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Une promesse qui sera tenue

Innocent Island. Une terre autrefois dompté par l'homme, aujourd'hui laisser à l'abandon et contrôler par des enfants qui ont perdu en foi dans les adultes. Un monde ou l'enfant et le sauvage cohabitent. Un monde ou les horreurs de ceux qui sont passés ici continuent de hanter ces lieux. Des zombies ? Des criminels ? La fange humaine que l'on voit partout. Existe t'il une ile sans ces êtres ? Une ile pure ? Une ile où l'on pourra bâtir un monde sans tout ce que nous rejetons, tout ce que nous haïssons, mais un monde sans haine, aussi. Un monde que voudrait Ishii. Un monde à offrir à tout ceux qui le désirent. Les hommes, les femmes et les enfants que nous avons libérés désirent un monde pareil. Nous ne l'avons pas trouvé. Je ne pense pas que ce soit celui-ci. Mais Innocent Island est un monde qui ne demande qu'à avoir un renouveau. Un havre de paix pour des âmes peinées. Une terre. Une terre pour vivre. Pas revivre. Vivre en tant qu'esclaves, ce n'est pas vivre. Innocent Island est leur chance. Et je compte bien les aider à saisir cette chance.

Les Étrangers aideront.

Ishii en tête. Il l'a promis. Et c'est un être de parole. Je n'ai rien promis, mais c'est de bon cœur que je le ferais. Rendre service. Rendre le sourire. C'est la plus belle des récompenses. Et quand je vois Uran, la gamine qui s'est entichée de moi, qui me regarde de ses grands yeux et qui me souris pour m'encourager, je ne peux refuser. Je dois le faire. Et je veux le faire.

Les promesses seront tenues.

Cela fait à peine deux jours que les Étrangers sont sur Innocent Island et après les premières explorations vient le temps de l'installation. Les anciens esclaves ont le désir de s'installer ici, malgré l'état sauvage de l'ile. Mais c'est aussi une chance ; recommencer loin de tout. Installer non loin du Bel Espoir, les hommes exploraient les environs tandis que les enfants s'amusaient sous les regards attendris des mères. Des premiers contacts ont été réalisés avec les enfants de l'ile. Rarement très positif. Pour l'instant, une sorte de statu quo s'est installé. Et tandis que l'on se prépare à l'installation pour une longue durée des anciens esclaves, l'appréhension me guette. Comment réagiront les enfants de l'ile ? Vaste question. J'ai demandé à Uran. Elle n'a pas su me répondre. Elle n'a que très peu côtoyer le principal clan de l'ile : les pirates.

Finalement, un endroit a été trouvé, plus loin sur la côte que là où nous étions. Une anse large avec une rivière non loin au milieu de solides arbres massifs. Et sur cette côte, les vagues vestiges de ce qui a peut-être des jeux d'enfants. Peut-être un espace de détente. Un espace aujourd'hui à l'abandon, vaguement mis en miette et gagner par les mauvaises herbes. Un endroit qui, une fois dégagé, offrira eau et lumière à la communauté. Un bon endroit. L'endroit qu'ils désirent. Et c'est tout ce qu'il importe. Après cette décision, il vient le temps de la construction.

Ce moment qui commence.

En premier lieu, il faut construire des habitations solides. Des maisons à moitié détruites ont été retrouvées çà et là. Les matériaux peuvent être récupérés. Mais ça ne suffit pas. Il faut aussi du bois. Beaucoup de bois. Par chance, il y a des arbres. Et cerise sur le gâteau, il y a moi. Rien de mieux que moi pour la découpe. Tandis que d'autres Étrangers s'affairent à récolter des matières premières ou à ériger les premières maisons, le chef des anciens esclaves me fournit une vingtaine de paires de bras solides pour faire la besogne. Pas une sale besogne. La découpe du bois, c'est noble. C'est en communion avec les arbres. Un jour, j'apprendrais à Uran ce que c'est. Elle a préféré s'amuser avec Gnuh. C'est qu'il est populaire auprès des enfants.

