Les armées sont là. Face à face. D’un côté, la Révolution. Le moment inéluctable qu’ils attendaient. De l’autre, les forces royales. La crainte, la peur. Ils sont entraînés, plus forts. Mais ils ont déjà perdu beaucoup trop. Et pourtant, la Reine en tenue de fer, ils se tiennent là. Elle a le courage de faire face. La nuit, les flammes. Tout cela jette un rideau bien sinistre sur Goa. Le peuple face à leur souverain dans une discussion que celui-ci entendra enfin. Terrible que l’on doive en arriver là. L’assassin se racle la gorge. Il avance d’un pas serein, grimpe les marches où les restes de la muraille ont été déblayés. Le tout a été aménagé en un goulet à allure de couperet. C’est un piège destiné à les attirer. De plus, un peu plus haut, tout l’armement de Goa se tient prêt à les recevoir. Pourtant, devant l’armée, l’assassin avance seul. La Reine recule, regarde ses hommes. Il agite un drap blanc. Mais c’est un traître un félon. Pourtant, il écarte les mains, montre qu’il n’est pas armé. Mais il manipule la fumée, est un adepte de l’esbroufe. Pourtant ... Pourtant. Il avance. Les armes se pointent sur lui. Elle a préparé des armes pour lui. Il n’est pas stupide au point de l’ignorer. Des dizaines de carreaux avec du granit marin. Minerai si rare ... mais avec autant d’argent que sa famille tout était possible. Famille ruinée, détruite. Elle n’est plus que la seule survivante avec son beau-frère, qui a disparu depuis le tout début.
« Fou que tu es, Régicide. Avance d’un pas de plus, et tu te feras trouer avant même d’avoir pu voir le peuple être châtié comme il se doit. » déclara la Reine, de sa voix haut perchée.
Rafael s’arrêta, sourire aux lèvres. Pas le sourire d’un homme qui se trouvait seul face à une armée. Le sourire de l’homme qui a un plan derrière la tête. Elle n’aimait pas ça. Il s’arrêta, baissa sa capuche et révéla ses stigmates. Un vétéran. Au visage pourtant si jeune. Il dardait sur elle un regard impitoyable. Quoi qu’il eut à dire, il semblait avoir déjà pris sa décision.
« Reine Von Avazel. Vous avez encore la chance de pouvoir vous rendre. Acceptez cette occasion de survivre et laisser le peuple reprendre son dû. Laissez ces gens regagner leur liberté et vous partirez en paix. » lui fit-il, sans même se leurrer sur la suite des événements.
« Avant que vous ne vous emportiez, sachez ceci. Mendoza vous abandonné à votre sort car il était certain de votre défaite ce soir. Il est certain que vous mourrez ici et maintenant. De plus, il a envoyé un assassin s’occuper de la vie de votre fils, Anthony et a enlevé le Prince Eirikr. D’après vous, pourquoi s’est-il retiré avec ses troupes ? Il vous a trahi et envoyée à la mort. » poursuivit Rafael, guettant les moindres réactions de la Reine.
Le masque de fer qu’elle arborait ne trahissait pas ses émotions. Par contre, ses mouvements oui. Elle ne le croyait pas, ses mouvements colériques la trahissait. Rafael fit un signe à la foule. On s’écarta pour laisser passer un brancard recouvert d’un drap blanc.
« Je vous restitue le corps de votre fils. Sachez qu’il a été esclave de l’Homme-Chien, avant d’être récupéré et sauvé par mes propres soins. Suite à quoi, un assassin s’est occupé de le tuer. Il m’était plus utile en vie, je n’aurais jamais commis une erreur aussi grossière. Votre légiste vous confirmera l’heure de sa mort, il y a deux heures. Ensuite, vous découvrirez qu’il n’y a eu aucun trace d’effraction lors de l’enlèvement de votre second fils.» poursuivit Rafael.
La foule restait coite, s’inquiétant seulement de l’inaction. La plupart des hommes étaient au courant de ce plan. Et les autres ... faisaient face aux citadelles, encore pleines de soldats armés jusqu’aux dents. Un simple détachement, en réalité, était là, avec lui. Des Révolutionnaires pour la plupart. Le peuple était à l’abri, dans les maisons, loin. Seuls les curieux étaient venu voir. Mais la vérité était une chose que l’assassin s’efforçait de conserver. Il n’avait pas à rougir de ses actes et de ses paroles. Pourvu que la Reine ait une once d’instinct maternel.
« Vous pourriez mentir ... Ce ne pourrait être qu’une gigantesque mascarade ... » répondit-elle, mordant presque à l’hameçon.
Elle n’était pas stupide pour autant, elle savait l’assassin être un grand manipulateur. Grand par sa propension à manipuler son monde. Rafael n’avait jamais nié le contraire. Lorsque c’était la seule voie pour la réussite, il n’hésitait pas. Le brancard s’avança, s’arrêta à côté de la Reine. Elle fit signe à deux gardes de venir le prendre, alors que les révolutionnaires s’en allèrent à toute vitesse, par peur de la perfidie de la femme.
« Quel serait mon intérêt ? Si Mendoza pense que nous pouvons vous battre, j’en suis certain. J’essaie seulement de vous prouver que tout n’est pas perdu. Nous pouvons épargner beaucoup de personnes ce soir. Vos soldats, le peuple. Vous. Moi. » poursuivit l’assassin, montrant la foule amassée derrière lui.
« Vous pourriez aussi attendre de moi que je baisse ma garde et rentrer pour tout ravager, n’épargnant que ceux qui imploreront votre pitié. » le railla-t-elle.
« Je pourrais. Mais ce n’est pas illustrateur du message que je véhicule. Nous voulons libérer la ville de ses oppresseurs, abolir l’esclavage et rendre justice. Dès que vous serez abattue, la flotte de Mendoza déferlera ici, et il éliminera tout le monde pour prendre le pouvoir. Il utilisera Eirikr et deviendra Roi, avec l’approbation du Gouvernement. Vous serez morte, votre lignée éteinte. Les nobles ... il n’en restera rien. Ou alors, second plan : le Gouvernement dupe tout le monde et fait de Goa son propre territoire. Point barre, tout le monde perd. » répliqua l’assassin, se joignant les mains.
« Que veux-tu, assassin ? » demanda enfin la Reine.
Rafael sourit. Elle n’avait joué que trop longtemps avec l’appât avant de mordre à l’hameçon.
« Je veux que vous vous rendiez, que vous nous cédiez le commandement de vos hommes et qu’avec eux nous repoussions Mendoza le traître et Uther Dol, l’assassin qui a dupé votre roi et votre fils. Si vous acceptez, nous les écraserons facilement et en un rien de temps. Si vous refusez, vous mourrez lentement et tous. Lorsque le peuple en colère se répandra dans la ville haute, il n’y aura aucune pitié. Mais votre capitulation sera mieux appréciée. Et nous finirons quand même par gagner. Mais avec plus de morts inutiles. » la menaça-t-il, pointant son visage du doigt.
