les années lui donnant une trentaine de printemps. Debout, à plusieurs mètres de la scène, elle ne faisait rien d’autre qu’observer.

_C’est toi, la maquerelle ? Et tu laisses ces filles ainsi ? Hmm… Reprends-toi, ou pars. Je les veux prêtes pour ce soir.

http://insolense.deviantart.com/art/self-portrait-361787130

La peur, c’était une corde dure, solide, tendue, prête à casser d’un coup de lame. Le respect, lui, n’était qu’une minuscule ficelle qu’elles allaient garder serrés contre leurs seins. Elles restèrent là, sans comprendre tandis qu’il partait déjà. Elles ne comprenaient pas pourquoi il ne les avait pas possédées. Pourquoi il ne les avait pas plus frappées.


Dernière édition par Ishii Môsh le Jeu 14 Aoû 2014 - 7:47, édité 1 fois
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Un café de luxe. Logue Town.


Commandant ?

Ils sont là, tous les deux. Assis au comptoir de l’estaminet tout décoré de dorures de de vases en porcelaine fine. Quelques toiles de maître aux murs pour rafraîchir les idées et exposer le temps, les époques. Pour divertir les riches clients qui vivotent sans jamais se lever dans cette pièce, qui ne décroisent leurs jambes que pour se délier l’esprit et le cerveau le temps d’une tasse sans fond. Une ambiance de paix qui contraste avec le vacarme permanent de la capitale des mers à l’extérieur, pour un droit d’entrée égal à plus de pièces que n’en touchera jamais du regard le commun des habitants de la ville. Un confort sonore qui offre libre court à cette violence des riches, qui s’ennuient et se tuent par excès de réflexion, à tenter d’orner le vide de leur pauvre vie, le vide de leur corps amolli. Le vide de leur âme rougie par l’hubris et la hargne mesquine.

Commandant !

Lorsque la porte s’ouvre et vomit un court instant le bruit de l’au-dehors, Tahar enfin sort de son silence.

Mh ?

D’abord il tourne un visage surpris vers Super Trempe. Enfin patiente après ces mois à le seconder, la jeune femme est soulagée d’avoir ravivé la lueur de cette vie disparue qui tournait, qui tournait dans ces yeux.

Ah. Alors lieutenant, un coin en particulier que tu veux voir ?

Elle ne bouge pas, restant un peu à le fixer comme si c’était son tour de se prostrer dans la contemplation.

Commandant ?

Logue Town, permission, visite ?

Elle sourit de toutes ses dents.

L’échafaud !

A l’autre bout du comptoir, une femme s’étouffe. Les joues plus grosses, le teint plus rouge. La peau vieillie par les années, une petite quarantaine bien entretenue. On ne parle pas d’échafaud en bonne société. La bourgeoise lance un regard courroucé au duo. Sous celui de Tahar, elle abandonne l’idée d’un esclandre.

La peur du gens d’armes, une corde dure, solide, tendue, prête à casser d’un coup de la lame qui pend sous le manteau de l’officier. Le respect des convenances, une minuscule ficelle que la notabilité seule garde en son corsage, contre son sein, sans oser lâcher prise de crainte que le monde s’effondre sans elles. De crainte qu’il ne fasse plus sens sans elles, qu’il devienne incompréhensible pour les esprits trop éduqués.

La dame reste là, sans comprendre que le monde ne l’a pas attendue. Eux sont déjà partis à sa poursuite.


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Dernière édition par Tahar Tahgel le Lun 6 Oct 2014 - 13:52, édité 3 fois
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Un café sans luxe, Logue Town.

Un autre ?

Le bar était vide. Les heures de gloire du bistrot étaient finies et avec elles, les brouhahas interminables, les bagarres pour n'importe quoi et la vie qui émanait, incessante, de ce lieux de débauche.
Sans attendre de réponse, le vieillard déposa une deuxième tasse auprès du Monstre.

Alors, ce tapin ? Pas trop dur à gérer ?

Hmm... C'est que chacun a ses soucis, alors devoir gérer ceux des autres...

Les femmes, hein. Uh uh, fallait pas t'attendre à autre chose.

Elles me font pitié, ces femmes. La première fois que je les ai vu, Hmm... On aurait dit des pantins sans vie. Plus bon qu'à ouvrir les jambes...

Les mains du vieillard tapotèrent les immenses épaules du Monstre. Il y avait le silence qui ne se brisait qu'aux bruits d'une aiguille qui n'en finissait pas.

Hmm... J'aurais besoin de toi.

Le vieillard sourit. D'un sourire triste, ce n'était pas souvent que le Monstre lui demandait un service.

Tu vois Hmm... La marine tourne de plus en plus atour de moi, et avoir un criminel primé comme chef d'un bordel, c'est Hmm... Dangereux.

Tu veux pouvoir marquer mon nom sur les papelards, hein ?

Hmm... Oui.

Tu peux, Ishii . Tu restes bien mon seul client fidèle, je peux te rendre ce service.



-Moshimoshi, le bar-bar, j'écoute.
-Vous êtes le propriétaire ?
-Oui, et vous ?
-Ah oui, tout mes excuses.
-...
-Commandant de la garnison 5 de la marine de Logue Town.
-Vous me voulez ?
-Ishii Môsh est prêt de vous ?
-Ishii comment ?
-Vous moquez pas de moi. On a retrouvé votre nom sur un papier en lien avec lui.
-Quel papier ?
-Il vous aurait donné la gestion d'un hôtel de passe.
-Hôtel de passe ? C'est plus de mon âge, ça.
-Alors on peut vous rendre une visite là bas ?
-Tout dépend, vous avez un mandat ?
-Donc on ne peut pas venir ?
-Si, si vous avez un mandat.
-Vous savez ce que vous encourez ?
-Dîtes moi toujours.
-Ah ? Euh... C'est que... Merde, où sont ces foutus papelards...
-J'ai un client, je vous laisse.
-Ishii Môsh ?
-Je connais pas.
-Bon, bon, mefiez vous quand même, vous allez avoir des ennuis !
-Ah, ces jeunes...
PAF.
-Monsieur ? Monsieur ? Le con, il a raccroché...
-Ishii, un autre thé ?


Dernière édition par Ishii Môsh le Lun 18 Nov 2013 - 22:23, édité 1 fois
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Je vous sers autre chose ?

Le Gold Roger est plein. Cent dix ans après l’heure de gloire de la grand-place, le flot est toujours interminable et les touristes sont nombreux à vouloir vivre tous la même vie au même moment dans l’établissement. C’est un beau bar, assez chic pour éviter les bagarres pour un rien, et surtout au service d’ordre assez dissuasif. Le message est clair et la débauche se fait ailleurs, chez les voisins qui n’ont pas le même standing.

Ses réponses obtenues, la jeune serveuse verse un deuxième verre à monsieur. Rien pour mademoiselle.

Alors, vos impressions ? Vous êtes nouveaux en ville ?

Le regard de Tahar est éloquent. Un peu étonnée mais assez dégourdie pour sentir le danger, la donzelle repart sans ajouter un mot. Pas des touristes… Et la fille n’a pas l’air dans son assiette. Horf, chacun ses soucis. Ce n’est pas son rôle à elle de gérer ceux des autres, elle n’est là que pour les servir avec le sourire après tout.

Je t’avais prévenue…

Les femmes, hein.  Il ne s’attendait pas à autre chose de la part de Super Trempe. Il le voit dans son visage, elle prendrait presque en pitié Roger désormais, avec tout ce monde qui vient voir l’endroit où il est mort et fouler du pied le sol où son sang s’est répandu et cracher sur lui ou son souvenir. Curiosité morbide pour un lieu sans âme, violé par toutes les rues qui ouvrent sur lui, qui vomissent sur lui les jambes sans nombre des badauds, promeneurs ou errants de tous bords. Une histoire dont le poids accable à faire vomir. L’Histoire.