Au boulot ?
Au boulot.
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Notre famille n’avait jamais été riche, ni pauvre, on avait fait ce qu’il faut pour ne manquer de rien et élevé nos enfants de la plus belle des manières. Oh bien sûr on ne croulait pas sur l’or, mais on était heureux, parce que la famille était unie. Le matin, ma femme se levait en même temps que moi, au même moment que le soleil. Pendant qu’elle préparait la mie de pain pour les enfants, je remettais le feu dans la grande cheminée pour l’y cuire Les pièces étaient pas bien grande, notre ferme nous amenait juste de quoi vivre avec notre dizaine de poules, nos cinq vaches et notre vingtaine de lapins. On avait jamais cherché mieux et on s’en satisfaisait. Jusqu’au jour où tout a viré au carnage, où notre aîné s’est fait prendre dans les filets d’un brigand et qu’à le poursuivre, on se soit fait arrêté par un vendeur d’esclave à moitié fou.

Ça faisait si longtemps que j’avais pas vu mon fils que le soir, quand je me couchais après toute une journée à travailler à la cadence des coups de fouets, je perdais peu à peu dans ma mémoire les traits de son visage. Je crois que c’était ça le plus dur, que c’est ça le plus difficile. Se rendre compte que j’oubliais mon gamin, la chaire de ma chaire. Et même là, libéré de celui qui fut mon bourreau, et celui de tous ces anciens esclaves, je continue à ne plus me rappeler de son nez, à perdre son odeur, son sourire.

Le cachalot a beau être là, a beau me convaincre que l’on va y arriver, j’ai peur. Et malgré mes beaux discours, malgré mon air fier et ma volonté de pas effrayer ma femme, même elle se rend compte. Alors on travaille, pour oublier de faire marcher notre cerveau, on fonctionne avec nos muscles, à écoper le bois, à dépecer les troncs et à clouer les planches. On se construit une nouvelle vie avec malgré tout, ce foutu fils que l’on veut revoir et qui trotte dans nos têtes comme un brouillard, terne et éparse.

Et puis… Le cachalot fait peur. Avec ses énormes pattes noirâtres faisant la taille de mon crane et son horrible gueule, il fait peur aux pauvres hommes qu’ont déjà trop vu d’horreurs. Ils se méfient de lui comme de la pire des choses et malgré ses promesses, malgré toutes ces gentils choses qu’il dit et qu’il fait, les pauvres gens continuent à ne pouvoir que regarder leurs pieds lorsqu’il arrive.
Hier, trois hommes de confiance sont venus, ils m’ont raconté comment les femmes étaient terrifiés par ce monstre. Ils voulaient que je prenne une décision je crois. Alors je leur ai dit ce qu’il m’avait montré sur le bateau. C’était un soir où la tempête avait gagné la mer jusqu’à fait bourlinguer le bateau de gauche à droite, à donner le vomi à la bouche de chacun. Lui, m’a fait venir dans sa chambre où l’a ouvert une malle de bois et en a sorti un vieux bout de tisu tout délavé, tout chiffé, déchiré de part et d’autre. C’était un bas de coton noir et blanc du bagne qu’il avait gardé comme un trésor, il était énorme, si bien que je ne pouvais pas douter d’à qui il appartenait. Il m’a dit « Hmm… Vois, comment je te comprends. » Il a refermé la malle et est reparti sans un mot.
Eux aussi alors, ont compris.

Et aujourd’hui, alors que l’on travaille tous sans trop savoir où ça nous menera, si l’on trouvera enfin un peu de repos, si je retrouverai mon fils et s’il y aura un peu de paix ; e crois qu’on travaille tous avec le cœur un peu plus tranquile.
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Dès les premiers pas au milieu des arbres, je me sens immédiatement bien. La forêt est le lieu de mes origines. Ce n'est pas mon domaine, je fais partie d'elle. Personne ne possède la forêt. Pas même mon père pour celle d'Endaur. Nous vivons avec. Nous ne nous l'accaparons pas. C'est nos valeurs et jamais nous ne les trahirons. Et ces valeurs, je compte bien les communiquer à ces gens. Déjà, les premiers, armées de solide hache, s'approchent de plusieurs troncs. Je les arrête en criant brutalement. Ils s'arrêtent, à moitié effrayés, croyant à une attaque. Ils sont surpris en s'apercevant que c'est que moi. Moi et mes convictions.