Il la ciblait, mais il savait derrière que d’autres oreilles entendaient ce discours. Certains rirent de bon coeur dans l’assemblée, pensant le révolutionnaire fou d’annoncer aussi clairement son plan. Il baissa sa main, satisfait de son petit discours. Elle avait raison, c’était un manipulateur. Du début, à la fin. Tous l’avaient vu, tous avaient entendu. Le clément révolutionnaire leur donnait une chance, il leur offrait même de se racheter. Et, surtout, il balançait le nom de ses véritables ennemis, en somme. Si le peuple pouvait commencer à frémir en en sachant un peu plus sur la flotte qui les attendait, qui allait assurément contacter le gouvernement pour les aider, il savait très bien dans quoi il s’engageait en participant à cette révolution. Ils s’étaient levés tous ensembles pour que plus jamais cela n’arrive. La Reine releva son heaume, montrant à tous le visage furieux de la soi-disant plus belle femme du royaume.
« Jamais ! Plutôt mourir que voir ces chiens marcher sur les pierres de mon palais. Tu ne fais que bluffer, assassin, tu n’es là que parce que tu as peur et tu es venu la queue entre les jambes pour quémander mon aide ! Après avoir massacré ma famille ! Je n’aurais de repos que lorsque tu seras mort ! » hurla-t-elle, abaissant son bras.
N’attendant que son signal, les arbalétriers appuyèrent sur leur gâchette. Avec un sourire, l’assassin éclata une bombe fumigène à terre, une fraction de seconde à peine avant que les traits ne partent. La fumée masqua la scène, mais les carreaux frappèrent juste. Rapidement, la fumée fut dissipée par la salve et on ne vit que les escaliers, sans rien d’autre. Il n’était pas difficile d’anticiper les actions d’une femme en colère. Une clameur retentit dans les rues, et un cor. Puis ce fut l’assaut. Les révolutionnaires chargèrent, les armes à la main. Un éclair illumina la scène. Les arbalétriers rechargèrent, la Reine se cacha derrière ses hommes. Soudain, par dessus les maisons de la ville basse, des centaines de flèches jaillirent et s’enfoncèrent dans les rangs de la garde royale. Puis ce fut le choc des armées. Plus expérimentés que les civils, les Révolutionnaires réussirent à faire une percée dans les rangs, et l’on s’affronta sur les escaliers. On repoussa l’assaut. La garde s’empara des escaliers, descendit. Les Révolutionnaires s’écartèrent pour laisser passer leur artillerie, puis ils s’effacèrent pour mener une bataille de guérilla. Le plan était de les provoquer, ils n’étaient pas assez nombreux pour leur tenir tête directement. Ce fut ainsi, sous le commandement déficient de la Reine, que les soldats s’engouffrèrent dans les rues. Le commandant cria au piège, mais elle était trop emportée, trop énervée pour l’écouter. Peu importait le nombre d’hommes, criait-elle, tant qu’on lui ramenait la tête de Rafaelo Di Auditore. Peut-être aurait-elle dû penser qu’il s’agissait là d’une mise en scène. Peut-être aurait-elle dû penser que si l’assassin se montrait en public, c’était que quelque chose de bien plus délicat se jouait ailleurs ...
Pendant ce temps, dans la ville haute.
« Gerdald ? Vraiment ?! » s’empourpa un bedonnant personnage, débordant de sa chaise ornée.
« Je pense qu’il est notre meilleur parti : tu as entendu l’assassin, et tu as vu la Reine. Enfin, à ce rythme, elle le sera plus pour longtemps. » lui répondit l’homme au centre de l’assemblée.
« Tch. Tu parles d’un choix. On peut pas partir d’ici, notre noblesse ne veut rien dire à Marie Joa, à peine si on nous considèrera. Et plus moyen de leur brûler ce Grey Terminal pour leur apprendre. Bon sang, on est des nobles, ils devraient nous respecter ! On les traites pas si mal que ça ... ils ont la chance de nous servir ... » répliqua le même sang bleu, s’essuyant le front d’une lingette humide.
Aucun esclave n’était admis ici. Une réunion secrète dictée par la peur. Les Nobles n’iraient jamais mettre un pied sur le champ de bataille, ils n’étaient pas aussi fous. Un vieillard se redressa, se raclant la gorge. Assurément respecté, son intervention fit le silence. Sa Majesté Eustass. Sa perruque était tombée, juste des cheveux courts et ses yeux violets, perçants. Une sagacité à toute épreuve au fond du regard. Même dans un tel état de panique, il semblait contrôler son monde.
« Que changerait ce pleutre sur le trône ? Un couteau sous la gorge et il fera ce qu’on lui demande. Pire que ça, l’ombre d’un couteau et il sera à tes pieds. Veux-tu d’un tel personnage sur le trône ? Le pouvoir lui montera vite à la tête. Ce n’est pas très sérieux. » répliqua le vieux sage, se grattant le sommet du crâne.
« Justement, à nous de l’y asseoir et de nous en sortir du mieux qu’on peut. Si l’assassin dit vrai, Mendoza va attendre qu’on soit à sec et venir nous raser pour récolter la moisson. Dites-moi, par ici, qui le compte comme ami ? Dites-moi, qui aimerait l’avoir sur le trône ? Pas sûr qu’il y arrive, mais si il y arrive ... je suis pas sûr que nos têtes soient plus à l’abri. » répliqua l’homme au milieu de l’assemblée.
Brouhaha. Non, Mendoza était craint comme la pire des hyènes. Si le statut des nobles les protégeait de ses habituelles magouilles, c’était leur argent qui leur assurait qu’il reste calme. Mais là ... s’il avait l’occasion de s’en prendre à l’un ou à l’autre, ce serait fatal pour eux. Il lui serait facile de raser la ville, de prétexter les révolutionnaires coupables. Tout ça pour ramasser gros, et encore plus gros. Oui, les nobles avaient peur.
« Et ils affûtent des piques pour nos têtes depuis ce matin : tu parles d’un choix ... La mort ... ou le risque de mort. Bah tiens, je préfère tenter ma chance avec Mendoza ! » ricana l’un d’eux, vite ramené au silence par le regard impérieux d’Eustass.
« Mais avec Gerdald sur le trône, guidé par nos conseils avisés ... nous pourrions peut-être arriver à quelque chose ? Si nous nous rendons, si nous offrons l’armée à la Révolution ... peut-être accepteront-ils de nous laisser en paix ? » proposa un autre, avant que des chuchotements contestataires ne résonnent dans la salle.
L’homme au centre de l’assemblée secoua la tête en soupirant.