Le tout sous un ciel gris à faire pâlir une cheminée. Les doigts du commandant jouent du piano sur le marbre de la table. Le silence retombe, à peine rehaussé des conversations aux tables avoisinantes.

Tahar a toujours aimé les jours de pluie, et Logue Town semble l’apprécier assez pour lui en faire cadeau à chacune de leurs rencontres. L’horloge au mur tinte le glas d’une heure puis d’une autre.

Viens, lieutenant, on va te remonter le moral.

La blonde sourit. La cicatrice sur son menton est toujours renfrognée mais ça lui passera. Ce n’est pas souvent que son supérieur la choie comme ça.

Je connais un type à la cinquième.

Le regard bleu de la fille d’amiral s’éclaircit un peu, présage favorable.

Il était chez nous avant, sur South, mais ils l’ont muté ici quand il a rejoint l’élite.

Il a dit « chez nous », ça veut dire qu’il a fait son parti de vivre sur South Blue, lui qui vient de l’ouest ? L’ouest, c’était sans doute à cette vie éteinte qu’il pensait dans le café avant qu’ils n’aillent se balader, à ces mois dont il avait parlé une fois, où il traquait les duchesses dans les cafés huppés avant de s’engager. Un peu comme elle ne savait pas quoi faire de sa vie avec son contre-amiral de père aux commandes avant de se distancier de lui.

Ouais, ce bon vieux Jakku saura bien comment te dérider. Il a toujours aimé la déconne.

Elle saura quand elle le verra…


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Dernière édition par Tahar Tahgel le Mar 3 Déc 2013 - 11:28, édité 1 fois
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Se dérider, sourire à gorge déployée sans y penser, avoir les yeux pleurant de larmes de bonheur, de joie simple. Ou même un simple sourire en coin, qu'on affiche comme ça, aux creux des lèvres, sans s'en rendre compte. Il l'aurait bien aimé, ce vieillard, qui n'avait comme seul sourire qu'un rictus las et fatigué. Pourtant ça braillait autour, comme au bon vieux temps. Il y avait Joe et toutes ses dents manquantes qui buvait ses bières toujours aussi vite. L'alcool filait entre les trous béants de son bec, se faisant engloutir par un estomac en redemandant encore et encore. Il y avait Bobby, ce vieux pirate et toutes ses cicatrices, qu'avait fait le tour d'East Blue jusqu'à en connaître tous les recoins et pouvoir parler de ses exploits durant des heures. Il déblatérait, à moitié assis,à moitié tanguant, trop plein de vinasse qu'il pouvait pas s'empêcher d'avaler entre deux tirades. Il y avait tous les autres, aussi, toutes les gueules qu'avaient fait du Bar Bar, il y a de ça plusieurs mois, le bistro le plus populaire des bandits. Il y avait toute cette troupe et au milieu, un Ishii qui ne demandait rien. Il buvait son thé par à coup, entre deux bouffées de cigare. Il ne regardait que d'un coin de l'oeil ces poivrots se vider de leurs deniers et se remplir leurs gorges. Il aurait aimer les mépriser, tous ces soûlards, qui ne revenaient pour qu'une seule et unique chose. Il aurait aimé leur crier dessus, de déguerpir, sur le champs, mais il restait là, à boire son thé, tranquillement...

C'était tombé comme ça, la veille, dans le journal, entre une histoire sordide du bas fond de Logue et les lignes sur l’élection du maire, il y avait eu ces quelques mots. Ceux là disaient du vieillard qu'il était le propriétaire d'un joli bordel. Oh bien sûr, ce n'était pas marqué ainsi, pour ne pas choquer toutes ces minettes en jupon de haute couture et ces gens d'en haut, mais les autres... Ceux avec leurs dagues à la ceinture, leurs pieds cassés par les batailles, leurs cicatrices ressortant sur chaque parcelle de peau, leur haleine puant le rhum. Ces autres là, ils avaient compris. Alors ils étaient venu, espérant pouvoir se faire payer à l’œil, se faire offrir une gâterie, une minutes ou même moins. Ils étaient même prêt à entendre le pourquoi. Pourquoi ce vieux loup là était devenu proprio d'un bordel, et puis surtout, comment. Lui qu'avait à peine les mains pour laver les verres, qu'avait plus de force pour soulever le plateau de bière, ni pour emmener les fults, comment ce vieillard là avait pu se débarrasser de l'ancien maquereau ?

L'hypocrisie était là, dans chaque geste de ces loups de mer qui n'étaient venu que pour cette raison. Le vieillard le savait, le sentait à chaque regard que lui lançait un client, à chaque esclaffe de rire pas assez naturelle. Le vieillard le savait et ça le rongeait, jusqu'à lui faire se mordre les joues de ses quelques dents qu'il lui restait. Il chercha un instant le soutien de son ami, d'un coin de l’œil. Mais ce n'est qu'une porte de sortie se refermant qu'il vit. Ishii était parti.

Le Monstre sorti et ne pensa plus à tous ces hommes. Il oublia un instant ces mauvaises idées quil avait senti, ces regard vicelards qu'il avait vu. Il ne pensa plus à rien d'autre que ces pauvres filles. Lorsqu'il arriva, aucune n'avait de visiteurs. Elles étaient là, attendant tranquillement qu'un client n'apparaisse pour lui offrir quelques plaisirs. Elles étaient là, ne sachant que faire pour laisser couler le temps.

_Hmm … Vous savez jouer au carte ?
_Euh...
_C'est simple, hmm... Et une petite belotte ne fait jamais que du bien. Je vais vous expliquer.

Elles ne comprirent rien, manquèrent plusieurs fois de tricher sans même le vouloir, de dévoiler leurs jeux par inattention. Elles perdirent tour à tour l'idée d'un jour comprendre ce jeu mais ce soir là, elles rirent. Non pas parce que quelqu'un le leur demandait. Non pas parce qu'elle le devaient ou par peur d’énerver ce Monstre servant de patron. Non, elles rirent car elles le voulaient.
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Sergent, hein ?
Ouaip.
Pas trop dur, repasser sous-off ?
Je suis aussi bien payé que toi !
Ouais mais t’es sous-off…
Bon, et qui nous as-tu ramené cette fois ?
Lieutenant Super Trempe, mal du pays et désillusions galopantes.
Je vois… Enchanté, lieutenant. Jakku, Jakku Kat
Jakku connaît tout Logue comme sa poche, hein Jakku ?
Enchantée, Jakku Kat.
Ouaip. Pardonne ma curiosité, lieutenant, mais tu ne serais pas la fille du contre-am
Si.
Sujet sensible, moussaillon, passons. Tu vois, elle elle est officier.
« Officier subalterne en berne », je devrais noter ce titre…
Toi, tu écris ?
Oh, trois fois rien. Quelques chroniques sur la vie à la caserne…
Foutrediantre. Décidemment la propagande a raison : l’élite ça vous change un homme, et dépassez vos limites.
Ahah, qu’y a-t-il de si mal à écrire, Tahar ?
Bah. C’est un truc de rosière c’est tout.
Hum. Commandant Tahar Tahgel, si je ne te connaissais pas comme je te connais, je te casserais la gueule.
Ah ouais ?
Eh ouais !
Quel genre de chroniques ?

Des sourires naissent puis des rires s’élèvent dans le bar moins haut de gamme que le précédent parce que c’est le sergent qui régale et que les sous-officiers ça ne va pas dans les cafés de la haute où ils risqueraient de croiser leurs supérieurs. Attablés dans un coin tranquille de la gargouille, deux amis de régiment se retrouvent et la femme qui les accompagne apporte une touche de fraîcheur au milieu de toute cette virile rivalité.