Pas cet arbre. Ni celui-ci.


Pourquoi ? Je m'en approche et je leur explique. Ces arbres sont jeunes. On pourrait croire qu'ils ont une taille suffisante pour être découpés ; et c'est le cas. Mais pas selon mes critères. Ces arbres sont encore en phase de croissance. Certes, les arbres croissent en permanence, mais mon père m'a appris le cycle de vies de nombreuses essences forestières. Ils sont comme dans leur adolescence. Ils n'ont pas encore atteint leur maturité et cette maturité peut se traduire par des propriétés différentes. Mon père m'a toujours dit d'attendre. Un arbre se bonifie avec le temps. Au début, il ne comprenne pas, alors, je fais comparaison. Leurs enfants, ils les protègent de tout dur labeur jusqu'à un certain âge où l'on considère qu'ils sont en âge de travailler. C'est la même chose pour les végétaux. Il y a un temps pour l'enfance et un temps pour offrir son bois au besoin de l'homme. Que penseraient-ils si on mettait leurs enfants au travail trop jeune ? Ils répondent juste. Ils n'aimeraient pas. Ils ne se pardonneraient pas d'en arriver là.

La forêt est pareille. Elle ne se pardonnerait pas. Elle ne pardonne pas. S'il lui faut des siècles pour se venger, elle se vengera.

Il y a temps pour tout. Lorsque ces arbres seront sortis de leur âge adulte, ils pourront être coupés et la place qu'ils libéreront, les racines et le tronc qu'ils laisseront, et l'eau qu'ils cesseront de puiser seront autant de chance pour que d'autres puissent grandir et s'épanouir. Et d'autres animaux pourront grandir avec ces êtres à la croissance lente et sage. Les animaux le font. Pourquoi pas les hommes ? Je leur explique. Qu'en préservant les plus jeunes, ils s'offrent la possibilité d'avoir toujours du bois pour les années à venir. À cette évocation, les regards se font plus sombres, plus incertains. Vivre ici, c'est possible ? Peut-être. J'avoue que c'est difficile. Tout reprendre à zéro. Alors, pour dissiper l'ambiance maussade, j'indique les arbres qui peuvent être découpés. Ceux qui sont en âge. Sauf un. Mon œil l'a remarqué. Il est probablement vieux. Très vieux. Et mon père m'a toujours dit que les vieux arbres, il faut en prendre soin. Ils ont quelque chose dans le craquement de leur branche et dans le bruissement de leur feuille qui laisse à penser que leurs années à vie les ont dôtés de grands pouvoirs. Ils sont les yeux et la bouche de la forêt. Et vaut mieux qu'un ancien voie que les choses sont faites correctement.

Le travail est l'occasion d'oublier les peurs et les doutes et de suer un peu. De la sueur d'honnête travailleur et le cœur y est. Les premiers arbres chutent. Les branches sont sectionnées et les troncs sont découpés. Certains se dévouent à transporter. D'autres ne font que découper. Mais comme la routine s'installe, les échanges reprennent. Les peurs aussi. Et à ma surprise, la peur de nous, les Étrangers. Ou plutôt, la peur des hommes poissons. Ils sont différents. Ils ont l'air monstrueux. Les gens ne les connaissent qu'au travers des légendes et malgré les actes, ils n'arrivent pas à les accepter. Surtout Ishii. Ishii a connu leur souffrance. Ça les rapproche. Mais pour certains, c'est le temps qui comblera les plus profonds gouffres qui séparent ces êtres. À des gens comme moi, on fait plus confiance. Je suis humaine. J'ai mes particularités. Alors, j'essaie d'aider dans leur compréhension de l'autre.

Vous vous souvenez de la première fois que vous m'aviez vue ?


Je venais de manger mon fruit du démon. Pour leur rappeler davantage, je me transforme sous les traits de la créature qu'ils ont découverts, ce jour-là, créant un passage vers la lumière et le ciel. Vers la liberté. Une forme hideuse. Une forme qui fait peur. Je n'ai rien à envier à Ishii sur ce point. Et quand je redeviens humaine, ils comprennent. Un peu.