« Il est clair que nous ne serons pas épargnés, mes amis. Ni par les révolutionnaires, ni par le peuple. Ni par Mendoza. Il ne nous faut pas parler du mieux, mais du moins pire. Si nous avions eu l’occasion de nous enfuir, nous l’aurions déjà fait : Edmure nous disait en sécurité. Qu’il connaissait les plans de nos ennemis, qu’il avait tout mis en marche pour les arrêter ... et voilà où nous en sommes. » fit-il, en montrant la cave sordide dans laquelle la noblesse était obligée de se réunir pour comploter.
« Si nous nous rendons, beaucoup mourrons. Mais moins que si nous ne nous rendons pas. Et il ne faut pas compter sur le sens du sacrifice de nos semblables, mes amis. Vous les premiers. » trancha Eustass, en se rasseyant dans son siège.
« Ils veulent quoi, au juste, ces révolutionnaires ? Je les entends piailler depuis toujours, mais c’est toujours du vent. Un coup je sauve les esclaves, un coup je veux instaurer des élections. En quoi ça les gène ? Il faut un berger pour guider un peuple, non ? Autant que ce soit des gens éduqués et raffinés comme moi. Comme nous. » répliqua le noble à la bedaine débordante.
« Comme toi ? Assurément ... Ce que ces hommes réclame ne change jamais réellement en vérité, et Eustass pourra m’appuyer dessus : égalité, liberté, fraternité. Ils veulent que chaque homme puisse naître comme l’égal d’un autre. Ils veulent que chaque homme puisse décider de sa vie et de son destin. Ils veulent que chaque homme puisse trouver de l’aide dans son prochain. » répliqua le noble qui menait le débat.
« Tu est bien idéaliste ce soir, Servo. Aurais-tu mordu à leur débat ? Penses-tu sincèrement que cet assassin tiendra parole ? Ne soit pas sot, tu vois bien qu’il ne fait que brasser de l’air ! Comme si cette cause était réalisable, tiens ! Un utopiste qui ne connait pas la réelle valeur de l’être humain. Il y a l’élite, et le troupeau. Point barre. Toujours à croire qu’un esclave peut-être ton ami, hein ? Ah ah ah ... » répliqua le noble obèse en claquant des mains avec dédain.
Lord Vendetta secoua la tête. Manigances et magouilles. Tous les mêmes. Qu’avait donc promis Mendoza à ses pairs ? Certains avaient dû être corrompus, c’était évident, mais lesquels ... Il fallait leur vendre la pomme d’or, leur faire voir que leur salut ne passait que par là. Il ôta son tricorne et passa une main lasse dans ses cheveux. On entendait au loin la clameur de la bataille.
« Il va falloir se décider vite, de toute manière. Les combats ne vont pas tarder à se rapprocher, et nous leur ferions un trop beau cadeau en étant tous rassemblés là. » fit Servo, en replaçant son couvre-chef.
« Qu’avez-vous à proposer d’autre ? Nous sommes d’accord que nous n’agirons que lorsque la Reine tombera, si elle tombe. Mais d’ici là, nous n’avons pas d’autre plan que de jouer cette carte avec les révolutionnaires. Si la ville haute tombe, nous paierons le prix fort. Donc mettons nous au moins d’accord là dessus, non ? » poursuivit-il, invitant d’autres nobles à prendre la parole.
Brouhaha. On acquiesça, on soupira. Mais rien de constructif ne fut apporté. C’était un fait. Ils n’avaient, eux, pas la moindre manière de se défendre si l’armée flanchait. Et avec la disparition de Mendoza, les constats n’étaient plus si optimistes ... D’autant plus que, comme cela avait déjà été évoqué bien plus tôt, si Mendoza prenait le peuple à revers, il y avait de fortes chances qu’il se replient dans la ville haute. Ça plus le fait que ce traître risquait d’en brûler la plupart pour se faire de la place ... D’après le Révolutionnaire, il avait Eirkir avec lui, ce qui poserait un autre problème ... mais s’ils abdiquaient, les révolutionnaires seraient prêts à négocier le contrat, non ? Gerdald sur le trône, la demande de neutraliser Eirikr ... Et bien, Lord Vendetta avait de bonnes idées après tout. Du moins, c’était ce que certains se disaient à voix basse. Eustass, par exemple, restait là, à l’observer avec un étrange sourire.
« Et tu dis que Gerdald est venu se réfugier chez toi, Servo ? » lui demanda le vieux noble.
« Oui. Il pensait que je pourrais le faire sortir, jusqu’à ce qu’il se rende compte que les souterrains étaient inondés. Sinon, je ne serais pas resté longtemps non plus. » avoua le noble, rendant son regard au vieillard.
« Et bien, nous avons un peu de chance, au final. Dans notre malheur en tout cas. Je préfère tenter ma chance avec toi qu’avec Mendoza. Proposons notre soutien aux révolutionnaires, devenons ceux grâce à qui tout a été possible et faisons le savoir au peuple. Si ces hommes prônent vraiment ce que tu dis, ils tiendront parole. » trancha le vieil homme.
Les épaules de Vengeance se détendirent un peu. L’influence d’Eustass était forte, et bien qu’il passa pour un vieux pataud la plupart du temps, ses conseils étaient sages et avisés. Ainsi, il attirait une grande partie des nobles avec lui. Il était important d’avoir son soutien en de pareilles circonstances. Il ne semblait pas se douter qu’il puisse appartenir à la révolution, mais à voir son regard, il se doutait que Vendetta avait déjà fricoté avec elle. Lorsque soudain ...
Un silhouette noire émergea de l’ombre, lâchant à chaque pas derrière elle une légère fumée opaque. Sa capuche masquait son visage, mais tous le reconnurent. Un mouvement de panique gagna l’assemblée, le noble bedonnant tomba de sa chaise avec grand fracas. Le coeur de la noblesse ne fit qu’un bond et l’homme vêtu de noir se positionna en face de Vendetta, qui tira son épée et recula en mimant à la perfection les pas fébriles d’un noble terrifié.
« Intéressant ... j’étais venu en pensant que votre mort à tous pourrait faire pencher les choses en notre faveur, bien conscient de votre petite réunion secrète. Les choses se passent toujours ainsi, voyez-vous ... les plus gros rats quittent le navire en premier. » ricana le révolutionnaire, sans prendre la peine de se mettre en garde face à Vendetta.
« Mais ... j’ai changé d’avis. Dites-moi, votre petit plan m’a l’air bien intéressant ... Vous voulez quoi ? Une part du gâteau ? La promesse qu’on ne vous mettra pas sur des piques à l’entrée de la ville pour accueillir Mendoza ? » poursuivit-il, avançant doucement vers le noble au tricorne.
« Je ... Fuyez ! » hurla le Lord téméraire en abattant son épée sur l’assassin.
Ce dernier attrapa Vengeance, toujours dans son rôle, et l’envoya rouler à terre en le laissant passer à travers lui. Il roula et se réceptionna lourdement contre une colonne. Un sourire amusé se dessina sur les lèvres de Rafael, au moment même où Eustass se leva de son siège, mains en l’air. Déjà certains nobles courraient vers la sortie.