Des rires qui commencent un peu tièdes et qui s’échauffent à mesure que les verres descendent. Face à cette alternance de pleins et de vides, la progression de la bonne humeur est stable, ne fait qu’augmenter.

Malgré les années mortes et enterrées depuis leurs dernières armes ensemble, quelque part sur West Blue, Jakku se montre particulièrement affable et Tahar suit, de très bonne tenue. En fait, Super Trempe ne l’a pas vu aussi enthousiaste depuis un bon moment, et peut-être même depuis toujours. Le charme de la villégiature sur une autre mer ? La sérénité à avoir tombé les obligations militaires pour un temps ? Simplement retrouver un camarade de ses jeunes années dans l’armée, un des rares à avoir contré la camarde assez longtemps pour qu’ils se revoient ? Les pertes sont lourdes dans la marine, élite et traditionnelle confondues ; il ne doit pas rester dans le monde beaucoup de ces premiers frères d’armes.

Et puis Jakku la drague un peu aussi, sous le regard faussement hypocrite de Tahar qui joue les protecteurs pour le seul plaisir d’ennuyer son ami. Les deux hommes font bien la paire, pas étonnant qu’ils s’entendent bien. Les discussions se poursuivent, avancent jusqu’au soir et font même reculer le jour jusque derrière la nuit.

Super Trempe, moi je te le dis, ce type finira Major !
Et toi tu ne finiras sûrement pas amiral, animal…
Ah ouais ?
Eh ouais !
Commandant, j’ai faim.


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Dernière édition par Tahar Tahgel le Mar 17 Déc 2013 - 8:49, édité 2 fois
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Un hotel de luxe, Logue Town
-Pourquoi le mal, toujours, hein ?
-Hmm...
-Non mais c'est vrai, quoi... Je ne sais pas, t'aurais pu faire beaucoup d'autres choses.
-Hmm...
-Et t'as choisi ça. T'as choisi ces pauvres bouts de vie, ces morts et ce sang...
-Hmm...
-Y'a des choix à faire dans une vie, c'est vrai. Et je dis pas que le tiens, c'est celui du mal, parce qu'à mon âge on arrête de voir la vie qu'avec du blanc et du noir, qu'on voit aussi les teintes de gris, mais quand même... Pourquoi, hein ? Pourquoi t'as choisi ce côté de la loi qui t’emmène dans le sang et la violence ? Je sais bien que tu fais aussi le bien, que ces pauvres femmes seraient encore plus perdues sans toi, que t'as sauvé bien plus de vies que t'en as prises, mais quand même, hein, quand même... Pourquoi est ce que t'as choisi ce côté là ?
-Hmm... C'est simple, en fait.
-A oui ? Ahah, alors je la veux bien, ton explication.
-Hmm. Aujourd'hui, si je te demande, tu voudrais bien de moi, pour t'aider à servir. Non ?
-Bien sûr que je voudrais ! Et que si j'étais moins vieux je t'obligerai même !
-Hmm. Mais tu te rappelles, la première fois qu'on s'est vu ?
-Euh...
-Il m'a fallu 2 jours pour que tu daignes me servir un thé.
-Euh...
-Hmm... Voilà, pourquoi.

Le vieillard resta là, stupéfait, presque honteux. Il y eu un ange qui passa pour faire pleurer les cœurs et puis enfin un rire, gras, sûr de lui, contagieux, tout gras de salive et de honte qui manqua presque de retourner la salle avec lui pour faire monter les lèvres du Monstres. Pour un sourire. Et autour les gens s'arrêtterent, les serveurs se turent et les flopées de vin sur le cistal disparurent dans le silence de l'immobile. Le Monstre fit un geste le plus délicat, le plus lent qu'il puisse vers le vieillard et ses lèvres se mirent alors à bouger, presque au ralenti, pour faire sortir des bouts de mots inaudibles.

-Hmm. Regarde ces gens, regarde les. Regarde ces yeux pleins d'horreurs, ces bouches béates et ces joues rosies à ma vue. Regarde cette haute sphère et tout le dégoût qu'elle a en me voyant. Je les ai haï. Elle que je ne connaissais pas, que je ne comprenais pas et qui m'avait déjà rejeté. Moi, le Monstre, celui qui faisait peur, celui qui arrivait comme un tache immonde au milieu de cette beauté, de cette richesse. J'ai voulu les tuer, j'ai rêvé de les voir morts. J'ai voulu leur rendre ce qu'ils me cognaient à l'esprit. Et puis j'ai compris... Ça a été lent. Ça ne s'est pas fait du jour au lendemain, mais j'ai compris. Que la violence des coups de ma mère, que la violence de la mort de mon père, que la violence du renie de ces gens qui ne me connaissaient pas, ça valait bien l'amour de Tonray, ton amitié, et tout le bonheur de quelques moments.

Il n'y avait pas de réponse à donner, alors le vieillard se tû. Ishii empoigna son verre pour le vider d'une rasade et le reste du repas se fit au milieu du silence de deux amis.


Dernière édition par Ishii Môsh le Lun 10 Mar 2014 - 15:13, édité 1 fois
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Alors, heureuse ?
Tes mains, Jakku.
Mêle-toi de tes gros oignons, Commandant Tahgel.
C’est pour toi que je dis ça, frérot…
Haha, allons, tu ne m’as pas répondu lieutenant Super… tu es heureuse ce soir ?
Hmf !
Whaïe !

Le dos brisé dans le mauvais sens et des ordures plein les contusions comme pour mieux les désinfecter, Jakku se relève comme un vieillard qui a déchanté en voyant la vie. Il gémit, sans avoir assez de mains pour tout tenir.

Ah ! Mais elle est tarée celle-là…
Je t’avais prévenu…
Autorisation de rentrer à l’hôtel, commandant ?
Repos lieutenant… On est en permission, tu fais ce que tu veux quand tu le veux.
Bien, bonne nuit alors. Bonne nuit sergent.
« Sergent » ? Argh, elle m’achève. Je suis achevé, Tahar.
Bonne nuit lieutenant.

Dans la ruelle forcément sordide, Tahar aide son compère à se redresser pendant que la jeune femme s’en va, seule et sans danger, un sourire discret aux lèvres parce que tout de même, il est amusant pour un lourdaud.

Et en plus tu me l’as vexée. Tous les frais de la nuit sont pour toi, frangin, ça me remboursera ce que ça va me coûter demain pour la remettre dans le droit chemin de la bonne humeur et des
Stop, stop, stop ! D’accord, d’accord. Je paierai, épargne-moi tes envolées tardives.
A tes ordres, mon très riche hôte, à tes ordres. Prochaine étape ?

La prochaine étape est la « Mouette rieuse », dont Tahar ne découvre pas grand-chose d’autre que l’enseigne. Echoppe censément réservée à l’élite, on les prie avec politesse d’aller sévir ailleurs après deux altercations mal finies pour les autres. Sans femme qui vaille la peine de bien se conduire, la bonne humeur de la soirée laisse place à cette graine de folie macabre des nuits glauques. Celles où les hommes s’abandonnent à chacun des instincts qu’ils ont refoulés le jour. La violence s’exprime sans peine, il suffit de quelques douleurs qu’on trouve partout. Mais les plaisirs plus obscurs se mêlent mal à la fatigue du noir, et le cœur des âmes divague et dérive plutôt vers les périphéries malfamées où réside de quoi les satisfaire à moindres frais.

De la mouette rieuse les deux hommes, rendus de moins en moins volubiles par l’alcool, passent à « L’appel du grand large » où l’armoire à glace qui sert de videur n’apprécie pas bien les remarques sur l’ironie de sa situation, puis aux « Trois Montagnes » où les danseuses ne sont pas meilleures adeptes de l’auto-dérision.