Il y a souvent quelque chose de monstrueux en nous. Quelque chose qui fait peur. Mais au fond, ce n'est qu'une illusion.

Les sourires reviennent. On hoche la tête. On se rassure. Et moi, je les remets au boulot, parce qu'il ne faut pas que ça traine. Les heures passent et le soleil vient à flirter avec l'horizon. Le temps de s'arrêter. Le temps d'aller se reposer. Et je sors avec les hommes, retrouver le village qui se monte à une vitesse folle. Plusieurs jours comme cela, et ils auront un toit pour tous. D'autres construisent des bateaux pour s'occuper de la pêche. Certains avec des connaissances en botanique savent repérer les fruits comestibles. Des chasseurs ont rapporté du gibier. Le repas sera bon et, autour du feu, les anciens esclaves rient.

De mon côté, je suis accueillie par Uran. Gnuh s'est endormi au côté de Lucio qui aura eu une journée harassante encore aujourd'hui. Alors qu'elle me tire par le bras pour venir jouer, j'interpelle ces hommes qui s'en vont retrouver leur femme et leurs enfants. Avec Uran qui s'accroche à ma main et son sourire adorable à mes côtés, je leur dis ces derniers mots.

Qu'importe ce que nous représentons. Qu'importe notre chair et nos corps difformes. Derrière tout cela, il y a toujours un coeur qui bat à l'unisson de ceux que l'on aime.

Allons-y. Uran.
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C’est fou comme ça se construit vite. On a déjà fait plusieurs choses qui commencent à ressembler à des maisons. C’est du sommaire bien sûr, juste des bouts de planches qui s’entassent pour former des murs et on n’a pas encore trouvé de quoi faire des vitres. Mais avec les coques qui se construisent, de bonnes barques bien solides, parées à résister à plusieurs jours de pêche, on pourra se faire de quoi en acheter. C’est une petite économie qui se monte pour former ce que sera notre future vie. C’est pas grand-chose, mais c’est déjà mieux qu’être les bras accroché et le dos fouetté pour faire avancer une coque.

Deux jours déjà, à tenter de trouver l’équilibre, à s’apprivoiser sur cette nouvelle île avec ces drôles de gens qui nous ont sauvé. Leurs gueules étranges, leurs accoutrements, leurs manière de parler, rien en eux ne semble normal et c’est comme si toutes les étrangetés de ce monde s’étaient réunis au même endroit, sous le même drapeau. On a peur bien sûr, on a peur mais on se rappelle aussi que sans eux, on serait encore à se faire fouetter. Et quand on voit le grand cachalot aider à couper du bois pour une ville où il ne vivra pas, quand on voit Iwa accourir quand un homme se bloque derrière un tronc mal tombé, Monster soigner les blessés, ou Adrienne nous conseiller sur les meilleurs bois ou même Jackie venir amuser les petits avec ses drôles de danses, on ne peut que retrouver le sourire. On oublie alors, un court instant, cette drôle de différence. On oublie aussi, une demi seconde, celui qui me manque tant…

_Hmm… Nous repartirons d’ici quelques jours, le temps de reconstruire, et de chercher ton fils.

Il est venu vers moi sans que je ne m’en rende compte. Il a cette manie de toujours apparaître quand on ne l’attend pas, de réussir à se faire minuscule malgré son immense taille.

_Et pourquoi pas partir le chercher maintenant. Pourquoi encore devoir attendre, bordel…

_Hmm…

_On se construit une nouvelle vie. On retrouve la liberté. On se lève pour monter notre village. Et tout le monde peut recommencer à sourire. Mais pas moi, bordel… Je peux pas et j’y arriverai pas tant que j’aurai pas retrouvé mon filston… Alors pourquoi on peut pas aller le chercher maintenant ?! C’est qu’on gosse, perdu…

_Hmm…

_Quoi « hmm » ?! Quoi, ça veut dire quoi ?!

_Ça veut dire que foncer dans le tas ne suffira à rien. Ça veut dire que ce sont les enfants qui viendront nous voir, pas le contraire.

