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Y'a quelqu'un qui a besoin de toi, et toi, t'as besoin de lui

Edge Town – 1624, un soir trop arrosé pour certains.

Le quartier des pauvres. Le quartier des oubliés. Mais pas autant ignorés que les pauvres âmes du Grey T. Ils ont peu de moyens certes, mais ils en ont.

C'est aussi le quartier de ceux qui essaient d'oublier. Alors, ils boivent, ils vident leurs verres pour noyer les mauvais jours. Ils ne sont pas tous tristes. Ils ne tentent pas tous d'oublier. Cependant, c'est pas facile de vivre ici. Les soirs sont bien animés pourtant. Parfois joyeux, parfois houleux, parfois effrayants et d'autres fois (plus rares), le silence règne en roi pour peu de temps.

C'est la nuit, cette voûte noire, cette heure à laquelle tous les chats sont gris. Y'a ceux qui boivent dans un bar. Puis, y'a ceux qui boivent dans une ruelle sombre, pas trop fréquentée, et où on peut s'oublier soi-même aussi. C'est le cas de cette adolescente, au style qui plaît pas à tout le monde. De longs cheveux à la couleur blanche, des piercings, des tatouages... On peut se demander si elle a touché à tout. Possible. Mais le physique ne reflète pas toute la personne. Le caractère et l'histoire de la personne, ça rentre aussi en compte quand on pose une simple question "Qui es-tu ?". C'est autre chose, qui modifie toute la vision que l'on peut avoir d'un inconnu. L'habit ne fait pas le moine comme on dit.

Elle a piqué la bouteille discrètement, parce qu'on ne sert pas d'alcool aux mineurs. Et devant elle, un fantôme l'observe sans se cacher. Ouais, un ectoplasme à l'allure pâle et vacillante. Un peu trop blanche pour être vivante. Un peu trop enfant et adulte en même temps pour qu'on ne l'ignore pas. Dans son kimono de petite fille, elle fixe l'adolescente qui a l'esprit trop embrumé. Elle plante ses grands yeux bruns dans les siens. Elle les plante bien profondément pour que l'autre la remarque enfin. La pâle silhouette espère ne pas faire peur. Elle se montre à ceux qu'elle veut aider, comme sa sœur, et puis cette jeune fille qui est au fond du trou, d'un gouffre noir. Un puits sans fin, où la boue est si glissante, qu'on ne peut s'en dépêtrer.

    « Ça fait un moment que je te cherche. T'es pas facile à trouver, tu sais ? »


Nan, pas du tout facile à dénicher, petite peste ! Et Misuzune n'a pas arrêté. Depuis que Honaka s'est retrouvé à l'hôpital sur cette île de West Blue. Foutus scorpions. Elle la suit depuis toujours, ne s'étant manifestée qu'une fois. C'est pas beaucoup, mais la discrétion est de rigueur.

La pauvre gamine morte depuis longtemps s'est souvenu. De ces histoires de familles. Les enfants du frère de sa mère. Enfin, ses cousins. Y'a de la famille qu'elle ne connaît pas sur cette terre. Alors, par curiosité, elle a parcouru les Blues pour retrouver ces gens. Elle s'est dit, dans sa naïveté enfantive, qu'ils aideront sa grande sœur, rongée par l'alcool, son histoire, son passé, ses craintes, ses regrets et ses démons. Et elle a entendu parler de cette cousine déchirée par un départ. De ce proche parti pour oublier. Est-ce que c'était héréditaire de boire comme ça pour enfouir de mauvais souvenirs ? Possible. Le fantôme ne savait pas trop. Jamais elle n'avait pu goûter à ce breuvage enivrant de son vivant.

Elle sourit à nouveau, essayant de faire prendre confiance à son interlocutrice. La pauvre enfant sait bien qu'on prend peur avec toutes ces rumeurs qui courrent sur les esprits restant sur terre :

    « Je n'ai pas de nom. Et puis, quelle importance ? Moi, je veux te parler de ta tante. Et de toute la famille qu'il y a avec elle. Il y a quelqu'un qui a besoin de ton aide ! »


Elle n'imagine même pas. Y'a une pauvre femme, tordue par la douleur d'un poison fulgurant, tourmentée par ses démons, perdue dans ces vapeurs d'alcool qui t'emportent la tête, comme un marteau qui envoit si loin le son du gong. Elle pourra y faire quelque chose, hein ? Elle pourra la soutenir ? L'ectoplasme peut pas faire grand-chose dans son état. Elle aimerait bien pourtant. Mais avec aussi peu de consistance, c'est pas bien facile. Et pourtant. Elle partage les douleurs, les joies d'Honaka. Elle tente aussi de la rassurer quand les tares qui rongent son âme lui font peur. Mais aujourd'hui elle n'y arrive plus. C'est un vivant qui doit prendre la suite. C'est un vivant qui doit la remplacer. Elle sait bien qu'elle est unique et que sa disparition n'en a été que plus terrible. Ce n'est pas vraiment un échange. C'est un passage de flambeau. Et la pâle silhouette espère qu'une main forte le prendra. Elle est là, cette petite flamme. Il suffit de tendre la main, et surtout, de faire attention à ce que le vent ne l'éteigne pas.

Faut que quelqu'un prenne le relais, cousine. C'est ce que Misuzune lui demande.


Dernière édition par Honaka Suzuke le Dim 3 Nov 2013 - 10:24, édité 1 fois
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Quatorze ans. Elle avait quatorze ans la gamine. D’accord, elle en paraissait seize. Gosse un peu perdue, le monde sous les paupières. Il lui aurait suffit de fermer les yeux, d’oublier un instant ces démons qui la rongeaient, ces souvenirs qui la hantaient pour voir ce dont il retournait. Pour voir le mal qui la possédait, et pouvoir le dompter. Mais l’enfant avait peur du noir comme elle avait peur d’elle-même, alors elle gardait toujours une lumière allumée, repoussant ainsi ces êtres des ténèbres.

Sûrement que les passants devaient la prendre pour une catin. A moins bien sur qu’ils ne soient ivres morts, ce qui n’était pas rare ici. Ici, dans ce quartier d’Edge Town où se retrouvaient ceux que la société mettait de côté, ceux dont personne ne voulait plus, ceux qu’on avait laissés tomber, sans regard en arrière. Ceux-là la prendraient, voyant son minois d’ange, pour une apparition ou dieu sait quel enchantement. Alors ils voudraient s’attirer quelques grâces divines. Foutaises. On ne touchait pas à Mademoiselle, surtout quand on était un pouilleux parmi les pouilleux. Surtout quand on sentait la sueur, l’alcool et la misère. Surtout quand on avait le visage scarifié, les vêtements rapiécés.

Pour paraître plus quelconque, elle avait abandonné toilettes, coiffes et parures, ridicules ornements de la haute bourgeoisie. Simplement vêtue d’un chemisier de dentelle et d’une veste d’homme bien trop large pour elle, elle était là, parmi ceux qu’elle méprisait. Ses cheveux aux boucles à l’anglaise lui tombaient en cascade jusqu’au bas du dos. Comme eux, elle noyait son âme dans les brumes alcoolisées qui flottaient derrière les tavernes et les bars aux environs de minuit. Les pupilles cyan de ses yeux fatiguées étaient dilatées sous l’effet de la boisson. Dans un mouvement mécanique, elle portait le goulot de la bouteille à ses lèvres, rosies par la fraîcheur de la soirée. Elle aurait eu l’air d’une poupée de porcelaine si sa figure n’était imprégnée d’une expression mauvaise.