« Chez Pamoi » puis « Chez Luy » se révèlent déjà un peu pauvres en bonne humeur, mais « Che Moi » enterre définitivement tout vélléité pour les deux soldats de boire en bonne compagnie. C’est comme si leur présence était déplacée en ces lieux et comme si on s’y méfiait d’eux. Mais ils sont trop alcoolisés l’un comme l’autre pour en déduire toutes les conséquences logiques et lorsqu’ils sortent, vomis par cette ambiance délétère qui régnait dans la salle clandestine pour révolutionnaires au mouillage, seul un dernier point d’ancrage s’impose à leur esprit, tout droit ressurgi des notes de travail de Jakku.

Puisque je. Te dis. Qu’on doit y faire une descente demain !
Beh. Comme ça tu sauras à quoi t’attendre ? Pas de mauvaise. Surprise, et ton rapport n’en sera que. Meilleur…
Ah… ouais ?
Mais ouais !

Havre de paix, Chez Lady ouvre à eux son long couloir aux tapis moelleux, et les avale jusqu’à l’inconscience.


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Un monstre au pays des rêves. C'était le long silence du sommeil qui apaisaigt les cœurs. C'était la douceur du coton contre laquelle se blottissait un visage hideux. C'était l'odeur douce de la lessive qui venait chatouiller d'énormes narines endormies. C'était le goût acre du cigare qui grattait lentement la gorge sèche du Monstre. C'était la noirceur du pays des sommeils qui englobait deux pupilles éteintes. Et tout autour, de chaque côtés des quatre murs, les lits grinçaient au rythme des ronflements de corps endoloris, fatigués d'efforts.

Et puis il y eu ce bruit. Un bruit tout simple, tout anodin que chaque homme et femme entend à chaque heure de journée et auquel il ne prête aucune attention. Ce bruit, c'était celui d'un pas que l'on pose sur le sol. Celui du craquement du parquet qui doit supporter le poids d'un homme. Et puis d'un deuxième. Les yeux du Monstre allongé dans la pièce à côté se levèrent aussitôt. Il avait les réflexes du guetteur qui attend patiemment sa proie, aux aboies du moindre mouvement, du moindre bruit.

Alors lorsque les deux hommes traversèrent péniblement le couloir de roses et d'or, le Monstre tapis dans l'ombre patientait, observait. Et les pas, plus nombreux qui venaient vers la natisse, et les coups de sermons à l'entrée qui cognaient et rencognaient contre la porte, eux, firent lever le corps du Monstre en un instant. Celui d'après, où il entrait discrêtement, silencieusement dans la pièce, c'était pour voir deux bouts de femme encore endormies. Elles avaient le visage de celles qui ont difficilement trovué le sommeil, qui ont fatigué leur corps plus que de raison.

Mais ce ne fut pas ça que le Monstre regarda, ce fut les berrys qui jonchaient la table de nuit. C'était la preuve des crimes passés.

-Hmm. Cette nuit, vous n'avez rien fait. Ré-habilez vous et partez ouvrir les portes. Ces berrys, c'est le prix de la chambre, rien de plus.

Il y avait dans le ton de la voix du Monstre quelque chose qui empêcha les femmes de demander pourquoi. Quelque chose qui les vit se revétir en un instant et dévaller le couloir tout aussi vite pour tomber sur une horde de marines. Elles étaient là, essouflées, prise de stupeur, immobiles, devant ces hommes de bleu vétus qui venaient briser le nouveau chez soit qu'elles s'étaient construites. Elles avait la bouche ouverte, les lèvres seches et les mains moites de peur.

Mais le Monstre, lui, attendait. Il était assis sur le lit, quelques berrys dansaient dans sa main gauche tandis que de la droite, il tenait fermement le pommeau de son épée. Il était là, assis, droit comme un I, à ne faire qu'attendre que les hommes arrivent et tentent de le détruire. Il était là, caché d'un simple masque à long nez et d'un chapeau noirâtre. Comme si ces éléments de décoration n'avaient toujours été installé ici que pour cet instant.

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Tahar !

Des formes émergent au milieu des limbes, sombres comme le commencement du monde jamais fini.

Tahar ! Pute borgne, debout !

Un chuchotement, murmure d’abord puis marteau solide sur le tympan plus du tout protégé des langueurs de la nuit. Irritée, l’oreille réveille le corps et les ténèbres se dissipent autour de la vraie vie. Un Jakku en petite tenue s’agite dans la chambre miteuse. Il peine à repasser son pantalon, a une chaussette dans la parleuse et l’air jamais tout-à-fait présentable qu’on arbore quand on est réveillé au canon.

Pas de gueule à feu qui résonnerait ce matin pourtant, ni de femme borgne pour effrayer les tombés du lit. Non, à peine deux minois d’anges trop tôt déchues et qui, dans la demi-clarté de l’aube en approche, paniquent. Elles ont entendu des pas dans la rue, aperçu des lames aux flancs des hommes et même le symbole des armées du monde. Et déjà le sergent d’élite jette son ami dans les escaliers, le barda de son ami sur son ami pour qu’il se rhabille au plus vite, et déjà le duo fuit par les planchers revêches et les portes discrètes.

Après quelques coups sur la tête en aparté, pour se décrasser l’esprit sinon le corps, ils reparaissent dans la rue devant, débraillés mais pas trop, vêtus mais pas trop non plus. Heureusement, Jakku est le chef du lot et le caporal son second ne dit rien, seulement qu’il est surpris de le trouver là alors qu’il le pensait ailleurs. Il tend pour preuve un mot sur lequel on lit « Las ! Menez l’assaut sans moi, tas de punaises, moi je peux pas mon chien est mort » et jette un regard qui dit tout et rien en direction de ce type qui n’est personne dans sa tête.

Tahar Tahgel, la gorge pleine de glaires et l’œil huileux, ricane.

C’est l’écriture de Super Trempe.
Elle ne m’aime pas beaucoup, hein ?
C’est une femme, elle a la vengeance mesquine.

Les deux hommes, rouages rocailleux d’une justice aveugle, prennent possession de l’escouade en attente. Si les subordonnés de Jakku lui sont à peu près acquis, il n’en doit pas moins pénétrer dans le bouge et mener un semblant d’enquête. Ça se saura s’il ne le fait pas, ça se sait toujours. Les deux filles à l’entrée ne savaient pas, elles hurlent à voir à la lumière du soleil levé ces deux visages contre lesquels elles ont passé la nuit. Les clins d’œil n’y font rien. La maquerelle arrive, plus posée dans sa trentaine violacée de fard, plus aguerrie.

Elle ne fait mine de rien, c’est son gagne-pain.

C’est vous, la « Lady » de dans « Chez Lady » ?
C’est moi beau colonel. Bienvenue dans mon humble auberge…
Oh il n’est encore que sergent vous savez… Moi par contre je suis com
On vient jeter un coup d’œil, m’dame. Il paraîtrait qu’Ishii Môsh aurait traîné ses grosses pattes dans le coin.

Ishii Môsh ?


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Ishii Môsh, oui. Lui même. Ishii Môsh qui se disait, enterré dans ses noirceurs que rester là, immobile, à se cacher sous un masque et à attendre que la violence se fasse, ce n'était peut être pas la meilleure des idées. Il pensait à ses bouts de femmes qui recommençaient à trouver vie. A ces sourires qu'il voyait de temps à autre apparaître au coin des lèvres comme autant de rayons de soleils au milieu de leur ciel gris. De leur pensées, de leur passé, et de leur futurs aussi, surtout.

Il se disait qu'assis là, au milieu de cette pièce sans vie et bientôt couverte de sang s'il restait, il se disait qu'il pouvait faire mieux. Qu'il devait faire mieux, parce qu'à avoir pris le contrôle de cet endroit il avait aussi pris le contrôle de 3 autres vies que la sienne. Des vies pas drôle, sans humour, sans amour et qui ne commençaient qu'à peine à comprendre ce qu'était vivre, et non survivre.