Et il part, comme ça. Il a beau savoir ce qu’il fait, il a beau tenter de bien faire les choses, ça me ronge. C’est mon fils qu’on m’a pris, et je sais qu’il n’est pas loin. Il est là, de l’autre côté des arbres, à quelques centaines de mètres. Il est là-bas et je ne peux rien faire.

_Hmm… Viens m’aider, change-toi les idées.

Je le vois déjà à quelques mètres, aider un homme à couper le bois pour en faire de grosses planches capables de supporter l’humidité. Je le vois user de ses grosses mains et travailler le bois comme on caresse le corps d’une femme. On passe ainsi toute la journée ; A ne rien faire d’autre. Et lorsqu’enfin le soleil se couche, c’est les corps fatigués qu’on part tous. Au milieu du camp, une énorme tente a été installée. Le pignon face au vent d’Est, les haubans fermement plantés grâce à d’énormes rondins de bois, on s’y installe tous le soir. Pirates et anciens esclaves. Jackie y joue un morceau, danse avec les enfants. Monster soigne les bobos, Shishou raconte ses histoires, et au milieu, Ishii lance les objectifs du lendemain tandis que chacun mange à sa faim, des soupes de poisson, des légumes trouvés ça et là dont les graines sont gardées pour lancer des semences.


Dernière édition par Ishii Môsh le Mar 5 Nov 2013 - 18:16, édité 1 fois
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Un bon repas. Un repas avec un goût de liberté. Un repas en réponse du dur labeur entrepris pour se construire une nouvelle vie. Les gens sont rassasiés et des sourires las fleurissent sur les visages. Les plus travailleurs esquivent la veillée pour se reposer tôt et reprendre le travail dès l'aube. D'autres passent un peu de temps avec la famille, famille qui profite de la chaleur humaine des autres ex-esclaves et des Étrangers qui ne cessent de déployer des trésors d'inventivité pour divertir ; changer les idées et oublier un passé révolu. Et évidemment, ce sont les enfants qui sont les plus captivés, ce qui force leurs parents, un peu, à les accompagner dans les voyages proposés par Jackie et Shishou. Gnuh dort. Lucio aussi. Et d'autres enfants ont rejoint le monde du sommeil en se couchant près du tapir. Des sourires, toujours des sourires sous des respirations lentes et douces. Uran est parmi eux, enserrant le cou de la bête. Elle dort d'un sommeil profond après s'être dépensée toute la journée.

C'est une bonne chose. Depuis que je l'ai recueillie, j'ai ce perpétuel sentiment de ne pas faire ce qu'il faut pour elle. Alors chacun de ses sourires et de ses rires est autant de signes qui me confortent. Elle s'amuse. C'est ce qui compte. Les enfants ne sont pas faits pour pleurer. C'est difficile de comprendre un enfant. Si m'man avait été là. Elle m'aurait dit. On ne s'improvise pas grande sœur si facilement. Je souris à cette pensée. Vrai qu'elle m'a appelé grande soeur avant de se coucher. Probablement parce que m'appeler simplement Adrienne, c'est comme mettre un peu de distance entre nous. Ce qu'elle ne veut pas. Et être son amie, c'est aussi impersonnel. Je crois que je suis un peu unique pour elle. Ça me fait chaud au cœur.

C'est le moment que choisisse un triplet de femmes pour m'interpeller. Leurs enfants dorment comme leurs maris parce que oui, ce sont des mères. Et c'est un détail que je comprends rapidement. Alors qu'elle m'incite à aller un peu à l'écart, je les vois jeter des regards vers Uran. Ça la concerne ; je suis davantage disposé à faire ce qu'elles veulent. Elle trouve un coin dans l'ombre sans être trop loin du centre du groupe. Celle qui semble être la chef hésite un peu, mais je les incite à se jeter à l'eau.

Uran est bien le sujet.

Elles se sont rendu compte de ma relation avec elle. Elles s'interrogent sur cette relation. Je n'hésite pas à tout leur raconter. Ce n'est que temporaire même si m'occuper d'Uran me procure des satisfactions que je n'ai jamais éprouvées. Une sorte… d'instinct maternel. Mais une fois qu'on aura retrouvé ses parents, ce sera le moment des adieux. L'une semble rassurer quand je dis ça. Les deux autres semblent ne pas avoir tout dit.