Elle empestait le whisky bon marché. Égarée dans sa solitude, elle hoquetait en riant, les joues rouges et la morve au nez.

« Monde d’abrutis. Monde d’ingrats. Je laisse le monde aux cons, puisqu’ils en veulent les commandes. Mais vous inquiétez pas, je reviendrais. »

Face à elle, flottant dans sa robe de spectre, un esprit d’enfant, une âme tourmentée. Même les morts, d’où ils étaient, revenaient se désoler devant l’affreux spectacle qu’offrait la ville ce jour-ci.

« Ça fait un moment que je te cherche. T'es pas facile à trouver, tu sais ?
- On me trouve aux endroits où on s’y attend le moins. Loin de là où ils voudraient que je sois, tu vois le délire ? »

Elle parlait au fantôme, la gamine, elle n’avait pas peur. Il était pourtant rare que l’on l’entende. C’était une voix froide et fatiguée, qui semblait annoncer le malheur. L’ouragan, la famine, les foudres divines. Elle parlait, parce qu’elle se sentait davantage d’affinités avec les morts qu’avec les vivants. Qu’elle était un peu entre les deux. Sinistre funambule.

« Je n'ai pas de nom. Et puis, quelle importance ? Moi, je veux te parler de ta tante. Et de toute la famille qu'il y a avec elle. Il y a quelqu'un qui a besoin de ton aide ! »

Elle se leva, titubante. La bouteille se brisa. Les éclats de verre vinrent lui entailler les chevilles, et la liqueur lui brûla les plaies. Elle l’ignora.

Du bout du doigt, elle désigna la taverne, puis le trottoir opposé, le local à poubelles, le ciel nuageux et bien d’autres choses encore. La douleur la sortant de sa léthargie, elle reprit la parole, de façon plus soutenue.

« Tu vois, c’est un peu tout ça ma famille. Mais certainement pas cette bande d’abrutis. Je ne les aime pas, et ils me le rendent bien. Quelqu’un a besoin de mon aide ? Ici, c’est chacun pour soi. La loi du plus fort. Et j’me laisserais pas bouffer. »
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Pauvre fleur qui vacille. Le vent te balance, veut t'emmener loin de là. C'est une main puissante qui veut te mettre la tête sous l'eau, pour observer ta noyade incessante. Tu paniques, tu cherches de l'air. Honaka, elle cherche toujours. Qu'est-ce qu'elle veut trouver ? La paix. Y'a que toi qui peut la donner. Y'a que toi qui peut apaiser son corps meurtri, son âme convulsée par la douleur.

Le fantôme, il voit bien que t'es pas dans ton état normal. Le fantôme, il n'est pas stupide. Le fantôme, il a déjà vu sa soeur dans ce triste état. T'imagines pas à quel point c'est terrible de voir un proche ravagé par une sorte de folie dévastatrice.

    « Pourquoi tu te fais tant de mal ? Pourquoi t'es si malheureuse ? Y'a des solutions, tu sais. Y'a des moyens, pour tout oublier, pour se souvenir, puis encore effacer ces images qui nous font peur. Mais là, pourquoi ? Oui, pourquoi tu baisses les bras ? Tu ne la vois pas cette lumière ? Oui, ce grand éclat qu'on voit au bout d'un long tunnel noir »


Pourquoi. Question de gosse, de môme qui sait pas grand-chose de la vie. Misuzune, elle est encore qu'une gamine. Elle le sera toujours, de toute façon.

Elle a peut-être trouvé la paix après sa mort, mais elle se lamente de voir les tourments des vivants. Chaque jour, un coup de couteau poignarde son cœur. Qu'ils sont malheureux, ceux qui sont encore de ce monde. Ceux qui peuvent encore goûter aux joies et à la beauté de la vie, ils ne se rendent pas compte de la chance qu'ils ont. On finit par disparaître un jour ou l'autre. On laisse toujours une trace pourtant, parce qu'on a vécu, avec nos peines et nos bonheurs. On a fait notre temps, et puis voilà. C'est ça la vie, aussi dure qu'elle soit.

Tu sais, la pâle silhouette, elle est pas prête à te laisser tomber. Nan, tu l'sais pas vraiment au fond. Mais demain, tu le sauras. Tu auras envie de vivre, d'exister, avec passion, tu voudras t'enflammer et profiter jusqu'au bout de cette chienne de vie. On ne sait pas pourquoi on est là. Pourquoi on pense. Pourquoi on respire. Pourquoi on ne serait pas plutôt un animal, ou bien un poisson. Ou même un gentil chat qui passe ses journées à dormir. Le fil de la vie, il serait bien plus facile à supporter. Mais on ne choisit pas. Tout ce que t'as à faire maintenant, c'est de vivre, de réaliser ce que certains n'ont pas eu le temps de réaliser, de rêver à ce que d'autre n'ont pas pu rêver.

    « Non, t'es pas morte. Y'a que moi qui ait le droit de prétendre à ça. T'es juste un peu perdue, un peu désespérée. T'as juste baissé les bras. Je sais que c'est difficile. Tout le monde le sait. Parce que tout le monde le vit. Pas de la même manière, bien sûr. Mais l'humanité souffre d'un même mal incurable. Ils se tordent tous sous l'effet de ce poison qui n'a pas d'antidote. Tu connais son nom. La peine de cœur. Cette blessure qu'on ne voit pas en apparence mais qui est terriblement douloureuse »


Elle n'entend plus l'adolescente. Elle sait que, comme Honaka, elle ne veut pas entendre, elle ne veut pas écouter. C'est dur la vérité. Ça fait du mal aussi. Mais c'est comma ça, on n'y peut rien. Alors, la chère cousine, faut que t'écoutes tout. Ça a un air de beau discours, mais c'est fait pour t'encourager et t'ouvrir les yeux. Tes pupilles, elle sont restées trop longtemps closes, dans ce sommeil et dans toute cette solitude qui t'entoure.

Misuzune reprend son souffle. Elle a beaucoup de choses à dire. Elle sait qu'elle n'en aura pas le temps. Le soleil prendra bientôt la place de la lune, et elle, l'ectoplasme, s'en ira trouver le repos dans sa tombe. La journée est sa nuit, comme la nuit est sa journée. Le temps défile s'écoule. Bientôt, tout le sable sera tombé au fond. Ouvre bien grand tes mirettes, l'adolescente aux longs cheveux cristallins. Tu n'as pas l'air très net, tu n'as pas l'air d'être recommandable. Par contre, t'as l'air d'être une chieuse de première, à envoyer tout (le monde) valdinguer. T'as l'air de te battre envers et contre tout, t'as l'air de te foutre royalement de ce qu'on te dit. Mais t'as besoin de quelqu'un. Et ce quelqu'un, il a aussi besoin de toi. C'est comme deux cœurs abîmés qui se complètent, qui se mélangent, qui se soutiennent. Tu n'as pas l'impression d'être plus légère ? Vous soutenez ensemble une même peine. Seulement, va falloir que tu retrouves cette cousine, qui est en proie à la douleur et à la terreur. Elle est très loin, mais elle ne peut pas bouger.