« Assez ! » hurla-t-il.
« Je t’écoute, assassin : qu’as-tu à nous dire ? Tu aurais voulu nous tuer que tu l’aurais déjà fait ... Servo, cesse donc tes simagrées, tu vas nous faire tuer ... » fit-il, avec un ton étrange sur les dernières paroles.
Vendetta se releva, se massant l’épaule. Auditore n’y était pas allé de main morte, et il l’avait vraiment projeté fort. À la limite de lui démettre l’épaule. Au moins, il avait eu l’air convaincant. Gardant une distance de sécurité avec l’assassin, il ramassa son épée, puis alla se ranger aux côtés d’Eustass, alors que les nobles s’arrêtaient de fuir. Rafael montra le vieillard du doigt, avec un air moqueur.
« Voilà un homme qui sait faire fonctionner sa cervelle ... hé hé ... Allons bon. J’ai entendu que vous vouliez vous rendre. Ça m’intéresse. Une fois que la Reine sera morte, car elle va mourir, vous ferez quoi, toi et ta petite bande de culs dorés ? » le railla l’assassin, montrant Servo d’une main dédaigneuse.
Le vieil homme fit un signe de tête à son jeune homologue qui se massait toujours l’épaule. Celui-ci le regarda à son tour, puis s’avança bon gré mal gré. Il jeta un oeil à toute l’assemblée pour voir des nobles apeurés et perplexes. Si le révolutionnaire les écoutait, s’il avait décidé de les épargner ... alors c’était qu’il y avait une possibilité, non ? Hein ? Une chance de survie pour eux ? Une chance d’éviter que le peuple ne les tue ? Une chance d’éviter que Mendoza ne leur nuise ?
« Et bien ... Gerdald sur le trône ... il aurait trop peur de mourir pour nous refuser quoi que ce soit. Mais il possède le sang et le droit de régner. Plus que l’un d’entre nous ... Alors nous pensions que s’il montait sur le trône, et vous confiait l’armée pour renforcer vos troupes ... et bien ... nous aurions une chance d’être épargnés car nous aurions ainsi aidé la révolution. » expliqua-t-il, simplifiant largement l’idée globale.
L’assassin opina du chef. Idée intéressante, mais ...
« Et si Gerdald n’en fait qu’à sa tête ? » demanda-t-il.
« Et bien ... *gloups* ... dans un premier temps il nous écoutera. Après, si nous survivons, il faudra songer à répartir les pouvoirs pour que ... et bien ... nous, nobles ayant aidé à la révolution, puissions avoir notre mot quant à la gouvernance du pays. Je ... je ne sais pas ... mais ça nous paraissait la meilleure solution ... si heu ... si vous nous laissez faire. On est tous gagnants là-dedans, non ? Et puis je pense qu’il aura trop peur de vous et de nous, a fortiori s’il nous pense alliés, pour s’écarter de la voie que nous lui dessinons. » répondit Servo, parfait dans son interprétation.
Rafael fronça les sourcils, puis se gratta le menton. L’idée était intéressante, en effet, puisque c’était la sienne. Enfin, la sienne. Servo et lui avaient longuement discuté de cette opportunité, et il réalisait ce travail de sape tout en construisant ses relations depuis maintes années à présent. De plus, à la vue de son jeu d’acteur, personne ne pourrait remettre en question sa peur du révolutionnaire. S’ils savaient, hé hé, qu’ils abritaient le plus partisan de tous les habitants de Goa en leur sein, sans le savoir ...
« Donc, pour faire simple. Je tue la Reine, Gerdald apparaît derrière, avec votre caste en soutien et avec son renfort, vous abdiquez. Bien. Et après ? Il reste le problème Eirikr. Je suppose que c’est là qu’intervient votre revendication, non ? Je tue aussi le petit protégé et l’oncle empoche la mise ? Quant à la suite ... vous gagnez le trône de Goa pour votre petite assemblée. J’ai bien peur que ça ne m’aille pas vraiment. » trancha l’assassin, en croisant les bras.
« Et le peuple dans tout ça ? Car vous savez bien que si vous pensez garder Gerdald sous votre coupe, je vous aurai, moi, toujours dans la ligne de mire. Le moindre faux pas, la moindre peccadille de traîtrise et je vous saignerai. On va d’abord imposer mes conditions : arrêt de l’esclavage, vous trouverez à vous enrichir ailleurs, purification du Grey Terminal, oui vous le nettoierez et le rendrez habitable, et pour finir égalité pour tous. Je m’explique. Abolition de vos privilèges. Vous ne serez plus que de riches habitants de Goa, siégeant au conseil royal, décisionnaire des actions du pays. Cela vous va ? » proposa Rafael, un sourire mesquin aux lèvres.
Il en demandait beaucoup, et les informations mirent du temps à parvenir au cerveau des nobles. Le révolutionnaire attendit leur réponse, mais seul un silence accueillit sa proposition. Ils gardaient leur argent et leur vie. Rien de plus, rien de moins. Et une place d’importance dans la vie prochaine du royaume. Ils n’en espéraient pas beaucoup plus, à vrai dire. La vie, c’était pas mal. Le pouvoir encore mieux. Et l’argent ... et bien ça allait sans dire. Mais le nettoyage du Grey Terminal, l’abolition de l’esclavage ... leur vie en prendrait un sacré coup. Toujours plus que de nourrir les vers, certes. Et les autres nobles qui ne s’y plieraient pas, ou n’avaient pas répondu à l’appel de la réunion secrète, et bien à en voir l’assassin, ils risquaient fort de faire la queue sous la guillotine.
« J’avais déjà pris soin de vous subtiliser Gerdald, qui demeure dans un lieu connu de moi seul. Mais à la vue de la situation, je vous autoriserai à le mettre au courant quelque minutes avant la mort de la Reine. Menacez-le et tout ira bien. Plus vite nous en aurons terminé, mieux ça sera. » trancha Rafael, en tournant le dos à l’assemblée.
« Mais ... euh ... nous n’avons pas accepté ... » s’étonna Eustass, en se levant de son siège.
L’assassin se retourna, le dévisagea en arquant un sourcil.
« Vous acceptez ? » demanda-t-il aux nobles.
« Et bien .... nous n’avons pas vraiment le choix, mais je pencherai plutôt pour un oui. Mes amis ? » demanda le vieil homme.
L’assemblée hésita, puis devant l’air renfrogné du révolutionnaire et la lueur d’espoir qu’il leur venait, la décision l’emporta rapidement à l’unanimité.
« Et bien voilà. » trancha Rafael.