On s'inquiète pour cette petite. Il peut se passer un certain temps avant que vous ne trouviez ses parents. Et vous et votre équipage, vous allez aussi partir, bientôt. On s'inquiète pour la petite quand elle sera en mer au milieu de votre équipage qui est assez… spécial.

Encore des préjugés, mais je ferme les yeux dessus. Elles mettent le doigt sur un détail important. Je ne voulais pas y penser. Certes, des gens comme Jackie et Lucio, même s'ils ne sont pas toujours très fréquentables ; quoique Lucio n'incite qu'à la flemmardise ; restent des humains. Pour Ishii, Monster, Shishou, Iwa et Jouvence, c'est une autre chose. Elles se mettent à raconter des rumeurs invraisemblables sur les hommes poissons que je balaie toutes les unes après les autres, mais il reste un fond de vérité. Au milieu d'eux tous, il est possible que ça se passe mal pour Uran. Ici, elle vit avec eux, mais il y a les enfants et leur parent. En mer, ils ne seront plus là. Il n'y aura plus que les hommes poissons et moi.

Je m'en mordille la lèvre, songeuse. Alors que je faisais la leçon l'après-midi, c'est elles qui me font la leçon ce soir. Ironique.

Et ce n'est pas tout. Il y a aussi Blake. Les tendancieuses manies de l'individu ne sont pas à montrer au chaste esprit d'Uran. J'approuve. Et je compte bien redoubler d'ardeur pour refroidir, justement, son ardeur à faire ses saloperies. J'en fais le serment. Ça les rassure. Mais la soirée est loin d'être terminé, car maintenant que les problèmes relationnels sont faits, place aux problèmes techniques. Comment s'occuper d'une enfant. S'occuper de son éducation. Ce qu'elle peut faire, ce qu'elle ne doit pas faire. J'ai l'expérience de trois mères pour sept enfants. Ça en fait beaucoup. Et c'est un plaisir de les écouter et de prendre des notes. Quand j'aurais l'occasion, j'appellerais m'man. Elle m'aidera aussi, ça lui fera plaisir. Avec juste moi comme fille, éduquer à travers moi une autre enfant, ça ne se refuse pas.

La soirée dure longtemps. Que dis-je ? La nuit !
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C'est arrivé comme ça. Comme un boomerang qui revient en plein visage, pire qu'une tempête que l'on aurait pas vu arriver. Parce que celle là... Non, on ne l'a pas vu arriver...
Ça s'est passé au matin. Certains avaient mal dormi, d'autres encore tentaient vainement de se réveiller d'une bonne nuit de sommeil. Shishou roupillait tranquillement sur les épaules d'Iwa tandis que chacun se versait un peu de force pour la journée de labeur. Cafés, thé, chocolat, pain à peine rassi. On se servait dans la grande tente avec plus ou moins d’énergie sans même que l'un de nous ne s'y attende.

Et c'est tombé, comme ça.

La grande tente s'est mise d'un coup à se replier sur elle même sans qu'on ne s'y attende. Tous à l'interieur on n'a pas eu le temps de dire Ouf qu'on était pris au piège au milieu de la toile bloquée par un énorme filet, bloqués contre le sol. Ishii, Blake, Adrienne, Rydd, ma femme, moi, tout le monde était pris comme dans un sac à patate, serrés les uns contre les autres.

Et là, maintenant qu'on tente de comprendre, de s'extirper de cette mauvaise farce on voit une centaine de gamins nous encerclant avec leurs lances et leurs regards noirs. Bon Dieu que c'est dur de voir tant d'horreur dans ces gueules d'ange... Ce qui fait le plus mal au cœur, c'est de voir que bon nombre doivent avoir l'âge de mon enfant, et je ne peux pas voir la moitié... La gueule enfouie dans l'aisselle d'Adrienne.

-Hmm... Bonjour à vous, les enfants. Chocolat ou thé ?

C'est la voix d'Ishii, toujours aussi calme, aussi caverneuse, qui se perce une place au milieu de nos cris de surprise et ceux, de joie, des enfants.