Le Monstre leva les yeux vers le plafond. Déjà, quelques fissures commençaient à entacher d'humidité la peinture à peine fraîche. D'étroites rivières noires, courtes, courraient le long du plafond comme autant de lignes de vie.

Et derrière la porte, les pas des hommes résonnaient dans le couloir. Des dizaines de pieds qui fracassaient le sol d'une marche forcée pour venir détruire l'endroit. Détruire, piller, voler. Comme si dans ce monde, la justice n'était que la plus grande des voleuses. Et les secondes passaient et le Monstre ne bougeait.

Et les secondes passaient et l'odeur de sang se rapprochait. Oui, peu à peu, elle se rapprochait, celle là même qu'il humait au creux de ses énorme narines.

Ils étaient déjà là, devant la porte fermée. Ils étaient là, à brailler d'ouvrir ce verrou. Ils crièrent une fois. Puis deux. Et déjà un bellier cognait sur le bois de l'ouverture. Un énorme bruit de fracas se fit entendre au même moment. Alors ils frappèrent de plus belle. Une fois, deux fois et la porte vola.

Pour laisser l'entrée à une pièce vide, où un énorme trou au plafond laissait apercevoir quelques nuages bien solitaires.

-Chef, un homme a fui.

Les ardoises volaient sous le poids de ses énormes pieds. La distance le séparant du bordel s’agrandissait. Et pourtant, plus il courait, plus il séparait ses drôles de dames d'un danger inévitable, et plus il se disait qu'il avait échoué.

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Ishii Môsh, esprit frappeur de Logue Town. Comme ces noms associés immanquablement à un lieu précis, rencontré ici jadis, abandonné non loin, et puis retrouvé là comme si le hasard faisait si bien les choses. Bien ou mal, c’est un point de vue. On ne vit que deux fois paraît-il, et le commandant a déjà laissé filer ce monstre à la fois bon, brute et truand. Difficile de retenter le coup à nouveau sans attirer les soupçons…

Tahar, les toits !
Les toits ? Mais, mon bon Jakku, est-ce que ce ne serait pas plus logique que ce soit toi à moitié sorti d’une fenêtre du premier étage qui t’y colles, et non moi, puisque moi n’est-ce pas tu m’as cantonné à la rue pour mener ta petite opération en solo à l’intérieur ? Hein ? Excuse-moi de poser la quest
Tahar, les toits.
T’es plus trop un marrant, frangin, tu sais ? Et pis c’est moi le plus haut gradé ici, hein !
Tahar ?
Oui mon frère ?
LES TOITS !
Pff... Tu l’aurais déjà chop
Et n’essaie pas d’avoir le dernier mot !
Mais…
Tt !

Rah.

La piste d’un fauve sont ses poils abandonnés aux griffes des plantes fauchées par sa course, celle d’un ogre les cris des enfants effrayés par son passage. Qui dans sa baignoire de bon matin, qui dans son lit avec un autre, qui depuis sa terrasse admirant en secret les précédents, depuis le sol c’est éclats d’épouvante sur rires d’effroi. La marque est solide, le sol de la rue plus stable que les charpentes des maisons de peu, et Tahar Tahgel gagne du terrain pendant que les élites pas funambules en perdent. Les toits de Logue Town la capitale où tout se termine un jour deviennent une gigantesque piste de cirque où la plupart des quilles n’ont pas le rythme.

Et tout d’un coup,  comme de juste, craaac.

Craaac ?

Craaac.

Je te tiens, Ishii Môsh !

Eh merde.

Dans une cour intérieur d’immeuble (qui sans doute n’en était pas une avant que cinq cents livres de viande ne créent du jour là-haut), Jakku Kattar, sergent d’élite de la marine mondiale, toise un cachalot aux pieds d’argile, mais quand même des pieds vachement gros. Ils ne sont que tous les deux, il est l’heure de discuter un peu.

Que deux ?

Que deux. Que ce qui doit être soit, pense un Tahar dissimulé derrière quelque chose qui le dissimule.

Commandant ?
Lieutenant ?!
Commandant, vous êtes là ?
Chttt, moins fort !
Que… ? Commandant, j’étais venue pour… Les hommes restés au Chez Lady m’ont informée…

Eh merde.


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Le silence avait glissé. Ils se regardaient tous les deux en chien de faïence. Leurs souffles roques de la course trop rapide étaient les seuls bruits que leurs oreilles bourdonnantes pouvaient encore entendre. Leurs mains bloquées sur le pommeau de leurs épées respectives, aucun n'osait bouger. Ils n'avaient pas entendu les indiscrets, trop occupés qu'ils étaient à observer l'autre. Et pourtant, de discrets, ils ne l'étaient pas, tout cachés qu'ils tentaient d'être derrière une pauvre cagette de bois ajourée de partout.

-T'es pris, Ishii Môsh.
-Hmm.
-T'es pris, vivant ou mort, mais t'es pris.
-Hmm.
-Cinq secondes. C'est le temps que je te laisse pour choisir.
-Hmm.
-1.
-2.
-3.
-4...
-Sois pas bête, le Monstre, t'as aucune chance.
-Hmm.
-Tu l'auras voulu.


Les deux épées se sortent au même moment. Celle longue, affinée d'un marine qu'en a déjà vu bien d’autres. Celle lourde, épaisse, d'un Monstre qui la tient à deux mains. Le marine bondit et son arme vient fracasser la garde de son adversaire.

-C'est mou, le Monstre.

Son visage posée à quelques centimètres du Monstre, les deux armes bloquées l'une contre l'autre, ils se montrent les dents comme deux bons toutous. Mais le Monstre ne dit rien. Rien, il se tait et lui rend le plus beau ses sourirs avant de contre-attaquer. Son énorme genou part à toute vitesse se loger vers le ventre du marine obligé de reculer.

-Hmm. Sais tu à quoi je pense ?
-Tu dois te demander à quoi ressemble la mort.
-Hmm. Non, du tout.
-Tu devrais, pourtant.
-Je pense à une chose. Hmm. Quelle page ça ferait, « Un gradé de la marine pris en coucherie avec une prostituée. ». Les journaux seraient fous
-Quoi ?
-Et je dis «en coucherie » pour rester poli. C'est ce mot qui choque ? Hmm. On peut le changer, sinon.
-Tu ne t'en sortiras pas comme ça.
-Peut être que si. Hmm. Et si je m'en sors vivant, ta carrière est finie.
-Sale enfoirée.
-Oh, oh ! Hmm. Trop de violence dans les mots.

A cet instant, il y eu deux sentiments très proches qui parcoururent l'esprit du marine. La haine. La haine et la colère. La haine envers ce monstre qui osait le faire chanter et la colère contre cet enfoirée de Tahar qui l'avait piégé dans un guet apen d'alcool et de sexe. Mais le sentiment qui vint après, ce fut la culpabilité. Lui, fut plus insidieux, plus discret, plus lent. Il venait peu à peu au rythme des coups qui volaient à le gueule du Monstre pour lui faire baisser sa garde, au rythme des postillons qui volaient de la bouche du marine trop énervé pour fermer son bec. Cette culpabilité là, d'avoir oser quitter le droit chemin un court instant et qui entraînait cet horrible chantage, cette culpabilité là prit bientôt le pas sur les autres sentiments.

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Chiébite de con, foutre.

À ce rythme, l’un va buter l’autre et dans les deux cas Tahar n’aimera pas l’option choisie par le destin, les deux bougres lui sont précieux. Jakku parce que c’est Jakku, dernier ou presque signe de son passé pas si inglorieux que ça. Ishii Môsh parce que... pourquoi d’ailleurs, Ishii Môsh ? Répondre à cette question n’est pas facile, c’est même carrément malaisé. Pourquoi l’a-t-il laissé fuir l’autre fois, le dissimulant aux yeux des autres marins présents à l’arrestation de la bande à machin, sur Goa ? Pourquoi déjà...