« Lorsque vous serez prêts, demandez à quelqu’un de pendre des drapeaux blancs sur les tours est et ouest du palais. Je m’arrangerais pour que vous trouviez Gerdald à ce moment là. La Reine mourra peu après. Oh, et inutile de vous dire, la moindre fuite entraînera la mort immédiate du bavard. Nous pouvons vous trouver partout, et à chaque instant. Méfiez-vous, ce ne sont pas des menaces en l’air. Demandez donc à Edmure ... » ricana l’assassin, avant de s’effacer lentement et de disparaître en l’air comme un nuage de fumée qui se dissipe.
Il restait fort à faire, et une lueur d’espoir commencer à pointer le bout de son nez. Tout n’était donc pas foutu ! Un seul détail restait à présent à accomplir. Tuer une Reine ... et trouver un moyen de neutraliser le Prince Eirikr. Cela voulait dire affronter à la fois Mendoza et Uther. Triste journée qui l’attendait. Mais entre ça et perdre la révolution, le choix était vite fait ...
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« Fou que tu es, Régicide. Avance d’un pas de plus, et tu te feras trouer avant même d’avoir pu voir le peuple être châtié comme il se doit. » déclara la Reine, de sa voix haut perchée.
Rafael s’arrêta, sourire aux lèvres. Pas le sourire d’un homme qui se trouvait seul face à une armée. Le sourire de l’homme qui a un plan derrière la tête. Elle n’aimait pas ça. Il s’arrêta, baissa sa capuche et révéla ses stigmates. Un vétéran. Au visage pourtant si jeune. Il dardait sur elle un regard impitoyable. Quoi qu’il eut à dire, il semblait avoir déjà pris sa décision.
« Reine Von Avazel. Vous avez encore la chance de pouvoir vous rendre. Acceptez cette occasion de survivre et laisser le peuple reprendre son dû. Laissez ces gens regagner leur liberté et vous partirez en paix. » lui fit-il, sans même se leurrer sur la suite des événements.
« Avant que vous ne vous emportiez, sachez ceci. Mendoza vous abandonné à votre sort car il était certain de votre défaite ce soir. Il est certain que vous mourrez ici et maintenant. De plus, il a envoyé un assassin s’occuper de la vie de votre fils, Anthony et a enlevé le Prince Eirikr. D’après vous, pourquoi s’est-il retiré avec ses troupes ? Il vous a trahi et envoyée à la mort. » poursuivit Rafael, guettant les moindres réactions de la Reine.
Le masque de fer qu’elle arborait ne trahissait pas ses émotions. Par contre, ses mouvements oui. Elle ne le croyait pas, ses mouvements colériques la trahissait. Rafael fit un signe à la foule. On s’écarta pour laisser passer un brancard recouvert d’un drap blanc.
« Je vous restitue le corps de votre fils. Sachez qu’il a été esclave de l’Homme-Chien, avant d’être récupéré et sauvé par mes propres soins. Suite à quoi, un assassin s’est occupé de le tuer. Il m’était plus utile en vie, je n’aurais jamais commis une erreur aussi grossière. Votre légiste vous confirmera l’heure de sa mort, il y a deux heures. Ensuite, vous découvrirez qu’il n’y a eu aucun trace d’effraction lors de l’enlèvement de votre second fils.» poursuivit Rafael.
La foule restait coite, s’inquiétant seulement de l’inaction. La plupart des hommes étaient au courant de ce plan. Et les autres ... faisaient face aux citadelles, encore pleines de soldats armés jusqu’aux dents. Un simple détachement, en réalité, était là, avec lui. Des Révolutionnaires pour la plupart. Le peuple était à l’abri, dans les maisons, loin. Seuls les curieux étaient venu voir. Mais la vérité était une chose que l’assassin s’efforçait de conserver. Il n’avait pas à rougir de ses actes et de ses paroles. Pourvu que la Reine ait une once d’instinct maternel.
« Vous pourriez mentir ... Ce ne pourrait être qu’une gigantesque mascarade ... » répondit-elle, mordant presque à l’hameçon.
Elle n’était pas stupide pour autant, elle savait l’assassin être un grand manipulateur. Grand par sa propension à manipuler son monde. Rafael n’avait jamais nié le contraire. Lorsque c’était la seule voie pour la réussite, il n’hésitait pas. Le brancard s’avança, s’arrêta à côté de la Reine. Elle fit signe à deux gardes de venir le prendre, alors que les révolutionnaires s’en allèrent à toute vitesse, par peur de la perfidie de la femme.
« Quel serait mon intérêt ? Si Mendoza pense que nous pouvons vous battre, j’en suis certain. J’essaie seulement de vous prouver que tout n’est pas perdu. Nous pouvons épargner beaucoup de personnes ce soir. Vos soldats, le peuple. Vous. Moi. » poursuivit l’assassin, montrant la foule amassée derrière lui.
« Vous pourriez aussi attendre de moi que je baisse ma garde et rentrer pour tout ravager, n’épargnant que ceux qui imploreront votre pitié. » le railla-t-elle.
« Je pourrais. Mais ce n’est pas illustrateur du message que je véhicule. Nous voulons libérer la ville de ses oppresseurs, abolir l’esclavage et rendre justice. Dès que vous serez abattue, la flotte de Mendoza déferlera ici, et il éliminera tout le monde pour prendre le pouvoir. Il utilisera Eirikr et deviendra Roi, avec l’approbation du Gouvernement. Vous serez morte, votre lignée éteinte. Les nobles ... il n’en restera rien. Ou alors, second plan : le Gouvernement dupe tout le monde et fait de Goa son propre territoire. Point barre, tout le monde perd. » répliqua l’assassin, se joignant les mains.
« Que veux-tu, assassin ? » demanda enfin la Reine.
Rafael sourit. Elle n’avait joué que trop longtemps avec l’appât avant de mordre à l’hameçon.
« Je veux que vous vous rendiez, que vous nous cédiez le commandement de vos hommes et qu’avec eux nous repoussions Mendoza le traître et Uther Dol, l’assassin qui a dupé votre roi et votre fils. Si vous acceptez, nous les écraserons facilement et en un rien de temps. Si vous refusez, vous mourrez lentement et tous. Lorsque le peuple en colère se répandra dans la ville haute, il n’y aura aucune pitié. Mais votre capitulation sera mieux appréciée. Et nous finirons quand même par gagner. Mais avec plus de morts inutiles. » la menaça-t-il, pointant son visage du doigt.
Il la ciblait, mais il savait derrière que d’autres oreilles entendaient ce discours. Certains rirent de bon coeur dans l’assemblée, pensant le révolutionnaire fou d’annoncer aussi clairement son plan. Il baissa sa main, satisfait de son petit discours. Elle avait raison, c’était un manipulateur. Du début, à la fin. Tous l’avaient vu, tous avaient entendu. Le clément révolutionnaire leur donnait une chance, il leur offrait même de se racheter. Et, surtout, il balançait le nom de ses véritables ennemis, en somme. Si le peuple pouvait commencer à frémir en en sachant un peu plus sur la flotte qui les attendait, qui allait assurément contacter le gouvernement pour les aider, il savait très bien dans quoi il s’engageait en participant à cette révolution. Ils s’étaient levés tous ensembles pour que plus jamais cela n’arrive. La Reine releva son heaume, montrant à tous le visage furieux de la soi-disant plus belle femme du royaume.