    « Moi, je connais un remède à tout ça. Il met du temps à marcher, il est difficile à trouver aussi. C'est le pardon. Pour avancer, il faut pardonner. Même si c'est dur. Même si c'est long. Même si on t'a fait les pires crasses au monde. Si tu ne veux pas rester dans ce noir omniprésent, si tu ne veux pas ressasser le passé sans en retirer quoi que ce soit de bon, il faut que tu pardonnes. Aux abrutis de ta famille. Je ne parle pas de la poubelle, hein ! Vous n'avez aucun lien de parenté. Ce n'est qu'un objet, qui a une forme, une fonction et qu'on a appelé comme ça, parce qu'il faut bien que les choses aient un nom »
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La Terre tourne, un peu. Juste un peu. Suffisamment pour laisser apercevoir ses entrailles, ses boyaux et son néant. Le diable qui l’habite et son armée de non-dits, de non-sens, de désespoirs. Sombres fantômes. Eux elle les craint. Plus que la mort, et plus que la vie surtout. Et c’est derrière les traits de Misuzune que se dissimule ce sinistre tableau.

Kyo elle a pas demandé qu’on la retrouve, qu’on la saisisse par le col et qu’on la gifle.
C’est pas elle qui pille terres et mers, qui ôte le pain de la bouche des miséreux, qui rafraichit les nuits, qui incite le jour à tarder, qui fait tomber les Grands. Non, c’est pas elle.
Kyo elle a froid, elle est saoule et fatiguée. Elle oublie qui elle est. Elle sait juste que le temps est un ami dont elle se passerait, un cortège qui ne connait qu’une seule halte, un bel enfoiré en fin de compte.

« Pourquoi tu te fais tant de mal ? Pourquoi t'es si malheureuse ? Y'a des solutions, tu sais. Y'a des moyens, pour tout oublier, pour se souvenir, puis encore effacer ces images qui nous font peur. Mais là, pourquoi ? Oui, pourquoi tu baisses les bras ? Tu ne la vois pas cette lumière ? Oui, ce grand éclat qu'on voit au bout d'un long tunnel noir. »

J’ai pas mal, je te dis. Je sais très bien que j’ai pas mal, parce que c’est un luxe que je peux pas m’offrir. J’suis pas malheureuse non plus. Tu me connais pas. Arrête de sortir des idées de nulle part, comme si c’était logique. Comme si c’était évident.

Oublier ? Me fais pas rire. C’est les faibles qui oublient. Les forts acceptent. Je t’avoue que j’suis aucun des deux. Moi je me contente de me souvenir. J’suis encore à cette époque là je crois. Ce soir ma sœur va se tirer, encore une fois. Comme toutes les nuits depuis un an. Mais j’ai encore la foi. J’me dis que peut-être, elle va se retourner et me demander de la suivre. Me dire que sans moi elle est rien. Que j’fais un peu partie d’elle. Que j’suis sa moitié, son âme, son avenir, et pas un obstacle. Qu’elle me prouve que j’suis pas juste un tas de merde. Au fond je sais qu’elle le fera pas, mais j’ai envie d’espérer putain. J’ai envie de me bourrer la gueule jusqu’à ce qu’elle vienne frapper à ma porte.

« Tu sais pourquoi ça n’arrivera pas ? Parce que c’est c’que je pense moi, pas ce qu’elle pense elle. J’veux bien attendre, j’veux bien encaisser, j’veux bien la fermer mais me demande pas de sourire et d’aller aider mon prochain. C’est des conneries tout ça. Y a pas de lumière au fond du tunnel. Tu l’sais bien, parce que t’es déjà allée voir cent fois. La lumière elle est derrière, à l’entrée. Faut s’retourner, faut tout revoir depuis le début. Et j’ai pas envie d’ça. Tu vois j’suis accrochée à la paroi, bien fermement, et je veux pas connaître l’abîme à nouveau. »

C’est effrayant le vide. C’est un peu le rien, tu vois. Faire le ménage. Mais on est tellement inoffensif quand on a plus d’idéaux, qu’on essaie de se reconstruire et qu’on espère. Je le répète encore, j’me laisserai pas bouffer.

« Non, t'es pas morte. Y'a que moi qui ait le droit de prétendre à ça. T'es juste un peu perdue, un peu désespérée. T'as juste baissé les bras. Je sais que c'est difficile. Tout le monde le sait. Parce que tout le monde le vit. Pas de la même manière, bien sûr. Mais l'humanité souffre d'un même mal incurable. Ils se tordent tous sous l'effet de ce poison qui n'a pas d'antidote. Tu connais son nom. La peine de cœur. Cette blessure qu'on ne voit pas en apparence mais qui est terriblement douloureuse. »

Je dirais pas perdue. Je sais bien où j’en suis, même si j’en ai pas l’air. J’suis étouffée c’est pas pareil. Mon passé m’asphyxie. Mes cauchemars me coupent le souffle. Mais j’aurais beau tousser cent fois, ma gorge me brûlera toujours autant. J’aurais beau passer mes nuits le froid battant ma poitrine, la fièvre m’abandonnera pas. Mon cœur s’embrase sous la pression des souvenirs. Chaque champ dans lequel je m’abandonne à moi-même est un champ de chrysanthèmes.

« On peut pas prétendre être en vie quand on marche sur les tombes, qu’à notre traîne s’accrochent les fantômes du passé, seulement parce qu’on est vêtu de chair. Je suis pas morte, mais je respire la mort. J’suis pas l’humanité moi. J’suis ses mauvais côtés, ses mauvais jours. Moi dans le sang j’ai pas une once de cette douleur dont tu parles. Quelque chose de bien pire l’a chassée : Les gènes de ma sœur. Parce que ce liquide qui nous coule dans les veines, c’est le même. Et c’est précisément ce qui me rattache à elle et qui me fait mal. »

On ne peut pas trancher des liens de sang. C’est bien là le problème.

« Moi, je connais un remède à tout ça. Il met du temps à marcher, il est difficile à trouver aussi. C'est le pardon. Pour avancer, il faut pardonner. Même si c'est dur. Même si c'est long. Même si on t'a fait les pires crasses au monde. Si tu ne veux pas rester dans ce noir omniprésent, si tu ne veux pas ressasser le passé sans en retirer quoi que ce soit de bon, il faut que tu pardonnes. Aux abrutis de ta famille. Je ne parle pas de la poubelle, hein ! Vous n'avez aucun lien de parenté. Ce n'est qu'un objet, qui a une forme, une fonction et qu'on a appelé comme ça parce qu'il faut bien que les choses aient un nom. »

Dans le fond, ça veut dire quoi pardonner ? Tirer un trait sur le passé, et partir les mains dans les poches en sifflant ? Ce serait accepter que toutes ces insomnies, toutes ces mornes matinées et toutes ces chutes n’auraient menées à rien ? Tout bonnement impossible.