Dans les moustaches fines et les habits de trop bonne facture pour sa tête de monstre, Tahar cherche, se rappelle l’infiltration, le recrutement par inadvertance et la contrebande de bouteilles volées. Un type trop bien, pas vraiment homme pas vraiment bête, qui détonait autant qu’il essayait de s’intégrer au milieu de tous ces malfrats défigurés par leurs petites mesquineries personnelles. Ishii Môsh, le Gentlefish. Hé.

Et Super Trempe qui ne comprend pas pourquoi l’on n’intervient pas pour sauver Jakku, seul homme digne de foi ici, représentant de la justice en péril contre un bandit, sus au bandit. Que faire d’elle ?

Lieutenant, retourne chercher les autres et établis un cordon de sécurité autour du périmètre. Un homme tous les cent pas, que même une souris ne puisse s’échapper !
Mais, commandant...
C’est un ordre, lieutenant.

Elle est fascinée par les mouvements du fauve au cuir lisse comme un poisson. Tant de légèreté dans cette lourdeur, tant d’habileté pour une telle masse. Kattar est bon bretteur, mais le dessus lui échappe. Pour un fin combattant comme Tahar, c’est évident. Il est trop dans sa tête et pas assez dans sa main, pas assez dans la pointe de son épée. Un frottement de tissu mi-boudeur mi-frondeur. Enfin elle s’en va comme elle est arrivée, féline et dans l’ombre, inaperçue. C’est le moment.

Ishii !

Retournement de situation. La lame du géant distrait glisse un peu trop lors d’un contre, et voilà qu’en face la tête du sergent d’élite se vide comme par miracle. Coup réflexe de sa part, le tranchant de sa lame se trouve proche de l’ennemi, prête à s’abattre. Trop proche. Dzing.

Tahar ? Mais ?!
Un petit instant, je te prie, sergent Kattar.

Tout petit petit, on manque de temps. Les cris des sentinelles qui s’organisent, menées par le lieutenant Super, commencent à s’élever autour de cet inhabituel truel. Rivés dans les yeux de Jakku ébahi, ceux du commandant Tahgel qui vient de contrer sa taille de son propre sabre. Sur la nuque du commandant, ceux d’un poisson-humain au drôle de passif et à l’avenir salement fermé.


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Drôle de vie que celle du poisson, et puis, surtout, drôles de souvenirs qui remontent au crâne du Monstre. Ces souvenirs là qui se font une place et s'entrechoquent au même moment que les lames, ces souvenirs font mal. Ces souvenirs là, ce sont ceux d'une fuite.

Cette fuite là était laide comme toutes les fuites. Cette fuite là ne laissa que le goût amer de la défaite et l'incompréhension d'un Monstre qui se retrouvait toutes pattes libres sans savoir pourquoi.

Et le pourquoi, malgré les années qui se sont écoulées, malgré les émotions qui se sont refoulées et les autres, de souvenirs, d'émotions et de frustrations qui se sont créés... Ce pourquoi là n'a jamais trouvé de réponse qu'une ligne blanche au milieu d'un cahier bleu de mer azur.

Un cahier bleu de mer azur un peu trop souvent taché de rouge carmin, un peu trop taché de crasses qui se sont enchaînées plus vite que les années et qu'on fait couler plus d'encre que les belles choses.

Parce que les belles choses, elles, n'ont jamais voulu venir et se sont à chaque fois fait rattraper. Parce que cette belle chose que Le Monstre croyait avoir fait, cette belle chose qu'était de sauver quelques pûtes perdues dans un Monde qu'elles ne connaissaient pas, qu'elles ne comprenaient pas, cette belle chose là s'est encore fait dévorée par la vie que les filles comprennent trop.

Cette vie qu'elles comprennent trop, c'est celle d'un corps qu'elles vendent pour une bouchée de pain jusqu’à se faire bouffer le cœur.

Et ce cœur une fois perdu, c'est le sourire qui s'envole pour ne laisser qu'un rictus sans vie de deux lèvres qui se lèvent vers le haut sans savoir pourquoi. Ce cœur perdu, c'est un Monstre qui veut en retrouver en allant en chercher d'autres.

-Laisse moi tuer ce foutu connard.

Alors la vie se reprend aussi vite qu'elle est parti et la violence reprend la place qu'elle veut. Et elle en veut une de bigrement grande, la gaillarde. Le Monstre se jette un court instant sur le côté. Son corps se jette aussi vite que sa masse le permet pour venir perturber la garde d'un marine qu'en a vu d'autres. Avant même que sa lame ne se lève celle du Tahar sait déjà où la lame va atterrir.

-Ça sert à rien, Le Monstre. Fuis ou je te suis.

C'est drôle, ce moment qui fait répétition. La répétition d'un autre moment que Le Monstre n’aurait pas eu envie de revivre, qu'il aurait préféré oublier ou peut être même comprendre. Il est là, entre deux hommes, entre deux choix et sa gueule part d'un gaillard à l'autre pour se poser sur Jakku.

-Rappelle toi bien de mes mots. Hmm. Sinon ils finiront sur un papier.

Sans lui laisser le temps de répondre le Monstre prend appui sur ses deux jambes qui le projettent en une fraction bien de trop haut pour être atteignable. Ses pieds percutent une toiture de tuile avant de prendre leur envolée. Ses yeux épient le moindre mouvement avant d'apercevoir une troupe de trois hommes l'ayant aperçu, une centaine de mètre plus loin. Ils sont encore à charger leurs armes lorsqu'un poings vient assommer l'un d'entre eux. D'instinct leurs armes se jettent à terre pour sortir leurs lames mais c'est déjà trop tard. Le premier n'a pas le temps de la sortir qu'un autre poings l'envoie voler plus loin. Le dernier tente de tailler la moustache du Monstre mais à la fin de son coup l'animal est dans son dos. Trop loin pour ne plus faire qu'appeler les renforts.
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Drôle de vie que celle d’un poisson. Courant entre les nasses que les pêcheurs jettent à la mer pour l’attraper, évitant l’une, évitant l’autre, parfois pris et parfois relâché par l’un ou l’autre bonhomme à qui ses soubresauts dans les filets font pitité. Pitié ou simplement ce n’était pas le bon calibre, la bonne longueur, le bon âge, la bonne espèce. Il est des criminels qui n’ont encore de criminels que le nom et pas le passif, à l’inverse d’autres qu’il faut tuer à vue. Un poisson comme Ishii Môsh, qu’a-t-il meurtri si ce n’est le bon sens des bonnes gens ?

Tu m’expliques pourquoi je ne te fais pas arrêter pour trahison ?
La peur, sans doute.
Hn. Encore une pirouette de sa majesté ! C’est tout ce que ça te fait !? Qu’est-ce qu’il y a entre toi et lui ?!
Il n’y a rien...

Vérité vraie qui coupe court à la diatribe du défait, devenu un brin perplexe.

Le monstre volant a disparu derrière une gouttière là-haut, et vu les cris qui résonnent peu après il est déjà trop tard pour même faire semblant de se précipiter à sa poursuite. Jakku reprend son souffle mais maintient la paume sur la garde de son sabre toujours au clair. L’acier chante encore dans l’air de n’avoir pas étanché sa soif. De son côté, bien que toujours aux aguets car on ne sait jamais quels amis resteront tels, Tahar a déjà rangé le sien. Les deux hommes se regardent longuement, entre eux flottent les restes d’une confiance qui hésite à disparaître et c’est à eux de choisir. C’est surtout à l’un d’entre eux de choisir.