« Jamais ! Plutôt mourir que voir ces chiens marcher sur les pierres de mon palais. Tu ne fais que bluffer, assassin, tu n’es là que parce que tu as peur et tu es venu la queue entre les jambes pour quémander mon aide ! Après avoir massacré ma famille ! Je n’aurais de repos que lorsque tu seras mort ! » hurla-t-elle, abaissant son bras.
N’attendant que son signal, les arbalétriers appuyèrent sur leur gâchette. Avec un sourire, l’assassin éclata une bombe fumigène à terre, une fraction de seconde à peine avant que les traits ne partent. La fumée masqua la scène, mais les carreaux frappèrent juste. Rapidement, la fumée fut dissipée par la salve et on ne vit que les escaliers, sans rien d’autre. Il n’était pas difficile d’anticiper les actions d’une femme en colère. Une clameur retentit dans les rues, et un cor. Puis ce fut l’assaut. Les révolutionnaires chargèrent, les armes à la main. Un éclair illumina la scène. Les arbalétriers rechargèrent, la Reine se cacha derrière ses hommes. Soudain, par dessus les maisons de la ville basse, des centaines de flèches jaillirent et s’enfoncèrent dans les rangs de la garde royale. Puis ce fut le choc des armées. Plus expérimentés que les civils, les Révolutionnaires réussirent à faire une percée dans les rangs, et l’on s’affronta sur les escaliers. On repoussa l’assaut. La garde s’empara des escaliers, descendit. Les Révolutionnaires s’écartèrent pour laisser passer leur artillerie, puis ils s’effacèrent pour mener une bataille de guérilla. Le plan était de les provoquer, ils n’étaient pas assez nombreux pour leur tenir tête directement. Ce fut ainsi, sous le commandement déficient de la Reine, que les soldats s’engouffrèrent dans les rues. Le commandant cria au piège, mais elle était trop emportée, trop énervée pour l’écouter. Peu importait le nombre d’hommes, criait-elle, tant qu’on lui ramenait la tête de Rafaelo Di Auditore. Peut-être aurait-elle dû penser qu’il s’agissait là d’une mise en scène. Peut-être aurait-elle dû penser que si l’assassin se montrait en public, c’était que quelque chose de bien plus délicat se jouait ailleurs ...
Pendant ce temps, dans la ville haute.
« Gerdald ? Vraiment ?! » s’empourpa un bedonnant personnage, débordant de sa chaise ornée.
« Je pense qu’il est notre meilleur parti : tu as entendu l’assassin, et tu as vu la Reine. Enfin, à ce rythme, elle le sera plus pour longtemps. » lui répondit l’homme au centre de l’assemblée.
« Tch. Tu parles d’un choix. On peut pas partir d’ici, notre noblesse ne veut rien dire à Marie Joa, à peine si on nous considèrera. Et plus moyen de leur brûler ce Grey Terminal pour leur apprendre. Bon sang, on est des nobles, ils devraient nous respecter ! On les traites pas si mal que ça ... ils ont la chance de nous servir ... » répliqua le même sang bleu, s’essuyant le front d’une lingette humide.
Aucun esclave n’était admis ici. Une réunion secrète dictée par la peur. Les Nobles n’iraient jamais mettre un pied sur le champ de bataille, ils n’étaient pas aussi fous. Un vieillard se redressa, se raclant la gorge. Assurément respecté, son intervention fit le silence. Sa Majesté Eustass. Sa perruque était tombée, juste des cheveux courts et ses yeux violets, perçants. Une sagacité à toute épreuve au fond du regard. Même dans un tel état de panique, il semblait contrôler son monde.
« Que changerait ce pleutre sur le trône ? Un couteau sous la gorge et il fera ce qu’on lui demande. Pire que ça, l’ombre d’un couteau et il sera à tes pieds. Veux-tu d’un tel personnage sur le trône ? Le pouvoir lui montera vite à la tête. Ce n’est pas très sérieux. » répliqua le vieux sage, se grattant le sommet du crâne.
« Justement, à nous de l’y asseoir et de nous en sortir du mieux qu’on peut. Si l’assassin dit vrai, Mendoza va attendre qu’on soit à sec et venir nous raser pour récolter la moisson. Dites-moi, par ici, qui le compte comme ami ? Dites-moi, qui aimerait l’avoir sur le trône ? Pas sûr qu’il y arrive, mais si il y arrive ... je suis pas sûr que nos têtes soient plus à l’abri. » répliqua l’homme au milieu de l’assemblée.
Brouhaha. Non, Mendoza était craint comme la pire des hyènes. Si le statut des nobles les protégeait de ses habituelles magouilles, c’était leur argent qui leur assurait qu’il reste calme. Mais là ... s’il avait l’occasion de s’en prendre à l’un ou à l’autre, ce serait fatal pour eux. Il lui serait facile de raser la ville, de prétexter les révolutionnaires coupables. Tout ça pour ramasser gros, et encore plus gros. Oui, les nobles avaient peur.
« Et ils affûtent des piques pour nos têtes depuis ce matin : tu parles d’un choix ... La mort ... ou le risque de mort. Bah tiens, je préfère tenter ma chance avec Mendoza ! » ricana l’un d’eux, vite ramené au silence par le regard impérieux d’Eustass.
« Mais avec Gerdald sur le trône, guidé par nos conseils avisés ... nous pourrions peut-être arriver à quelque chose ? Si nous nous rendons, si nous offrons l’armée à la Révolution ... peut-être accepteront-ils de nous laisser en paix ? » proposa un autre, avant que des chuchotements contestataires ne résonnent dans la salle.
L’homme au centre de l’assemblée secoua la tête en soupirant.
« Il est clair que nous ne serons pas épargnés, mes amis. Ni par les révolutionnaires, ni par le peuple. Ni par Mendoza. Il ne nous faut pas parler du mieux, mais du moins pire. Si nous avions eu l’occasion de nous enfuir, nous l’aurions déjà fait : Edmure nous disait en sécurité. Qu’il connaissait les plans de nos ennemis, qu’il avait tout mis en marche pour les arrêter ... et voilà où nous en sommes. » fit-il, en montrant la cave sordide dans laquelle la noblesse était obligée de se réunir pour comploter.
« Si nous nous rendons, beaucoup mourrons. Mais moins que si nous ne nous rendons pas. Et il ne faut pas compter sur le sens du sacrifice de nos semblables, mes amis. Vous les premiers. » trancha Eustass, en se rasseyant dans son siège.