« On ne peut pas pardonner à quelqu’un qui a mutilé notre âme. A quelqu’un qui nous a déchiré, écorché, estropié. Pardonner c’est quoi, deux trois mots dans le vent et puis c’est tout ? Mais cette putain d’entaille elle sera toujours là, petite. Tu devrais pourtant savoir de quoi je parle. Si de nous deux y en a une qu’a pas sa place ici, c’est bien toi. T’as quoi, dix ans ? Pourquoi t’es morte ? Est-ce que toi t’as pardonné à ceux qui t’ont tuée ? »
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Elle frémit. Un tremblement imperceptible pour la vivante, mais Misuzune l'a senti. En elle, enfin, ce qui reste d'elle plutôt, quelque chose a été bousculé. Mais elle essaie de ne rien faire paraître. Parce qu'il faut continuer à être heureux et sourire. Ils ne doivent pas savoir à quel point la mort est terrible.

Ah, s'ils savaient la chance qu'ils ont.

De sentir encore l'herbe sous leurs pieds et la chaleur du soleil sur leur visage.

De vieillir, aimer, haïr, pleurer, rire et tout le tralala.

Et ce qui révolte le frivole ectoplasme, c'est bien cette pauvre fille qui ne comprend pas.
Tu peux pardonner, bordel ! Et tu dis que c'est impossible. C'est bien parce que c'est difficile, c'est bien parce que le soulagement est grand après, c'est bien parce que peu de personnes y arrivent ; que le pardon reste un nuage illusoire. Pourtant, il est là tout près. Tu n’as qu’à parcourir ce chemin. Mais t’es trop flemmarde apparemment. Allez ! Bouge ton cul, bon sang ! Faut pas rester là. Tu ne les entends pas ? Qui ça ? Les ténèbres et la solitude. Ils arrivent au galop. Ils sont derrière toi. Et quand tu t’y attendras le moins, alors que tu seras en train de ruminer ton sort et de gémir, ils te sauteront à la gorge. Et là, tu pourras dire que tu n’as plus rien. Rien n’est pire que se trouver seul dans les ténèbres.

Si elle avait pardonné ? Non. Un mort ne peut pardonner à un vivant. Pourquoi ? La pauvre gamine, elle peut continuer sa vie ? Non. Elle a passé l’arme à gauche depuis longtemps. C’est bien parce qu’elle ne vit plus, qu’elle ne peut pas avoir la paix, ni le pardon. Il y a des choses qui ne changeront jamais.

    « Non. Je leur en veux toujours, évidemment. Puis… Pourquoi je suis morte ? T’as vraiment envie de le savoir ? Dans le fond, ça n’est pas très intéressant »


Le silence revient peu à peu, seulement coupé par le miaulement d’un chat quelques rues plus loin. Qu’est-ce qu’on peut dire de plus ? Bien sûr, elle en veut toujours à sa famille. Et qu’est-ce qu’elle peut faire aujourd’hui ? Aller leur faire du mal ? Les hanter ? Stupides histoires qu’on raconte aux gosses le soir. Pas de consistance. Juste la possibilité de se manifester. Le méchant fantôme, d’où il vient alors ? Bof. On ne sait pas. On s’est dit que c’était un bon bobard pour réussir à coucher nos enfants capricieux. Comme le grand méchant loup caché sous ton lit.

    « C’est pas facile de pardonner. C’est long, je l’ai dit. Et y’a que les vivants qui en sont capables. Moi, je suis partie sur un autre chemin. Et là où je vais, ça ne va pas me servir à grand-chose, puisque je suis déjà en paix. Cela t’aiderait beaucoup, tu sais ? Bien sûr que la plaie ne cicatrise pas. C’est pour ça que les peines de coeur sont si difficiles à soigner. Malgré tout nos efforts, ça fait toujours mal ici »


La pâle silhouette a effleuré la poitrine de son interlocutrice en pointant le coeur. Elle sait qu’elle a les mains froides. Mais tant pis. Oui, tant pis. Il faut que tu comprennes, la cousine. Misuzune, elle a choisi de rester pour aider une pauvre alcoolique continuellement en dépression. Elle pourrait partir, tout laisser en plan. Mais on n’abandonne pas la famille. Même si elle a causé des torts, même si elle a fait du mal.

L’enfant baisse les yeux et la tête tristement, ramène ses mains contre elle. Elle veut partir. Elle veut aller là-bas. Vers cette lumière qui lui tend les bras. Mais elle doit tirer derrière elle, sa sœur, un boulet qui pèse lourd certes, mais un boulet qu’on aime. Et Misuzune tremble, parce qu’elle a ses propres peurs. Des peurs d’enfant dont on ne se débarrasse pas si facilement.

    « J’ai mal moi aussi. J’aimerais bien partir… Mais je ne peux pas. Je dois respecter une dernière volonté. C’est pour ça que je suis venue te trouver. Je pensais… Je pensais que tu pouvais le faire. Mais le pessimisme est héréditaire on dirait. Pourquoi êtes-vous si tristes, vous qui pouvez encore profiter de la vie ? Si tu savais ce que je donnerais pour pouvoir respirer ne serait-ce quelques secondes de plus… Mais c’est fini… »


L’ectoplasme serre les poings, secoue violemment la tête négativement et grommelle avec rage :

    « Vous êtes tous des égoïstes ! Honaka, papa et toi ! Et puis le boulanger qui en a marre de se lever tôt pour faire son pain. Qu’est-ce qu’il faut que je dise, qu’est-ce qu’il faut que je fasse pour que tu vois enfin ? Tu vis ! C’est pas incroyable ça ? C’est pas génial ? Comment ça, c’est totalement pourri ? Qu’est-ce qui vous fait peur ? L’avenir ? Ah oui, l’avenir. Ce grand vide qu’on ne connaît pas. Cet inconnu qu’on aimerait éviter. Pour le connaître, faut vivre justement ! »


Ah, qu'elle est ignorante, l'humanité !

Cette chienne de vie, cette sournoise qui ne te fait pas de cadeau et qui t’envoie rouler à terre régulièrement avec plaisir, tu l’as encore toi ! Alors, ne te plains plus, s’il te plaît. Oui, vous serez tranquilles. Personne ne viendra vous embêter. Vous serez plus fortes que le roc qui se dresse vaillamment devant les vagues qui l'assiègent, plus fortes encore que les peupliers qui ploient et grimacent devant la force du mistral.

Promis, Misuzune, elle écrira le début de l’histoire. Le début de votre histoire.
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J’en ai marre. Moi je veux m’asseoir sur le rebord du monde et rester là-bas une éternité. Je veux les voir s’abîmer, s’entretuer alors que la Terre continuera sa course. Je veux que les soldats de plomb sortent de leurs tranchées, et en finissent avec leur boucherie. Puisqu’ils s’acharnent à les obtenir, qu’on leur donne les maux qu’ils ont enfantés et qu’ils entretiennent. Mais qu’ils me laissent à côté de tout ça.