Comme seule réponse, je vois trois enfants traîner la petite robot devant notre cage pour la montrer, toute attachée, les larmes aux yeux.

-Vous l'avez transformé ! Elle est devenu méchante avec nous ! Elle veut qu'on devienne vos amis ! Mais on n'a pas besoin de vous ! Alors vous allez nous redonner notre amie comme elle était avant !

Le silence se fait, un de ceux de consternation, d'incompréhension de voir ces enfants si mal traiter leur amie, de voir ce pauvre bout de vie se faire traîner sur le sol comme la pire des rebuts. Pourtant du coin de l'oeil je vois l'Ishii et lui, n'a pas l'air d'être choqué. Sa moue reste de marbre comme si c'était normal pour lui ! Comme si ça lui semblait logique, comme s'il avait trop connu ce genre de situation pour trouver ça étrange...

-Hmm... Lâchez mon amie. Maintenant.
-C'est pas ton amie, c'est la notre ! Elle voulait pas être amie avec des adultes avant ! Tu l'as changé !

Un sourire perle aux lèvres du Montre.

-Hmm... Et moi ? Est-ce que quelqu'un a voulu un jour naturellement devenir mon ami ?

Je sens du mouvement sur mon crane, Adrienne ?
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C'est tombé, comme ça.

Prise de court, j'ai vu plusieurs personnes se faire emporter sans pouvoir aller à l'encontre de la tente se repliant. J'en ai choppé un pour qu'il évite de s'écraser contre un groupe d'enfant. Puis c'est moi qui ai été emportée. J'ai essayé de faire en sorte que ma masse fasse le moins de dégât possibles. Je pense avoir réussi. De tout côté, ça criait ; c'était la panique. Tant bien que mal, tout le monde essayait de faire le moins de bêtise possible, mais c'était pas facile. On a fini compressé les uns contre les autres. J'avais Blake dans le dos. Un mauvais souvenir. Un de plus.

Qui a fait ça ? On capte rapidement les coupables. Les gosses. Arf. Situation délicate. Ishii commence. Il a déjà eu à faire avec eux. Je profite qu'il est au centre de toutes les attentions pour craquer quelques mailles du filet à mains nues. Ça permet de faire un passage pour les plus fragiles. Les femmes et les enfants d'abord. Ça me permet de bouger un peu et d'enlever le gêneur dans mon dos. Qu'il aille se frotter à Rydd, tiens. Les libérés rampent. Certains enfants les voient et commencent à les encercler. Situation délicate. Oui pour laisser passer les enfants, non pour les autres. Les enfants d'esclaves refusent de quitter leurs mères, et inversement. Les jeunes d'Innocent se font pressants. Du côté du capitaine, ça semble pas bien se passer. Je me glisse par le trou, libre de mes mouvements. Les enfants s'écartent sur mon passage et je viens me poser à côté d'Ishii. Je regarde ces jeunes. Je regarde leur peur. Leurs inquiétudes. Leurs vies ont été transformées et le monde qu'ils se sont créé pour survivre vacille. Un monde fragile à nouveau. Ils n'en veulent pas.

Quand on regarde Ishii, c'est très dur de se dire qu'on peut être son ami. Son visage, son corps, ses mains … il vous fait peur, pas vrai ? Aux gens ici présents, c'est la même chose. Il intimide. Il peut faire peur. Il n'est pas comme nous qu'on dit. Il aide bien, mais on ne l'aiderait pas forcément en retour.

Des têtes se baissent et des regards se voilent parce que les mots font échos à des vérités. Des vérités que l'on voudrait cacher. Des vérités dont on ne sait pas si elles sont justes.

Mais finalement, c'est un ami. Et ça, personne ne m'a forcée à le penser. Je le pense de moi même. Je le crois. C'est ça être ami avec quelqu'un. C'est décider de son propre chef à qui on accorde sa confiance. C'est aussi accepter les actes et les décisions de son ami. Parce qu'on lui fait confiance de ce qu'il est, et pas de ce l'on veut qu'il fasse.

Je m'avance alors pour faire face à ces enfants. Ces enfants sans parents. Sans adultes.