« Ils veulent quoi, au juste, ces révolutionnaires ? Je les entends piailler depuis toujours, mais c’est toujours du vent. Un coup je sauve les esclaves, un coup je veux instaurer des élections. En quoi ça les gène ? Il faut un berger pour guider un peuple, non ? Autant que ce soit des gens éduqués et raffinés comme moi. Comme nous. » répliqua le noble à la bedaine débordante.
« Comme toi ? Assurément ... Ce que ces hommes réclame ne change jamais réellement en vérité, et Eustass pourra m’appuyer dessus : égalité, liberté, fraternité. Ils veulent que chaque homme puisse naître comme l’égal d’un autre. Ils veulent que chaque homme puisse décider de sa vie et de son destin. Ils veulent que chaque homme puisse trouver de l’aide dans son prochain. » répliqua le noble qui menait le débat.
« Tu est bien idéaliste ce soir, Servo. Aurais-tu mordu à leur débat ? Penses-tu sincèrement que cet assassin tiendra parole ? Ne soit pas sot, tu vois bien qu’il ne fait que brasser de l’air ! Comme si cette cause était réalisable, tiens ! Un utopiste qui ne connait pas la réelle valeur de l’être humain. Il y a l’élite, et le troupeau. Point barre. Toujours à croire qu’un esclave peut-être ton ami, hein ? Ah ah ah ... » répliqua le noble obèse en claquant des mains avec dédain.
Lord Vendetta secoua la tête. Manigances et magouilles. Tous les mêmes. Qu’avait donc promis Mendoza à ses pairs ? Certains avaient dû être corrompus, c’était évident, mais lesquels ... Il fallait leur vendre la pomme d’or, leur faire voir que leur salut ne passait que par là. Il ôta son tricorne et passa une main lasse dans ses cheveux. On entendait au loin la clameur de la bataille.
« Il va falloir se décider vite, de toute manière. Les combats ne vont pas tarder à se rapprocher, et nous leur ferions un trop beau cadeau en étant tous rassemblés là. » fit Servo, en replaçant son couvre-chef.
« Qu’avez-vous à proposer d’autre ? Nous sommes d’accord que nous n’agirons que lorsque la Reine tombera, si elle tombe. Mais d’ici là, nous n’avons pas d’autre plan que de jouer cette carte avec les révolutionnaires. Si la ville haute tombe, nous paierons le prix fort. Donc mettons nous au moins d’accord là dessus, non ? » poursuivit-il, invitant d’autres nobles à prendre la parole.
Brouhaha. On acquiesça, on soupira. Mais rien de constructif ne fut apporté. C’était un fait. Ils n’avaient, eux, pas la moindre manière de se défendre si l’armée flanchait. Et avec la disparition de Mendoza, les constats n’étaient plus si optimistes ... D’autant plus que, comme cela avait déjà été évoqué bien plus tôt, si Mendoza prenait le peuple à revers, il y avait de fortes chances qu’il se replient dans la ville haute. Ça plus le fait que ce traître risquait d’en brûler la plupart pour se faire de la place ... D’après le Révolutionnaire, il avait Eirkir avec lui, ce qui poserait un autre problème ... mais s’ils abdiquaient, les révolutionnaires seraient prêts à négocier le contrat, non ? Gerdald sur le trône, la demande de neutraliser Eirikr ... Et bien, Lord Vendetta avait de bonnes idées après tout. Du moins, c’était ce que certains se disaient à voix basse. Eustass, par exemple, restait là, à l’observer avec un étrange sourire.
« Et tu dis que Gerdald est venu se réfugier chez toi, Servo ? » lui demanda le vieux noble.
« Oui. Il pensait que je pourrais le faire sortir, jusqu’à ce qu’il se rende compte que les souterrains étaient inondés. Sinon, je ne serais pas resté longtemps non plus. » avoua le noble, rendant son regard au vieillard.
« Et bien, nous avons un peu de chance, au final. Dans notre malheur en tout cas. Je préfère tenter ma chance avec toi qu’avec Mendoza. Proposons notre soutien aux révolutionnaires, devenons ceux grâce à qui tout a été possible et faisons le savoir au peuple. Si ces hommes prônent vraiment ce que tu dis, ils tiendront parole. » trancha le vieil homme.
Les épaules de Vengeance se détendirent un peu. L’influence d’Eustass était forte, et bien qu’il passa pour un vieux pataud la plupart du temps, ses conseils étaient sages et avisés. Ainsi, il attirait une grande partie des nobles avec lui. Il était important d’avoir son soutien en de pareilles circonstances. Il ne semblait pas se douter qu’il puisse appartenir à la révolution, mais à voir son regard, il se doutait que Vendetta avait déjà fricoté avec elle. Lorsque soudain ...
*clap* *clap* *clap* *clap* *clap* *clap*
Un silhouette noire émergea de l’ombre, lâchant à chaque pas derrière elle une légère fumée opaque. Sa capuche masquait son visage, mais tous le reconnurent. Un mouvement de panique gagna l’assemblée, le noble bedonnant tomba de sa chaise avec grand fracas. Le coeur de la noblesse ne fit qu’un bond et l’homme vêtu de noir se positionna en face de Vendetta, qui tira son épée et recula en mimant à la perfection les pas fébriles d’un noble terrifié.
« Intéressant ... j’étais venu en pensant que votre mort à tous pourrait faire pencher les choses en notre faveur, bien conscient de votre petite réunion secrète. Les choses se passent toujours ainsi, voyez-vous ... les plus gros rats quittent le navire en premier. » ricana le révolutionnaire, sans prendre la peine de se mettre en garde face à Vendetta.
« Mais ... j’ai changé d’avis. Dites-moi, votre petit plan m’a l’air bien intéressant ... Vous voulez quoi ? Une part du gâteau ? La promesse qu’on ne vous mettra pas sur des piques à l’entrée de la ville pour accueillir Mendoza ? » poursuivit-il, avançant doucement vers le noble au tricorne.
« Je ... Fuyez ! » hurla le Lord téméraire en abattant son épée sur l’assassin.
Ce dernier attrapa Vengeance, toujours dans son rôle, et l’envoya rouler à terre en le laissant passer à travers lui. Il roula et se réceptionna lourdement contre une colonne. Un sourire amusé se dessina sur les lèvres de Rafael, au moment même où Eustass se leva de son siège, mains en l’air. Déjà certains nobles courraient vers la sortie.
« Assez ! » hurla-t-il.
« Je t’écoute, assassin : qu’as-tu à nous dire ? Tu aurais voulu nous tuer que tu l’aurais déjà fait ... Servo, cesse donc tes simagrées, tu vas nous faire tuer ... » fit-il, avec un ton étrange sur les dernières paroles.
Vendetta se releva, se massant l’épaule. Auditore n’y était pas allé de main morte, et il l’avait vraiment projeté fort. À la limite de lui démettre l’épaule. Au moins, il avait eu l’air convaincant. Gardant une distance de sécurité avec l’assassin, il ramassa son épée, puis alla se ranger aux côtés d’Eustass, alors que les nobles s’arrêtaient de fuir. Rafael montra le vieillard du doigt, avec un air moqueur.