Elle a de la chance la petite. Elle a quitté les rouages du mécanisme dans lequel s’animent les vivants. Jamais elle ne deviendra aigre, acide. Vieille. Elle est dans les coulisses. Elle observe la scène du coin de l’œil, attendant patiemment que les acteurs, usés, se retirent après une dernière révérence.  Moi je tiens la ficelle des rideaux de soie bordeaux. Je n’ai qu’à la tirer et ce sera la fin de la pièce. Au revoir, messieurs les spectateurs. La comédie est finie. Non, inutile de revenir demain. Le monde en a assez. Il est fini le monde. Sache, gamine, que si ce n’est pas moi qui m’en charge, la tache incombera à un autre.  

Misuzune, elle, a gardé l’innocence. Elle est partie avant que la vie n’ait une saveur amère. Un parfum, celui de la nuit qui étreint les rues, celui de l’alcool et du tabac, celui du goudron, du pavé, de la poussière, de la sueur, celui d’une chanson qui nous fait pleurer, du reflet dans les yeux de ceux qui refoulent un sanglot, d’une main qui, par fierté, ne sera jamais tendue, des migraines, des envies de tout envoyer en l’air, des coups que l’on reçoit, de ceux que l’on donne, des injures et de la rage.

Elle l’aurait forcément connue, c’est dans nos gènes. Je l’ai apprivoisée, elle fait partie de moi. C’est ma confidente, enfouie au plus profond de mon être. La douleur. Sans elle je serais différente. Je pourrais déceler les barreaux de cette prison de chair. Uns à uns. Ce serait long, et difficile. Je pourrais le faire pour elle. Mais sait-elle ce que c’est que cette peur qui me noue le ventre ? Sans ma douleur, que deviendrais-je ? Il ne me reste qu’elle. C’est mon prétexte, c’est ma raison. Sans elle, je n’aurais plus rien. Plus de prétexte pour boire, fumer, me détruire. Plus de prétexte pour continuer à mutiler mon corps. Je tourne en rond. Je me fais mal parce que j’ai mal. Si je choisis de la laisser sur le bord de la route, et de continuer mon chemin, que deviendrais-je ? Est-ce qu’elle le sait, cette gosse sortie de nulle part ?


« Non. Je leur en veux toujours, évidemment. Puis… Pourquoi je suis morte ? T’as vraiment envie de le savoir ? Dans le fond, ça n’est pas très intéressant.

- En quoi ta mort serait-elle moins intéressante que ma vie ? On a beau ne pas patauger dans le même bourbier, on tourne toutes les deux en rond. Nous voilà déjà un point commun. Je devine que si tu fais appel à moi, c’est que tu n’as pas d’autre option. Oui, j’aimerais savoir pourquoi tu t’obstines à me hanter. Pourquoi tu t’es fourré dans la tête de venir ici me rafler à mon quotidien. Pourquoi tu ne parviens pas à trouver le repos, petite. »

« C’est pas facile de pardonner. C’est long, je l’ai dit. Et y’a que les vivants qui en sont capables. Moi, je suis partie sur un autre chemin. Et là où je vais, ça ne va pas me servir à grand-chose, puisque je suis déjà en paix. Cela t’aiderait beaucoup, tu sais ? Bien sûr que la plaie ne cicatrise pas. C’est pour ça que les peines de cœur sont si difficiles à soigner. Malgré tout nos efforts, ça fait toujours mal ici. »

Qu’elle ne me touche pas. Je ne veux pas de ce néant qui se cache derrière son reflet. De cette aura glaciale qui l’enserre. Ce ne peut être la sienne. Ce ne peut être celle d’une simple enfant. Ce fardeau qu’elle transporte, cette absence, qui fait sentir à quel point notre peau est froide, à quel point nous sommes démunis, traînant derrière nous notre âme faible et nue…C’est mon ressenti, c’est moi tout simplement. Comment se fait-il qu’elle dégage quelque chose d’aussi fort ?

« Comment peux-tu dire être en paix si tu gardes encore quelques rancunes ? Au nom de quelle loi, de quelles valeurs te permets-tu de dire que cela m’aiderait si tu es incapable de l’appliquer à toi-même ? A quoi bon si la plaie ne cicatrise pas ? Si je me vide de mon sang et que l’on stoppe l’hémorragie, ce n’est que retarder mon supplice. A quoi bon continuer si je sais qu’au moindre choc la blessure peut se rouvrir ? Si je sais qu’aucune des thérapies que tu me proposeras n’est destinée à aboutir ? »

« J’ai mal moi aussi. J’aimerais bien partir… Mais je ne peux pas. Je dois respecter une dernière volonté. C’est pour ça que je suis venue te trouver. Je pensais… Je pensais que tu pouvais le faire. Mais le pessimisme est héréditaire on dirait. Pourquoi êtes-vous si tristes, vous qui pouvez encore profiter de la vie ? Si tu savais ce que je donnerais pour pouvoir respirer ne serait-ce quelques secondes de plus… Mais c’est fini…

- C’est pas pareil tu sais. Bien sûr, tu retrouveras jamais cette vie et ces rêves que t’as laissés derrière toi. Mais l’air que l’on respire est pollué. Plein de merdes qu’on sent pas quand on est gosse. De nouvelles senteurs qui nous asphyxient, qu’on découvre en grandissant.

- Vous êtes tous des égoïstes ! Honaka, papa et toi ! Et puis le boulanger qui en a marre de se lever tôt pour faire son pain. Qu’est-ce qu’il faut que je dise, qu’est-ce qu’il faut que je fasse pour que tu vois enfin ? Tu vis ! C’est pas incroyable ça ? C’est pas génial ? Comment ça, c’est totalement pourri ? Qu’est-ce qui vous fait peur ? L’avenir ? Ah oui, l’avenir. Ce grand vide qu’on ne connaît pas. Cet inconnu qu’on aimerait éviter. Pour le connaître, faut vivre justement !

- Mais putain, c’est quoi vivre ? Explique-moi une bonne foi pour toutes ce qui nous différencie. Parce qu’au fond la vie c’est rien. C’est une connerie, une épreuve, appelle la comme tu veux. T’es comme moi. Tu t’attaches à ce que t’as perdu. »
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Vivre. C'est quoi vivre ? C'est comme quand on se demande pourquoi le ciel est bleu. Et pourquoi les oiseaux volent dans ce ciel bleu hein ? Et pourquoi ils ont des plumes ces oiseaux ?

C'est comme ça, on n'y peut rien.

    « Vivre. Tu ne  le sais pas alors que es vivante ? »


Et Misuzune a éclaté de rire. Non, elle se fout pas de ta gueule. Faut pas le prendre mal. Qu'est-ce qui est si drôle ? C'est un fantôme qui va t'apprendre ce que c'est la vie ! Pas un peu absurde ? Hm. Si, un peu quand même. C'est ce qui fait rire la pauvre gamine. C'est une question enfantine qui apaise sa colère.
L'enfant fixe avec un petit sourire triste l'adolescente.

    « C'est accepter le fait qu'on soit là, sans savoir pourquoi. Accepter le fait que les jours ne sont pas toujours ensoleillés, que l'existence n'est pas toujours facile »


Y'a pas à chercher pourquoi on est là. T'aurais préféré être morte ? Elle pourrait te retourner la question. Si toi, tu ne sais pas ce que ce que c'est la vie, alors, la mort, qu'est-ce c'est ?