Alors … vous … vous êtes son ami. Et pourtant, vous voulez la forcer à penser une chose qu'elle ne veut pas. C'est ça, être un ami, pour vous ? C'est ne pas avoir suffisamment confiance en quelqu'un au point de croire qu'il fait un mauvais choix ?

J'appelle pas ça être un ami.
Vous vous imaginez ce que ça serait si chacun commençait à vous dire « fait pas si, fait pas ça » ? C'est ça, des amis ?
Pas chez moi.


Un pas discret derrière moi. Uran s'est libéré et me rejoint tandis que je recule rejoindre Ishii. À son côté, un bras sur les épaules à Uran, j'en termine.

Mes amis, je les chéris. Je les aide dans leur décision. Dans leurs épreuves. Je les soutiens. Je les respecte. Qu'importe ce qu'ils pensent. Qu'importe ce qu'ils veulent. Parce que ce sont mes amis, je m'en moque.

Je continuerais à les aimer.
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A vrai dire, je crois que les gamins commençaient à douter. A se demander si au fond l'Adrienne n'avait pas un brin raison. Le Cachalot avait beau toujours autant les effrayer. Ils avaient beau continuer à en vouloir à tous ces adultes qui représentaient pour eux tout ce qu'ils n'avaient jamais eu, ils doutaient. Oui, et ça se voyait à leurs yeux qui se faisaient de plus en plus bas, à leur façon de se gratter le haut du crane pour se donner constance. A la manière d'autres de relâcher la gamine toute attachée. Elle faisait de la peine, cette gamine. Avec ses yeux tout rouges de larmes et la moitié de son crâne grésillant sous les fils électriques.

On avait envie de la serrer contre soi et de lui dire de pas s'en faire, que tout allait s'arranger. Qu'elle arriverait à aimer comme à se faire accepter. De lui dire de jolis mots tout doux au creux de l'oreille pour la réconforter. Et puis... Au fond de mon cœur je pensais à cet enfant qu'avait le même âge, que j'aurais aimé avoir prêt de moi et que je ne trouvais pas. J'avais beau jeter des regards aux chaque coins, je voyais pas ses jolis cheveux blonds ; Je voyais pas son nez tout gros comme le mien ni ses joues roses de bébés.

Il y avait toutes ces têtes de mômes que je scrutais sans arriver à trouver celle que je voulais. Elles étaient là par centaines et j'y arrivais pas ! J'ai jeté un coup d’œil à ma femme et je voyais bien qu'elle était comme moi, à fureter partout pour tenter d'enfin le revoir...

Le filet s'est vite relâché, nous laissant là, droits comme des I à ne pas vouloir faire autre chose que continuer à chercher. J'avais la gorge si serrée que j'arrivais pas à hurler son nom. J'avais de drôles de larmes sèches qui commençaient à couler le long des joues.

Je me suis raclé la gorge. J'avais le cœur qui tambourinait ma pauvre poitrine. Ma femme s'est avancée vers moi et tout en continuant à chercher, elle m'a pris la main. Ça m'a fait du bien de sentir la fraîcheur de ses doigts au contact de ma paume. Ça faisait comme une minuscule piqûre. Ça me rappelait aussi comme j'avais l'air bête à pleurnicher plutôt que d'hurler le nom de mon fils. Alors j'ai raclé ma gorge en grattant chaque foutue corde vocale et alors que j'allais crier... J'ai senti la manche de mon pull se faire tirer. Quand j'ai baissé les yeux c'était pour voir deux minuscules joues rosies.

-Papa ? Maman ? C'est vous ?

Je crois bien que le soir, quand toute cette histoire s'est remise dans l'ordre et que je me suis retrouvé à embrasser mon fils pour lui souhaiter de jolis rêves, je crois bien que ce soir là, j'ai remercié le ciel. C'était bête comme geste, un simple baiser qu'on envoie promener sur des joues toutes douces. Ce n'est qu'un geste que l'on fait presque par rituel,sans jamais penser que ça pourrait être le dernier. On en oublierait presque ce bonheur tout bête qui nous rend heureux de vivre. On en oublierait comme on en est dépendant pour réussir à, chaque soir, pouvoir fermer les yeux avec aux creux des lèvres, un sourire.
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