Commandant, sergent ! Le périmètre est en place mais il a... déjà été... forcé... mais... Tout va bien ?
Oui, c’est vrai, tout va bien sergent ? Il ne t’a pas trop... fait mal ?

Œillades en coin, les plateaux d’une triple balance s’équilibrent petit à petit. L’amitié d’un camarade imbuvable sur l’un, une réputation froissée sur l’autre, les menaces d’un truand sur le troisième.

Ça va. Il tape plus fort que je ne l’imaginais. Je me suis laissé surprendre.
T’es pas assez vigilant, sergent.

Le ton du chef d’élite était cassant, plein de dépit et de rage contenue, mais la badinerie de Tahar ne connaît nulle limite. Il ne serait pas lui-même sinon. Et au soudain volte-face de Jakku vers lui, qui s’en retournait déjà vers ses hommes car il est temps de faire de la figuration et de lancer des poursuites qui n’aboutiront pas, qui n’aboutiront plus, le commandant en villégiature rétorque par son petit sourire crâne habituel. Il n’a pas tort de toute façon. Jakku n’a pas été assez vigilant, dans le plus large sens que peut recouvrir ce mot. Un bon officier ne serait pas venu profiter des services d’un établissement suspecté comme le Chez Lady.

Messieurs, je suis confuse ! Si j’avais su qu’un criminel rôdait dans les parages...
Ça ira, Madame. Des hommes vont patrouiller dans le quartier, si vous le revoyez n’hésitez pas à le leur signaler.
Bien sûr !

Jeu de dupes dont seule Super Trempe détecte un peu de la doublure, mais sans en deviner toutes les ramifications. Peut-être se connaissent-ils d’ailleurs, d’avant, ou peut-être bien que la raideur nouvelle du maintien de Jakku Kattar n’est que la conséquence de sa défaite qui fera tache sur ses états de service.

Te bile pas, lieutenant... Perdre une manche est le meilleur moteur, il s’en remettra.
Sans doute, vous le connaissez mieux que moi.
Commandant Tahgel ? Veuillez me suivre au quartier général pour dresser votre rapport.
Alors voilà, tu me redonnes du Commandant Tahgel ? On en est là ? Ah ouais ?
Commandant, s’il vous plaît.

Hélas, la réponse attendue ne vient pas, la fierté mal brossée du sergent l’empêche de sortir de son veston qu’il réajuste encore, car avec un zeste d’attention on pourrait encore l’imaginer défroqué pas très longtemps auparavant. Défroqué, lui, pris au saut d’un lit de bordel, lui, Jakku Kattar, sergent de l’armée d’élite !? Par les bonnes mers de Marie-Joie ! Face à Tahar qui l’observe, l’œil du sous-officier devient fixe, la mâchoire se serre un peu plus et le dos se tend encore. La honte. La honte ! « Pourquoi n’en épouves-tu pas ? », semble-t-il demander. Drôle de métamorphose. Drôle de vie que celle d’un homme dont l’uniforme doit soudain être tissé d’honneur, d’honneurs. Quelques consignes aux sous-fifres encore, et les trois militaires s’en vont.


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Dernière édition par Tahar Tahgel le Dim 30 Nov 2014 - 13:59, édité 1 fois
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C'est un café, comme un autre. Il y a quelques chaises et tables étirés le long de la salle. Il y a le jeune barman avec son chiffon vissé à l'épaule et son éponge qui frotte les verres dans un bruit de grincement. Il y a les bruits de murmures aussi, parfois coupés de rires brefs et francs de deux clients. Il y a l'odeur de tabac mélangé à celui d'alcool, de parfum, de sueur et de produits de nettoyage qui s’entremêlent pour ne plus déceler la provenance d'aucun en particulier. Il y a tout ça mélangé l'un à l'autre dans cette pièce pour donner une impression de recette ratée. C'est comme si le cuisinier n'avait pas respecté le dosage des ingrédients et s'était retrouvé comme ça. Pataud devant un flanc trop cuit, à la pâte noircie et au cœur farineux.

C'est ce côté là que le Monstre aime. Ce côté résigné du barman qu'a manqué sa recette mais qui a abandonné l'idée de faire mieux. Qui s'est résigné à ses quelques clients qui le font vivre. Ici ce ne sont ni des brigands, ni des gens bien. Ici ce sont les gens grisés par la vie. Ce sont ceux qui viennent ni pour la décoration, ni pour l'embourgeoisement. Ici ce sont des hommes et des femmes qui viennent dans un café pour prendre un café.

Il y a le barman qu'a laissé femme et enfants sur une autre mer. Qui a volé les économies d'une vie de famille pour venir chercher son rêve ailleurs : celui d'avoir son bar. Et quand cet homme se couchera seul dans son lit trop grand, dans ses draps trop froids, cet homme pensera alors aux trois vies qu'il a abandonné en se demandant si son choix était le bon.

Il y a le vieux fonctionnaire à la barbe grisée. C'est l'homme résigné, qui n'attend que la retraite. C'est celui qui vient chercher un peu de tranquillité en lisant son journal chaque matin avec son café noir avant de partir travailler. Il signera durant sept heures des documents qu'il ne cherchera même plus à comprendre.

Il y a le trentenaire avec son bouc coupé au millimètre. Marié, trois enfants, il aurait une vie parfaitement rangée s'il ne se sentait pas obligé de trouver réconfort dans le corps d'autres femmes que la sienne. Mais quand il rentrera chez lui le soir, quand il retrouvera la jolie trentenaire avec son magnifique sourire, il lui fera l'amour comme si c'était la seule, comme s'il n'y avait qu'elle.

Il y a la jeune prostituée. Celle qu'a laissé ses rêves de danseuse peu longtemps après être arrivée ici. Celle qui a abandonné de vivre décemment pour se contenter de vivre. Seulement. Celle qui ne voit plus le mal à ouvrir les cuisses à des hommes perdus qu'elle ne connait pas. La plupart ne ferait pas de mal à une mouche. La plupart ne sont que des habitués qu'ils lui payent même le café, comme celui de ce matin.

Il y a ceux là, et puis y a d'autres, et puis il y a le Monstre. Il y a le Monstre qui se trouve assis sur une chaise à boire un café en fâce d'un homme qu'il aurait aimé oublier. Il raconte la vie de cette ville, il raconte tout, il ne raconte rien. Il discute de choses qui n'ont pas d'importance. On pourrait croire à deux vieux amis qui se racontent des histoires juste pour le plaisir de se voir avant de partir à leurs journées solitaires où les collègues se croiseront tout le long du jour comme des fantômes que l'on rencontre sans voir.

Et plus le Monstre regarde ce vieux Tahar perdu dans son costume de marine, et plus le Monstre l'apprécie. Oui, le Monstre croit aimer ce vieux marine usé par les années avant d'être devenu vieux. Il aime bien cet homme parce qu'au fond il lui ressemble. Ils semblent tous les deux aussi cons dans leurs frusques. Dans le costume militaire pour l'un, dans le costume tout court pour l'autre.

Oh il l'aime bien, oui, mais le doute subsiste. Parce que même si ce ne sont que deux âmes perdues, ce sont deux âmes perdues dans des chemin qui se rencontrent, deux âmes perdues dans des uniformes qu'ils tentent tant bien que mal de respecter.

-Hmm. Alors, que fait-on, maintenant ?

C'est une phrase qui arrive au milieu d'une discussion sur le port de Logue Town après celle sur les bonnes adresses de la ville. C'est une phrase qui fait tache, comme un furoncle que l'on explose en pleine conversation. Comme s'il fallait qu'il sorte, là, maintenant. Tout de suite.
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Ce qu’on fait maintenant ?

On trinque, Ishii Môsh. On trinque au miracle de ta liberté.