T'as pas les idées claires. Tu le sais aussi bien que le fantôme. Tu t'es perdue en perdant quelque chose. Ou quelqu'un. Tu t'y attaches, à ces fantômes du passé. Tu forges tes propres chaînes, celles qui te retiennent au bagne.

    « C'est pas comme ça que tu vas avancer. Tu sais, on ne se ressemble pas. Par contre, Honaka suffoque. Comme toi. Vous êtes pareilles dans le fond »


Vous avez peur et vous ne savez pas trop quoi faire. Y'a pas vraiment d'objectifs. Y'a pas grand-monde qui vous aiderait non plus.

Misuzune s'asseoit par terre. Elle soupire. Soupir de découragement et d'exaspération. Puis, elle relève ses grands yeux enfantins vers sa cousine.

    « Pourquoi vous n'essayez pas de vous aider l'un l'autre ? Après tout, Honaka, elle a aussi supporté les autres imbéciles de sa famille. Vous connaissez mieux que quiconque la douleur de l'autre »


Son regard dérive jusqu'au ciel. Pourquoi il est bleu dans le fond hein ? C'est comme ça, encore une fois. Et à quoi ça servirait de le savoir. Pas à grand-chose. La gamine à la figure pâlotte reprend dans un souffle :
    « Moi, je crois vraiment que ce serait bénéfique pour vous deux de vous rencontrer. Bon, après, évitez de cuver plus que d'habitude hein ! »


Dernière édition par Honaka Suzuke le Sam 23 Nov 2013 - 17:24, édité 1 fois
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Vivre c’est ressentir. Regarder en l’air, suivre un instant la course des nuages, puis dévier vers le sol et sembler s’être échoué dans cette abîme organisé. Paraître. Vivre c’est créer. C’est subir. C’est imaginer, c’est détruire, c’est briser et être brisé. C’est croire en soi même, et en les autres parfois. C’est voir ce qui est, et puis ce qui n’est pas. C’est juger, condamner, se relever. C’est attendre la mort. On n’est pas pressés. Elle finira bien par arriver cette harpie. Elle est à l’affût, dissimulée sous les traits d’une femme à la coiffure maniérée, d’un motard ivre, d’un bambin trop pâle pour perdurer entre les vivants, d’un vieux maître d’école. Vivre c’est tendre des mains, et des pièges aussi. Vivre c’est rire et se moquer. C’est danser peut-être. Danser parce qu’on est joyeux. Ou qu’on a trop bu. Danser seul dans la nuit, le monde est un ballet. Il n’y a pas d’étoile. Il n’y a pas de chutes. Chorégraphie libre.

Il n’y a pas de choses simples ou compliquées. Juste des chimères d’allure insurmontable. C’est une question de volonté. Comme la douleur, un prétexte pour se sentir mal. Comme exister, une épreuve sans doute ? Il n’y a pas de ressemblances, à moins que l’on soit tous semblables ? Que des hommes qui se débattent, qui se traînent et se vident peu à peu, laissant derrière eux ce qui les anime et les maintient debout. On dit que l’on s’inspire de nos aînés. Peut-être que l’on vit les autres. Peut-être que l’on se contente de reproduire. Ou que l’on invente chacun à nouveau. Que l’on s’invente chaque jour à nouveau. Que l’on est ce qu’on a envie d’être, ce qu’on choisit d’être. Bien sur, encore faut-il qu’on ait envie d’être. L’instinct perdure, nous empêche de partir avant que notre tour ne vienne. Nous fait craindre le jugement divin : Un arbitre neutre, nous face à nous-mêmes. Qu’on est tous des misérables, des rien du tout. Des cendres perdues dans la brise d’un univers trop vaste pour nous. Que notre amour, notre haine et notre douleur ne sont qu’un souffle à l’échelle du monde.

On ne peut pas s’aider dans la quête d’une vérité. En faisant la chaîne, en liant nos destins, nous n’atteindrions pas la lune, ou un quelconque astre. Un autre ici, un autre ailleurs. Parce que le plus près, le plus loin, l’infini et l’infiniment grand, le possible et l’impossible sont en nous, blottis quelque part dans un recoin de notre âme.

« Cousine, je veux des réponses. Un peu comme toi, un peu comme eux et ceux dont on ne soupçonne pas l’existence aussi. Comme les gamins, comme les vieillards, comme les mourants, comme ceux qui aiment, ceux qui méprisent. Qui est cette Honaka ? Que me veut-elle ? En quoi rencontrer une âme en peine m’indiquera le chemin à prendre ? Est-ce que ma sœur en a quelque chose à faire d’Honaka, elle ? Pourquoi j’ai toujours fait tâche à côté d’elle ? »
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Misune a ouvert grand ses yeux, comme si elle regardait des poules danser la salsa. Qu'est-ce que... Qu'est-ce qu'elle a dit ?


    « Faire tâche ? Et t'écoutes les têtes à claques qui te racontent ça ? Parce que tu crois vraiment que leur parole est vérité ? »


Pardon d'être hargneuse, c'est ce qu'elle aurait dû ajouter. Faut être ce qu'on a envie d'être. Et si on est un peu plus fou, un peu plus bête que les autres, qu'ils nous observent tous, ces commères et ces compères, ignore-les.

Plus facile à dire qu'a faire ? Le fantôme le sait tout ça. Ou bien, fais comme Honaka. Fixe-toi un objectif. Allume une lanterne dans le noir. Protège cette flamme contre vents et marées... Et puis, serre les dents. C'est dur. C'est douloureux. Alors, apprends à te satisfaire du bonheur qui passera un jour dans ton cœur. Si, si, crois la fillette qui pense tout ça ! Un jour, tu seras une femme, un jour,tu seras aimée, un jour, tu seras heureuse. Quand ? Quand ! Tu verras. Vis déjà le présent et tout ira bien. On est tous un peu malheureux, un peu tristes de notre existence.

Mais... Ha ! Toi, avoir l'air d'un torchon parmi toutes ces serpillières ? Tu sais. Tu le sais, hein ? Tu sais que tu vaux mieux qu'eux. T'es bien plus forte, bien plus innocente que tous ces imbéciles qui t'ont fait du mal, qui t'ont ignorée pour soulager leur conscience. Tu connais ta valeur. Ne te laisse pas piétiner. Ne laisse pas les autres décider, ne te fond pas dans la masse si toi tu veux briller. Détache-toi du reste, rêve comme on ouvre un robinet à pleine puissance. Laisse le débit couler, pense, pense, laisse le flot de tes pensées se détacher et s'envoler. Elles partent loin, ces graines de pissenlit, qui feront germer plus tard, d'autres pissenlits, d'autres idées, d'autres visions des choses, pour que l'humanité reste diversifiée et riche de ses hommes.

    « Tss... Si Honaka était là, elle taperait du poing sur la table et te dirait "Sois fière de ce que tu es !". Alors oui, ma sœur n'est pas un exemple d'ouverture d'esprit et de joie... Mais... Vous vous ressemblez tellement dans le fond »


L'ectoplasme laisse un temps s'écouler. Le vent balaie les toits de tôle ondulée faisant perdurer une drôle de musique dans les rues désertes.


