Edge Town – 1624, un soir trop arrosé pour certains.
Le quartier des pauvres. Le quartier des oubliés. Mais pas autant ignorés que les pauvres âmes du Grey T. Ils ont peu de moyens certes, mais ils en ont.
C'est aussi le quartier de ceux qui essaient d'oublier. Alors, ils boivent, ils vident leurs verres pour noyer les mauvais jours. Ils ne sont pas tous tristes. Ils ne tentent pas tous d'oublier. Cependant, c'est pas facile de vivre ici. Les soirs sont bien animés pourtant. Parfois joyeux, parfois houleux, parfois effrayants et d'autres fois (plus rares), le silence règne en roi pour peu de temps.
C'est la nuit, cette voûte noire, cette heure à laquelle tous les chats sont gris. Y'a ceux qui boivent dans un bar. Puis, y'a ceux qui boivent dans une ruelle sombre, pas trop fréquentée, et où on peut s'oublier soi-même aussi. C'est le cas de cette adolescente, au style qui plaît pas à tout le monde. De longs cheveux à la couleur blanche, des piercings, des tatouages... On peut se demander si elle a touché à tout. Possible. Mais le physique ne reflète pas toute la personne. Le caractère et l'histoire de la personne, ça rentre aussi en compte quand on pose une simple question "Qui es-tu ?". C'est autre chose, qui modifie toute la vision que l'on peut avoir d'un inconnu. L'habit ne fait pas le moine comme on dit.
Elle a piqué la bouteille discrètement, parce qu'on ne sert pas d'alcool aux mineurs. Et devant elle, un fantôme l'observe sans se cacher. Ouais, un ectoplasme à l'allure pâle et vacillante. Un peu trop blanche pour être vivante. Un peu trop enfant et adulte en même temps pour qu'on ne l'ignore pas. Dans son kimono de petite fille, elle fixe l'adolescente qui a l'esprit trop embrumé. Elle plante ses grands yeux bruns dans les siens. Elle les plante bien profondément pour que l'autre la remarque enfin. La pâle silhouette espère ne pas faire peur. Elle se montre à ceux qu'elle veut aider, comme sa sœur, et puis cette jeune fille qui est au fond du trou, d'un gouffre noir. Un puits sans fin, où la boue est si glissante, qu'on ne peut s'en dépêtrer.
- « Ça fait un moment que je te cherche. T'es pas facile à trouver, tu sais ? »
Nan, pas du tout facile à dénicher, petite peste ! Et Misuzune n'a pas arrêté. Depuis que Honaka s'est retrouvé à l'hôpital sur cette île de West Blue. Foutus scorpions. Elle la suit depuis toujours, ne s'étant manifestée qu'une fois. C'est pas beaucoup, mais la discrétion est de rigueur.
La pauvre gamine morte depuis longtemps s'est souvenu. De ces histoires de familles. Les enfants du frère de sa mère. Enfin, ses cousins. Y'a de la famille qu'elle ne connaît pas sur cette terre. Alors, par curiosité, elle a parcouru les Blues pour retrouver ces gens. Elle s'est dit, dans sa naïveté enfantive, qu'ils aideront sa grande sœur, rongée par l'alcool, son histoire, son passé, ses craintes, ses regrets et ses démons. Et elle a entendu parler de cette cousine déchirée par un départ. De ce proche parti pour oublier. Est-ce que c'était héréditaire de boire comme ça pour enfouir de mauvais souvenirs ? Possible. Le fantôme ne savait pas trop. Jamais elle n'avait pu goûter à ce breuvage enivrant de son vivant.
Elle sourit à nouveau, essayant de faire prendre confiance à son interlocutrice. La pauvre enfant sait bien qu'on prend peur avec toutes ces rumeurs qui courrent sur les esprits restant sur terre :
- « Je n'ai pas de nom. Et puis, quelle importance ? Moi, je veux te parler de ta tante. Et de toute la famille qu'il y a avec elle. Il y a quelqu'un qui a besoin de ton aide ! »
Elle n'imagine même pas. Y'a une pauvre femme, tordue par la douleur d'un poison fulgurant, tourmentée par ses démons, perdue dans ces vapeurs d'alcool qui t'emportent la tête, comme un marteau qui envoit si loin le son du gong. Elle pourra y faire quelque chose, hein ? Elle pourra la soutenir ? L'ectoplasme peut pas faire grand-chose dans son état. Elle aimerait bien pourtant. Mais avec aussi peu de consistance, c'est pas bien facile. Et pourtant. Elle partage les douleurs, les joies d'Honaka. Elle tente aussi de la rassurer quand les tares qui rongent son âme lui font peur. Mais aujourd'hui elle n'y arrive plus. C'est un vivant qui doit prendre la suite. C'est un vivant qui doit la remplacer. Elle sait bien qu'elle est unique et que sa disparition n'en a été que plus terrible. Ce n'est pas vraiment un échange. C'est un passage de flambeau. Et la pâle silhouette espère qu'une main forte le prendra. Elle est là, cette petite flamme. Il suffit de tendre la main, et surtout, de faire attention à ce que le vent ne l'éteigne pas.
Faut que quelqu'un prenne le relais, cousine. C'est ce que Misuzune lui demande.
Dernière édition par Honaka Suzuke le Dim 3 Nov 2013 - 10:24, édité 1 fois