Le bras lourd de Tahar s’élève alors que son verbe s’éteint, et le voilà qui salue le monstre, le vide de l’estaminet, puis des abstractions trop floues pour un simple militaire comme lui. Mais l’est-il seulement, simple ? Comme dans les yeux trop petits d’Ishii en face de lui, comme lors de cette première rencontre pas si loin d’ici dans un café où il pleuvait déjà des tristesses quotidiennes, l’humeur est vitreuse. Des carreaux de non-dits qui filtrent et déforment les réalités de chacun pour conclure à un grand compromis accepté par tous, ou à peu près. Ishii est le méchant. Les marins drapés dans leurs dignités rutilantes sont les gentils.

Et entre deux il ne peut en tout logique y avoir que des victimes innocentes. Le dialogue d’humain à... presque humain n’est pas acceptable, il n’est pas pensable même. La réaction de Jakku quelques jours plus tôt illustre à la perfection cet état de fait.

Alors que font-ils là, comment se sont-ils retrouvés ici ?

Qu’importe. Une multitude de détails empilés les uns derrière les autres.

Et que peuvent-ils faire, que pourraient-ils faire ?

Qu’importe. Pas grand-chose.

On ne se reverra pas. Les mers du sud me rappellent à elles pour des affaires qui m’y retiendront.

D’autres méchants décrétés tels, à poursuivre, attraper, faire parler, démanteler, éradiquer. Des monstres aux allures d’humains, comme l’homme-poisson ci-présent. Des hommes aux allures de monstres ? Les messages codés laissés pour lui au quartier-général de Jakku par ses supérieurs de South Blue étaient sans appel : nouvelles précieuses dans la lutte contre la révolution, secrets percés sur la localisation de leur quartier général, permission terminée, retour à bon port par le premier navire en partance de Logue Town.

- Et Super-Trempe, messieurs ?
- La voilà promue, commandant, et mutée. Votre nouveau lieutenant vous accueillera.

Un verre se vide et un autre se remplit qui se vide bientôt, s’est vidé.

- Tu avais demandé une nouvelle affectation, lieutenant ?
- Mon père, commandant. Je viens de l’apprendre.
- Sage homme, hein.

Oui, buvons, Ishii Môsh. À tes rêves de monstre libre...

Et aux miens de monstre alourdi par ses protocoles, ses procédures et ses chaînes de commandement, ajouterait-il s’il savait tout. La suite et l’encore après. Aux nôtres d’enfants perdus au pays des rêves d’autres hommes tous un peu monstrueux.


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C'est que le thé, c'est bon. A la première gorgée, lorsque l'on s'est osé à tremper une petite cuillère de miel à l’intérieur de notre tasse, le thé va venir caresser les lèvres pour leur laisser un magnifique goût sucré, tiède, moelleux. Et puis le liquide va venir réchauffer la gorge en leur apportant ce délicieux goût fruité. Il va ensuite descendre se perdre dans les trachées. On y sentira le liquide venir réchauffe les cordes vocales, la trachée, et sa course finira par venir caresser le cœur pour pouponner le buveur de délicieuses joues rosées.

Oh non les joues du Monstre ne se coloreront pas d'un rose mignon. Peut être même qu'après d’innombrables tasses, les thés qu'il boit ne sont plus que de pauvres souvenirs d'un temps où il ne connaissait pas si bien ce plaisir.

Mais le Monstre sourit tout de même. Il sourit d'un sourire d'enfant fier de son tour. Il sourit d'un sourire simple que l'on ferait à un ami. Les deux hommes ne le seront jamais. Les deux hommes sont d'un monde trop différents mais ce tour que le Monstre s'est gardé, ce tour là est bien celui que l'on fait à une personne en qui l'on aurait confiance. En qui l'on croirait.

Car dans cette pièce, au milieu de tous ces hommes et femmes perdus dans un Monde qu'ils ont abandonné de comprendre, au milieu de tous ces objets disposés en tous sens sans que l'on y voit une seule once de cohérence, au milieu de tout ça il y a une femme.

Une femme, assise, peu loi, des deux hommes. C'est une femme mûrie par la vie. C'est une femme cernée par les années avant que d'avoir été vieille. C'est une femme qui fut un temps faisait chavirer les cœurs et les corps avec ses sourires, avec sa poitrine alléchante et ses formes avantageuses. C'est une femme qui n'est plus que l'ombre d'un passé qu'elle n'aurait pas voulu quitter. Mais le temps fait ses ravages que seul le temps peut faire oublier.

La femme se lève, pataudement. Elle manque de faire tomber sa tasse pas même entamée. Elle s'avance d'un pas lent vers les deux hommes. Elle porte une tenue toute simple. Une longue robe bleu dont les belles années ont passé, comme si elle avait eu conscience que cette robe là n'était que le reflet d'elle même. Elle s'arrêtte à quelques pas des deux hommes. Il y a ses mains qui tremblent, les poings serrés jusqu'à manquer de se faire saigner à cause d'ongles trop longs.

-Hmm. Tahar, je te présente une amie.

Le Tahar se retourne vers la dame, comme si un soldat comme lui n'avait pas pu la remarquer avant. Il lui jette un regard presque sans intérêt avant de se retourner vers le Monstre.

-Hmm. J'aimerais que tu la prennes dans tes bagages.

Ce n'était peut être pas une question, une demande ou un supplice, ce n'était peut être juste qu'un fait qu'il lance. Comme ça. C'était peut être qu'une phrase qui ne demandait pas de réponses. Ce n'était peut être qu'un Adieu comme le Monstre ne sait pas les faire. Tahar lève les yeux vers le cachalot se levant. Il le voit prendre lentement son veston et l'installer sur ses deux épaules avant de s'en aller sans un mot.

-Adieu, Tahar.

-Tu me dois trois vies, le Monstre.
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-Hmm.

Celui, surprenant de désinvolture et presque chantonné, du monstre quittant l’établissement.

Merci pour le rapport, commandant.

Ceux, froids et fermes, d’un Jakku plein d’une morgue à l’amitié morte.

Merci, commandant !

Ceux, débarqués à la première escale au sud, de Lady au prénom à jamais inconnu.

Merci pour tout, commandant !

Ceux, déjà plus empreints de la même fraîcheur que lorsqu’elle était encore sous ses ordres, de Super Trempe.

Saint-Uréa, où elle retrouvera sa famille avant le début de sa nouvelle affectation, est depuis longtemps invisible depuis la poupe du navire où se tient Tahar Tahgel, commandant de la Marine de South Blue. Pourtant, c’est derrière plutôt que devant qu’il regarde. Comme un homme contemple ses jeunes années à son arrivée sur le pas de la porte qui lui ouvrira une autre période de sa vie, une période sombre.

Les amarres jetées à terre dans le recoin gauche de son champ de vision le sortent de son immobilité. Son destin le mène à terre, l’arrête devant un type sans âge qui n’a jamais dû ouvrir de porte. L’homme salue, s’agite, se répand en servilités. Une tache de naissance lui balafre le front à l’endroit où sa fin est écrite.

- Lieutenant Hari Poteur, commandant ! À vos ordres !

La transition d’avec Super Trempe est rude. Tristesse.

Mes premiers ordres seront simples lieutenant Poteur. Prends mes valises et tais-toi.
- Vos valises, commandant ? Mais je, euh... n’en... vois... auc...
Merci lieutenant.

Le pays des rêves où les monstres se croisent et se décroisent, certains laids de la beauté des autres et les autres beaux de la laideur de certains, s’évapore dans son sillage. Et sous les pas de Tahar Tahgel, commandant de la Marine, le sol de South Blue tremble, car il sait qu’approche le sang nourricier, celui dont ses sillons seront abreuvés bientôt.


Un Monstre au pays des rêves. 661875SignTahar
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