    « Sincèrement ? Je ne sais pas si deux ivrognes têtues, grognons et désagréables réussiront à entreprendre quelque chose ensemble. Mais réfléchis à un truc. Je suis venue te voir. Pas ta sœur. Toi. Juste toi. Et personne d'autre. Pas la peine de se soucier de moi. Je pars, puis je reviens, comme ta gueule de bois, mais dans le fond, je ne suis pas là »


Misuzune reprend sa respiration. Elle réfléchit au comment du pourquoi de quelque chose. Décrire sa sœur telle qu'elle la voit. Ce ne sera pas un portrait fidèle. Mais tant pis. L'adolescente se fera bien un avis toute seule. Et verra qui vivra. Un sourire triste étire les lèvres de l'enfant. Elle sait qu'elle n'est là que parce que la vivante n'est dans son état normal. Aussi tôt qu'elle trouvera un équilibre, le fantôme s'effilochera et disparaîtra aussi sec. Le temps d'une nuit, elle revit. Et puis, à quoi bon décortiquer sa sœur à la cousine ? Non. Garder le mystère et susciter l'envie de repartir pour décrypter toute la brume qui nimbe la samouraï. La vagabonde découvrira ses peines, ses souffrances et sa grande gueule. Hm... Surtout sa grande gueule.

    « Honaka... C'est... Honaka, telle que toi, tu la verras. Avec tes yeux et ta vision du monde, des gens aussi  »
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Il y a écouter et entendre. Les gens sont hypocrites. Ils se jugent, se condamnent, toujours un peu trop tôt. Les gens pensent connaître, pensent savoir. Aucun d'entre eux cependant ne prête oreille à cette plainte furtive, muette. Cet enfant du silence qui proteste sans un mot. Ce gamin qui crie dans l’étendue du monde, au fin fond du lointain. Oui, celui-là même. Celui qui dit le mal-être d’être un homme, le combat d’être quelqu’un. Qui hurle dans le vent comme c’est dur d’être ici. De rester debout.

On ne peut être fier d’être un homme. D’avoir entraîné d’autres avec nous. D’avoir poussé d’autres de la falaise, pour ne pas tomber. Inexorablement. De s’être rebâti sur des piliers instables, de peur d’être fracassé. De peur du gouffre, du vide. On ne peut être fier d’avoir condamné le petit qui hurlait au silence. D’avoir refusé d’écouter son chant, ses prières, son souffle qui s’est consumé doucement avant de s’éteindre. Ses sanglots, son innocence, la terreur qui croissait en lui. Ces supplications qui disaient « Grandis pas trop vite, reste avec moi encore un peu. Sois pas pressé d’être superficiel. Reste enfant le temps d’une promenade encore. Sois pas pressé d’être vide, amer. Garde l’innocence, garde la volonté, continue de croire. Devenir adulte, c’est fuir, c’est s’exiler, c’est mourir. ». On ne peut être fier de ressembler à ces gens-là, ceux qui clament « Sois toi-même » un peu comme tous les autres. On est tous imparfaits, on pense tous subir, avoir tenté le diable et davantage encore. Il n’existe pas de fatalité, sinon celle d’être un homme.

Et cet enfant qu’on garde en nous, il attend.

Et encore. Et toujours. Plus que jamais il attend. Il persévère l’enfant qui crie, l’enfant qui meurs, un peu chaque jour. L’enfant qui patiemment attend son heure, jeune captif du haut de sa tour. Chaque jour il les entretient, fantômes du passé, nos souvenirs et notre amour.

Peut-être est-ce qu’il espérait ? Peut-être le vent a-t-il porté jusqu’ici la prière d’un nouvel horizon née de ces lèvres fines ? Qui vivra verra. Peut-être cette gamine un peu trop pâle est-elle pareille à l’enfant, à la part d’innocence qu’a conservé la vagabonde, malgré elle, malgré le monde aussi ?

« Honaka c’est l’inconnu, c’est l’autre côté de la mer. C’est d’autres terres, d’autres visages. D’autres vies, d’autres ennuis. C’est les souvenirs d’une famille déchirée, d’une fraternité niée mais aussi l’espoir de lendemains meilleurs, de matins moins moroses, et que sais-je, d’un mieux pour le mieux. C’est un peu niais, un peu fou, un peu absurde aussi. Honaka c’est partir, abandonner la vie pour tout recommencer. C’est naître à nouveau, c’est laisser les choses au hasard. C’est oublier mon mal pour celui d’une autre. C’est effrayant, Honaka, tu sais. »



Dernière édition par Atsu-Kyo le Mar 10 Déc 2013 - 20:21, édité 1 fois
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Vent houleux, vent de pluie, vent d'apaisement et vent de soleil. Voici quatre brises qui s'abattent sur les falaises du cœur humain. Tantôt colérique, tantôt triste, calme ou bien rempli d'espoir. Notons bien une chose,  ces rafales, qu'elles soient bonnes ou mauvaises, apportent toujours de nouvelles semences. De nouvelles graines que l'on choisit de planter ou non, de protéger et de faire proliférer chez soi.

Mais...

Tristesse se répand comme la mauvaise herbe.

Colère s'enflamme comme les brindilles du grand pin vert en été.

Paix prolifère selon la saison et se fait rare. Il faut que toutes les conditions soient réunies pour qu'elle s'épanouisse. Une sorte d'équilibre qui vacille et ne dure pas.

Espérance, fragile et insouciante, grimpe tout doucement pour se faufiler au centre et apaiser tes tourments.

Ah, culture et jardinage du cœur, les sentiments étant des plantes toutes aussi variées qu'un potager rempli de choux et de céleri.

Ton âme est un immense jardin d'Eden qu'il faut savoir ouvrir aux bourrasques du monde, qu'elles soient belles ou terribles.

Vent de sottises, vent de changements, vent de regrets, vent hurlant qui rassemble ses troupeaux de nuages.

Le fantôme aurait pu parler pendant des heures de la richesse des Hommes et de leur capacité à tirer des leçons. Mais la cousine semble avoir compris. Même si elle compare Honaka à l'avenir. Ce qui est un peu vrai dans le fond. Elles construiront l'avenir ensemble, en espérant qu'elles se respecteront, comme tout être humain doit en respecter un autre, vice-versa.

Mais maintenant, Misuzune ne s'en fait pas. Elle est soulagée même. Quelqu'un a enfin voulu reprendre le flambeau, quelqu'un a bien voulu reprendre cette béquille pour épauler sa sœur. Elle veut juste être sûre d'une chose avant de partir.


    « T'oublieras pas, hein ? »


C'est le même ton doucereux qui souhaite se faire entendre. La vagabonde a l'air cependant si pompette qu'elle voit pas trop de quoi parle le fantôme. Non ? Vraiment pas ? Certaine ? Bon... On va reprendre un peu ce qu'on a dit au début.


    « Tu laisseras pas tomber Honaka hein ? C'est une personne en chair et en os. Qu'existe bien. Qu'est peut-être effrayante avec son caractère de grognon, mais qui a besoin de quelque chose »


Un nouveau coup de vent passe. Virevoltant, sautillant et frémissant d'excitation.

Mistral de joie de vivre.

Il faudra tout faire pour qu'elle germe cette graine-là. En prendre soin, comme d'une jolie tulipe trouvée au fond du jardin.