« Voilà un homme qui sait faire fonctionner sa cervelle ... hé hé ... Allons bon. J’ai entendu que vous vouliez vous rendre. Ça m’intéresse. Une fois que la Reine sera morte, car elle va mourir, vous ferez quoi, toi et ta petite bande de culs dorés ? » le railla l’assassin, montrant Servo d’une main dédaigneuse.
Le vieil homme fit un signe de tête à son jeune homologue qui se massait toujours l’épaule. Celui-ci le regarda à son tour, puis s’avança bon gré mal gré. Il jeta un oeil à toute l’assemblée pour voir des nobles apeurés et perplexes. Si le révolutionnaire les écoutait, s’il avait décidé de les épargner ... alors c’était qu’il y avait une possibilité, non ? Hein ? Une chance de survie pour eux ? Une chance d’éviter que le peuple ne les tue ? Une chance d’éviter que Mendoza ne leur nuise ?
« Et bien ... Gerdald sur le trône ... il aurait trop peur de mourir pour nous refuser quoi que ce soit. Mais il possède le sang et le droit de régner. Plus que l’un d’entre nous ... Alors nous pensions que s’il montait sur le trône, et vous confiait l’armée pour renforcer vos troupes ... et bien ... nous aurions une chance d’être épargnés car nous aurions ainsi aidé la révolution. » expliqua-t-il, simplifiant largement l’idée globale.
L’assassin opina du chef. Idée intéressante, mais ...
« Et si Gerdald n’en fait qu’à sa tête ? » demanda-t-il.
« Et bien ... *gloups* ... dans un premier temps il nous écoutera. Après, si nous survivons, il faudra songer à répartir les pouvoirs pour que ... et bien ... nous, nobles ayant aidé à la révolution, puissions avoir notre mot quant à la gouvernance du pays. Je ... je ne sais pas ... mais ça nous paraissait la meilleure solution ... si heu ... si vous nous laissez faire. On est tous gagnants là-dedans, non ? Et puis je pense qu’il aura trop peur de vous et de nous, a fortiori s’il nous pense alliés, pour s’écarter de la voie que nous lui dessinons. » répondit Servo, parfait dans son interprétation.
Rafael fronça les sourcils, puis se gratta le menton. L’idée était intéressante, en effet, puisque c’était la sienne. Enfin, la sienne. Servo et lui avaient longuement discuté de cette opportunité, et il réalisait ce travail de sape tout en construisant ses relations depuis maintes années à présent. De plus, à la vue de son jeu d’acteur, personne ne pourrait remettre en question sa peur du révolutionnaire. S’ils savaient, hé hé, qu’ils abritaient le plus partisan de tous les habitants de Goa en leur sein, sans le savoir ...
« Donc, pour faire simple. Je tue la Reine, Gerdald apparaît derrière, avec votre caste en soutien et avec son renfort, vous abdiquez. Bien. Et après ? Il reste le problème Eirikr. Je suppose que c’est là qu’intervient votre revendication, non ? Je tue aussi le petit protégé et l’oncle empoche la mise ? Quant à la suite ... vous gagnez le trône de Goa pour votre petite assemblée. J’ai bien peur que ça ne m’aille pas vraiment. » trancha l’assassin, en croisant les bras.
« Et le peuple dans tout ça ? Car vous savez bien que si vous pensez garder Gerdald sous votre coupe, je vous aurai, moi, toujours dans la ligne de mire. Le moindre faux pas, la moindre peccadille de traîtrise et je vous saignerai. On va d’abord imposer mes conditions : arrêt de l’esclavage, vous trouverez à vous enrichir ailleurs, purification du Grey Terminal, oui vous le nettoierez et le rendrez habitable, et pour finir égalité pour tous. Je m’explique. Abolition de vos privilèges. Vous ne serez plus que de riches habitants de Goa, siégeant au conseil royal, décisionnaire des actions du pays. Cela vous va ? » proposa Rafael, un sourire mesquin aux lèvres.
Il en demandait beaucoup, et les informations mirent du temps à parvenir au cerveau des nobles. Le révolutionnaire attendit leur réponse, mais seul un silence accueillit sa proposition. Ils gardaient leur argent et leur vie. Rien de plus, rien de moins. Et une place d’importance dans la vie prochaine du royaume. Ils n’en espéraient pas beaucoup plus, à vrai dire. La vie, c’était pas mal. Le pouvoir encore mieux. Et l’argent ... et bien ça allait sans dire. Mais le nettoyage du Grey Terminal, l’abolition de l’esclavage ... leur vie en prendrait un sacré coup. Toujours plus que de nourrir les vers, certes. Et les autres nobles qui ne s’y plieraient pas, ou n’avaient pas répondu à l’appel de la réunion secrète, et bien à en voir l’assassin, ils risquaient fort de faire la queue sous la guillotine.
« J’avais déjà pris soin de vous subtiliser Gerdald, qui demeure dans un lieu connu de moi seul. Mais à la vue de la situation, je vous autoriserai à le mettre au courant quelque minutes avant la mort de la Reine. Menacez-le et tout ira bien. Plus vite nous en aurons terminé, mieux ça sera. » trancha Rafael, en tournant le dos à l’assemblée.
« Mais ... euh ... nous n’avons pas accepté ... » s’étonna Eustass, en se levant de son siège.
L’assassin se retourna, le dévisagea en arquant un sourcil.
« Vous acceptez ? » demanda-t-il aux nobles.
« Et bien .... nous n’avons pas vraiment le choix, mais je pencherai plutôt pour un oui. Mes amis ? » demanda le vieil homme.
L’assemblée hésita, puis devant l’air renfrogné du révolutionnaire et la lueur d’espoir qu’il leur venait, la décision l’emporta rapidement à l’unanimité.
« Et bien voilà. » trancha Rafael.
« Lorsque vous serez prêts, demandez à quelqu’un de pendre des drapeaux blancs sur les tours est et ouest du palais. Je m’arrangerais pour que vous trouviez Gerdald à ce moment là. La Reine mourra peu après. Oh, et inutile de vous dire, la moindre fuite entraînera la mort immédiate du bavard. Nous pouvons vous trouver partout, et à chaque instant. Méfiez-vous, ce ne sont pas des menaces en l’air. Demandez donc à Edmure ... » ricana l’assassin, avant de s’effacer lentement et de disparaître en l’air comme un nuage de fumée qui se dissipe.
Il restait fort à faire, et une lueur d’espoir commencer à pointer le bout de son nez. Tout n’était donc pas foutu ! Un seul détail restait à présent à accomplir. Tuer une Reine ... et trouver un moyen de neutraliser le Prince Eirikr. Cela voulait dire affronter à la fois Mendoza et Uther. Triste journée qui l’attendait. Mais entre ça et perdre la révolution, le choix était vite fait ...
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