    « D'un bras solide pour avancer. Toi aussi. Autre chose que l'alcool par contre. Pourquoi t'investirais pas dans autre chose que tes bouteilles ? Tu vas aller l'aider, n'est-ce pas ? J'ai pas tout compris de travers ? Vous allez essayer d'être heureuses, une fois au moins dans votre vie ? D'attraper le soleil et ses amis ? »


Elle avait murmuré à son oreille. Comme la brise discrète donne la parole aux arbres et aux feuilles en secouant doucement leurs branches. Un fantôme qui fait bruisser doucement, toutes les forces de la nature.

Quel sera le bon moment pour chuchoter avec un sourire "bouh !" ?
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Me crois-tu capable d'oublier cette gifle dans une nuit qui tarde à s’en aller ? Ces larmes qui n'ont pas été versées ? Ces regards gravés en moi, ces gens heureux qui me tuent d'un habile sourire ? Cette berceuse qui flotte dans l’air, cette valse monotone qui résonne ici-bas bercée par la brise nocturne ? T'oublier toi, gamine ? Honaka je me souviens. Je n'oublie pas. Je n'oublie pas qu'elle m'est inconnue, mais qu'elle est un peu moi tout de même. Je dirais même mieux, je sais. Je sais qu'elle est un peu ma sœur, un peu mon père et puis ma mère, un peu morte elle aussi, un peu égarée surement. Je sais que le monde est trop vaste, que l’hiver est trop long et le rivage trop loin, toujours trop loin.

Je sais que les larmes d'une pluie noire viennent s'écraser sur la toile où nos vies, improvisées d'un coup de pinceau, pleurent leurs couleurs et leur lumière. Je sais que nos mains tremblantes sont tachées du sang de ceux qui nous sont chers bien davantage que de celui des autres. Je sais que la barrière du pont a toujours souffert de notre appel silencieux, de nos doigts crispés sur la rambarde et de notre horizon déjà noyé dans l'étendue glaciale. Je sais que les dames nieront toujours le cœur pincé, et que les messieurs affirmeront encore sans conviction. Je sais qu'il n'est de plus grands maux que ceux que l'on s'inflige, qui ruissellent sur notre peau, imprègnent notre chair, coulent dans notre sang. Solitude, même perdus dans la foule, et Haine, dans les jupons de sa cousine Amour, sans oublier Désespoir, qui emboîte le pas des deux autres, puis Vide bien sur, ou Manque, ou ce que vous voulez puisqu'il est une absence. Enfin, Folie, la suite logique. On est tous un peu fous, vous savez. On se dit toujours je pourrais. On côtoie les pourquoi pas, les ça se peut, j'ai ça en moi.

On devine la chute, tandis qu'elle nous soudoie. On imagine ce qui se passera si l'on existe plus. On veut être pleuré. On veut qu'ils se souviennent. On lève un pied, on frissonne et recule. On pense à cette force qu'on a en nous.

Cette force, vous savez. On a tous ça dans le ventre. Dans le froid, dans la faim, dans les sanglots, ce petit pincement, ce trois fois rien qui nous recoiffe, sèche nos larmes, nous enserre et murmure à notre oreille quelques couplets d'une chanson. Une chanson mélancolique, qui suggère d'aimer, de rire et de chanter. Qui dit : "C'est lâche de rester là au sol alors que d'autres se battent. Pourquoi toi après tout, pourquoi tu crèves ? T'as quoi de moins que cette dame là-bas ? Ne te laisse pas abattre, allez. Debout ! Et sèche donc ces larmes ridicules. T'as pas le droit d'être triste, de te morfondre. Tu ferais honte à ton passé. Honte à ce que tu as enduré pour tout plaquer ici. T'es pas de ces gens-là, toi. T'es de ceux qui se battent. Même si c'est dur de te relever, continue. Continue à genoux, en rampant s'il le faut. Et n'oublie pas d'aimer, de faire confiance aveuglément. N'écoute pas ceux qui disent se méfier de peur de souffrir. La vraie force c'est de faire comme si de rien n'était. De sourire et d'être heureux, même enchaîné. La vraie victoire c'est d'arriver à aimer chaque jour davantage, à faire confiance. La seule marche arrière qui t'es autorisée, c'est celle de l'élan pour sauter l'obstacle."

Alors on laisse la chute aux autres. On part, les mains dans les poches, en fredonnant.
"N'oublie pas d'aimer..."

- Je ne sais pas si je suis capable de sauver Honaka. Je ne sais pas non plus si elle veut de moi. Mais puisque cette tâche me reviens, j'accepte d'être la voix qui lui chantera ce refrain, la main qui l'aidera à se relever, l'épaule sur laquelle elle pourra s'appuyer et le regard qui veillera sur elle. Il est temps...

Il est temps en effet. Temps de changer, de partir, de tourner la page. Temps de se réconcilier avec cette jeune fille aux cheveux blancs. Temps de prendre le large, dans cette mer qui regorge de ma soeur. Dans ce vent qui hurle son nom. Temps de faire face. Un jour viendra l'heure de rendre mes comptes. Pas aujourd'hui. Pas encore. Il est trop tôt pour conclure. Je ramasse mon baluchon, remballe mes souvenirs, laisse ma phrase en suspens. Il est temps...
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    Il est temps, oui.


Si tu savais, depuis combien de temps, elle attend ça. Pas heureuse de lâcher sa soeur. Non, c’est pour une autre raison, que la joie l’emporte. T’as vu ce sourire ? Tu le vois, hein ? Ce sourire immense, grand comme un soleil qui brille dans tes yeux. Honaka, elle a jamais souri comme ça. Tu feras passer le message. Une guerrière qui s’adressera à une autre guerrière. Solennellement et franchement. Tu portes si bien le flambeau quand même.
On va partir le coeur léger. On a finalement réussi quelque chose ici. Et la paix que ça apporte ! Un équilibre qu’on n’a jamais connu avant, un souffle qui apporte les larmes, une sorte de pluie qui fait germer un bonheur si grand, qu’on en pleure.
En même temps que le soleil, tiens. Il pointe de l’autre côté, timidement. Il apporte la chaleur, ainsi que le bleu du ciel.

Vous avez oublié quelque chose d'ailleurs. Ouaip, une réponse à la question primordiale.

Pourquoi le ciel est bleu ?

Mais tant pis. La gamine est déjà partie. Elle doit croire que Misuzune, c'est qu'un rêve. Que l'alcool lui a embrumé les idées, épais brouillard de l'Homme.

Observe bien la ruelle qui s'éclaire. Alors ? Y'a rien. Normal. La voix des fantômes n'est qu'une ombre qui passe. Elle ne marque pas pas les murs, ni les coins malfamés. C'est pour ça qu'on n'a pas besoin de produits pour salir, souiller, effacer leur mémoire. Heureusement que certains vivants arrivent à garder ça dans leur jardin secret. Des plantes rares dont on prend soin.

Il est temps, oui. De conclure l'histoire, poser un dernier point. Va, sur d'autres chemins. Les voies s'entremêlent bien plus que ce que l'on pense. Tout cela n'est déjà plus qu'un souvenir.
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